peut-on recourir à la politique budgétaire ? est-ce souhaitable

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PEUT-ON RECOURIR
À LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE ?
EST-CE SOUHAITABLE ? *
Robert M. Solow
Professeur, Massachusetts Institute of Technology
Au cours des dernières années, plusieurs arguments ont été avancés pour
remettre en cause le recours aux politiques budgétaires dans une optique de stabilisation conjoncturelle. Les modèles inspirés de la théorie du cycle réel, qui postulent
que l’économie est toujours dans une situation d’équilibre global, concluent certes
à l’inutilité de la politique budgétaire ; mais, bien que dominant le paysage de la
macroéconomie théorique, ils ne sont guère fondés empiriquement. De même,
l’hypothèse d’équivalence ricardienne, qui nie tout effet des choix de financement
public sur l’épargne nationale ne semble pas pertinente en pratique. Les arguments
en termes d’économie politique, qui mettent en doute les capacités des élus à
décider promptement et efficacement des modifications budgétaires souhaitables,
sont sans doute beaucoup plus recevables. Ils conduisent à penser que les stabilisateurs automatiques budgétaires sont préférables aux politiques discrétionnaires.
Mais la puissance de ces stabilisateurs automatiques dépend de la structure des
systèmes de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques. Or ceux-ci ont
été, notamment aux États-Unis, profondément modifiés depuis une vingtaine
d’années, dans un sens qui a atténué la stabilisation automatique. Il apparaît souhaitable et possible d’en restaurer la puissance, par exemple en rendant les taux
d’imposition et, éventuellement, certains transferts aux ménages variables en
fonction de l’activité économique, selon des formules préétablies.
* Conférence présidentielle prononcée au XIIIe Congrès mondial de l’Association internationale des sciences économiques, Lisbonne, Portugal, septembre 2002. Traduction française de
Jacques Le Cacheux.
Octobre 2002
Revue de l’OFCE 83
L’ÉTÉ MEURTRIER
Perspectives 2002-2003
pour l’économie mondiale *
Après l’euphorie de l’année 2000 et l’exubérance de la bulle technologique, la
croissance de l’économie mondiale a nettement ralenti en 2001, entraînée par une
correction de l’investissement, après trop d’investissements insuffisamment rentables
et l’accumulation de surcapacités. Bien que la correction de la bulle et des surcapacités semble aujourd’hui presque achevée, les indices boursiers continuent de
s’effondrer en raison de l’incertitude et de la défiance généralisées. Cette chute,
l’aversion au risque qui en résulte et la dégradation des notations des entreprises
pèsent sur le financement de l’investissement. Dans ce contexte morose, le policy
mix contra-cyclique américain n’a pas eu les effets escomptés sur l’investissement,
mais il a soutenu la consommation des ménages. En revanche, dans la zone euro,
les agents n’ont pu compter sur un policy mix aussi favorable. La reprise observée
au premier semestre 2002 dans les grands pays industrialisés a manqué de vigueur.
2003 serait une année de croissance molle (1,8 % dans la zone euro et 2 % aux
États-Unis), en deçà de la croissance potentielle. La défiance envers les entreprises,
la difficulté de la politique monétaire américaine à relancer l’investissement et le
manque de réactivité de la politique économique en Europe inhiberaient des anticipations de croissance plus fortes. Il n’y aurait par conséquent pas de motif pour
les entreprises à investir vigoureusement.
Le retournement de l’activité au deuxième trimestre 2001 a amené un
ajustement de l’emploi qui, compte tenu de délais différents dans les pays, s’est
généralisé au début 2002. Dans un contexte où les salaires individuels sont restés
maîtrisés, la masse salariale distribuée a ralenti au cours de 2001. La consommation a cependant soutenu la croissance aux États-Unis au premier semestre
2002, portée par le policy mix. En Europe, l’essentiel de la croissance au premier
semestre 2002 a été imputable à un ralentissement ou à un arrêt du déstockage.
