Sainte Thérèse de l`enfant

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Sainte Thérèse de l’enfant-Jésus
Collection EGLISES D’AFRIQUE
Dirigée par François Manga-Akoa
Depuis plus de deux millénaires, le phénomène chrétien s’est
inscrit profondément dans la réalité socio-culturelle,
économique et politique de l’Occident, au point d’en être le fil
d’Ariane pour qui veut comprendre réellement les fondements
de la civilisation judéo-chrétienne. Grâce aux mouvements
d’explorations scientifiques, suivis d’expansions coloniales et
missionnaires, le christianisme, porté par plusieurs générations
d’hommes et de femmes, s’est répandu, entre autres contrées et
à différentes époques, en Afrique. D’où la naissance de
plusieurs communautés ecclésiales qui ont beaucoup contribué,
grâce à leurs œuvres socio-éducatives et hospitalières, à
l’avènement de plusieurs cadres, hommes et femmes de valeur.
Quel est aujourd’hui, dans les domaines économiques,
politiques et culturels, le rôle de l’Église en Afrique ? Face aux
défis de la mondialisation, en quoi les Églises d’Afrique
participeraient-elles d’une dynamique qui leur serait propre ?
Autant de questions et de problématiques que la collection
« EGLISES D’AFRIQUE » entend étudier.
Dernières parutions
Arthur LUBWIKA, Méditation sur l'identité chrétienne
aujourd'hui, 2012.
Blaise BAYILI, Perceptions négro-africaines et vision
chrétienne de l’homme, 2011.
Jean-Marie MATUTU, Dieu, le bonheur et la sorcellerie en
Afrique. Perspectives psychologiques et religieuses de
libération, 2011.
François-Xavier DAMIBA, Voyez comme Dieu est bon, 2011.
Jean KONAN DELAFOSSE, Les chemins de ma conversion,
2011.
Olivier NKULU KABAMBA, Les prêtres africains en Europe,
2011.
Joséphine M ZIBI, Le conflit entre l’oralité et l’écriture
dans l’appropriation de l’Évangile. Éléments pour la
théologie fondamentale, 2011.
Aimable Rukundo Unwimana
Sainte Thérèse de l’enfant-Jésus
L’amour rédempteur et la souffrance
dans la théologie vécue
L’HARMATTAN
© L'HARMATTAN, 2012
5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
[email protected]
ISBN : 978-2-296-96355-9
EAN : 9782296963559
À mes chers parents Annonciata et Raphaël Rukundo
À mes supérieurs, formateurs et bienfaiteurs
À ma famille, amis et connaissances
Mais aussi, à tous ceux qui souffrent,
Je dédie ce travail.
Remerciements
Je remercie d’abord le Seigneur Dieu qui m’a toujours manifesté son amour
infini et sa présence de diverses manières. Je remercie tous les saints,
particulièrement la Vierge Marie et Thérèse de Lisieux ! Je remercie
affectueusement mes parents, mes frères et sœurs, éducateurs et
accompagnateurs spirituels, qui m’ont transmis la foi et les vraies valeurs de
la vie.
Je remercie l’Église du Rwanda, du Kenya et de l’East Africa,
spécialement les Évêques de Nyundo (Mgr A. Bigirumwami, Mgr W.
Kalibushi et Mgr A. Habiyambere), l’archevêque de Kisumu, Mgr Z. Okoth,
le nonce Apostolique G. Tonucci, et tant d’autres qui ont été pour moi
l’image du « Bon Pasteur ». Je remercie vivement l’ordre des pères Carmes,
spécialement la province de Washington et la communauté de Nairobi, qui
m’ont formé pendant sept ans, leur maison général de Rome, ainsi que
l’administration et les professeurs de l’université pontificale Teresianum,
dont père I. Hakizimana, père. B. Moriconi et mon directeur de thèse, père
F.-M. Léthel, qui m’a tant éclairé sur la théologie des saints.
Je remercie l’AMECEA et l’université catholique de l’East Africa, qui
m’ont envoyé étudier à Rome, et Missio Aachen, qui a financé mes études,
l’Église d’Italie qui m’a permis d’exercer mon ministère sacerdotal dans les
paroisses, centres spirituels et congrès de pastorale et de spiritualité
familiale. Je remercie aussi le diocèse de Liège et le sanctuaire de
Banneux : Mgr Aloys Jousten, les recteurs J. Cassart et L. Palm ainsi que la
secrétaire pastorale P. Crutzen et tous les collaborateurs ; le sanctuaire de
Lisieux : Mgr G. Gaucher, Mgr B. Lagoutte, les sœurs carmélites, les pères
carmes et les collaborateurs ; le frère général R. Stockman et les frères de la
Charité ; le père W. Schoneke et les missionnaires d’Afrique, père J. Dixneuf
et E. Gandy, père I. Dewite, Elza V. et les fidèles de Brugge, l’ermite Rita
Maria et les amis, M.s Emma Murai et sa famille, Brenda et P. Hilton, dom
Benedict et les moines bénédictins ainsi que le groupe de prière et les amis
de Cockfoters, Mgr G. Bernacchioni et les amis de Massarosa-Luca, le
doyen H. Schmitz et les amis d’Eupen, P. R. Dickerhof et les amis de
Rastatt, don G. Pizano, les amis et groupes de prière de Ciampino, Pr C.
