Rachis, 1996, vol. 8, 5pp 265-270 ARTICLE ORIGINAL
L'OTÉOPOROSE INDUITE PAR LES ANALOGUES
DE LA GONADOLIBÉRINE
OSTEOPOROSIS INDUCED BY GONODORELIN ANALOGS
S. DANAN, D. CHAOUAT, G. SELANGE, S. RASCOVSCKI*
'Service du Pro O. Chaouat -Fondation A. de Rothschild 25, rue Manin 75940 Paris Cedex 19.
RESUME
Les analogues de la gonadolibérine (GnRH) ont une
action antagoniste paradoxale sur les hormones
gonadotropes hypothalamo-hypophysaires. Ils sont
principalement utilisés au cours des endométrioses et
des cancers hormonodépendants. Leur utilisation
prolongée peut s'accompagner d'une perte osseuse
rapide et significative, comme cela a été étudié chez la
femme traitée pour endométriose. Chez l'homme,
quelques observations suggèrent que l'usage des
agonistes de la GnRH constitue un facteur de risque
d'ostéoporose vertébrale.
Divers moyens de prévention sont actuellement
proposés, après évaluation du capital osseux par
densitométrie osseuse.
Mots clefs: Agoniste de la GnRH - Ostéoporose - Densitométrie.
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SUMMARY
Agonists of Gn-RH have a paradoxical effect on
hypothalamo-hypophysis gonadotropic hormones. They
are mainly used in endometriosis and hormone-
dependant cancers. The long-term use may be associated
with a rapid and significant bone loss, as it has been
shown in women treated for endometriosis. ln men, few
cases suggest that use of agonists of Gn-RH may be a risk
factor of vertebral osteoporosis. Several preventive
treatment may be proposed ater bone mass assessment
using bone densitometry.
Keys words: GnRH agonist - Osteoporosis - Densitometry.
S. DANAN, D. CHAOUAT, G. BELANGE, S. RASCOVSCKI
- dans le traitement de certains fibromes utérins en associa-
tion avec des œstrogènes substitutifs.
Tableau 1:
Formules simplifiées de quelques analogues agonistes de la
gonadolibérine (d'après B. Charbonnel).
(1) Suprefael (aeélClte)- Labaratoires Hoeehst, Bigonist (aeétate)-
Laboratoires Cassenne
(2) Déeapeptyl-Ipsen Bioteeh
(3) Enantone LP- Laboratoires Takeda-Luerin-Abott Franee
(4) Zoladex -Zénéea Pharma
(5) Synarel (aeétate)- Laboratoires Syntex.
La synthèse d'analogues structuraux de la gonadolibérine
ou hormone hypothalamique de libération des hormones
gonadotropes (GnRH) a permis d'obtenir des molécules
ayant une activité agoniste ou antagoniste vis-à-vis de la
GnRH naturelle.
L'action des agonistes de la GnRH se traduit par un état
d'insuffisance gonadotrope réversible à l'arrêt du traite-
ment.
Ils font partie de l'arsenal thérapeutique des pathologies hor-
monodépendantes (cancers hormono-dépendants, puberté,
endométriose, fibrome utérin, induction de l'ovulation ...).
Leur utilisation prolongée, surtout dans les deux premières
indications, peut induire une perte osseuse plus ou moins
sévère liée à une castration médicale, parfois réversible à
leur arrêt (1.2,3).
Cette perte osseuse a surtout été étudiée chez la femme trai-
tée pour endométriose .Quelques cas d'ostéoporoses mas-
culines ont déjà été publiés.
Buséréline (1)
Triptoréline (2)
Leuproréline (3)
ou leucoproréline
Gosoréline (4)
Nafaréline (5)
D-Ser6-EAIO GnRH
D-Trp6 GnRH
D-Leu6-proEA 10 GnRH
D-Ser6-As glylO GnRH
D-naphtyl-alanyl-6 GnRH
LES ANALOGUES DE LA GnRH
La gonadolibérine (GnRH: gonadotrophin releasing hormo-
ne ou LHRH: luteoprotein hormone releasing hormone) est
un décapeptide synthétisé dans l'hypothalamus, qui induit
la synthèse et la libération par l'hypophyse des gonadotro-
phines LH et FSH. Les groupes de Schally et Guillemin
ont réalisé sa découverte en 1971.
Deux types d'analogues ont été synthétisés:
- Les agonistes qui conservent J'action hormonale de la
GnRH native.
- Les antagonistes.