Le policy mix n’a pas été un soutien de l’activité. Par ailleurs, aux États-Unis comme
en Europe, on a assisté à une baisse de l’investissement depuis 2001, due à des
difficultés de financement des entreprises. Celles-ci s’expliquent par plusieurs
* Cette étude a été réalisée au sein du département analyse et prévision de l’OFCE, par
une équipe dirigée par Xavier Timbeau et Eric Heyer et comprenant Hélène Baudchon, Odile
Chagny, Valérie Chauvin, Gaël Dupont, Amel Falah, Thierry Latreille, Sabine Le Bayon, Matthieu
Lemoine, Catherine Mathieu, Hervé Péléraux, Florian Pelgrin, Mathieu Plane, Christine Rifflart et
Paola Veroni. A également contribué à l’étude Françoise Charpin.
Octobre 2002
Revue de l’OFCE 83
Division économie internationale
facteurs. Premièrement, le recul du prix des actifs a augmenté l’aversion pour le
risque des investisseurs et des épargnants, qui ont accru la part des actifs liquides
dans leur portefeuille au détriment des placements en actions. Deuxièmement, les
banques ont été contaminées par cette aversion au risque et, face à l’augmentation du risque de défaut des entreprises, elles ont été plus réticentes à prêter
aux entreprises qu’aux ménages.
Face à l’effondrement des marchés boursiers, l’immobilier est apparu comme
une valeur refuge. Le dynamisme des prix de l’immobilier est une bonne nouvelle
dans la tourmente que connaissent aujourd’hui les prix des actifs. Il a limité la
baisse de la richesse nette des ménages aux États-Unis et au Royaume-Uni, et
empêché celle-ci en Europe, où le patrimoine financier des ménages est encore
peu important.
En Amérique latine, la croissance souffre particulièrement des craintes face au
risque financier depuis la crise argentine, qui se doublent aujourd’hui d’une crainte
face au risque politique, notamment au Brésil. Au niveau mondial, seuls la zone
asiatique et les pays d’Europe de l’Est ont et tireront jusqu’en 2003 leur épingle
du jeu. L’Asie du Sud-Est a bénéficié du rebond du marché des semi-conducteurs
et de la croissance chinoise, qui attire massivement les investissements directs
étrangers. Le Japon, toujours pris dans une spirale déflationniste, voit ses exportations tirées par le dynamisme de ses partenaires, qui constituent son seul moteur
de croissance. Les pays d’Europe de l’Est se distinguent aussi dans l’économie
mondiale par leur dynamisme. La perspective de l’intégration dans l’Union
européenne des pays d’Europe de l’Est leur permet en effet d’attirer des investissements étrangers dans un contexte de forte contraction de ceux-ci au niveau
mondial.
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Revue de l’OFCE 83
FRANCE : FIN DE L’ÉCHAPPÉE
Perspectives 2002-2003
pour l’économie française *
Après trois années de forte croissance (3,6 % en moyenne de 1998 à 2000),
la France a connu un premier ralentissement en 2001 (1,8 %) qui se prolongerait
en 2002 (0,9 %). Pour 2003, l’économie française progressera de manière
modérée, à des rythmes très proches de ceux anticipés dans la zone euro. La
croissance pour l’année 2003 s’établirait à 1,8 % en moyenne annuelle. Elle
resterait inférieure à la croissance potentielle, même en fin d’année. L’année 2003
verrait ainsi le retour à une croissance molle, conséquence directe de la purge
sur les capacités de production, des incertitudes sur la politique monétaire, des
contraintes sur la politique budgétaire et d’un environnement extérieur morose.
* Cette prévision a été réalisée à l’aide du modèle trimestriel de l’économie française,
e-mod.fr, par une équipe composée de Valérie Chauvin, Gaël Dupont, Éric Heyer et Mathieu
Plane. L’indicateur avancé est réalisé par Éric Heyer et Hervé Péléraux. La prévision tient compte
des informations disponibles à la fin septembre 2002 et intègre les comptes nationaux trimestriels de septembre 2002, à savoir le compte emplois-ressources jusqu’au deuxième trimestre
2002 et les comptes d’agents jusqu’au premier trimestre 2002. La prévision et le modèle reposent
sur les données et les concepts de la comptabilité nationale base 95 dans le cadre du SEC95.