Palazzini, D. G.M. Capozzo et les amis du CeSNAF et du pèlerinage en
Terre sainte, Rév. M. R. Kuppers, D. Xavier et la famille BleserVanderhiden, D. R. Cacciatori avec Carmelo Da Campo et leurs amis, les
sœurs, pères et frères missionnaires de la Charité, les amis du mouvement
Corpus Christi, Focolari et Fraternitas, la communauté des Rwandais
étudiant en Italie, tous mes amis d’Afrique, Allemagne, Angleterre,
Belgique, Espagne, France, Italie, Autriche, Amérique, et tant d’autres qui
m’ont soutenu et que je garde dans mon cœur.
7
Je n’oublie surtout pas les pères dominicains qui m’ont logé pendant mes
études à Rome, spécialement les pères L. Dempsy, L. Bakkles, P. Murry,
Ciprian, ainsi que E. Casanave et Guy P., M. C. Raju et V. Vella, et tous les
membres du Collegio San Tommaso et de l’Angelicum.
Que Dieu vous bénisse tous !
Préface
Thérèse est morte en disant : « Mon Dieu je vous aime » (CJ 30/9). Elle
parlait à Jésus, en regardant le crucifix qu’elle serrait dans ses mains.
L’amour de Jésus, comme amour de Dieu en Jésus, est la grande réalité dont
elle témoigne sans cesse, l’unique réalité qui contient toutes les autres, tout
le mystère de Dieu et de l’homme. Elle a défini sa mission, sur la terre
comme au ciel, par ces mots : « Aimer Jésus et le faire aimer » (LT 220).
Ainsi, dans l’Église, la sainte de Lisieux apparaît comme étant par
excellence le docteur de l’amour de Jésus, inséparablement en l’aimant et en
le faisant aimer, en rappelant à l’homme de notre temps sa plus haute
vocation : la sainteté qui consiste à « Vivre d’amour » dans la vérité, dans la
plénitude. Par avance, Thérèse a ainsi illustré le plus important de tous les
enseignements du Concile Vatican II : l’appel universel à la sainteté (Lumen
Gentium ch 5). Cet homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu,
blessé par le péché et sauvé par Jésus, c’est tout homme ; car « le Christ s’est
uni à tout homme » (Gaudium et Spes, 22).
Elle ne cesse d’attirer vers Lui tant d’hommes et de femmes dans le
monde entier, au-delà de toutes les frontières. C’est simplement en l’aimant
qu’elle le fait aimer, en manifestant à travers sa vie, comme à travers un pur
miroir, toute la beauté fascinante et attirante de l’amour de Jésus. Créé par
cet amour et pour cet amour, le cœur humain en a toujours soif, il a
infiniment soif d’aimer et d’être aimé. Et parce que le message de Thérèse
vient de cette profondeur essentielle du cœur humain, il le rejoint à la même
profondeur.
Le bienheureux Jean-Paul II a proclamé Thérèse docteur de l’Église
comme experte en « scientia amoris » (NMI, 42), cette science qu’il indique
également comme la « Théologie Vécue des Saints » (NMI, 27). C’est
précisément de cette Science que Thérèse parle à la fin de son manuscrit
autobiographique lorsqu’elle écrit :
« Tous les saints l’ont compris et plus particulièrement peut-être ceux qui remplirent
l’univers de l’illumination de la doctrine évangélique. N’est-ce point dans l’oraison que
les saints Paul, Augustin, Jean de la Croix, Thomas d’Aquin, François, Dominique et tant
d’autres illustres amis de Dieu ont puisé cette science divine qui ravit les plus grands
génies ? Un savant a dit : ‘‘Donnez-moi un levier, un point d’appui, et je soulèverai le
monde’’. Ce qu’Archimède n’a pu obtenir, parce que sa demande ne s’adressait point à
Dieu et qu’elle n’était faite qu’au point de vue matériel, les saints l’ont obtenu dans toute
sa plénitude. Le Tout-Puissant leur a donné pour point d’appui : LUI-MEME et LUI SEUL ;
pour levier : l’oraison, qui embrase d’un feu d’amour, et c’est ainsi qu’ils ont soulevé le
monde ; c’est ainsi que les saints encore militants le soulèvent et que, jusqu’à la fin du
monde, les saints à venir le soulèveront aussi » (Ms C 36 r°- v°).
Parce qu’elle est une sainte, Thérèse est capable de saisir de l’intérieur
l’unité de la «science» de tous les saints, cette «science divine», plus que
9
géniale, qui est proprement «connaissance de Dieu», théologie. Elle dépend
essentiellement de l’amour, puisque «celui qui aime est né de Dieu et connaît
Dieu, tandis que celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est
amour» (I Jn 4/7-8). C’est la même et unique «science» que tous ces
«connaisseurs de Dieu» ont puisé à la même source de la prière, la seule
science qui soit capable de «soulever le monde» parce que seule elle est
«science d’amour», parce qu’elle est la lumière de l’amour de Jésus.
