Josiane TAELS, Martine VANSCHOOR Cadres infirmiers, Bruxelles L’INTRODUCTION DU DIAGNOSTIC INFIRMIER DE LA DOULEUR, UNE AVENTURE D’EQUIPE... (Analyse comparative de 2 méthodes de changement) INTRODUCTION - permettre à des patients ou groupe de patients de gérer leurs propres soins au mieux de leurs capacités ; Intéressées par le diagnostic infirmier et convaincues qu’il est’ un élément d’avenir, un atout pour notre profession, nous avons cherché, en tant qu’infirmières cliniciennes, comment introduire cette nouvelle démarche dans nos unités de soins. - assurer des soins infirmiers de qualité dans les meilleures conditions d’efficacité. En accord avec nos équipes, nous avons choisi d’introduire le diagnostic infirmier de la douleur dans deux unités de médecine interne générale. En effet, la douleur y constitue un diagnostic infirmier prévalent qui demande quotidiennement l’attention des infirmières. Elles se sentent souvent démunies face à ce problème et révoltées par son manque de prik en charge. LES CONCEPTS Les divers concepts abordés dans cette recherche action, sont la démarche clinique en soins infirmiers, intégrant le diagnostic infirmier, la douleur et le changement. ifjj 1. La démarche de soins La démarche de soins est une méthode organisée et systématique permettant de donner des soins infirmiers individualisés. Elle est centrée sur les réactions particulières de chaque patient ou d’un groupe de même type de patients à une modification réelle ou potentielle de sa santé. Cette démarche de soins se divise en 5 étapes : le recueil des données, l’analyse et l’interprétation de celles-ci à l’issue desquels un ou des diagnostics infirmiers sont posés, la, planification, la réalisation et I’évaluation des soins. Ces différentes étapes permettent à l’infirmière de réaliser les objectifs premiers des soins infirmiers tels que : - promouvoir, maintenir ou restaurer la santé, ou aider les malades en fin de vie à mourir dans un état de confort optimal ; Ces, S étapes sont,en relation constante, et chacune dépend de la prévision de l’autre. Ces étapes peuvent se chevaucher lorsque certains problèmes demandent une intervention urgente. La démarche de soins aide les infirmières à être plus méthodiques, dans l’identification de problèmes spécifiques du patient ; elle permet d’établir des objectifs réalistes et des actions individualisées utilisant les ressources du patient. La démarche de soins permet une approche globale du patient où la dimension humaine est primordiale. II s’agit d’« un processus dynamique anticipatoire » (1) qui permet à l’infirmière d’appliquer ses connaissances pour soigner les patients. Elle est un outil conceptuel indispensable à la pratique des soins infirmiers. Elle est un élément fondamental de qualité des soins infirmiers. Elle ouvre le champ sur la personnalisation des soins tout en se basant sur des protocoles standardisés, des procédures appartenant à une institution, une unité de soins et aux infirmières qui y travaillent. Pour être opérationnelle, cette démarche de soins nécessite certaines conditions telles que la maîtrise de son contenu, la connaissance des diagnostics infirmiers, une zone d’autonomie qui permet à I’infirmière de poser des diagnostics infirmiers et de prendre des décisions de soins, du temps pour connaître le patient. Non pas le temps de l’horloge calculé en minutes ou en heures, mais un cheminement qui offre la possibilité à deux personnes étrangères de se découvrir (la tollecte des données !) et d’apprendre à se connaître t&s les jours un peu plus. La démarche de soins est un raisonnement logique dans le travail quotidien des professionnels en soins de santé. Elle s’adresse aux infirmières qui désirent améliorer I’efficacité, la continuité et la qualité de leurs soins. (1) FORMARIER CM.), « Soins infirmiers : repéres méthodologiques u ; in, Recherche en soins infirmiers ; no 23 ; Décembre 1990 ; page 60. :90 Recherche en soins infirmiers N”48 Mars 1997 CRAINTES ET CONTRAINTES CHEZ LES DIABÉTIQUES (résumé) ,.. .QUELS SONT LES MOTIFS DES CONSULTATIONS ? ,QUEL EST LE CONTENU DES CONSULTATIONS INFIRMIÈRES ? Où SE PASSE LA CONSULTATION i. La consultation se déroule dans un bureau reservé à l’éducation individuelle au sein du service de diabétologie. 