Le modèle est estimé sur la période 1978-2000.
Octobre 2002
Revue de l’OFCE 83
DÉBAT SUR LES PERSPECTIVES
Jean-Paul Fitoussi
L
es prévisions occupent une place particulière dans le débat public en
économie. Elles sont généralement considérées comme des prédictions,
qualifiées fréquemment d’optimistes ou de pessimistes, comme si elles dépendaient de l’humeur des équipes qui les réalisent. Certes, en un sens, la prévision est
un art tant elle dépend des signes précurseurs que nous livre le présent, de l’interprétation des évolutions en cours, de la capacité des économistes de sélectionner les
informations pertinentes parmi celles, multiples, dont l’intérêt n’est qu’anecdotique.
Mais elle est surtout une science puisqu’elle consiste à déduire des informations dont
on dispose sur le présent une vision de l’avenir. Elle ne peut être formulée en dehors
d’un cadre général d’interprétation, c’est-à-dire d’une théorie qui met en relation les
informations que l’on privilégie et les variables que l’on cherche à prévoir.
Parmi ces informations, certaines, cruciales, ne sont pas vraiment disponibles car,
pour l’essentiel, elles dépendent de décisions à venir et qu’il n’existe pas vraiment
de théorie permettant de déduire des données existantes ce que seront ces décisions.
Il faut donc formuler des hypothèses alternatives et retenir celles qui nous paraissent
les plus vraisemblables. Dès lors, les erreurs de prévision peuvent avoir au moins
trois origines : une insuffisance d’information sur le présent, une mauvaise spécification théorique, la non réalisation de certaines hypothèses. De surcroît, il existe une
incertitude irréductible au sens ou certains événements sont imprévisibles, alors même
que leur conséquence sur l’activité économique est déterminante. Voilà pourquoi les
chiffres associés à une prévision sont éminemment fragiles, qu’ils doivent être considérés comme conditionnels aux hypothèses que l’on formule, aux données dont on
dispose et au cadre théorique dans lequel on raisonne.
Il m’a donc semblé nécessaire que les prévisions réalisées par l’OFCE soient
publiées en même temps qu’un débat autour de ces prévisions. Cela offre le double
avantage de rendre explicite le doute inhérent à tout exercice de prévision pour les
raisons déjà exposées, et de participer au pluralisme nécessaire à l’indépendance et
au sérieux des études économiques. Une prévision, pour rigoureuse qu’elle soit, n’est
pas un exercice mécanique au terme duquel la vérité serait révélée, mais une
« histoire » raisonnée du futur délivrant des résultats incertains. Il est utile d’en
comprendre d’emblée les limites, pour ne point s’en servir comme d’un argument
d’autorité, à l’instar de ce qui est trop fréquemment le cas.
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Revue de l’OFCE 83
UN INDICATEUR DE CROISSANCE
À COURT TERME DE LA ZONE EURO
Françoise Charpin
Département analyse et prévision de l’OFCE
Université de Paris II
Cette étude montre comment exploiter une information conjoncturelle mensuelle
pour prévoir la croissance trimestrielle du PIB en volume de la zone euro à un
horizon de deux trimestres à l’aide d’équations économétriques. La démarche
proposée comporte deux étapes. D’une part, on estime une équation donnant le
taux de croissance trimestriel du PIB en fonction de séries coïncidentes et avancées.
D’autre part, on estime des équations permettant de prévoir les séries coïncidentes
et les séries avancées dont l’avance est inférieure à 6 mois. On peut alors en
déduire la croissance du PIB pour le trimestre en cours et le trimestre suivant. On
vérifie que le fonctionnement de cet outil sur les trois dernières années aurait été
convenable.
