Réconcilier dirigeants et managers intermédiaires, c`est urgent et c

1er trimestre 2010 97
Réconcilier dirigeants et managers intermédiaires
Réconcilier dirigeants
et managers
intermédiaires, c’est
urgent et c’est possible
Frédéric LeFebvre-Naré
Consultant en stratégie, cabinet Memesis
Sophie peLLat
Directrice du développement d’Inria-Transfert
Pour construire un pont entre salariés et dirigeants,une négociation est nécessaire au
sein des entreprises.Nécessaire pour reconnaître les divergences d’intérêts.Nécessaire
pour dépasser ces divergences,trouver la synergie nouvelle qui permettra la prospérité
durable de l’entreprise. Affectio societatis,capital social, société :et si ces mots
retrouvaient leur sens ?
L’évolution des grandes entreprises depuis le milieu des années 1970 a fait
diverger les intérêts de la direction nérale,liée à l’actionnariat, des inté-
ts des autres salariés ayant des responsabilités durables, à quelque échelle
que ce soit – nous les appellerons ici les «managers intermédiaires ».
1. Les auteurs remercient l’Institut de l’entreprise,qui les a associés aux flexions de son groupe de travail «Redéfinir
le le du manager dans l’entreprise de l’après-crise ».
98 Sociétal n°67
Entreprise
L’écart se creuse
Dirigeants Managers intermédiaires
Organisation
hiérarchique
Commandent plus directement par des
chaînes hiérarchiques plus courtes
Pouvoir affaibli par cette influence
plus directe du niveau central
Systèmes de gestion
Contrôlent plus directement l’exé-
cution du travail via les progiciels de
gestion intégrés (PGI/ERP)
Réduction de leur indépendance,de
leur marge de manœuvre
Statut social Gagnent en statut social à mesure que
les grandes entreprises se concentrent
Le statut de cadre se banalise en
France.National, il est moins reconnu
dans les multinationales
Rémunération Leur rémunération
afortement augmenté Rémunération stagnante
Cette divergence profitecourt terme,aux dirigeants. Mais elle menace de casser
l’actif même de l’entreprise,c’est-à-dire sa capacité à transformer le temps de travail
des personnes en productioncollective. Qu’est-ce,eneffet, que l’actif,au-delà du
capitalfinancier, desbiens propres et du capital immatériel (brevets et marques,
talents individuels…) ? L’actif essentiel de très nombreuses entreprises est un «capi-
tal social », au sens de «capital humain collectif ». Ce qui permet de produire effica-
cement, d’innover, de vendre, de s’adapter aux changements, c’est la vitalité du corps
social qu’est l’entreprise ;sacapacité à mettre la bonne
personne à la bonne place ;l’entente entre dirigeants,
cadres, salariés ;la bonne communication avec les par-
tenaires extérieurs, clients et fournisseurs ;larecon-
naissance de l’entreprise et de sa marque par le public.
Ce «capital social »est gravement fragilisé par la
divergence entredirigeants et managers intermédiai-
res. L’entreprise se mettrait en danger si elle préten-
dait traiter séparément sa dimension économique (qui
serait mondialisée,offensive, sa vraie dimension au fond) de sa dimension sociale
(qui serait à l’échelle nationale,défensive, presque une question de forme).
C’est déjà vrai pour l’entreprise taylorienne – chaîne de montage, hypermarché, cen-
tre d’appels… – où la transformation du temps de travail en production collective
passe par l’assujettissement des corps et des esprits des travailleurs à des instructions
préétablies. Peut-être la cohésion entre dirigeants et managers intermédiaires peut-
L’actifessentiel
de très
nombreuses
entreprisesest
un «capital
social », au sens de
«capital humain
collectif ».
L’actifessentiel
de très
nombreuses
entreprisesest
un «capital
social », au sens de
«capital humain
collectif ».
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Réconcilier dirigeants et managers intermédiaires
elle y être obtenue sans discuter du travail lui-même :en appelant les cadres à une
cohésion idéologique,en sélectionnant les profils psychologiques les plus sistants
aux contradictions et frustrations, en négociant des améliorations symboliques de
rémunération, en promouvant des activités en marge comme la formation ou l’hu-
manitaire…
L’entreprise taylorienne est encore assez présente dans les esprits pour que ce mode
de direction soit populaire. Il échouerait cependant dans l’entreprise créative–com-
merce, service client, R&D…. Celle-ciabesoind’un engagement solidairedes
dirigeants et des managers intermédiaires sur le contenu de leur travail. Lequel
engagement solidaire suppose :
de partager un objectif commun ;
de s'être entendus, par la négociation, sur la façon d'atteindre cet objectif,donc
sur le travail lui-même (systèmes d’information, organisation, rémunérations,
statut).
Y a-t-il bien un objectif commun qui permette la négociation sur le travail ?Dans
beaucoup de cas, cet objectif commun devrait être, tout simplement, la prospérité
durable de l’entreprise.Sichacun (dirigeant ou manager intermédiaire) est convaincu
que l’autre veut lui aussi la prospérité de l’entreprise à long terme,on peut discuter
ensemble de la façon d’y parvenir.Et déjà cette négociation vivante,entre personnes
aux intérêts différents, créera ou renforcera le capital social de l’entreprise.
Y a-t-il une chance que ces négociations débouchent, que soient solues les diver-
gences sur les systèmes d’information, l’organisation, les munérations, le statut ?