Rappelons que dans l’Église d’Occident, avec la naissance des universités
au Moyen Âge, le risque de réduire la théologie à sa seule forme
intellectuelle, universitaire, est apparu, et cela était un grand
appauvrissement. Paul VI a fait un pas décisif quand il a déclaré deux
femmes docteurs de l’Église, deux saintes qui n’avaient pas étudié à
l’université : Thérèse d’Avila et Catherine de Sienne. Elles ont ainsi reçu le
même titre que des saints qui étaient de grands intellectuels, comme
Anselme, Thomas, Bonaventure. Avec l’encyclique Fides et ratio, qui faisait
référence à ces représentants de la « grande raison », Jean-Paul II a indiqué
dans Novo millennio ineunte l’exemple de Catherine de Sienne et de Thérèse
de Lisieux comme des représentantes de la « théologie vécue des saints ». La
théologie des saints, c’est cette grande connaissance du mystère du Christ
dont saint Paul parle dans sa lettre aux Éphésiens, quand il demande « à
genoux » au père l’abondance du don de l’Esprit Saint pour les fidèles, afin
qu’à travers la foi et l’amour ils puissent « avec tous les saints, connaître
l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance1 ».
La liste des saints donnée par Thérèse est remarquable : après l’apôtre
Paul, théologien inspiré, elle réunit un père de l‘Église, Augustin, un docteur
médiéval, Thomas d’Aquin, et ces mystiques que sont François d’Assise,
Dominique et Jean de la Croix. Après la clôture de la Révélation, en effet,
c’est-à-dire après l’époque apostolique, dans l’histoire de l’Église depuis les
origines jusqu’à nos jours, la lumière la plus complète de cette commune
théologie des saints se manifeste à travers les pères, les docteurs et les
mystiques comme à travers les trois faces inséparables d’un prisme. Entre les
uns et les autres, il y a certes la plus grande diversité, mais ce pluralisme est
la plus merveilleuse complémentarité. C’est ainsi que les autres saints
éclairent Thérèse, et qu’elle les éclaire en retour. Parmi tous ceux qu’elle cite
ici, seuls saint Paul et saint Jean de la Croix sont à proprement parler ses
sources. Toutefois, la mention des autres saints n’est pas moins significative,
en particulier celle de saint François et de saint Thomas.
En effet, Thérèse réunit spontanément François le poverello d’Assise et
Thomas, le grand docteur, fils de saint Dominique, comme représentants de
1
Voir aussi, F.-M. LÉTHEL, « La lumière du Christ au cœur de l’Église - Jean-Paul II et la
théologie des saints », exercices spirituels de carême au Vatican. (Cfr. www.zenit.org Roma,
jeudi 17 mars 2011).
10
cette même science divine. Déjà Dante, dans son « Paradis2 », avait opéré le
même paradoxal rapprochement, en faisant prononcer l’éloge de saint
François par saint Thomas, et cela afin de montrer non seulement leur
accord, mais plus profondément encore l’hommage de la science de saint
Thomas s’inclinant devant la science encore plus haute de saint François. La
même vérité avait déjà été exprimée par saint Bonaventure, le grand docteur
franciscain, contemporain de saint Thomas et avec lui représentant éminent
de la théologie universitaire. Bonaventure, en effet, n’hésitait pas à parler de
la «science» et de la «théologie» de François comme étant bien au-dessus de
la «science» et de la «théologie» des Maîtres de l’université3.
Le rapprochement entre François et Thérèse est très éclairant, entre la
pauvreté de François et la petitesse de Thérèse qui sont le plus pur miroir de
Jésus et de son amour, la pure transparence de l’Évangile. Le «petit pauvre»
et la «petite sainte» sont les témoins de la plus haute «réflexion théologique»
qui n’est pas d’abord réflexion sur le mystère, mais réflexion du mystère.
C’est ainsi que François et Thérèse «réfléchissent» le mystère de Jésus par le
pur miroir de leur vie. À travers François comme à travers Thérèse, on ne
voit rien d’autre que Jésus, l’Évangile de Jésus, l’amour de Jésus. Telle est la
même caractéristique fondamentale de leur sainteté, de leur incomparable
rayonnement dans le monde entier, au-delà de toute frontière culturelle et
même religieuse.
En interprétant ainsi l’Évangile dans son « plein », c’est-à-dire
inséparablement dans l’esprit et dans la lettre, François et Thérèse donnent
comme une « représentation » vivante de Jésus, non pas de l’extérieur
comme pourraient le faire des acteurs, mais de l’intérieur, dans l’esprit
même de Jésus. C’est ainsi qu’en lisant l’Évangile, Thérèse « respire les
parfums de la vie de Jésus » (Ms C 36v°). Ainsi pour Thérèse comme pour
François, c’est toute la vie qui devient théologie.
