Aperçu sur quelques enquêtes épidémiologiques récentes

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CHAPITRE I
Aperçu
sur quelques enquêtes
épidémiologiques récentes
La consommation de produits psychoactifs a fait
l’objet, ces dernières années, de plusieurs études et
enquêtes épidémiologiques*. La possibilité de mener
des enquêtes sur la consommation de produits illicites
par les adolescents n’a reçu l’approbation des
autorités éducatives et sanitaires qu’en 1988, et ce
dans des conditions très précises. Si, à partir de cette
date on dispose, à propos de la consommation de
drogues illicites, des résultats de deux enquêtes
menées auprès de populations scolarisées (département de Haute-Marne) et d’un complément
d’information auprès de jeunes en « désinsertion »
* Notamment enquête INSERM (U.169 M. Choquet auprès
des adolescents ; Enquête du service de Santé des Armées
auprès des appelés ; CFES Baromètre Santé ; Enquête
Ministère de la Santé) (toxicomanie et cannabis) ; Livre Blanc
de la Sécurité routière, drogues illicites et médicaments
(incidences alcool/cannabis).
13
EFFETS DU CANNABIS
scolaire, ce n’est que depuis 1993 que l’on possède
des informations plus complètes grâce aux résultats
d’une grande enquête nationale auprès d’environ
12 000 adolescents représentatifs des élèves du
second degré dans 163 collèges et lycées tirés au sort
dans 8 académies. De multiples précautions ont été
prises pour garantir au maximum la fiabilité des
réponses (formulation des questions, contrat de
confiance accepté par les jeunes s’engageant à
répondre…).
Nous indiquerons ici quelques résultats obtenus lors
de cette enquête « Fréquence de la consommation de
cannabis (1993) : prévalence sur la vie au cours des
douze derniers mois » *.
On observe une augmentation importante de la
consommation constatée dans l’intervalle qui s’est
écoulé entre les deux études effectuées en 1988 et en
1993, la proportion des élèves du second degré ayant
fumé au moins une fois du cannabis étant passée de 6
à 12 % (à noter, cependant, que ces deux études n’ont
pas été réalisées dans les mêmes régions). La
consommation des élèves du second degré est plus
marquée chez les garçons que chez les filles et
augmente très sensiblement avec l’âge. Un pourcentage, négligeable il est vrai, de ces jeunes, a indiqué
avoir également consommé de l’héroïne (# 1 %). Une
* Choquet, U.169, INSERM.
Aperçu sur quelques enquêtes épidémiologiques récentes
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étude comparable, réalisée également en 1993 chez
3 000 jeunes en réinsertion, a donné des résultats
comparables à ceux obtenus pour les jeunes scolarisés.
L’analyse des résultats permet de dégager certains
facteurs sociaux ou psychologiques liés à la
consommation de cannabis. Parmi les jeunes
scolarisés, la proportion de consommateurs de
cannabis est plus élevée dans les catégories les plus
favorisées, les Français de souche, les enfants de
parents âgés ou séparés. S’il n’y a pas de relation
évidente entre lieu d’habitat (ville, banlieue,
campagne) et consommation de cannabis, en
revanche, on constate une forte association entre
consommation de tabac, d’alcool et de cannabis. On
note aussi l’association fréquente du tabac avec
divers médicaments prescrits contre la nervosité ou
l’insomnie. En outre, parmi les consommateurs
d’héroïne (qui représentent moins de 1 % de la
population juvénile), si presque tous ont consommé
du cannabis, en revanche, seuls 5 % des usagers du
cannabis ont pris de l’héroïne. Il reste que l’on
retrouve toujours une liaison forte
tabac/alcool/cannabis. Ces résultats recoupent les
études hollandaises d’après lesquelles 1,8 %
seulement des consommateurs de cannabis
s’orientent vers l’héroïne.
15
EFFETS DU CANNABIS
D’une manière générale, on constate une
corrélation (qui ne permet pas de conclure à une
étiologie) entre consommation de drogue et
difficultés personnelles du sujet (absentéisme
scolaire, tentatives de suicide, vols, fugues). En
revanche, aucune corrélation n’a été constatée
entre la consommation de cannabis et le chômage
parental. Bref, il y a surtout des liens entre la
consommation de drogues et la vie psycho-affective
de l’adolescent.
