> ACTUALITÉS neurosciences > Behavioural Brain Research > European Journal of Neuroscience > Nature > NeuroImage > Neuron > Molecular psychiatry > Science > Trends in Neuroscience > Neurobiology of Learning and Memory > PNAS Troubles mentaux et anomalies du sommeil paradoxal au cours du syndrome de Guillain-Barré ACTUALITÉS neurosciences > V. Cochen*,**, I. Arnulf** > Cochen V, Arnulf I, Demeret S et al. Vivid dreams, hallucinations, psychosis and REM sleep in Guillain-Barré syndrome. Brain 2005;128:2535-45. D es troubles mentaux ont été rapportés dès les premières descriptions du syndrome de Guillain-Barré (SGB). Ils sont décrits comme des “états oniroïdes”, des hallucinations et des états psychotiques. Survenant plus fréquemment dans les formes sévères, ces troubles ont été souvent attribués à des “délires de réanimation”. Nous avons recherché et analysé ces troubles mentaux dans une étude prospective menée entre 1990 et 2004, chez 139 patients hospitalisés pour SGB dans le service de réanimation neurologique de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, comparés à 55 patients hospitalisés en réanimation pour une autre pathologie (population contrôle). Chez les patients SGB, ces troubles comprenaient des rêves marquants (19 %), comme par exemple celui de survoler New York à l’aube et de voir les gens sortir leurs poubelles, des illusions (30 %), le pied à perfusion devenant un bananier, ou le lit étant devenu vertical, les infirmières marchant sur les murs – quelques sujets contrôles ont, sous mor* Service de neurologie, hôpital Saint-Antoine, Paris. ** Fédération des pathologies du sommeil, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. phine, vu le plafond en billes roses –, des hallucinations, surtout visuelles (60 %, soit 5 fois plus que les “témoins” de réanimation : vision de rats, baleines, visages, contortionnistes, stroumpfs), et des délires, le plus souvent paranoïaques (70 % versus aucun délire chez les sujets contrôles) : l’une des patientes voyait une amie entrer en réanimation et percer le cœur de son mari, tuer des enfants, etc. Ces délires apparaissaient dans un délai médian de 9 jours après les premiers signes du SGB (entre un et 40 jours, pendant les phases d’ascension et de plateau de la maladie) et leur durée médiane était de 9 jours. Les troubles mentaux pouvaient survenir avant le transfert en réanimation (16 %). Les hallucinations étaient le plus souvent hypnagogiques, survenant dès que les patients fermaient les yeux. Tous les patients présentant des troubles mentaux avaient une dysautonomie. Les deux autres facteurs de risque retrouvés étaient la gravité du SGB et en particulier la nécessité d’une ventilation artificielle et des taux plus élevés de protéines dans le liquide céphalo-rachidien (LCR). Nous avons limité autant que possible l’utilisation de psychotropes. Ils n’étaient pas significativement associés à la survenue des troubles mentaux. De la même façon, la douleur, La Lettre du Neurologue - Suppl. Les Actualités au vol. X - n° 6 - juin 2006 15 > ACTUALITÉS neurosciences > Behavioural Brain Research > European Journal of Neuroscience > Nature > NeuroImage > Neuron > Molecular psychiatry > Science > Trends in Neuroscience > Neurobiology of Learning and Memory > PNAS l’infection précessive, les troubles du métabolisme, le type d’atteinte retrouvée à l’EMG et le traitement utilisé (échanges plasmatiques ou immunoglobulines intraveineuses) n’influençaient pas la survenue des troubles mentaux. Nous avons pu réaliser un dosage de l’hypocrétine (neuropeptide hypothalamique indosable dans la narcolepsie) dans le LCR de 20 patients. Ces taux étaient significativement plus bas chez les patients présentant des troubles mentaux que chez les patients n’en présentant pas. Ces taux restaient cependant plus élevés que ceux considérés comme pathologiques dans la narcolepsie. Les patients rapportant leurs troubles mentaux sous le terme de rêves, nous avons réalisé un enregistrement continu du sommeil chez 13 patients atteints de SGB, 7 avec et 6 sans hallucinations, et chez 6 patients contrôles tétraplégiques hospitalisés en réanimation. Le sommeil était court et fragmenté chez tous les patients. La latence du sommeil paradoxal était plus courte chez les patients atteints de SGB avec halluci- 16 nations (56 ± 115 mn) que chez ceux atteints de SGB sans hallucinations (153 ± 130 mn) et que chez les sujets contrôles (207 ± 179 mn ; p < 0,005). De plus, la structure du sommeil était très pathologique chez les patients atteints de SGB avec hallucinations : 83 % présentaient des endormissements directement en sommeil paradoxal, 57 % avaient des mouvement oculaires rapides caractéristiques du sommeil paradoxal en dehors de ce stade et, chez ces patients, 92 ± 22 % du sommeil paradoxal se faisait sans atonie. Ces anomalies retrouvées chez les hallucinés n’étaient pas seulement liées à la réanimation, puisqu’elles pouvaient apparaître avant que le patient y soit transféré et disparaître pendant le séjour en réanimation, et qu’elles n’étaient retrouvées que de façon exceptionnelle chez les sujets contrôles. Les troubles mentaux au cours du SGB sont donc différents des délires de réanimation. Ces anomalies de structure du sommeil associées à la présence systématique d’une dysautonomie sont très évocatrices d’un status dissociatus, qui est La Lettre du Neurologue - Suppl. Les Actualités au vol. X - n° 6 - juin 2006 une sorte d’état de mal dissocié cérébral, une perte des frontières entre l’éveil et le sommeil, et entre les différents stades de sommeil, permettant l’irruption de rêves en plein éveil. Le SGB étant théoriquement une maladie périphérique, une cause centrale a été recherchée : les taux d’hypocrétine dans le LCR étaient un peu plus bas chez les patients hallucinés, suggérant une atteinte hypothalamique auto-immune dans le SGB, comme cela existe parfois. Cette très longue série de patients observés et enregistrés dans les conditions difficiles de la réanimation a l’intérêt de montrer que le délire de réanimation est probablement un “fourretout” qui mélange des patients confus délirants avec d’authentiques troubles centraux des mécanismes du sommeil qui n’ont rien à voir avec la réanimation elle-même, mais avec la maladie causale. Cela montre aussi qu’une attaque autoimmune cérébrale peut engendrer des troubles qui ressemblent à la narcolepsie, mais qui guérissent sans doute grâce aux traitements immunomodulateurs ■ utilisés dans le SGB.