Dans ce livre, l’abbé Aimable nous montre comment sainte Thérèse
manifeste un témoignage lumineux de la théologie vécue à travers les
expériences d’amour et de souffrance. Il nous rappelle que comme la vie
terrestre de Jésus se termine avec sa Passion, ainsi la vie de Thérèse se
termine avec une très profonde participation à la Passion de Jésus, toujours
en rapport avec le péché du monde dans lequel elle vit. Il reconnaît que
sainte Thérèse a connu l’incroyance du monde de son temps. Elle a connu la
nuit de la foi, les humiliations et l’agonie de la maladie, mais avec son
principe de « souffrir en aimant » elle a accepté de s’asseoir à la table des
pécheurs, ses frères, pour les sauver. Elle est prête à adopter cette charité
fraternelle aussi longtemps que le Bon Dieu le voudra.
2
3
La Divine Comédie, Paradis, cha XI.
Saint Bonaventure : Vie de saint François (Legenda Major), ch. 11, n° 2.
11
Nous pouvons dire que Thérèse a bien assimilé la leçon de Jésus sur la
science d’amour (scientia amoris). Elle est prise comme modèle et experte
ensemble avec Catherine de Sienne. Elle trouve bien sa place dans la
théologie vécue des saints et dans la tradition mystique dont parle Jean Paul
II, tout en complétant la science de la foi (scientia fidei) dont les experts sont
spécialement saint Thomas et saint Anselme, qui nous aident aussi à
l’approfondir dans la recherche théologique et la tradition théologique. La
scientia amoris trouve son approfondissement dans le Novo Millenio Ineunte
et la scientia fidei dans le Fides et ratio. Ces deux sciences sont
complémentaires et inséparables de la théologie de l’Église qu’animent deux
dynamismes : Fides et ratio pour la « recherche théologique » ou « la
théologie pensée des saints », et fides et amor pour la « théologie vécue des
saints ». Ainsi, la théologie des saints possède ces deux versants de la «
théologie vécue » et de la « théologie pensée » qui s’expriment à travers
quatre formes : mystique et pratique, symbolique et noétique4.
Dans sa vie et dans son expérience d’amour et de souffrances, Thérèse,
experte de la scientia amoris, manifeste une théologie vécue et mystique de
l’amour rédempteur bien appliquée aux valeurs évangéliques et aux vertus
théologales : la charité, la foi et l’espérance, qui sont la base et l’âme de
toute forme de théologie authentique dans l’Église.
François-Marie Léthel, OCD,
prélat-secrétaire de l’Académie pontificale de théologie
4
F.-M., LÉTHEL, “La teologia dei santi come scienza divina dei padri, dottori e mistici” in
PATH, 2008/2, 283-284.
Abréviations et Sigles
AA :
AA.VV. :
AG :
CF :
CG :
CJ :
CS :
CSG :
CSM :
DE :
DLTH :
GS :
LC :
LD :
LG :
LT :
Ms A :
Ms B :
Ms C :
NPPA :
NPPO :
OCL :
OP :
PA :
PATH :
PO :
PN :
Pri :
RP :
VT :
VTL :
Apostolicam actuositatem.
Auteurs variés.
Ad gentes.
Correspondance familiale.
Correspondance générale de Thérèse de Lisieux.
Carnet jaune de mère Agnès de Jésus.
Cantique spirituel de saint Jean de la Croix.
Conseils et souvenirs publiés par sœur Geneviève.
Conseils et souvenirs relatés par sœur Marie
de la Trinité.
Derniers entretiens de Thérèse de Lisieux.
Album de sainte Thérèse par
P. Descouvemont et H.N. Loose.
Gaudium et spes.
Lettres des correspondants de sainte Thérèse.
Lettres diverses des correspondants de Thérèse
Lumen gentium.
Lettres de sainte Thérèse.
Manuscrit A (1895), dédié à mère Agnès de Jésus.
Manuscrit B (1896), lettre à sœur Marie du
Sacré-Cœur.
Manuscrit C (1897), dédié à
mère Marie
de Gonzague.
Notes préparatoires au Procès apostolique.
Notes préparatoires au Procès de l’ordinaire.
Office central de Lisieux.
Œuvres complètes de sainte Thérèse.
Procès apostolique.
Pontificia Academia Theologica.
Procès Informatif Ordinaire.
54 Poésies de sainte Thérèse.
21 Prières de sainte Thérèse.
8 Récréations pieuses de sainte Thérèse.
Vie thérésienne, revue trimestrielle, Lisieux.
Visage de Thérèse de Lisieux, photographies
et notes, Lisieux 1961.
13
Introduction générale
1. Motivation
Mon cheminement avec sainte Thérèse de Lisieux a commencé en octobre
1991. C’était durant la retraite annuelle, avant le début des cours de ma
première année de théologie au Grand Séminaire. J’ai demandé à un
séminariste aîné de me prêter un livre spirituel, et il m’a donné un vieux livre
de sainte Thérèse de Lisieux intitulé Histoire d’une âme ! Nouvel étudiant,
dans un lieu nouveau, j’ai lu ce premier livre de ma première année
académique en théologie avec concentration et intérêt ! Jusqu’alors je ne
connaissais ni les pères carmes ni les sœurs carmélitaines, mais j’étais
tellement touché par l’histoire de cette jeune sainte et surtout par son attitude
envers l’amour de Jésus et face à la souffrance. D’un côté j’admirais son
cheminement spirituel et de l’autre je me posais des questions : Où trouve-telle le courage de souffrir avec un si grand amour ?