Les jeunes âgés de 18 ans et plus au moment de
l’enquête nationale ont été suivis pendant deux ans.
On dispose actuellement de données concernant
2 182 jeunes de 18 ans et plus dont certains étaient, en
1993, des consommateurs de cannabis. On constate
que :
– « l’initiation tardive au cannabis », parmi ceux
qui, à 18 ans, n’y avaient pas encore eu recours, est
plus fréquente parmi les consommateurs précoces
d’alcool ou de tabac que parmi les autres,
– les trois quarts des jeunes consommateurs de
cannabis continuent à y avoir recours après l’âge de
18 ans,
– en revanche, parmi les jeunes ainsi suivis, aucun
n’a franchi le cap du cannabis aux drogues dites
dures.
Aperçu sur quelques enquêtes épidémiologiques récentes
16
Il n’est pas possible de savoir actuellement si
l’augmentation importante de la consommation
constatée entre 1988 et 1992 a atteint ou non un
plateau. La prochaine enquête programmée pour 1998
permettra, sans nul doute, d’éclairer davantage cette
question.
Comme il serait utile que ces enquêtes soient en
général réalisées environ tous les 5 ans, il convient de
souligner avec satisfaction le rôle qui est dévolu à
« l’Observatoire Français des drogues et des
toxicomanies »* et l’importance des mises au point
annuelles (indicateurs et tendances) qui sont
essentielles pour le suivi épidémiologique du
problème de la consommation de drogues dans
notre pays.
Il est intéressant de comparer, à titre d’exemple, les
résultats de l’enquête nationale sur la consommation
de drogues illicites par les adolescents en France avec
des études comparables menées aux Etats-Unis
d’Amérique de 1991 à 1994 (sur 17 000 adolescents
de classes d’âge comparables, respectivement :
13-14 ans, 15-16 ans et 17-18 ans**). Ainsi, dans le
* Dépendant de la mission interministérielle de lutte contre la
toxicomanie et les drogues (anciennement DGLDT) et associé
à l’Observatoire européen des drogues et de la toxicomanie.
** Etude réalisée en 1993 pour le NIH par Johnston, O’Maley
et Bachman de l’Institut de Recherche en Sciences sociales de
l’Université de Michigan.
17
EFFETS DU CANNABIS
cas des drogues illicites, les résultats montrent, pour
les trois tranches d’âge considérées, un usage plus
fréquent de ces drogues par les jeunes Américains
comparés à leurs homologues français. Parmi ces
drogues, alors que l’usage du tabac, de l’alcool et du
LSD est important et progresse, l’usage du cannabis
est resté relativement constant au cours des années
1991-1994 dans les classes d’âges décrites ci-dessus.
Ce n’est, en revanche, pas le cas chez les jeunes
adultes de 19-28 ans où cette consommation concerne
25 % d’entre eux (sur un échantillon de 6 800) et est
en légère augmentation*. Enfin, dans tous les cas,
cette étude a montré que la consommation de cocaïne,
aux Etats-Unis d’Amérique, était en forte régression.
Résumé
La consommation de cannabis par les jeunes en
âge scolaire est en forte progression ces dernières
années ainsi que l’indique une enquête nationale
menée par l’INSERM. Mais force est de constater
que, d’une manière générale, on observe chez ces
jeunes aussi un recours aux autres produits
(alcool, tabac, médicaments psychotropes)… Un
* Enquête de the «National Institut on Drug Abuse» 19941995.
Aperçu sur quelques enquêtes épidémiologiques récentes
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suivi régulier de ces données, comme cela est
réalisé aux Etats-Unis par le NIDA (« National
Institute on Drug Abuse »), permettra de mieux
évaluer la situation.
*
*
*
Il ne s’agit que d’un bref survol épidémiologique,
qui appelle précisément à une réactualisation des
connaissances de base ; c’est donc bien dans une telle
perspective qu’est apparue nécessaire une étude sur
les aspects moléculaires, cellulaires et physiologiques
des effets du cannabis.
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EFFETS DU CANNABIS
II – A – LES RÉCEPTEURS
DES CANNABINOÏDES
Introduction
Trois dates-clés marquent, aujourd’hui, notre
connaissance de la pharmacologie du cannabis :
– 1964, découverte du principe actif, ∆9-tétrahydro
cannabinol ou THC1,
– 1990, mise en évidence de récepteurs de THC
dans le système nerveux central2,
– 1992, mise en évidence d’un ligand* « naturel »
aux récepteurs de THC3 libéré par les neurones du
cerveau.
