THOMAS LE ROUX
PARIS/INDUSTRIES 1750-1920
PARIS AU RISQUE DE L’INDUSTRIE
CLAIRE BARILLÉ
JEAN-FRANÇOIS BELHOSTE
FLORENCE BOURILLON
GUILLAUME CARNINO
JEAN-BAPTISTE FRESSOZ
FRÉDÉRIC GRABER
FRANÇOIS JARRIGE
NICOLAS PIERROT
BÉNÉDICTE REYNAUD
PAUL SMITH
MARIE THÉBAUD-SORGER
NIELS VAN MANEN
DENIS WORONOFF
CONTRIBUTIONS DE
sommaire
Introduction : les paris de l’industrie 6
Première partie - L’acclimatation industrielle : aux sources d’une politique (1750-1830) 9
L’industrie à Paris au XVIIIe siècle – Préventions industrielles – La révolution acide –
La révolution à Paris – Jean-Antoine Chaptal – La loi de 1810 et les pollutions industrielles –
Darcet ou la technique au secours de l’industrie – Delessert
Ce qu’industrialiser veut dire, le cas de la chimie (Jean-Baptiste Fressoz)
L’explosion de la poudrerie de Grenelle du 31 août 1794, premier grand accident industriel à Paris
(Marie Thébaud-Sorger et Claire Barillé)
Deuxième partie : Paris, capitale industrielle 45
La gloire de l’industrie – L’insertion urbaine – Les faubourgs industriels – Les zones insalubres –
Industrie et banlieue – L’axe Seine –
Canaux, chemins de fer, entrepôts : les points d’ancrage de l’industrie
Une chape de plomb sur les eaux parisiennes (Guillaume Carnino)
La Fabrique résiste à l’haussmannisation (Florence Bourillon)
Troisième partie : Ville laborieuse, ville dangereuse 77
Les machines à vapeur – Les usines à gaz – Poudres et explosifs – Incendies –
Paris en guerre industrielle
Usines textiles en feu au XIXe siècle (François Jarrige)
Les risques industriels d’incendie dans les centres urbains européens, fin XVIIe - début XX
e siècle
(Niels van Manen)
Quatrième partie : Les travailleurs de l’industrie 103
Espaces de travail, de la chambre à l’usine – Les corps au travail –
Villermé et les travailleurs de l’industrie – Accidents du travail et maladies professionnelles
L’opposition aux carrières à plâtre de Montmartre (Frédéric Graber)
Cinquième partie : Sécuriser l’industrie et la ville 127
Fire-proofing – La haute cheminée, indicateur de pollution –
La sécurité au travail – Les acteurs de la protection
Le Paris industriel des artistes, 1760-1914 (Nicolas Pierrot)
Images littéraires de l’industrie à Paris, de Balzac à Zola (Denis Woronoff)
Epiloque / conclusion 153
Le patrimoine de l’industrie à Paris (Paul Smith et Jean-François Belhoste)
Crédit des illustrations 158
Bibliographie 159
40 41
L’explosion de la poudrerie de Grenelle du 31 août 1794,
premier grand accident industriel à Paris
À laube du 31 août 1794 (14 fructidor an II), Paris se réveille au bruit dune
incroyable déflagration : limpressionnante explosion provient dune poudre-
rie installée depuis quelques mois dans lenceinte du château de Grenelle, sis
dans la plaine du même nom, à lest du faubourg Saint-Germain. En effet, leffort
de guerre mené par le gouvernement révolutionnaire de lan II, en réponse aux
monarchies européennes coalisées, sest particulièrement concentré à Paris. La
capitale se transforme en une immense fabrique darmes et de munitions afin
de fournir les armées. Les savants se sont par ailleurs en grande majorité enga-
gés au service de la jeune république en danger et proposent toutes formes
dinnovations. Le contexte favorise donc lexpérimentation de nouveaux procé-
dés permettant une concentration et une intensification de la production armu-
rière. Sous la responsabilité des chimistes Chaptal et Bonjour, la manufacture de
poudre noire de Grenelle en est un fleuron.
Traditionnellement préparée avec un mélange de salpêtre, de soufre et de
charbon de bois, sa fabrication demeure dangereuse et il nest pas rare que les
moulins à poudre explosent, entraînant quelques dégâts matériels, rarement des
morts. Ici cependant, le nouveau procédé technique mis au point par le chimiste
Carny – un des pionniers de la chimie industrielle – a permis un gain de temps
en simplifiant quelques étapes de fabrication (il ny a plus de pilon mais un sys-
tème de mélange dans des barils) et augmentant la cadence de production mise
en œuvre ici à grande échelle (30 % de la poudre française y est produite lété
1794). La manufacture tourne à plein régime et embauche massivement, non
sans choisir scrupuleusement de bons citoyens recommandés par les comités de
section, ou sélectionnés dans les différents districts afin dintégrer la manufac-
ture comme élève de la nouvelle école des poudres et salpêtres. Fonctionnant
comme une véritable ruche, les ouvriers sont regroupés au sein dateliers – des
baraquements de bois construits en hâte – qui se partagent les étapes de la pro-
duction et du stockage, tandis que vont et viennent les ouvriers sous-traitants
dentreprises de maçonnerie et de charpente travaillant à lagrandissement de la
fabrique, ainsi que des marchandes deau-de-vie et autres denrées.
