Published on Encyclopédie des violences de masse (http://ww
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bolchevique chercha à prendre le pouvoir. Le 21 mars 1919, avant même la signature du traité de
Trianon, elle réussit à établir à Budapest une République hongroise des soviets, qui se maintint au
pouvoir pendant plus de six mois. Ses membres se livrèrent à des actes de violence contre ceux
qu’elle percevait comme ses adversaires, parmi lesquels des Juifs hongrois. Béla Kun, ministre des
Affaires étrangères, était la figure majeure de la République. De père juif, Kun représentait aux yeux
de bien des Hongrois l’incarnation même du judéo-bolchevisme. L’idée que, si tous les bolcheviks
(communistes) n’étaient pas juifs, tous les Juifs étaient bolcheviques et que le bolchevisme
s’inscrivait dans un complot juif visant à l’hégémonie, fut très répandue dans une grande partie de
l’Europe centrale et orientale après la révolution bolchevique de Russie en 1917.
Durant l’été 1919, avec l’encouragement des Alliés occidentaux vainqueurs, les Roumains et, dans
une moindre mesure, les Tchèques lancèrent une offensive contre le régime des soviets. En
novembre, les forces étrangères contrôlaient l’essentiel de la Hongrie. Cependant, aux yeux de
l’opinion publique, le mérite d’avoir mis fin à la République des soviets revenait moins aux forces
étrangères qu’aux contrerévolutionnaires hongrois de droite.
Ces contrerévolutionnaires étaient connus comme « les hommes de Szeged » et leur idéologie
politique réactionnaire présentée comme l’« idée de Szeged ». L’amiral Miklos Horthy s’affirma
bientôt comme le commandant et le chef des forces armées contrerévolutionnaires. Tandis que la
République hongroise des soviets s’effondrait, les hommes de Horthy se livrèrent à des actes de
terreur contre ceux que l’on accusait d’être liés au régime bolchevique abhorré, ce qui hâta encore
la chute de celui-ci. Des milliers d’individus furent victimes de ce qu’on appelle aujourd’hui la Terreur
blanche.
Dans la mesure où Béla Kun et plusieurs autres éminentes personnalités de son cercle étaient juifs
ou d’origine juive, la Terreur blanche s’accompagna d’un puissant déferlement d’antisémitisme. De
nombreux Juifs furent purement et simplement assassinés, tandis que d’autres étaient victimes de
passages à tabac. Bien que la plupart des Hongrois aient considéré la République des soviets comme
juive et aient continué à défendre cette idée plusieurs dizaines d’années après sa chute, l’écrasante
majorité des Juifs ne s’identifiait pas avec le régime des soviets, et ne le soutenait pas. Par ailleurs,
de nombreux Juifs étaient de fervents patriotes hongrois, convaincus en tant que tels que les Juifs et
les élites gouvernantes de Hongrie partageaient des intérêts communs. Certains Juifs restèrent
fidèles à cette idée pendant toute la période de l’entre-deux-guerres et au-delà.
Le 1er mars 1920, Horthy devint régent du royaume (chef d’État), remplaçant ainsi le roi de Hongrie
qui ne fut pas rappelé sur le trône par l’Assemblée nationale hongroise. De toute évidence, Horthy
n’eut jamais la moindre intention de rendre les rênes du pouvoir au monarque déposé, pas plus qu’à
un nouveau souverain, quel qu’il fût. Le traité de Trianon, qui privait la Hongrie d’une grande partie
de son territoire ancestral, fut signé le 4 juin 1920 et ratifié le 13 novembre de la même année.
Désormais, la droite fit de la révision de ce traité et de la reconquête du territoire hongrois perdu un
de ses chevaux de bataille, un programme rapidement adopté par le courant d’opinion dominant.
Dans la Hongrie tronquée de l’entre-deux-guerres, dépouillée de l’essentiel de ses nationalités
d’autrefois, les Juifs devinrent la minorité la plus vulnérable. En 1920, la Hongrie abritait un tout petit
moins d’un demi-million de Juifs, qui composaient approximativement six pour cent de la population.
C’était la deuxième communauté juive la plus importante d’Europe après celle de la Pologne. Les
Juifs hongrois constituaient probablement la fraction la plus instruite de la société hongroise. Bien
que la plupart d’entre eux aient appartenu à la classe moyenne et aient exercé une activité dans le
commerce, les petites entreprises, l’artisanat et les professions libérales, certains Juifs occupaient
également une position éminente dans la vie artistique et intellectuelle ; on trouvait même un
groupe restreint mais non négligeable de propriétaires fonciers. Les deux tiers des Juifs se
réclamaient du judaïsme néologue (plus ou moins équivalent du judaïsme conservateur américain),
un peu moins de 30 % étaient orthodoxes, les autres appartenant à une tendance dite « du statu
quo ante » regroupant des communautés juives qui ne se sentaient liées ni aux néologues, ni aux
orthodoxes. Les Juifs de Hongrie étaient magyarophones et la plupart s’identifiaient fortement avec
la nation hongroise. Le nationalisme juif, le sionisme, était plutôt marginal à l’époque et ne gagnerait
du terrain que pendant les années de guerre. Bien que les Juifs n’aient représenté que 6 % de la
population et se soient profondément identifiés avec la Hongrie, la « question juive » occupait une
large place dans le discours public, en même temps que la lutte pour recouvrer les territoires
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