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Ph. Gonzalez | Église mennonite de Saint-Genis-Pouilly | Dimanche 19.02.12 | version 1.0
Voir Dieu et vivre
Mon oreille avait entendu parler de toi ;
Mais maintenant mon œil t’a vu.
Job 42, 5
Dimanche de la Transfiguration, 19 février 2012
Lectures : 2 Rois 2, 1-12 ; Psaume 50, 1-6 ; 2 Corinthiens 4, 3-6 ; Marc 9, 2-9
I
Est-il possible de voir Dieu, et de rester en vie ?
Cette question traverse toute la Bible. Peu d’être humains ont été en mesure de voir Dieu
dans la Bible. En fait, ils ne l’ont pas vraiment vu face à face. Il se sont cachés le visage, car
comme Dieu l’avait dit à l’un d’eux : « Tu ne pourras pas voir mon visage, car on ne peut pas
me voir sans mourir » (Ex 33, 20). Ces hommes ont vu Dieu, ils l’ont aperçu de dos. Mais
cela demeure une expérience à la fois extraordinaire et terrifiante. Extraordinaire, parce qu’ils
ont été en mesure de voir le Dieu vivant, la Source de toute vie. Terrifiante, parce que cette
vision pouvait potentiellement les détruire. C’est pourquoi, la question demeure : est-il
possible de voir Dieu, et de rester en vie ?
Or, les deux hommes a qui ce privilège fut accordé se retrouvent plus tard sur une
montagne en compagnie de Jésus et des disciples, alors que Jésus est transfiguré. Car c’est
bien de Moïse et d’Élie qu’il s’agit. Ces deux hommes ont vu Dieu sur une montagne, la
même montagne : le mont Sinaï ou, ce qui est la même chose, Horeb. Et, pour rajouter au
mystère, la Bible raconte que l’un d’eux n’a jamais connu la mort, mais qu’il a été enlevé
dans les cieux : Élie, enlevé sur un char de feu. Quant à Moïse, à l’époque de Jésus, les juifs
se demandaient s’il ne lui était pas arrivé la même chose, parce que la Bible dit que Dieu l’a
pris, sans que l’on sache où se trouve son corps.
Double mystère donc. Ces deux hommes ont vu Dieu passer devant eux et ils n’en sont pas
morts. En fait, la mort n’a jamais exercé son emprise sur eux. Étrange, n’est-ce pas ? Et une
telle étrangeté nous permet de comprendre que ce récit de la transfiguration nous dit quelque
chose à propos de la vie, de la mort et du fait de voir Dieu.
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II
Ils sont deux vivants, Élie et Moïse. Ensemble, ils s’entretiennent avec un Jésus dont les
vêtements se sont mis à resplendir. Et nous, comme les disciples, nous nous tenons à
distance en tentant de comprendre ce qu’ils se disent, ce que signifie une telle vision.
Toutefois, par rapport aux disciples, nous avons un avantage : nous connaissons la fin de
l’évangile et nous savons que, contrairement à Élie et à Moïse, Jésus est sur le point de
mourir, crucifié. Oui, Jésus va mourir. Par ailleurs, ce n’est pas Jésus qui a une vision,
mais ses disciples qui assistent à sa transfiguration. Du coup, ce récit ne ressemble pas tout
à fait aux visions qu’ont connues Moïse et Élie alors qu’ils se trouvaient sur le mont
Sinaï / Horeb.
Mais en est-il vraiment ainsi ? Sommes-nous certains de mieux comprendre en regard
des disciples ? Est-il aussi certain qu’il ne s’agit pas d’une vision divine ? Et, surtout,
n’est-il pas question de vie et de mort ?
Dans le chapitre qui précède, Jésus demande à ses disciples : « Et vous, que dites-vous ?
Pour vous, qui suis-je ? ». Pierre répond aussitôt : « Tu es le Messie ». Après quoi, pour la
première fois, Jésus enseigne à ses disciples « qu’il [faut] que le Fils de l’homme [c’est-à-
dire Jésus] souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les chefs des prêtres et les
scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite » (Mc 8, 29-31). Et première
incompréhension de Pierre ; il refuse que Jésus meure. Comment le Messie, le libérateur
d’Israël que l’on attendait depuis si longtemps pourrait mourir, alors qu’on vient tout juste
de le trouver ?