Devant le grand nombre de soldats partis au front et lurgente nécessité de
trouver de la main-d’œuvre, la population de la fabrique augmente considéra-
blement et beaucoup de chargés de famille, la plupart entre 30 et 50 ans, se
font embaucher. Les pères de famille travaillent souvent avec un ou deux de leurs
enfants. Si ces derniers sont censés être âgés dau moins 12 ans, en réalité des
enfants de 8 ans sont vraisemblablement employés à certaines tâches comme le
mouillage des toiles, tandis que les hommes dans la force de lâge ou plus expéri-
mentés soccupent des mélanges dans les tonneaux et des activités de transport
au sein de la manufacture (matière première, puis stockage au magasin). Dans un
contexte économique et social bouleversé par le phénomène révolutionnaire, le
salaire offert attire un monde ouvrier mélangeant journaliers, manœuvres, petits
artisans, citoyens engagés aux armées souhaitant quitter le front et travailler
près de leurs proches. La manufacture réquisitionne aussi des ouvriers pour leurs
savoirs spécifiques, tels les tonneliers de Dieppe par exemple, et puise dans le
vivier dun large bassin parisien (tels les carriers de Vanves) faisant converger,
au-delà, les ouvriers saisonniers de la Savoie ou de la Creuse. À cette popula-
tion sajoutent également des travailleurs occasionnels dont la situation sociale
liée à léconomie dAncien Régime a basculé (perruquiers, tailleurs, jardiniers de
grandes maisons).
Quelle est lorigine de la catastrophe ? Elle ne fut jamais réellement détermi-
née, la rumeur faisant état dun sabotage politique, dune vengeance des robes-
pierristes tout juste écartés du pouvoir, ou encore dun sabotage de lennemi.
De manière bien plus probable, laccroissement du nombre douvriers et de la
cadence de production (liée au changement technique de fabrication) combiné
à la chaleur et à de mauvaises manipulations en sont certainement les causes. Les
SCouche fils, Explosion de la poudrière de Grenelle le 14 fructidor an II (1794), gravure, s.d.
42 43
victimes sont extrêmement nombreuses, plus de 1300 dont 536 morts identifiés.
Pour autant, et malgré les impressionnants dégâts matériels de la fabrique, la
population parisienne demeure peu touchée hormis le voisinage proche dans
une zone contigüe à la poudrerie : quelques riverains sont blessés par la projec-
tion de gravats ou la chute dun élément de leur maison, rien de comparable par
exemple aux destructions que connut Delft, le 12 octobre 1654, suite à lexplo-
sion dun stock de poudre au cœur de la ville.
À la suite de lexplosion, un gigantesque incendie se déclenche, contre lequel
luttent pompiers et membres de la garde nationale ainsi que les nombreux volon-
taires venus en renfort, aidant non seulement à son extinction mais aussi à déga-
ger les cadavres des décombres. Si certains corps sont parfois méconnaissables,
une bonne fraction des ouvriers morts demeurant introuvables, sont portés
disparus. Quant aux blessés, les plus graves sont évacués dans les hôpitaux les
plus proches, principalement à linfirmerie de la maison nationale militaire des
Invalides. Les moins touchés sont rapidement pansés et nombre douvriers rega-
gnent ainsi leur logis, transis et en état de choc, découvrant au fil des heures
plaies, contusions, brûlures ou fièvre dont ils avertissent aussi vite que possible
les officiers de santé de leur section. Tandis que la manufacture se remet pro-
gressivement en marche, délocalisée sur dautres sites, lévénement soulève, les
jours suivants, un immense mouvement de bienfaisance nationale et la collecte
de dons comme leur distribution sorganisent.
Considérées comme faisant leur devoir de citoyen au service de la patrie en
danger, les victimes sont assimilées au statut de soldat mort sur le front. Inspiré
par la grille des secours militaires, la loi publiée le lendemain de lévénement,
énonce le cadre des réparations tout en écartant demblée la question de la res-
ponsabilité. La gestion des accidents du travail par lÉtat est une première, bien
quil ait pu exister ponctuellement des formes de réparations liées aux activités
de travaux publics. Mais le système change de nature car aux dispositifs dassis-
tance et de charité qui prévalent dordinaire sous lAncien Régime, la convention
y substitue un processus daide, organisé selon un principe déquité complète-
ment nouveau. Les mêmes droits tarifés, hors de toute pratique discrétionnaire,
souvrent pour quiconque fournit les pièces demandées dans le cadre de la loi.
Le processus resitue aussi la victime au sein du tissu social, en prenant en compte
lensemble des individus de la famille affectés par la perte dun salaire. Dans un
premier temps les secours provisoires sont distribués autant aux blessés pendant
leur convalescence (sous réserves dexpertise de commissions de médecins) quà
leurs proches (femmes et parents âgés).
Par la suite, un système se met en place instaurant une compensation sur la
durée ; ainsi des pensions viagères sont établies pour les mutilés et les veuves,
assorties dans ce cas dun supplément indexé sur le nombre denfants de moins
de 12 ans.
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