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LE CONTRE-CHOC DE LA
« NOUVELLE ÉCONOMIE »
UNE ÉTUDE DE CAS
SUR CINQ PAYS DE L’OCDE
Hélène Baudchon *
Département analyse et prévision de l’OFCE
Peu d’analyses ont été menées sur les suites du retournement du secteur des
technologies de l’information et de la communication (TIC). Cet article vise à animer
ce débat. Il se focalise sur cinq pays de l’OCDE : les États-Unis, l’Irlande, la Finlande,
les Pays-Bas pour leur rôle de leaders dans le domaine des TIC, et la France comme
référence nationale. Pour une meilleure compréhension du comportement de chacun
de ces pays depuis l’éclatement de la bulle Internet, un certain nombre d’indicateurs
statistiques sont mobilisés afin de mettre en évidence l’importance du secteur des
TIC dans ces économies. Chaque pays affiche une spécialisation particulière. En
Finlande, le secteur producteur de TIC a une importance disproportionnée par rapport
aux autres secteurs. L’économie irlandaise est particulièrement exposée aux fluctuations des échanges commerciaux du fait de son taux d’ouverture très élevé, lui-même
lié à la part importante des TIC dans l’économie irlandaise. Les Pays-Bas profitent
d’une forte contribution à la croissance du secteur des services utilisateurs de TIC et
moins fluctuants conjoncturellement. La France se caractérise par une spécialisation
intermédiaire et un secteur des TIC moins orienté vers les marchés extérieurs.
Cette approche descriptive est complétée par l’analyse des contributions à la
croissance. Durant la seconde moitié des années 1990, la contribution des TIC à
la croissance est comprise, selon les pays, entre 0,4 et 0,9 point de pourcentage.
Les États-Unis ne sont pas les seuls à avoir bénéficié des effets positifs sur la croissance des investissements en TIC, ni à avoir bénéficié d’une accélération de ces
effets. Mais bien qu’une accélération de la croissance du PIB puisse être considérée comme un premier signe d’une diffusion réussie des TIC, seule une
accélération des gains de productivité horaire du travail entraîne un taux de croissance potentiel plus élevé. C’est le constat de base de la nouvelle économie. Au
contraire des États-Unis, et dans une moindre mesure de la France, il n’y a pas
eu d’accélération des gains de productivité du travail entre le début et la fin des
années 1990 ni en Finlande, ni aux Pays-Bas. En fait, la décélération des gains de
productivité dans ces pays est due à l’inefficacité des secteurs autres que le secteur
* Je remercie Thierry Latreille pour son aide et ses recherches sur l’Irlande et les Pays-Bas.
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Revue de l’OFCE 83
Hélène Baudchon
des TIC, inefficacité qui a plus que compensé les gains de productivité engendrés
par le secteur des TIC. Au contraire, en France, la contribution positive du secteur
des TIC à l’accélération des gains de productivité du travail n’a été que très partiellement compensée par la contribution négative des autres secteurs.
Il s’agit de comprendre dans quelle mesure ces caractéristiques de spécialisation et de contribution peuvent expliquer la plus ou moins grande résistance de
chaque économie au retournement du secteur des TIC. Cette analyse encore préliminaire est centrée sur l’économie américaine du fait de la plus grande disponibilité
de données pertinentes et de son rôle directeur dans le retournement. L’impression
générale est que le ralentissement américain est resté jusqu’à présent modéré,
grâce à la combinaison de deux éléments : la résistance des gains de productivité
et le dynamisme persistant des dépenses des ménages, compensant une partie de
la chute de l’investissement productif. La Finlande, la France, l’Irlande et les PaysBas ont été, à première vue, au moins autant affectés que les États-Unis en termes
d’infléchissement de la croissance entre 2000 et 2001. Pour autant, la nouvelle
économie n’est pas dépassée.