Les agonistes sont des molécules peu modifiées, caractéri-
sées par une puissance biologique supérieure à celle de la
GnRH native et par une demi-vie beaucoup plus longue.
Ces agonistes sont administrés à une dose et à une fréquen-
ce suffisante pour exposer en permanence le récepteur de la
GnRH à la molécule. On obtient après la stimulation initia-
le ou effet dit "flare-up", une désensitivation gonadotrope
avec diminution franche de FSH et LH. Il s'agit d'un véri-
table état réfractaire à la GnRH.
Les antagonistes sont des molécules plus complexes qui
n'induisent aucune désensibilisation hypophysaire.
Plusieurs agonistes de la gonadolibérine sont proposés en
thérapeutique (tableau 1),
Ces produits sont utilisés:
- dans les pubertés précoces d'origine centrale;
- dans des indications marginales: hirsutisme, syndrome
prémenstruel, hémorragies fonctionnelles, anomalies liées
au cycle menstruel, contraception féminine;
- en induction de l'ovulation;
266
Ils ont deux indications principales:
- l'endométriose,
- les cancers hormonodépendants.
• Dans le cancer du sein avec métastases selon des proto-
coles en cours d'évaluation clinique.
Dans le cancer de la prostate, dans des formes évoluées:
soit localement étendues, soit métastatiqucs, à côté des
deux autres traitements de première ligne: orchidectomie,
œstrogénothérapie par le Distilbène*. Bien tolérés, aussi
efficaces que la castration chirurgicale (mais beaucoup plus
coûteux), souvent beaucoup mieux acceptés par le patient
pour le caractère réversible de ce traitement médical, il est
maintenant établi que les agonistes de la LHRH ont une
place dans le traitement du cancer de la prostate évolué.
EFFETS OSSEUX DES AGONISTES DE
LA GnRH
Les analogues de la gonadolibérine modifient le métabolis-
me osseux.
Chez la femme, cette action s'explique par la baisse rapide
du taux des estrogènes circulants, qui atteint rapidement le
niveau de la post-ménopause en 3 à 6 mois. Les paramètres
biologiques du remodelage osseux sont modifiés avec aug-
mentation des marqueurs de formation osseuse (ostéocalci-
ne, phosphatases alcalines) et de résorption osseuse (calciu-
rie, hydroxyprolinurie) témoignant d'un hyper-remodelage
osseux apparaissant dès le troisième mois de traitement.
Plusieurs études ont été faites regroupant 840 patientes (1).
Les résultats sur le métabolisme osseux sont similaires,
sachant que les femmes atteintes d'endométriose représen-
L'OSTÉOPOROSE INDUITE PAR LES ANALOGUES DE LA GONADOLTBÉRINE
tent un modèle d'étude particulier, leur taux d'estrogènes et
d' ostéocalcine semblant plus élevés que les taux moyens des
femmes de même âge (21).Adashi (1)conclut en moyenne à
une perte osseuse de 8,2% au rachis lombaire et à une
réversibilité incomplète. Elle serait plus élevée en cas de
troubles préalables du métabolisme phosphocalcique et en
particulier de déficit en 1-25 OH2D3.
Parmi les études publiées, citons, avec des méthodes
d'étude différentes, les résultats de :
- Rico: 2,5 à 7,5% en DXA lombaire (23)
- Masahashi: perte de 7,5% mesurée au scanner lombaire
(mais rien au fémur) (19)
- Sciali: perte faible de 2,9% en radiographie digitalisée des
métacarpiens (27)
- Tummon: perte faible de 0,3% (sous DPA) mais le taux
de E2 reste élevé, reflétant une suppression ovarienne
incomplète (32)
- Waibel Treber: perte osseuse de 1 à 2% en DXA au rachis
mais moindre au radius proximal (34)
Ces chiffres sont donc similaires à ceux observés après
ovariectomie.
Les données sur la réversibilité à J'arrêt du traitement sont
également variables mais peu d'études ont été prolongées
plus de 6 mois après l'arrêt du traitement. Cette réversibilité
est complète pour Johansen (17),Roux (25),Waibel Treber (34),
et incomplète pour Devogelaer (9.10),Revilla (22)et Bianchi (4).
Cet effet dans les différentes études varie donc évidemment
selon les sites de mesure et le type d'appareil utilisé: l'os
trabéculaire est le plus touché avec une perte osseuse de 5%
à 14 % en tomodensitométrie, de 2 à 6% en DPA ou DXA,
la perte osseuse au fémur est plus faible (16).