Il est donc bien question de vie et de mort, la vie et la mort de Jésus. Mais cela
s’applique également aux disciples. En effet, avant de monter sur la montagne il sera
transfiguré, Jésus affirme : « Amen, je vous le dis : parmi ceux qui sont ici, certains ne
connaîtront pas la mort avant d’avoir vu le règne de Dieu venir avec puissance ». Il s’agit
du premier verset du chapitre 9 de Marc. Le récit de la Transfiguration commence au
verset suivant, le verset 2. Et, lorsqu’on prend ce premier verset en compte, la
Transfiguration apparaît sous un nouveau jour. On se rend compte que ces paroles sur la
mort des disciples font écho à celles que prononce Jésus en descendant de la montagne,
lorsqu’il leur défend de raconter ce qu’ils ont vu, « avant que le Fils de l’homme soit
ressuscité d’entre les morts » (v. 9).
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Une fois encore, les disciples ne comprennent pas ce que Jésus leur dit de la
résurrection. La vision qu’ils ont contemplée les a rempli de frayeur. Ils ont vu la
révélation d’une puissance divine. Lorsqu’ils ont entendu la voix de Dieu qui venait des
cieux dire que Jésus est son « Fils bien-aimé », ils ont cru entendre la confirmation qu’il
était bien le Messie tant attendu. Et avec un libérateur armé d’un tel pouvoir, les Romains
n’ont qu’à bien se tenir !
Les disciples n’ont pas compris, Pierre le premier, ce qui s’était joué sur cette
montagne. Pierre qui a tenté de conserver cette révélation surnaturelle dans trois tentes, en
pensant que le passé rayonnant du peuple juif avait subitement fait retour. « Avec Moïse,
Élie et Jésus de notre côté, qui pourra empêcher Israël de devenir la première des nations et
d’étendre le règne de Dieu sur le monde ? » Un pieux désir, en effet, mais en aucun cas la
perspective de Dieu sur le salut.
Oui, quelque chose de fondamental a été révélé sur cette montagne. Mais pas ce que les
disciples attendaient, ni ce qu’ils en ont retiré. Oui, Moïse et Élie se sont certainement
entretenus avec Jésus d’un ennemi à défaire. Cependant, il ne s’agissait pas des Romains,
mais bien d’un ennemi intime que nous avons tous à combattre, et avec lequel nous
sommes certains de perdre : la mort.
Lorsque la mort approche, tous comme les disciples, nous nous débattons. Ils ne
voulaient pas que Jésus aille dans cette direction, car cela signifiait l’anéantissement de
tous leurs espoirs de libération nationale. De même, nous nous accrochons à la vie, car elle
est immensément précieuse. Pourtant, chaque seconde qui s’écoule, avec son lot de joie et
de soucis, apporte une sourde inquiétude, celle d’affronter la mort et d’être vaincu, défait à
jamais.
Jésus, lui, a affronter la même peur qui nous tient au ventre. Mais cette peur, il l’a
traversée par la foi, la foi qu’il a placée en son Père. Et cette foi dit que l’amour d’un Père
est plus fort que la mort. Oui, Dieu est le Créateur. Et en tant que tel, il dispose de la vie. Il
peut la susciter, ou il peut l’anéantir. Mais si Dieu était uniquement un Créateur, il pourrait
disposer de nous comme on joue avec un morceau de pâte à modeler. Une fois le jeu
terminé, on détruit la figure, on en fait un gros tas et on la remet dans la boîte. Et si elle a
séché, on s’en débarrasse. Mais Dieu n’est pas seulement le Créateur, il est d’abord le Père.
Et cet amour qu’il nous porte, au travers de son Fils, est un lien indestructible.
C’est de cet amour, d’un amour plus fort que la mort, que nous parle le récit de la
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Transfiguration. Et c’est parce que Jésus se sait aimé d’un tel amour qu’il s’avance en
direction de la mort, confiant qu’elle ne sera pas la fin de sa vie, mais qu’elle marquera le
début de quelque chose d’autre. Quelque chose de grandiose, d’aussi grandiose que la
création du monde. Rien de moins que la re-création du monde.
À ce point, peut-être commencez-vous à avoir des doutes sur l’interprétation que je
vous propose du récit de la Transfiguration. D’accord sur l’importance de la vie et de la
mort, mais où donc est-il question de création du monde ?
L’interprétation que je vous propose n’est pas seulement mienne. Elle a déjà été
avancée par plusieurs interprètes, dont l’un des plus grands dans l’histoire de l’Église,
Origène d’Alexandrie, qui vécut entre le 2e et le 3e siècles de notre ère. Comme Origène et
tant d’autres, j’ai été frappé par cette indication sur laquelle nous passons d’habitude si
vite. En début de récit, l’évangéliste écrit : « Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre,
Jacques et Jean, et les emmène, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne. Et il fut
transfiguré devant eux » (v. 2).