1) Conseils d’adaptation des doses d’insuline La consultation débute souvent par la visualisation du carnet de surveillance et des recommandations sont donnees par rapport à l’adaptation des doses selon les objectifs glycémiques. Y A-T-IL DES HORAIRES SPÉCIFIQUES~.? Les patients viennent sur rendez-vous ; des plages horaires ont été instaurees en parallele de l’emploi duo temps du poste infirmier d’éducation. Les horaires sont fixés avec les patients. Les rendez-vous sont possibles tous les jours de la semaine, sauf le samedi et dimanche de 9 h à 18 h environ. 2) Tenue du carnet. 3) Problèmes’techniques du lecteur glycémique 4) Utilité de l’analyse d’urines. 5) Problèmes d’alimentation. Si un patient se présente dans le service pour,un problème spécifique, nous prenons rendez-vous rapidement tout en respectant le planning des consultations. i, ” ’ 6) Manipulation du stylo injecteur d’insuline. 7) Ecoute et dialogue. QUELLE EST LA DURÉE MOYENNE DE LA CONSULTATION ? ~.QUELLE EST L’ACTIVITÉ ? Depuis le 01/01/1993, le nombre de consultations n’a cessé de croître (moyenne 32 par mois). II a été multiplié par 2,l en 1994 par rapport à 1993 ; et par 1,2 en 1995 par rapport à 1994. Un temps /imité à 30 minutes par consultation a-été établi. II nous semblait important de limiter la consultation afin de gérer au mieux l’emploi du tenips. Si le patient a besoin de plus de temps, nous ciblons le problème le plus urgent et prévoyons un nouveau rendez-vous. Seule une majoration du temps d’éducation permettra une augmentation du nombre des consultations. LA CONSULTATION EST-ELLE ISOLÉE OU DANS UN CADRE MULTIDISCIPLINAIRE ? En premier lieu, elle est isolée mais si au cours de la consultation nous nous apercevons que le problème majeur est l’alimentation, nous orientons le patient vers la diététicienne pour des compléments d’informations. De même si un problème médical se pose (un schéma insulinique qui s’avère inadéquat), nous pouvons toujours faire appel à un médecin diabétologue présent dans le service. 89 La répartition des patients selon leur âge montre une population vieillissante ; ceci correspond à notre populationdiabétique locale. Malgré cela, le nombre de consultations est plus important chez les jeunes qui sont essentiellement des patients à qui l’on vient de découvrir un diabète et qui ont besoin d’un suivi soutenu. BUT DE LA CONSULTATION INFIRMIÈRE D’EDUCATION Responsabiliser le patient dans la prise en charge de son diabète. Le patient doit devenir acteur de sa maladie. la réalité des systèmes appartenant à un environnement distinct. La douleur est un phénomène fréquent, affectant, touchant, inquiétant tout un chacun au cours de son existence. La façon de vivre cette douleur, de la concevoir, de la comprendre, de l’accepter, de la soigner est propre à tout individu. Dans un premier temps, c’est identifier et décrire la situation insatisfaisante dans laquelle l’équipe vit actuellement son problème. Beaucoup de disciplines n’ont eu de cesse de faire progresser la prise en charge de cette douleur en essayant de mieux la comprendre. Pourtant, soulager la douleur, reste une entreprise parfois difficile. La douleur est une manifestation totalement subjective et sa définition est donc complexe. Les explications de son sens véritable sont multiples. Puis, stratégiquement, chaque étape du changement doit être planifiée et décrite précisément afin de baliser la situation désirée. Le délai d’atteinte de chaque objectif spécifique doit être prévu ainsi que les moyens choisis pour matérialiser celui-ci. L’analyse de I’intervention et l’impact réel produit, doivent être examinés a la fin de chaque phase afin de réajuster celle-ci, si cela s’avère nécessaire. Nous avons choisi la définition de McCAFFERY, infirmière canadienne. « La douleur est ce que la personne en dit, et elle existe chaque fois qu’elle le dit ». Les sources sur lesquelles nous basons ces différentes étapes sont importantes afin de convaincre les destinataires de ce changement. Les soins à une personne qui souffre impliquent de la part de l’infirmière qu’elle soit elle-même au clair avec le phénomène douloureux. L’infirmière doit toujours CROIRE à la douleur de l’autre. C’est une expérience que le patient vit en tant qu’être humain. Les objectifs de l’infirmières sont de soulager cette douleur