Elle m’était encore inconnue jusqu’alors ! Je ne savais pas qu’elle a été
reconnue comme la plus grande sainte des Temps modernes par le pape Pie
X, béatifiée dès 1923 et vite canonisée après deux ans en 1925 par le pape
Pie XI qui la déclara « patronne des missions universelles » en 1927 et la
qualifia également comme « l’étoile de son pontificat5 ». Or cette jeune
sainte sera même proclamée plus tard, « docteur de l’Église6 », à la surprise
de beaucoup, par le pape Jean Paul II, qui la présente aussi comme « experte
en scientia amoris7 ». Le même pape Jean-Paul II l’a aussi citée comme
5
Voir G. GAUCHER, « sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la sainte-Face Docteur de
l’Église » in Centre Notre Dame de Vie, Thérèse au milieu des Docteurs. colloque avec
Thérèse de l’Enfant-Jésus, 19-22 septembre 1997, éd. du Carmel, Venasque 1998, 12.
6
Ibid. Selon les explications historiques du Mgr Guy Gaucher, le Doctorat de Thérèse a été
proposé dès 1932 par le père jésuite Gustave Desbuquois (1869-1959) de l’Action populaire,
lors du Congrès théologique de Lisieux pour l’inauguration de la crypte de la future basilique.
Mais comme le doctorat de Thérèse d’Avila avait été refusé en février 1923 parce qu’elle était
femme « sexus obstat » celui de Thérèse de Lisieux ne fut pas accepté. En 1970, le Pape Paul
VI posa un geste prophétique en déclarant deux femmes docteurs de l’Église : sainte Thérèse
d’Avila (XVIe siècle), la carmélite espagnole, et sainte Catherine de Sienne (XVe siècle), la
laïque consacrée italienne. Cette décision bouscula évidemment l’idée qu’on pouvait se faire
d’un docteur de l’Église et remit en cause les critères traditionnels définis en 1783 par le pape
Benoît XIV. C’est ainsi que Jean-Paul II, à son tour, déclara sainte Thérèse de Lisieux docteur
de l’Église, dans la même direction que Paul VI. Cf. p. 11-12.
7
Jean-Paul II, Novo Millennio Ineunte, n° 42.
15
référence avec sainte Catherine de Sienne, en parlant de la « théologie vécue
des saints » et de leur expérience de joie et de souffrance :
« Bien souvent, les saints ont vécu quelque chose de semblable à l’expérience de
Jésus sur la Croix, dans un mélange paradoxal de béatitude et de douleur. Dans le
Dialogue de la divine Providence, Dieu le père montre à Catherine de Sienne que dans les
âmes saintes peuvent être présentes à la fois la joie et la souffrance… De la même façon,
Thérèse de Lisieux vit son agonie en communion avec celle de Jésus, éprouvant
précisément en elle le paradoxe de Jésus bienheureux et angoissé8 ».
Je ne pouvais pas m’imaginer que la jeune sainte Thérèse morte à vingt
quatre ans pourrait un jour parvenir à être classée parmi les docteurs de
l’Église9, spécialement connue comme « docteur de l’amour10» qui a pu
pénétrer les profondeurs de la théologie de l’amour du Christ qui surpasse
toute connaissance11 et a pu traverser la vallée de la passion12 et la « kénose
de la foi13 » sans renoncer à sa vocation d’être amour dans le Cœur de
l’Église14.
À certains moments j’ai eu l’impression qu’une telle expérience
spirituelle n’était pas possible pour une si jeune fille ! Pourtant ses
expériences retenaient tellement mon attention que j’ai commencé à en noter
quelques extraits dans mon petit carnet, et plus tard j’ai cherché d’autres
livres qui parlent d’elle. J’étais surtout touché par sa courte vie mais si riche
d’événements, sa bonne expérience de l’amour et ses expériences de la
souffrance, son courage et sa détermination, ses idées et son cheminement
spirituel en général. Oui, en 1991 j’avais vingt quatre ans, presque son âge,
mais ses idées me dépassaient de loin :
8
Ibid., n° 27. Le pape Jean Paul II se réfère au chapitre 78 du Dialogue de sainte Catherine de
Sienne, dans lequel est confirmé que « l’âme est bienheureuse et souffrante : souffrante pour les
péchés du prochain, bienheureuse par l’union et l’affection de la charité qu’elle a reçue en
elle. Ceux-là imitent l’Agneau immaculé, mon Fils unique, lequel sur la Croix était
bienheureux et souffrant ». Voir Jean-Paul II, Ibid. Les paroles de Thérèse de Lisieux citées par
le saint Père sont tirées des Derniers Entretiens. Carnet Jaune, 6 juillet 1897. Voir aussi F.-M.