Il nous semble que oui, car sur chacun de ces quatre sujets, les divergences en cours
contiennent leur propre solution.
Rétablir le dialogue
L’informationdes dirigeants par des systèmes d’information(SI) centralisateurs
semble priver les managers intermédiaires de marge de décision. Ces systèmes doi-
vent donc évoluer pour servir aussi à ces derniers dans leur prise de décision.
Il ne s’agitpas seulementlàd’accèsàl’information :admettons quecelui-ci soit
partout acquis. Les progiciels de gestion intégrés (PGI/ERP) outillent l’entreprise
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Entreprise
pour centraliserl’information,superviserlaconsom-
mation de moyens comme la production aliséeun
niveau fin.
Maisremontée d’information n’est pas capacitéde
décision. Malgrél’illusionque donne le SI au diri-
geant d’être dans un cockpit 2où tout est possible en
direct, le niveau central n’est pas en mesure de prendre
les décisions à la place du management intermédiaire.
La prise de décision en continu est en fait la raison d’être du management intermé-
diaire, en particulier en fonctions opérationnelles. Il manque au niveau central toute
la qualité contextuelle de l’information et la capacité d’action, qui seules permettent
de prendre une décision adéquate et assumable.
Et le SI ne suit pas grand-chose de ce qui fait ces décisions quotidiennes. Il consi-
gne surtout ce qui a été prévu à l’avance,ilre très mal les événements imprévus. Il
n’enregistre que très peu de caractéristiques des personnes, il ne connaît presque rien
des qualités complémentaires d’une équipe.Il peut certes voir les moyens affectés,
quantités sortantes et taux de défauts constatés, mais il est sourdàlarelationde
travail, à la qualité du servicela durabilité de ce que l’entreprise construit.
Les SI peuvent-ils évoluer pour,demain, appuyer la prise de décision, relayerfonc-
tionnements hiérarchiques et seaux horizontaux, porter les échanges qui font
avancer l’entreprise ?Rendront-ils la capacité de décision aux personnes les mieux
placées pour prendre les décisions ?
On en voit de premiers éléments, aussi limités soient-ils, avec l’informatisation des
workflows (ouplus simplementlagestionintelligente des to-do lists,laméthode
GTD), avec les outils d’aide au brainstorming ou à la conception de plans d’action.
De nouveaux outils sont en création aujourd’hui, entre seaux sociaux et manage-
ment de projet, à destination des groupes de travail plus ou moins formels et péren-
nes. Ils préfigurent de nouveaux concepts de SI, au service commun de l’ensemble
des décideurs du «haut » comme du «bas » de l’entreprise.Ils accompagnent des
changements dans la façon de travailler,de négocier les décisions, d’exercer ses res-
ponsabilités.
2. Comparaisonformulée par le lieutenant-colonel Ludovic Monnerat,http://www.ludovicmonnerat.com/archi-
ves/2009/09/le_syndrome_du.html
Le niveau central
n’estpasen
mesure de prendre
lescisions
àla placedu
management
intermédiaire.
Le niveau central
n’estpasen
mesure de prendre
lescisions
àla placedu
management
intermédiaire.
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Réconcilier dirigeants et managers intermédiaires
Instaurer la subsidiarité
L’écrasement de la pyramide permet aux dirigeants des’adresser directement aux
salariés par-dessus la têtedes managers intermédiaires. Mais il permetaussiaux
managers intermédiaires de conduire leur action, au lieu d’être bloqués par des lignes
hiérarchiques in(dé)finies.
Certes, l’aplatissement de la pyramide hiérarchique est un changement de forme de
l’organisation. Mais la pyramide est toujours là ! Elle n’arien d’obsolète :par exem-
ple les clubs de foot, les équipes de formule 1, Apple ou les McDo sont des organi-
sations très hiérarchisées. Avoir des responsabilités clairement définies, une mission,
des objectifs, un chef à qui l’on rend compte,c’est d’avenir dans l’entreprise créative.
L’aplatissement de la pyramide faciliterait même la vie du manager intermédiaireen
élargissant sa zone de responsabilité et en duisant le nombre de «concurrents ver-
ticaux » qu’ilrencontre pour exercer cette responsabilité.Alors, où est le problème ?
C’est que,dans la pyramide haute,la longueur des échelles hiérarchiques et la durée
des transmissions d’information pouvaient donner en pratique beaucoup d’autono-
mie àl’échelon local. Tandis que,dans la pyramide
aplatie,le niveau local est sous une pression plus directe
du niveau central. Rendre compte à une seule personne
peut être écrasant.
L’aplatissement de la pyramide est donc d’une part un
gain, d’autre part une perte.L’entreprise perd les négo-
ciations des actions et des enjeux, de strate en strate,
qui permettaientlatraduction,l’adéquationetl’an-
crage. En supprimant des interactions humaines, l’aplatissement de la pyramide a
pu mettre de la distance entre le manager intermédiaire et son entreprise,enlever du
sens à son travail, duire la capacité à «agir ensemble ».
Pour continuer à se comprendre mutuellement, pour agir en synergie,il faut qu’ap-
paraissent de nouveaux cheminements ailleurs dans l’organisation.
Comment vont-ils apparaître ? Comment la pyramide va-t-elle être complétée pour
que l’organisation reste vivante et capable d’évoluer ?
Dans la pyramide
aplatie, le niveau
localestsous
unepression plus
directedu niveau
central.
Dans la pyramide
aplatie, le niveau
localestsous
unepression plus
directedu niveau
central.
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