« Six jours après ». Il est rare que Marc donne des indications temporelles aussi
précises. Dès lors, pourquoi a-t-il voulu attirer l’attention de ses lecteurs sur ces six jours ?
Et, immédiatement, le lien apparaît avec la création du monde. Le récit de la Genèse
avance que Dieu a créé le monde en six jours, et que le septième, il s’est reposé.
Dans le judaïsme, ainsi que pour les premiers chrétiens, ce septième jour symbolise
l’entrée dans l’éternité. D’ailleurs, c’est le seul jour du récit de la création dont il n’est pas
dit qu’il ait été suivi d’un soir et d’un matin. Autrement dit, ce septième jour ne s’est pas
encore achevé. C’est le jour du repos, un jour rempli de la gloire de Dieu. Quant au
sixième jour, il est celui où fut créée l’humanité.
Or, ici, dans le récit de la Transfiguration, c’est comme si Marc semblait combiner
simultanément ces deux images, et même ces deux jours. On a l’impression que le sixième
jour s’achève et que le septième est sur le point de commencer. « Six jours après » :
sommes-nous dans le sixième ou dans le septième ? Difficile de répondre. Mais pourquoi
donc Marc voudrait-il combiner ces deux jours, c’est-à-dire la référence à la création de
l’humanité et la référence à la gloire de Dieu dans l’éternité ?
Précisément, Marc a besoin de recourir à ces deux images pour parler de Jésus. Car
Jésus est à la fois le premier homme d’une nouvelle humanité. Une humanité qui ne sera
plus soumise à la mort. Et Jésus est aussi le Fils de Dieu, c’est-à-dire Dieu lui-même. Il est
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transfiguré et se met à resplendir de la gloire de Dieu, alors que la voix de son Père se fait
entendre.
Mais je vais un peu vite. Il faut s’arrêter quelques instants sur le fait que Jésus incarne
une nouvelle humanité. Et pour cela, il faut tenir ensemble trois moments importants dans
l’évangile de Marc : le baptême de Jésus, sa transfiguration et sa mort sur la croix. Il y
aurait bien des choses à dire, mais je me limiterais à l’essentiel.
Du baptême dans les eaux du Jourdain, à la lumière de la transfiguration, c’est cette
même voix qui se fait entendre depuis le ciel pour dire que Jésus est le Fils de Dieu. Ces
lieux ne sont pas choisis au hasard : la profondeur des eaux et le sommet de la montagne
disent que Jésus traverse toute l’expérience humaine, qu’il relie le fond des abîmes et le
sommet du ciel.
Toutefois, il reste une dernière étape dans le ministère de Jésus, la croix. Une croix sur
laquelle Jésus est suspendu entre ciel et terre. Et cette étape est étroitement associée à ce
qui est arrivé sur la montagne de la Transfiguration. Comme s’il s’agissait des deux faces
d’une seule et même pièce. Comme s’il fallait lire l’engloutissement dans la mort qui se
déroule à la croix à partir de la lumière qui rayonne lors de la Transfiguration.
Ainsi, la Transfiguration survient sur une montagne, comme la crucifixion survient sur
la colline de Golgotha. Sur la montagne, les vêtements de Jésus rayonnent de lumière ; sur
la croix, Jésus est exposé nu, dépouillé de tout vêtement. Sur la montagne, Moïse et Élie
accompagnent ce Jésus qui rayonne de la gloire divine ; sur la croix, Jésus est entouré de
deux criminels. Lors de la transfiguration, une nuée couvre la montagne et symbolise la
présence de Dieu ; sur la croix, les ténèbres couvrent la terre. Depuis la nuée, la voix de
Dieu se fait entendre, elle dit « C’est mon Fils bien-aimé ». À Golgotha, Dieu se tait ;
depuis la croix, Jésus s’écrie « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » (Mc
15, 34), avant de rendre l’esprit. Et un centurion, un païen qui a participé à l’exécution de
Jésus, prononce alors ces paroles : « Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu ! »
(Mc 15, 39).
La lumière de la transfiguration et les ténèbres de la croix sont les deux faces d’une
seule et même réalité. Jésus a donné aux disciples la lumière de la transfiguration pour
qu’ils soient capables de discerner la gloire de Dieu dans les ténèbres qui enveloppent la
croix. Jésus nous a donnée la lumière de la transfiguration pour que nous soyons capables
de discerner la gloire de Dieu dans les ténèbres qui enveloppent notre vie.
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