LÉTHEL, Théologie de l’amour de Jésus. Écrits sur la théologie des Saints, éd. du Carmel,
Venasque 1996.
9
Voir Centre Notre Dame de Vie, Thérèse au milieu des docteurs colloque avec Thérèse de
l’Enfant- Jésus, éd. du Carmel, Venasque 1998. Rappelons que sainte Thérèse est l’une des
trois femmes docteurs de l’Église (elle, sainte Thérèse d’Avila et sainte Catherine de Sienne).
10
Voir L. MENVIELLE, Thérèse Docteur racontée par Marie-Eugène. Les clés pour la
Petite Voie, éd. du Carmel, Venasque 1998. Voir aussi Centre Notre Dame de Vie, Thérèse de
l’Enfant-Jésus Docteur de l’Amour, éd. du Carmel, Venasque 1990.
11
Voir F.-M. LÉTHEL, Connaître l’amour de Christ qui surpasse toute connaissance. La
théologie des saints. éd. du Carmel, Venasque 1989.
12
G. GAUCHER, La Passion de Thérèse de Lisieux, éd. Cerf/ DDB, Paris 2002.
13
Voir J. NGUEN THUONG, a “kénose de la foi” de sainte Thérèse de Lisieux. Lumière
pour présenter l’Évangile aux incroyants d’aujourd’hui, Teresianum, Roma 2001.
14
Voir C. O’DONNELL, Love in the Heart of the Church. The Mission of Therese of Lisieux,
Veritas Publications, Dublin 2001. Voir aussi J. LAFRANCE, Ma Vocation c’est l’amour.
Thérèse de Lisieux, septième édition, Médiaspaul, Paris 1998.
16
« Maintenant, je n’ai plus aucun désir, si ce n’est celui d’aimer Jésus à la folie Mes désirs
enfantins sont envolés, sans doute j’aime encore à parer de fleurs l’autel du petit Jésus. Je ne
désire pas non plus la souffrance, ni la mort, et cependant je les aime toutes les deux, mais
c’est l’amour seul qui m’attire. Longtemps je les ai désirées ; j’ai possédé la souffrance et j’ai
cru toucher au rivage du ciel, j’ai cru que la petite fleur serait cueillie en son printemps
maintenant c’est l’abandon seul qui me guide, je n’ai point d’autre boussole ! Je ne puis plus
rien demander avec ardeur, excepté l’accomplissement parfait de la volonté du Bon Dieu sur
mon âme sans que les créatures puissent y mettre obstacle » (Ms A, 82v°- 83r°).
Cette façon précise de présenter l’état de son cheminement et sa
disposition spirituelle manifeste une maturité spirituelle remarquable et
spéciale : aimer la souffrance et la mort en se laissant attirer par « l’amour
seul », guider par « l’abandon seul » avec le zèle de « l’accomplissement
parfait de la volonté du Bon Dieu ».
Je me souviens spécialement que, avant la guerre commencée dans mon
pays en octobre 1990, je voyais ma vie et ma vocation progresser
automatiquement avec de nobles plans pour mon avenir ! Je me croyais très
fort en ce qui concerne le contrôle de ma vie et de ma vocation ! En toute
honnêteté, j’oserais dire que j’étais fier de moi-même ! Depuis que la guerre
a commencé, j’ai vu ses conséquences de bien des manières : l’insécurité, la
peur, la faim, la perte, les frustrations, l’injustice, le rejet, le désespoir,
l’humiliation et autres formes de souffrance. Je me suis senti tellement en
deçà de ce que je croyais être ! Je me suis senti perdu, vivant sans vivre,
entre ma réelle dignité humaine et une vie sans assurance, imposée par les
circonstances. Les droits et les valeurs de l’être humain disparaissaient tout
simplement ! J’ai vu tant de personnes souffrir, même plus que moi ! Tant
d’autres se demander pourquoi Dieu semble les oublier et les abandonner.
D’autres souffrent encore aujourd’hui et d’autres ont perdu la foi et
l’espérance. Je fus moi aussi tenté de perdre l’espoir… Je me demandais
souvent si la vie au fond avait une signification. Au cours de cette
expérience de souffrance, l’un des poèmes de sainte Thérèse de Lisieux m’a
accompagné d’une façon spéciale : « Mon chant d’aujourd’hui »15 (PN 5). Je
15
« Ma vie n’est qu’un instant, une heure passagère
Ma vie n’est qu’un seul jour qui m’échappe et qui fuit
Tu le sais, ô mon Dieu ! pour t’aimer sur la terre
Je n’ai rien qu’aujourd’hui !...
Oh ! je t’aime, Jésus ! Vers toi mon âme aspire
Pour un jour seulement reste mon doux appui.
Viens régner dans mon cœur, donne-moi ton sourire
Rien que pour aujourd’hui !
Que m’importe, Seigneur, si l’avenir est sombre
Te prier pour demain, oh non, je ne le puis !...