Nous évoquerons d’abord les données relatives aux
récepteurs, après quoi nous nous intéresserons aux
principes actifs et au ligand naturel.
OH
O
∆9-Tetrahydrocannabinol
Tetrahydrocannabinol
(∆9-THC)
∆9
(∆ - THC)
9
O
C
OH
N
H
Anandamide
Anandamine
* Mots soulignés : voir glossaire en annexe.
Aspects moléculaires et cellulaires
21
II – A – 1 – Identification des récepteurs
1) Le récepteur CB1
En 1990, Matsuda et al.4 ont rapporté le clonage et
le séquençage du premier récepteur au cannabis chez
le rat. C’est un récepteur membranaire classique à 7
traversées, interagissant avec les protéines G, long de
473 acides aminés et comportant plusieurs sites
potentiels de glycosylation. Un récepteur analogue a
été cloné chez l’homme. Sa composition en acides
aminés est identique à 97 %. Un variant provenant de
l’épissage alternatif a aussi été isolé à partir d’une
banque de cerveau humain. Ce récepteur, dit CB1a,
est plus court que le récepteur CB1 classique dans sa
partie aminoterminale. Sa pharmacologie et sa
distribution sont analogues à celle du récepteur CB1.
Une isoforme des récepteurs CB1 a été décrite ; son
activité est voisine de celle de CB1 (test
agonistes/antagonistes) et sa distribution identique
malgré une délétion de 61 aminoacides dans la partie
aminoterminale. Le récepteur est principalement
retrouvé au niveau « central » dans les structures
suivantes : substance noire, (pars reticulata), cervelet
(couche moléculaire), hippocampe (CA1, CA2,
CA3). Il faut noter que l’on retrouve aussi, en petites
quantités, le récepteur CB1 dans quelques organes à
la périphérie (utérus, gonades, cœur, rate).
22
EFFETS DU CANNABIS
La liaison de l’anandamide (un des ligands
endogènes, voir ci-après) ou des cannabinoïdes au
récepteur CB1 entraîne une inhibition de l’adényl
cyclase via la protéine Gi et une activation des MAP
kinases via les sous unités b8. De plus, les
cannabinoïdes modulent les canaux potassiques dans
l’hippocampe et les canaux calciques de type N dans
le ganglion cervical supérieur.
2) Le récepteur CB2
Munro a découvert, dans une lignée monocytaire, un
deuxième type de récepteurs du cannabis (CB2).
Celui-ci, présent sur les globules blancs des animaux
et de l’homme, rendrait compte des effets immunosuppresseurs provoqués par l’usage de la drogue.
En 1993, Munro et al.5 ont rapporté le clonage de ce
second type de récepteur des cannabinoïdes, dit CB2,
à partir de cellules HL-60 en culture. Ce récepteur
membranaire possède 44 % d’identité de séquences
en aminoacides avec le récepteur CB1. Le récepteur
CB2 est absent du système nerveux central, et se
retrouve principalement dans les éléments figurés du
sang (lymphocytes B, « natural killers » monocytes,
lymphocytes T). Comme ils le font au niveau du
récepteur CB1, les cannabinoïdes agissent, via le
Aspects moléculaires et cellulaires
23
récepteur CB2, en inhibant l’adényl-cyclase et en
activant la cascade des MAP kinases*.
II – A – 2 – Localisation des récepteurs
aux cannabinoïdes par utilisation
de ligands radiomarqués
Les localisations de deux types de récepteurs aux
cannabinoïdes, CB1 et CB2, clonés chez l’animal et
chez l’homme, ont été précisées grâce à l’utilisation
de ligands radiomarqués dans le système nerveux
central et le système immunitaire. Les deux grandes
régions qui sont parmi les plus intensément marquées
sont les structures cérébrales appartenant aux
systèmes moteurs ; les ganglions de la base, ainsi que
quelques structures associées, et le cervelet.