au travers d’interventions sélectionnées et adaptées en fonction de chaque situation. C’est grâce à la perspicacité, la discussion, l’ouverture d’esprit de chaque intervenant au sein de toute une équipe pluridisciplinaire, que les justes moyens seront trouvés pour réduire ou faire disparaître la douleur du patient. Une collecte des données centrée sur la douleur du patient et une évaluation continue par l’intermédiaire d’une échelle numérique sont des outils « facilitateurs ». L’utilisation de ces instruments reflète l’intensité de la douleur ressentie par le patient et nous permet d’envisager, outre la répercussion physique, les dimensions psychosociale et spirituelle de la douleur. La douleur « totale » est si rarement prise en compte, or les impératifs éthiques de notre profession n’exigent-ils pas que nous considérions les divers impacts d’un symptôme sur la personne ! 3. Le changement Introduire un changement c’est bouger, sortir de la routine, innover, modifier ses habitudes, ses compottements, ses attitudes, ses valeurs ; ce qui demande du temps, des moyens et beaucoup d’énergie. Comprendre le changement, c’est tenter de comprendre un ensemble complexe de phénomènes, de mouvements parmi d’autres mouvements, c’est tenter d’expliquer un processus continu qui se situe au centre de L’agent de changement doit identifier d’une part les forces restrictives ; c’est-à-dire les résistances, les obstacles et d’autre part les forces motrices c’est-à-dire les moteurs, les relais formels. Ces éléments lui permettront de mieux gérer la situation. Les jeux de pouvoir, les relations interpersonnelles et les buts de chaque destinataire constituent des variables qu’il convient d’opérationnaliser dans la stratégie adaptée face au déroulement,& ce processus. Une fois le diagnostic du changement réalisé, il faut en assurer l’implantation et le suivi. Ce dernier s’effectuera au travers d’une évaluation régulière afin de procéder aux adaptations qui s’imposent. k changement est Pallié du temps. Pour conclure ce concept, nous dirons que le changement nous oblige à résoudre de nouveaux problèmes, qu’il est source de progrès individuels et collectifs. Le changement impose des défis et entraîne une valorisation personnelle, puisque l’individu doit franchir des obstacles. La réussite des changements contribue donc à l’équilibre psychologique de l’individu et au bon moral des organisations. PARTIE EMPIRIQUE La lecture de ce chapitre vous fera connaître les différents outils que nous avons utilisés, le cadre environnemental de l’étude, ses destinataires et les deux méthodes utilisées pour l’introduction du diagnostic infirmier de la douleur. Nous envisagerons ensuite les résultats de satisfaction des différentes personnes participant à ce changement, ainsi que l’analyse des documents réalisés par les infirmières des 2 unités de soins. L’analyse met en évidence une structure très médicalisée, ce qui a une incidence sur les stratégies d’introduction du.changement. Pour clore cette partie empirique, nous vous soumettons l’analyse comparative des 2 méthodes utilisées. Les unités où la recherche s’est déroulée sont deux unit& de médecine interne. Pour faciliter la lecture du texte, nous écrirons unité A et unité B. 1. MÉTHODOLOGIE L’unité A comprend seize lits de médecine interne générale (MIC) et quatorze lits de cardiologie. La durée moyenne de séjour est de 10,4 jours en MIG et de 4,5 jours.en cardiologie. Les pathologies les plus fréquentes en MIG sont les maladies cardio-vasculaire$ respiratoirés, ontologiques et de système. Le motif d’hospitalisation le plus fréquent en cardiologie est le cathétérisme cardiaque. 