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Revue de l’OFCE 83
BRÉSIL : L’HÉRITAGE DE
FERNANDO HENRIQUE CARDOSO
Alain Sand-Zantman
Département analyse et prévision de l’OFCE
Centre d’économie et de finances internationales, Université de la Méditerranée
Jérôme Trotignon
Groupe d’analyse et de théorie économique, Université Louis Lumière, Lyon 2
Les deux mandats consécutifs du Président Fernando Henrique Cardoso (19952002) se sont soldés par un bilan économique contrasté. Le premier défi
— éradiquer une inflation à quatre chiffres — a été relevé avec succès. Le Plan
real est parvenu à supprimer le système d’indexation généralisé sans provoquer
les traumatismes caractéristiques des chocs « hétérodoxes » (gel des prix, des
salaires et du taux de change) ou « orthodoxes » (politiques budgétaire et monétaire
fortement récessives) des tentatives précédentes. Toutefois, la crédibilité de la
politique menée a eu un prix : le maintien de taux d’intérêt élevés et la valorisation réelle du real vis-à-vis du dollar. L’accélération des entrées de capitaux a
permis un temps d’en compenser les effets défavorables sur la balance courante.
Mais la crise asiatique, et plus encore la crise russe, ont révélé l’irréalisme de la
parité real/dollar et provoqué une crise du financement extérieur. Malgré le soutien
financier de la communauté internationale, elle a débouché sur l’adoption, sous la
contrainte des marchés, d’un régime de change flottant et sur une forte dévalorisation de la monnaie.
La crise fut brève, et la reprise vigoureuse, accréditant chez nombre d’observateurs l’idée d’une origine spéculative. Mais la multiplication des chocs externes
(détérioration de la conjoncture internationale, crise argentine…) et les incertitudes
politiques internes à l’approche des élections nationales et régionales d’octobre 2002
confirment la faible confiance des marchés à l’égard du Brésil. Nombre d’indicateurs
d’équilibres interne (en premier lieu ceux relatifs aux finances publiques) et externe
(niveau et structure de la dette, charges d’intérêt) sont au rouge. La dette publique
interne (soit 4/5 de la dette publique totale) inquiète par sa maturité très courte
et l’évolution défavorable de sa composition. La crise de change en cours fait
augmenter la partie dollarisée de la dette et risque de précipiter sa restructuration.
En s’appuyant en partie sur la grille de lecture qu’offre la littérature récente
relative aux crises de paiement, cet article tente d’évaluer l’héritage que laisse F. H.
Cardoso à ses successeurs. La première partie rappelle les épisodes saillants qui
caractérisent la gestion du Président sortant ; elle propose en particulier une analyse
et une interprétation de deux des principales crises de paiement qui affectent le
Octobre 2002
Revue de l’OFCE 83
Alain Sand-Zantman et Jérôme Trotignon
pays, celle de 1998-1999 et celle en vigueur depuis juin 2002. Elle souligne la
responsabilité de la mauvaise gouvernance, en tout premier lieu de la gestion
inconsistante du secteur public, dans la faible crédibilité dont pâtit le Brésil sur les
marchés internationaux. C’est donc à une réflexion approfondie sur les sources du
déséquilibre budgétaire qu’est consacrée la seconde partie.
En définitive, cet article incrimine les défaillances de la gestion macroéconomique
de l’équipe au pouvoir. Dans de nombreuses zones émergentes, la nervosité des
créanciers tient beaucoup au dysfonctionnement des marchés financiers, dysfonctionnement attribué par nombre d’observateurs au processus de mondialisation
contemporain. Mais les crises qui affectent sporadiquement l’économie brésilienne
nous semblent sanctionner avant tout une mauvaise gestion du secteur public et une
inconsistance de la politique macroéconomique. En bref, elles relèvent plus des modèles
de crises dits « de première génération » (au sens de Krugman), que des récents
modèles à équilibres multiples qui attribuent aux anticipations autoréalisatrices des
spéculateurs internationaux la responsabilité du passage à un équilibre d’attaque.