Conserve mon cœur pur, couvre-moi de ton ombre
Rien que pour aujourd’hui.
Si je songe à demain, je crains mon inconstance
Je sens naître en mon cœur la tristesse et l’ennui… » (PN 5, 1-4).
17
l’ai lu souvent, juste pour avoir le courage du jour (j’avais détaché la page de
la revue, Thérèse de Lisieux, où je l’avais trouvé et le gardais dans ma
poche…). Cependant, je ne suis pas arrivé au niveau de dire comme
Thérèse : « Oui, la souffrance m’a tendu les bras et je m’y suis jetée avec
amour » (Ms A, 69v°).
De ma part, les épreuves de la vie m’ont mené dans des lieux différents
sans comprendre pourquoi ! Mais quand je pense à mon passé, je constate
que l’amour de Dieu a été plus grand que les souffrances endurées. Ma
survie n’est que preuve et témoignage concret de l’amour de Dieu et de la
Providence divine. À travers la souffrance, je vois l’expérience de l’amour
de Dieu plus forte que celle des épreuves parcourues… Personne, dans la
vie, ne devrait choisir la souffrance. Mais quand la souffrance s’impose
inévitablement, plutôt que de souffrir en pleurant, en se lamentant et en se
laissant dominer par le mal et écraser par la souffrance, il serait profitable de
se rappeler que, comme le dit Thérèse, « souffrir en aimant, c’est le plus pur
bonheur… » (PN 54/16).
Cependant, la question commune que nous pouvons nous poser devant
les réalités de la vie de Thérèse à travers l’amour et la souffrance est de
savoir d’où elle tire la force, le courage et la lumière de trouver et de
déclarer son zèle missionnaire et sa vocation définitive d’être amour « dans
le cœur de l’Église » (Ms B, 3v°), acceptant « le pain de l’épreuve » (Ms C,
6r°) pour sauver ses frères pécheurs. Thérèse découvre le secret de l’amour
rédempteur de Jésus et décide de vivre cette vérité16 en s’offrant à Lui et en
se laissant guider par son Esprit pour accomplir son désir de l’imiter et de lui
ressembler, tout en reconnaissant ses limites et ses faiblesses avec abandon,
humilité, confiance et amour17. Mais nous pouvons nous demander comment
elle a pu accomplir cette décision. Ne pouvons-nous pas dire qu’à ce niveau,
l’amour devient plus fort que la souffrance ? Ne pouvons-nous pas dire que la
souffrance est transformée par l’intensité de l’amour rédempteur ?
Enfin, considérant son expérience vécue de l’amour et de la souffrance,
sa connaissance amoureuse de l’amour de Jésus et sa détermination
d’accomplir sa vocation d’amour jusqu’au bout, nous trouvons en sainte
Thérèse une personne ressource pour expliquer la grandeur infinie de
l’amour de Dieu pour nous, l’aspect formateur de la souffrance et
l’importance de l’amour dans la souffrance. Ainsi nous allons cadrer notre
recherche sur le thème : l’amour rédempteur et la souffrance au cœur de la
théologie de sainte Thérèse de Lisieux. Notre recherche n’est pas une
16
Cf. PAUL VI, Evangelii nuntiandi, n° 78. Le pape Paul VI insiste sur l’importance de
connaître la vérité du Christ et d’être serviteur de cette vérité « même au prix du renoncement
personnel et de la souffrance ».
17
Cf. C. DE MEESTER, Dynamique de confiance. Genèse et structure de la « voie d’enfance
spirituelle » de sainte Thérèse de Lisieux, éd. du Cerf, Paris 1995.
18
curiosité intellectuelle ; c’est plutôt un cheminement spirituel avec sainte
Thérèse dans sa « théologie vécue18. »
2. Questions directrices de cette recherche
Thérèse nous présente sa vie comme un cheminement à travers l’amour et
la souffrance. Mais dans la vie humaine ordinaire, c’est surtout la sirène de
la souffrance qui suscite en nous la peur et les inquiétudes angoissantes, car
tout homme a peur de souffrir. Souvent la question qui se pose concerne la
façon dont les personnes souffrantes appréhendent leur souffrance. L’idée
générale est que la souffrance est conçue comme négative et fait mal dans la
vie ; il faut nécessairement l’éviter ! Mais quand on ne peut pas l’éviter, il
faudrait savoir et pouvoir la gérer, l’affronter. En essayant toujours de
l’éviter et de s’en échapper à tout prix, l’on finit par ne plus remarquer ce
qu’elle aurait de positif. L’homme, devant la souffrance, a tendance à se
considérer directement comme misérable ou malheureux. L’un ou l’autre en
arrive même à perdre la foi, l’espoir et le courage. Devons-nous considérer
la souffrance seulement dans son sens négatif, destructeur et déformateur ?
Ne pourrait-elle pas quelquefois contribuer au bien ? Quel est le rapport
entre l’amour et la souffrance ? Quelle devrait être la place de l’amour dans
une situation de souffrance ? Est-il vrai que l’amour peut transformer la
souffrance ?