1.1. Les outils de recherche, Les outils que nous avons choisis dans ce travail sont l’enquête par questionnaires et l’enquête par interviews. Les données recueillies ont été décomposées selon l’analyse de contenu. Nous avons choisi le questionnaire ouvert pour interroger les infirmières travaillant dans les deux unit&. Nous les avons questionnées à deux reprises, au début et à la fin de l’expérience. Le premier questionnaire a servi à décoder la demande de formation des équipes se rapportant à l’introduction du diagnostic infirmier. Le second questionnaire a permis d’évaluer la démarche d’actions utilisées sur le terrain, la constance ou I’inconstance des besoins de formation et l’impact du diagnostic infirmier de la douleur sur la pratique des infirmières. Les diverses interviews semi-dirigées ont été réalisées auprès des responsables de la direction du département infirmier et de la formation permanente, des médecins superviseurs de nos unités de soins, du médecin responsable de la qualité médicale aux Cliniques et de nos cadres intermédiaires du département infirmier. Celles-ci nous ont servi à analyser la demande institutionnelle. L’analyse contextuelle de cette recherche intègre a la fois une approche macroscopique et microscopique. Au travers de l’approche macroscopique, nous allons vous situez le cadre environnemental de la recherche tandis que l’approche microscopique permet de mieux connaître les acteurs de celle-ci. 1.2. Le cadre environnemental La recherche s’est déroulée dans un hôpital universitaire de 893 lits. La durée moyenne de séjour est évaluée à 8,65 jours (1994). La structure de gestion est départementalisée et décentralisée. La direction du département infirmier dépend directement de la direction médicale. L’unité 6 comprend trente lits de MIG. La durée moyenne de séjours est de Il,6 jours. Cette tinité prend en charge toutes les pathologies de médecine interne générale, d’infectiologie, et 10 % des entrées sont des patients atteints par le Virus~ de I’immunodéficience humaine. j 1.3. Les infirmières Les deux unités se composent de quato&personnes travaillant à plein temps. L’unité A est constituée de 20 personnes et l’unité B de 15 personnes. En effet; à l’unité A, le nombre de temps partiel est plus élevé. Pour une compréhension plus aisée, nous avons scindé les infirmières en trois groupes de personnes. Les infirmières de référence (IR) : elles furent à la fois des stratèges, des protagonistes, des collaboratrices actives, des relais formels et des personnes ressources dans l’équipe pour introduire le diagnostic infirmier de la douleur. Les infirmières participantes (IP) : elles ont été des acteurs dynamiques, des relais formels, les reflets du changement désiré, c’est-à-dire qu’elles ont été les forces motrices de ce changement. Les infirmières non participantes IINP) : elles ont constitué les forces restrictives de ce processus de changement.. Les infirmières chef OC) : elles ont été les instigatrices de ce changement. A l’unité A, la méthode directive a été utilisée, tandis qu’à l’unité B le diagnostic infirmier de la douleur a été introduit selon la méthode intuitive ou participative. 92 Recherche en soins infirmiers Ne 4 8 Mars 1 9 9 7 L’INTRODUCTION DU DIAGNOSTIC INFIRMIER DE LA DPULEUR, UNE AVENTURE D’EQUIPE... j 1.4. Les deux méthodes différentes Dans les deux unités, la période d’action sur le terrain s’est étalée sur trois mois. La méthode directive « Directif : se dit de ce qui règle, de celui qui dirige » (2). Une nouvelle anamnèse globale, une anamnèse de le douleur et un plan de soins de la douleur ont été introduits et imposés selon un planning bien précis. Le premier mois, chaque infirmière devait réaliser une anamnese globale pour au moins un patient. Le deuxième mois, les infirmières de référence et les infirmières participantes devaient remplir une anamnèse globale et une anamnèse additionnelle de la douleur. Le troisième mois, en plus de ces documents, ces mêmes infirmières devaient faire un plan de soins individualisé. Un dossier douleur a été élaboré et mis a la disposition de l’équipe. Celui-ci comprenait les diagnostics infirmiers de la douleur selon diffkents auteurs, un rappel physiopathologique, divers types de traitements antalgiques (médicaux et techniques alternatives) et un plan de soins standard de la douleur. La méthode intuitive « Intuitif : que l’on a par intuition, qui procède de l’intuition » (3). Cette démarche repose sur I’observation des faits et leurs inter-relations. Elle trouve sa source dans l’expérience, l’intuition, le raisonnement des personnes. II n’y a pas eu d’étapes consécutives ni de documents imposés. Les infirmières de référence et participantes ont eu à questionner la douleur du patient, l’observer sur le plan physique, psychologique et social, noter les actions de soins qu’elles préconisaient ainsi que les éventuelles difficultés qu’elles ont rencontrées. Et ceci a dû être exécuté une fois par mois pour le patient. 