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Revue de l’OFCE 83
LA FLEXIBILITÉ DES PRIX RELATIFS
ET LA MOBILITÉ DU TRAVAIL
EN UNION MONÉTAIRE
UNE COMPARAISON EUROPE/ÉTATS-UNIS
Jacques Mazier, Joël Oudinet et Sophie Saglio
Laboratoire CEPN-CNRS
Centre d’économie de l’Université Paris-Nord
Avec la mise en place de l’euro, les mécanismes d’ajustement au sein de l’Union
européenne sont modifiés en profondeur du fait de la disparition du taux de change
comme variable d’ajustement. Ceux qui subsistent sont, à titre principal, la flexibilité des salaires et des prix relatifs, la mobilité des facteurs, particulièrement du
travail, les politiques budgétaire et monétaire. Ces modes d’ajustement intraeuropéens constituent un enjeu dont l’importance dépend du caractère asymétrique
ou non des chocs et des évolutions structurelles affectant le fonctionnement de
l’UE. Le présent article s’intéresse aux mécanismes d’ajustement par le marché du
travail à travers deux approches complémentaires.
La flexibilité des coûts et des prix relatifs est d’abord analysée à l’aide d’une
maquette macroéconomique estimée pour les 14 pays européens. Cette maquette
est utilisée pour étudier les conséquences de chocs d’offre ou de demande asymétriques affectant un pays et pour comparer les capacités de réaction des différents
pays européens. Ces simulations montrent que la flexibilité des salaires et de
l’emploi, et plus généralement la flexibilité des prix relatifs, ne permet qu’un rééquilibrage incomplet et très lent (au-delà de dix ans). Face à un choc négatif sur la
demande interne, l’emploi et la production ne retrouvent pas leur niveau initial ou
le retrouvent très lentement, et le taux de chômage demeure plus élevé. Le recours
à l’instrument budgétaire serait plus approprié. Face à un choc inflationniste et à
une perte de compétitivité, la hausse du chômage qui en résulte ne permet qu’un
ajustement progressif et incomplet. Les disparités de réaction entre pays face à un
choc de même ampleur apparaissent, enfin, non négligeables entre grands et petits
pays, notamment en raison des inégalités dans le degré d’ouverture, qui donnent
plus de poids aux effets de la compétitivité-prix dans les petits pays, mais aussi
entre pays de même taille, du fait des différences structurelles existantes. Ces divergences sont source d’asymétries qui compliquent la conduite de la politique
économique dans l’UE, particulièrement en ce qui concerne la politique monétaire
commune.
Octobre 2002
Revue de l’OFCE 83
Jacques Mazier, Joël Oudinet et Sophie Saglio
La mobilité de la main-d’œuvre est ensuite étudiée avec une modélisation des
mouvements migratoires articulée avec un bloc prix-salaires-emploi proche du
précédent modèle, appliquée au cas des États-Unis découpés en quatre grandes
régions d’une taille voisine de celle des grands pays européens. Les simulations
confirment que, comme dans le cas européen, la flexibilité des coûts et des prix
relatifs n’autorise que des ajustements limités face à des chocs de demande ou
d’offre affectant une région. La mobilité de la main-d’œuvre joue bien un rôle de
rééquilibrage, mais celui-ci est d’une ampleur très réduite. Les mouvements migratoires répondent essentiellement à des évolutions structurelles, même aux États-Unis.
Des enseignements peuvent en être tirés pour le fonctionnement de l’Union
monétaire européenne face à des évolutions asymétriques. La recherche d’une plus
grande flexibilité du marché du travail aurait une traduction macroéconomique
incertaine et n’aurait qu’une efficacité limitée pour accroître l’ampleur du rééquilibrage par le jeu des prix relatifs. L’espoir également entretenu qu’une plus grande
mobilité intra-européenne de la main-d’œuvre pourrait constituer une réponse au
moins partielle s’avérerait tout aussi vain.
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Revue de l’OFCE 83
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