* Le Professeur François Gros signale une communication personnelle de Mechoulam and alii sur 2-Arachidonoyl-Glycerol (2-Ara-Gl) que l’on trouve dans de
nombreux tissus et organes périphériques associés au
système immunitaire. Le 2-Ara-G1 comme l’anandamide
peut se lier à CB1 (récepteur central du cannabis- et à
CB2 (récepteur périphérique du cannabis). Cependant, il
apparaîtrait que l’anandamide n’active pas CB2 alors que
2-Ara-G1 active, lui, ce récepteur. Les auteurs de ces
travaux pensent que 2-Ara-G1 est tout à fait important du
point de vue immunologique mais que son rôle demeure
mal connu. (Mechoulam et al., communicat. personn.
1996).
24
EFFETS DU CANNABIS
Les structures marquées des ganglions de la base
regroupent le noyau caudé (partie latérale), le globus
pallidus, le noyau entépédonculaire et la substance
noire (pars reticulata). Grâce à différents types de
lésions, il a été montré que ces récepteurs sont
présents sur les neurones du caudé-putamen et sur
différentes voies striatofugales. En revanche, ces
récepteurs ne sont pas localisés sur les corps
cellulaires ou les terminaisons dopaminergiques de la
voie nigro- striatale. (voir figures pages suivantes).
Dans le cervelet, les récepteurs sont presque
uniformément répartis dans toutes les couches
moléculaires où ils sont localisés sur les axones des
cellules granulaires.
Le cortex cérébral dans son ensemble, mais surtout
les cortex préfrontal et cingulaire, présentent une
grande densité de récepteurs plus spécialement
localisés dans les couches I et VI.
L’hippocampe est intensément marqué, tout
particulièrement dans la couche moléculaire du gyrus
denté et dans le champ CA3. D’autres structures
limbiques, mais de façon moins importante que l’
hippocampe, possèdent des récepteurs aux
cannabinoïdes : il s’agit de l’amygdale (le noyau
basal latéral essentiellement), du septum, du noyau
accumbens, de la bande diagonale de Broca, du noyau
latéral de l’habénula.
Aspects moléculaires et cellulaires
25
L’hypothalamus et l’hypophyse (essentiellement le
lobe nerveux) présentent des récepteurs assez uniformément répartis.
Enfin, ces récepteurs ont été décrits dans certaines
zones du thalamus, du tronc cérébral et de la moelle.
Il s’agit notamment de la substance grise périaque
ducale, du noyau cochléaire dorsal, du noyau parabrachial, du noyau tegmental dorsal du pont, du noyau de
l’olive inférieure, de la partie caudale du noyau du
tractus solitaire.
II – A – 3 – Cannabis, toxicomanie et imagerie
fonctionnelle in vivo chez l’homme
Dans le cadre général d’une étude des mécanismes
d’action des cannabinoïdes, il serait important de
pouvoir préciser les relations existant entre les récepteurs cérébraux CB1, les modifications du fonctionnement des diverses structures cérébrales et les modifications du comportement observées chez les sujets
consommateurs de cannabis.
Les méthodes d’imagerie fonctionnelle isotopique,
la Tomographie d’Emission de positons (ou TEP) et
la Tomographie d’Emission de Photons Uniques (ou
SPECT) permettent d’aborder l’étude de ces
relations, chez l’homme, au niveau du système
nerveux central.
26
EFFETS DU CANNABIS
1 Ventriculus lateralis,
cornu anterius
2 Genu corporis callosi
3 Commissura anterior
4 Pedunculus thalami anterior
5 Columna fornicis
6 Ventriculus tertius
7 Lamina medullaris lateralis
8 Lamina medullaris medialis
9 Capsula interna, crus posterius
10 Tractus mamillothalamicus
11 Capsula interna,
pars retrolentiformis
12 Commissura posterior
13 Brachium colliculi superioris
14 Radiatio optica
15 Stria terminalis
16 Ventriculus lateralis,cornu inferius
27 Nucleus ventralis
posterolareralis
28 corpus geniculatum laterale
17 Caput nuclei caudati
29 corpus geniculatum madiale
18 Putamen
30 Area pretectalis
19 Sulcus circularis insulae
31 Colliculus superior
20 Gyri breves insulae
32 Nuclei pulvinares
21 Sulcus circularis insulae
33 Cauda nuclei caudati
22 Gyrus longus insulae
34 Hippocampus
23 Globus pallidus, pars lateralis 35 Gyrus parahyppocampalis
24 Globus pallidus, pars medialis 36 Gyrus occipitotemporalis
25 Zona incerta
medialis
26 Nucleus reticularis thamali 37 Lobus anterior cerebelli
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