2. RÉSULTATS ET ANALYSE DE L’EXPÉRIENCE La période d’application de la démarche a été évaluée de manière quantitative et qualitative au travers des documents remplis à l’unité A et réalisés à l’unité 8. Un questionnaire destiné aux infirmières des unités a per- mis d’estimer leur besoin en formation, leur perception du diagnostic infirmier et les apports positifs ou négatifs de cette expérience vécue en équipe. 2.1. L’utilisation du diagnostic infirmier 2.1.1. La satisfaction des infirmières Les infirmières des deux unités ont estimé que cette expérience leur a permis d’augmenter la qualité des soins dispensés, d’avoir une approche plus complète et globale du patient, de mieux évaluer et traiter la douleur, d’approfondir leurs connaissances et de mettre l’accent sur leur rôle propre. Les infirmières perçoivent que l’utilisation du diagnostic infirmier permet de mieux « cerner, cibler, centrer les besoins et les problèmes des patients ». Elles mettent en évidence sa dimension humaine en permettant une prise en charge « plus complète, plus individualisée ». De plus, pour plusieurs d’entre elles, le diagnostic infirmier implique une transmission écrite, une évaluation continue et, par conséquent, augmente la qualité des soins infirmiers. Le diagnostic infirmier engendre une amélioration des relations « infirmière-patient et infirmière-patient-médecin ». La communication, la collaboration entre les différents intervenants médicaux et paramédicaux sont renforcés, puisque les objectifs pour le patient sont fixés et écrits au départ. Un meilleur suivi et une continuité efficace des soins sont assurés au travers de la démarche réalisée. L’infirmière se sent valorisée, elle a un sentiment d’auto-satisfaction. L’esprit et le travail d’équipe sortent renforcés de cette expérience à condition que toute l’équipe participe à la recherche de solutions. Après ces trois mois test, les demandes de formation au diagnostic infirmier, à la collecte des données, à la démarche de soins et à la prise en charge de la douleur, restent stables à l’unité B tandis qu’elles augmentent à l’unité A. Dans les deux unités, les infirmières voudraient se former aux techniques alternatives. Même si elles ont pu approfondir leurs connaissances et que leur présence est souhaitée de manière continue sur le terrain, les infirmières de référence ont vécu ce rôle de manière sensiblement différente dans les deux unités. Dans l’unité A, être à la fois le guide, le critique, I’évaluatrice et le moteur de ses collègues peut être contraignant, lourd et difficile. De plus, l’introduction de nouveaux documents à une cadence aussi intense, n’a pas rendu ce raie simple. Elles se sont senties démunies, seules face aux exigences de leurs pairs. A :- l’unité 6, par contre elles se sont senties valorisées, stimulées en devenant personne ressource pour leur équipe. 2.1.2. La satisfaction des médecins Les interviews réalisées auprès des assistants de l’étage ayant vécu l’expérience, démontrent qu’ils considèrent le diagnostic infirmier de la douleur comme un « outil d’aide au diagnostic médical 1). En effet, celui-ci leur a permis d’augmenter la collaboration entre les différents intervenants au sein de l’équipe et plus particulièrement avec l’infirmière. Les arguments pointus et I’évaluation plus continue assurées par celle-ci, les ont interpellés. Ils ont répondu en s’engageant plus. Les notions d’ecoute, de contacts avec le patient et son entourage, l’adaptation du traitement, le seuil de la douleur sont des éléments invoques. La circulation de l’information étant meilleure, le médecin et I’infirmiere travaillent avec un objectif commun au benéfice du patient. 2.1.3. La réaction des étudiantes en stage Les infirmières professeurs ont témoigné que plusieurs de leurs étudiantes, venues en stage dans ces deux unités, ont été rassurées de voir que la théorie pouvait s’appliquer au terrain et que cela ne semblait pas aussi difficile qu’elles le pensaient. 2.1.4. Les patients pris en charge avec le diagnostic infirmier Nous ne les avons pas interrogés, mais plusieurs nous ont remercié de cette relation privilégiée qu’ils ont pu entretenir avec l’une ou l’autre infirmière et de la dimension humaine dont ils ont bénéficié. 