En outre, si tous les sujets traités sont un jour ou J'autre
atteints, la variabilité individuelle est importante, un taux
élevé de 1.250Hvit.D semblant exercer un effet protecteur
(26).
Chez l'homme: de nombreuses études (28)ont pu démontrer
le rôle prédominant du taux de testostérone dans le main-
tien d'une masse osseuse élevée chez le sujet âgé. Les
hommes d'âge avancé ont une augmentation nette des para-
mètres de la résorption osseuse (20).
Des récepteurs aux androgènes sont en effet présents sur les
ostéoblastes (7.33).La concentration des sites de ce récepteur
est environ la moitié de celle rapportée pour les estrogènes.
Un effet direct des androgènes sur les ostéoclastes n'a pas
été démontré, mais ils exercent une inhibition indirecte de
la résorption osseuse avec diminution du recrutement des
ostéoclastes.
L'effet des inhibiteurs LHRH chez l'homme se traduit par
une augmentation du turn-over osseux au bénéfice de la
résorption (11.13,14.15,16.20).Campadore (5)a étudié 12 patients
traités pendant 6 mois pour cancer de la prostate par com-
paraison à 12 autres sujets de même âge non traités.
Si, dans les 2 groupes, les paramètres les plus simples du
métabolisme osseux (calcémie, phosphorémie, phospha-
tases alcalines) restent normaux, la masse osseuse est signi-
267
ficativement plus élevée dans le second groupe. Chez des
sujets traités par estrogènes pour cancer de la prostate, la
masse osseuse reste normale alors qu'elle est nettement
diminuée chez des sujets traités par inhibiteur LHRH pour
adénome. Cet effet sur la masse osseuse se traduit par une
ostéoporose. En pratique courante, la réalité de cet effet est
sans doute sous-estimée en raison de la faible espérance de
vie de ces malades, traités pour des cancers prostatiques
évolués, la survenue de fractures et de tassements verté-
braux pouvant être attribuée àtort àla maladie cancéreuse,
Nous avons relevé dans la littérature 7 publications d'ostéo-
porose fracturaire documentées (Collinson (6)2; Deltombe
(8)2; Maillefert(18) 2; Tourlière (31)1), qui toutes concernent
des hommes âgés traités pour cancer de la prostate. Nous
même avons présenté récemment un tel cas (5bis).
LA PRÉVENTION DE L'OSTEOPÉNIE
EST-ELLE POSSIBLE?
Chez la rate ovariectomisée, J'administration d'agonistes de
LHRH provoque une diminution du nombre et de l'épais-
seur des travées osseuses. Ces altérations micro-architectu-
rales semblent récupérer incomplètement après interruption
du traitement, les travées retrouvant leur épaisseur mais
leur nombre restant diminué (30).
Cette altération qualitative de J'os avec risque de perforations
trabéculaires a été confirmée par des études cliniques (17).
L'utilisation prolongée des agonistes de la LHRH justifie
que J'on envisage une prévention de l'effet délètère osseux,
au moins chez les sujets à haut risque ostéoporotique lors
de l'instauration du traitement.
C'est bien sûr chez la femme atteinte d'endométriose que
se pose cette question, surtout si le traitement doit dépasser
6 mois, Riis et Coll. (24)ont rapporté les effets favorables de
la noréthistérone (Primolutnor*) à la dose de 1,2 mg/j dans
la prévention de la perte' osseuse rachidienne, L'obstacle à
son utilisation semble lié à un effet délètère sur le métabo-
lisme lipidique (surtout à forte dose).
D'autres tentatives de prévention ont été faites, mais bien
sûr moins cohérentes avec traitement de l'endométriose: la
PTH en injection semble la plus efficace (12).Des résultats
variables sont rapportés avec la prise de calcium (positifs
pour Tummon (32),nuls pour Roux (25)).La calcitonine et les
diphosphonates semblent inefficaces (25).
Chez l'homme, Collinson (6)suggère d'utiliser un estrogè-
ne, J'estramustine phosphate (Estracyt* ). Erikson (II) sug-
gère d'associer à l'orchidectomie un estrogène de synthèse:
l'éthinylestradioL
Pour notre part, il pourrait paraître logique, avant de propo-
ser une option thérapeutique entre les 3 castrations pos-
sibles pour cancer de la prostate (estrogénothérapie par
Diéthylstilbestrol, pulpectomie, traitement par inhibiteur
LHRH), de faire une étude simple par densitométrie osseu-
se du capital osseux préexistant.
L'OSTÉOPOROSE
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