« Oui, souffrir en aimant, c’est le plus pur bonheur… » (PN 54/ 16). Thérèse écrit ces
paroles en mai 1897 dans sa poésie Pourquoi je t’aime, ô Marie, quelques mois avant sa
mort. Sa déclaration est le fruit d’un long cheminement à travers diverses expériences
d’amour et de souffrance. Au début de son Manuscrit autobiographique A, elle nous fait
quelques révélations : « Je me trouve à une époque de mon existence où je puis jeter un regard
sur le passé ; mon âme s’est mûrie dans le creuset des épreuves extérieures et intérieures ;
maintenant comme la fleur fortifiée par l’orage je relève la tête et je vois qu’en moi se
réalisent les paroles du Psaume XXII. (Le Seigneur est mon Pasteur, je ne manquerai de
rien…) » (Ms A, 3r°). Avec le temps, son attitude envers la souffrance a changé : « J’ai
beaucoup souffert depuis que je suis sur la terre, mais si dans mon enfance j’ai souffert
avec tristesse, ce n’est plus ainsi que je souffre maintenant, c’est dans la joie et dans la
paix, je suis véritablement heureuse de souffrir » (Ms C, 4v°). Elle continue en précisant
qu’elle devait « passer par le creuset de l’épreuve et souffrir » dès son enfance « afin de
pouvoir être plus tôt offerte à Jésus » (Ms A, 12 r°). Elle affirme aussi : « Lorsqu’on veut
atteindre un but, il faut en prendre les moyens ; Jésus me fit comprendre que c’était par la
croix qu’Il voulait me donner des âmes, et mon attrait pour la souffrance grandit à mesure que
la souffrance augmentait » (Ms A, 69v°).
Chez Thérèse cependant, à mesure que grandit l’attrait pour la souffrance,
l’amour croît aussi en elle de plus en plus d’une façon plus forte jusqu’à
devenir sa propre vocation : « MA VOCATION, C’EST L’AMOUR. Oui j’ai trouvé
ma place dans l’Église et cette place, ô mon Dieu, c’est Vous qui me l’avez
18
Cf. JEAN-PAUL II, Novo millenio ineunte, n° 42.
19
donnée dans le Cœur de l’Église, ma mère, je serai l’amour » (Ms B, 3v°).
Thérèse exprime cet amour jusqu’au point où, déterminée à imiter Jésus et à lui
ressembler, elle accepte de s’identifier aux pécheurs pour les sauver : «…s’il
faut que la table souillée par eux soit purifiée par une âme qui vous aime, je
veux bien y manger seule le pain de l’épreuve » (Ms C, 6v°). Ainsi,
« Thérèse communie de la façon la plus intime à l’amour rédempteur du
cœur de Jésus, dans la foi, et comme Marie, dans la kénose de la foi, c’est-àdire dans la foi la plus éprouvée et la plus héroïquement fidèle»19. Que
pouvons-nous apprendre de son parcours ?
En somme notre préoccupation est de savoir s’il est possible que
l’homme intériorise positivement la souffrance qui quelquefois l’afflige, au
point que cette souffrance puisse porter des fruits positifs dans sa vie,
jusqu’à en développer une valeur à travers la croissance de l’amour
rédempteur. Une réponse adéquate à ces questions peut être formulée à partir
de l’expérience vécue de Thérèse et de son message à propos de l’aspect
formateur de la souffrance et la croissance de l’amour. Ainsi se profile
l’objectif de notre recherche.
3. But principal
Le but principal de ce travail est d’étudier le cheminement spirituel de
sainte Thérèse à travers ses expériences de l’amour et de la souffrance,
comment elle appréhende la souffrance, et comment cette dernière peut avoir
un aspect formateur dans le cadre de la croissance de l’amour à travers la
souffrance. Comment ce même amour peut se développer et se transformer
en « amour rédempteur » tout en transformant aussi la souffrance en une
souffrance rédemptrice ? Nous allons étudier cet argument dans le cadre de
l’apport théologique de l’amour rédempteur et de la souffrance dans la
théologie vécue de sainte Thérèse de Lisieux, fondée sur la « science
d’amour » (Ms B, 1r°)20 et la théologie des saints21, en vue de la participation
à la continuation de la mission rédemptrice de Jésus dans le cœur de l’Église
pour le salut des âmes.
Ce qui va attirer notre attention dans la « théologie vécue » de sainte
Thérèse n’est pas seulement son expérience de l’amour et de la souffrance,
ni seulement sa vocation d’être amour dans le « cœur de l’Église », une
Église - mère qui a le « cœur brûlant d’amour » (Ms B, 3v°), mais aussi,
c’est sa connaissance amoureuse de l’amour infini de Jésus, le désir de Lui
19
F.-M. LÉTHEL, Connaître l’amour de Christ qui surpasse toute connaissance. La
théologie des saints, éd. du Carmel, Venasque 1989, 520.
20
ibid.
21
Cf. F.-M. LÉTHEL, Connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance. La
théologie des saints. éd. du Carmel, Venasque 1989.
20
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