2.2. L’évaluation des documents de soins effectués 2.2.1. l’aspect quantitatif A l’unité A, mis à part les nouvelles collectes de données globales, le nombre de documents à remplir n’a pas été atteint. Les infirmières de référence ont rempli le contrat fixé, mais les infirmières participantes se sont senties dépassées par les evénements lorsqu’il a fallu formaliser le plan de soins. A l’unité B, le nombre de documents requis n’a pas été obtenu non plus. Ce fait pourrait s’expliquer par I’absentéisme d’une infirmière participante et les difficultes d’organisation d’une autre. Les infirmières de référence ont également rempli le contrat fixé. 2.2.2. L’aspect qualitatif Nous avons envisagé six critères qualitatifs différents. Critère 1 :~« le suivi dans la prise en charge infirmière, médicale et thérapeutique D. La continuité de cette prise en charge est assurée au travers des écrits et par une majorité de l’équipe. L’utilisation de I’échelle~numérique évalue la douleur du patient à « son 1) juste titre et permet de mieux adapter les antalgiques. Critbe 2 : « les prises de décisions en autonomie et en collaboration ». La pratique du rôle propre se manifeste par une écoute attentive, une éducation du patient à l’autonomie optimale, l’utilisation de techniques alternatives (diversion, massage,...) et l’observation pointue et continue de la douleur du patient. Ce dernier point accentue la collaboration avec les médecins et maximalise l’adéquation du traitement. Critère 3 : « prise en compte des aspects physiques, psychologiques et sociaux du symptôme de la douleur. » L’utilisation de I’anamnèse additionnelle, réévaluée quotidiennement, a amené les infirmières à établir une relation de confiance avec le patient et son entourage. Elle a permis d’aller plus loin dans la connaissance des faits de leur vie pouvant influencer le problème de la douleur. Et ceci, en particulier pour la douleur chronique. Les infirmières ont mis en place des actions ciblées se rapportant aux divers aspects du symptôme. Critère 4 : « observation précise et détaillée. > Dans l’unité B, les observations des infirmières sont plus fines et plus, fouillées grâce a leurs recherches personnelles. Toute l’équipe participe à la prise de décisions. Les effets secondaires de la douleur ainsi que les diagnostics infirmiers potentiels et possibles liés au phénomène de la douleur sont considérés. Dans l’unité A, se sont les infirmières de référence qui réalisent les plans de soins de la douleur et posent d’autres diagnostics infirmiers. Une fois le plan de soins introduit, les infirmières participantes n’ont plus travaillé seules. Elles ont eu besoin du soutien constant des premières. Les mots « plans de soins » provoquent-ils un blocage dans l’esprit des infirmières alors que lorsque l’on utilise « soins préconisés », les actions coulent de source. Critère 5 : « le nom de l’infirmière effectuant la démarche de soins 8. Les infirmières signent peu leurs observations. Plus le document est précis, moins il est identifié. Cette non- L’INTRODUCTION,DU DIAGNOSTIC INFIRMIER DE LA DOULEUR, UNE AVENTURE D’EQUIPE... CONCLUSIONS signature signifie-t-elle que le document n’est pas clos, que l’infirmière ne reconnaît pas son travail ou encore qu’elle craint d’associer son nom à ses écrits et qu’ils soient jugés ? Le choix du diagnostic infirmier de la douleur, interpellant tout être humain, a permis d’améliorer les relations interpersonnelles et interprofessionnelles. Dans leurs interviews, les médecins parlent de l’importance du c< triumvirat » : Infirmière-Médecin-Patient. Les infirmières quant à elles, viennent à cette notion après avoir utilisé la démarche de soins centrée sur le diagnostic infirmier de la douleur. L’anamnèse additionnelle favorise l’écoute active, leur fait découvrir qu’une observation et une argumentation pointues sont utiles pour le médecin au bénéfice du patient et permettent une réelle collaboration. Cette collecte ciblée permet aux ,infirmières d’approcher, non seulement, l’aspect physique, mais également les dimensions psychologique, sociale et spirituelle de la douleur du patient. Critère 6 : « la clôture du dossier et une synthèse de l’état du patient et des actions entreprises. >r Dans aucune des 2 unités, nous ne retrouvons de clôture du dossier, ni de synthèse de l’état du patient et des actions entreprises à sa sortie de l’hôpital. Cet état de fait rend le travail plus difficile lorsque le patient revient, car il implique que tout le dossier soit relu. De plus, rares sont les infirmières qui reprennent les documents classés dans les dossiers antérieurs. 