Dette publique, politique monétaire et stabilité fi nancière
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Banque de France • Revue de la stabilité fi nancière • N° 16 • Avril 2012
Les banques, l’aléa moral et la dette publique
Régis Breton, Caroline Pinto et Pierre-François Weber
E
n période de crise financière, on observe
fréquemment un transfert de dette de la
sphère privée à la sphère publique. C’est un
schéma récurrent dans l’histoire des crises fi nancières
(cf., par exemple, Reinhart et Rogoff, 2011). De fait,
quatre années après le début de la crise bancaire,
les tensions se sont propagées aux marchés de dette
souveraine dans l’Union européenne.
Les économies qui sont aujourd’hui à l’épicentre de
la crise présentent deux caractéristiques communes.
Premièrement, ce sont des pays dont la dette
souveraine était habituellement jugée pratiquement
sans risque à la fois par les acteurs privés et publics,
et se trouvait donc présente en montants importants
dans les portefeuilles d’actifs des grandes banques en
Europe et dans le monde. Deuxièmement, ce sont
des pays où opèrent généralement les établissements
fi nanciers les plus importants et les plus systémiques,
qui, en tant que tels, sont perçus comme les plus
susceptibles d’être aidés par les pouvoirs publics.
Ces deux caractéristiques expliquent, dans une
large mesure, les tensions conjointes qui s’exercent
actuellement sur l’État et le système bancaire dans
les économies développées.
Le présent article analyse le cercle vicieux entre
banques et dette souveraine. Il ne s’intéresse pas
aux solutions de court terme, mais s’attache plutôt
à mettre en perspective ces interactions. Trois
constats s’en dégagent. Tout d’abord, les systèmes
bancaires et les États sont étroitement liés. Au-delà
de raisons objectives, certaines considérations
normatives permettent d’éclairer ce lien. Ensuite,
bien que rationnelle, l’intervention des pouvoirs
publics lors d’une crise engendre divers problèmes
d’aléa moral, lesquels se répercutent sur les
banques comme sur les États. Enfi n, il n’existe
pas de politique simple permettant de remédier à
ces problèmes. Toutes les mesures envisageables
imposent de repenser fondamentalement plusieurs
approches pourtant couramment acceptées.
Cet article est structuré comme suit : la section 1
explore les données empiriques qui attestent
des interactions entre risque souverain et risque
bancaire, et elle présente les principaux canaux de
contagion ; la section 2 relie ces interactions à des
aspects ayant trait à l’assurance publique et à l’aléa
moral ; enfi n, la section 3 examine les diffi cultés
liées aux solutions potentielles.
1| QUELQUES FAITS STYLISÉS
Historiquement, les crises de la dette souveraine et
les crises bancaires sont fortement corrélées. De 1970
à 2000, plus de 60 % des défauts souverains ont été
associés à une crise bancaire. Ainsi que le montrent
Reinhart et Rogoff (2009), la dette publique a augmenté
de 86 %, en moyenne, durant les grands épisodes
de crise bancaire postérieurs à la Seconde Guerre
mondiale 1.
Une partie de cette corrélation empirique n’est
qu’une conséquence mécanique des effets des
crises financières sur l’activité économique.
Reinhart et Rogoff (2009) avancent ainsi que « la
principale cause des explosions de la dette n’est
pas le coût, fréquemment cité, du renfl ouement et
de la recapitalisation du système bancaire, [mais]
l’inévitable effondrement des recettes fiscales
que subissent les États à la suite de contractions
graves et prolongées de la production, ainsi que
les politiques budgétaires contracycliques, souvent
ambitieuses, destinées à atténuer le ralentissement
de l’économie ».
Dans les économies modernes, outre ce canal de
l’économie réelle, il existe deux importantes sources
d’exposition mutuelle entre les banques et l’État : les
titres de dette détenus par les banques et le soutien
apporté par les autorités au système bancaire.
1|1 Sources d’exposition mutuelle
LES BANQUES SONT DES INVESTISSEURS SIGNIFICATIFS
ET ESSENTIELS DANS LA DETTE SOUVERAINE
Les banques sont des investisseurs signifi catifs
et essentiels dans la dette souveraine, en raison
des risques relativement faibles associés à cette
catégorie de titres et de leurs multiples utilisations
pour les banques (cf. graphique 1). La nécessité
de diversifi er les portefeuilles (en y mêlant actifs
risqués et sans risque), le rôle des obligations
1 Cette analyse se fonde sur un échantillon comprenant treize épisodes de crise fi nancière systémique qui sont survenus après la Seconde Guerre mondiale,
dans des pays développés ou émergents (Finlande, 1991 ; Chili, 1980 ; Indonésie, 1997 ; Espagne, 1977 ; Thaïlande, 1997 ; Suède, 1991 ; Corée, 1997 ;
Philippines, 1997 ; Norvège, 1987 ; Japon, 1992 ; Mexique, 1994 ; Malaisie, 1997 ; Colombie, 1998).