3. ANALYSE COMPARATIVE DES 2 MÉTHODES UTILISÉES Les infirmières de l’unité B sont plus positives par rapport à l’expérience de l’utilisation de la démarche de soins centrée sur le diagnostic infirmier de la douleur que les infirmières de l’unit& A. Leurs documents sont également plus précis et toute l’équipe a participé activement à la prise en charge des soins préconisés. A l’unité A, les plans de soins ont été élaborés par les infirmières de référence, avec ou sans la collaboration de certaines infirmières participantes. La prise en charge des soins s’est effectuée de manière plus passive et l’équipe a participé oralement à l’évaluation des soins lors des rapports. Les exigences des infirmières par rapport aux tâches.à remplir par les infirmières de référence sont importantes, Elles demandent un soutien et un accompagnement continu particulièrement en ce qui concerne la tenue des documents. Par conséquent, les infirmières de référence ont ressenti leur rôle comme étant lourd et contraignant. Tandis qu’à l’unité B, elles le considèrent valorisant car les attentes des infirmières sont de l’ordre de l’échange, de I’information, de l’aide, lors de situations problématiques. En ce qui concerne les méthodes utilisées, les infirmières de l’unité A ont éprouvé d’importantes difficultés des l’introduction du plan de soins. Les infirmières de l’unité B ont été satisfaites de travailler sans support. Parallèlement, à l’unité A l’infirmière chef a ressenti des difficultés par rapport à la méthode, car son leadership habituel n’est pas directif. Ses infirmières l’ont percu et en ont été quelque peu decontenancées. A l’unité B, le mode de fonctionnement habituel n’a pas été perturbé. Du point de vue du changement, à l’unité A, seules les infirmières de référence ont vraiment intégré la démarche& le diagnostic infirmier. A l’unité 6, l’ensemblede l’équipe a participé au processus. Toutefois, les infirmières ne maîtrisent pas encore le contenu de la démarche de soins. Certains items de I’anamnèse globale mettent les infirmières mal à l’aise et la formalisation d’un raisonnement intuitif lors de la réalisation d’un plan de soins représente de réelles difficultés. En instaurant un seul diagnostic infirmier, nous avons certainement suscité un mécanisme de raisonnement collectif, mais le risque est de se centrer uniquement sur la douleur. Il faudra se montrer vigilants à attirer l’attention sur les autres diagnostics per$us et les actions à entreprendre. Comme le préconisaient les cadres infirmiers, les infirmières et les médecins, un diagnostic infirmier pourrait être testé dans certaines unités pilotes et l’expérience diffusée par effet « boule de neige ». Toutefois, si nous voulons intégrer la pratique des diagnostics infirmiers au quotidien, les gestionnaires infirmiers devront revoir les normes en personnel, l’organisation, la politique de soins institutionnelle et prévoir une infirmière clinitienne pour assurer le soutien et la formation continuée sur le terrain des équipes. Elle amènera les infirmières à pratiquer le raisonnement diagnostique, c’est-à-dire à passer d’un jugement intuitif à un jugement analysé. Avant d’introduire un changement tel que celui-ci, agissant au niveau des valeurs, il est primordial d’effectuer une analyse contextuelle macro et microsystémique. Elle permettra de mettre en évidence le cadre du changement, les motivations institutionnelles, les moyens mis à disposition de l’agent de changement... Ce dernier devra également identifier les moteurs et les freins au changement qu’il veut implanter. Nous avons abordé, ici, notamment la satisfaction des infirmières, des cadres infirmiers et des médecins par rapport à l’introduction de la démarche de soins centrée sur le diagnostic infirmier de la douleur. Mais, nous n’avons pas exploré l’impact de ce processus sur la satisfaction des patients. Actuellement, nous terminons une recherche clinique s’y intéressant. Recherche en soins infirmiers N” 48 -Mars 1997