CONJ • RCSIO Spring/Printemps 2014 99
Bien que les soignants eux-mêmes n’aient pas été officielle-
ment inclus dans l’étude, leurs expériences sont décrites à travers
les yeux des patients. La recherche sur les soins palliatifs à domi-
cile faite par Appelin et Bertero (2004) décrit la culpabilité que
ressentent certains patients lorsqu’ils demandent à leurs proches
ou à leurs amis de participer aux soins à domicile. Les partici-
pants à cette étude décrivent au contraire un fardeau allégé par
le fait que ces personnes étaient soulagées des tâches qui leur
incombaient autrement, par exemple le transport et la garde
d’enfants.
L’adaptation à l’expérience de la maladie
Dans cette étude, les patients ont rapporté avoir senti un
plus grand respect de leur vie privée et une meilleure aptitude
à gérer certains aspects de leur traitement lors qu’ils recevaient
celui-ci à domicile. Entre autres exemples on citait le fait d’uti-
liser leur propre salle de bain pour vomir ou lorsqu’ils avaient
la diarrhée ou de prendre des mesures pour faciliter la ponction
intraveineuse. Un patient a mentionné qu’il prenait une douche
chaude avant son rendez-vous pour faciliter l’accès aux veines.
Les patients pouvaient aussi utiliser le traitement à domicile
comme occasion de partager ou de dissimuler de l’information.
Une participante qui avait une fille d’âge préscolaire a profité de
l’occasion pour lui enseigner l’anatomie et les buts du traitement.
Elle a par contre choisi de ne pas partager son diagnostic avec sa
mère, qui avait des problèmes cardiaques, par crainte de la stres-
ser. Toutes ces expériences ont permis aux patients de mieux
s’adapter à leur traitement. Ils avaient plus de vie privée et pou-
vaient ainsi contrôler le flot de l’information avec les membres
de leur famille.
Au cours des entrevues, plusieurs participants ont décrit la
façon dont la chimiothérapie à domicile avait changé leur image
d’eux-mêmes et amélioré leur aptitude à faire face au diagnostic
de cancer. Les patients se considéraient moins malades. Les parti-
cipants à cette étude se sentaient plus aptes à faire face au cancer
lorsque leur vie n’était pas dominée par des rappels constants de la
maladie. « Le concept d’engloutissement décrit bien l’effet accablant
du cancer et la transformation du concept de soi tout le long de
la maladie, de son traitement et de la période subséquente de sur-
vie. » (Beanlands et al., 2003 [traduction libre]). Selon Beanlands et
ses collègues (2003), le stigmate social associé au cancer « distingue
un patient atteint de cancer des autres d’une manière qui le déva-
lorise et compromet son estime de soi. ». Un moindre engloutisse-
ment et moins de rappels de la maladie étaient décrits comme des
composantes importantes de l’expérience du traitement à domicile.
Ceci rejoint le thème du domicile comme « milieu naturel » et havre
de paix pour les participants.
Bien que les patients aient eu moins de rappels de la mala-
die lors du traitement à domicile, certains ont laissé entendre
que les participants pourraient risquer de devenir trop isolés.
Une patiente a mentionné que certains pourraient souffrir d’un
manque d’interaction sociale, mais a précisé que ce n’était pas
le cas pour elle. Si la chimiothérapie à domicile devait devenir
un modèle de prestation de soins dans le futur, les infirmières
devraient tenir compte de ce besoin chez leurs patients et les
encourager à continuer de rechercher des interactions en dehors
de la maison.
L’amélioration dans la prestation et la réception des soins
Plusieurs thèmes reviennent tout au long des entrevues, dont
« la prestation individuelle des soins » et « les soins personna-
lisés ». Les participants qui recevaient leur traitement à domi-
cile ont bénéficié des soins additionnels que l’infirmière pouvait
leur prodiguer pendant sa visite, par exemple les instruire sur
les effets secondaires des médicaments et leur fournir un sou-
tien émotionnel. Les participants pouvaient poser des questions
« embarrassantes ». Ils croyaient avoir mieux retenu l’information
et n’étaient pas en situation de se sentir dépassés par le milieu
hospitalier. Ceci étant un projet pilote où le personnel des visites à
domicile était réduit, il s’est établi un climat de confiance entre les
infirmières et les participants.
Lorsqu’on fournit des soins à un patient, il est essentiel de com-
prendre la situation de ce dernier. Selon les participants à cette
étude, le fait de dispenser les soins à domicile a permis aux infir-
mières de mieux comprendre qui ils étaient.
Discussion
Dans l’ensemble, les participants ont fait valoir le concept du
domicile comme « milieu naturel », où le patient est plus adap-
table et les soins, personnalisés. Le « milieu naturel est le milieu
dans lequel nous existons et interagissons, et ceci comprend notre
domicile. À l’heure actuelle, lorsque les patients reçoivent un
diagnostic de cancer, ils sont déplacés de leur domicile vers un
milieu artificiel fortement réglementé comme un hôpital. Leur vie
normale disparaît : ils sont désormais liés au « système ». Bien que
les professionnels de la santé s’efforcent de favoriser l’autono-
mie des patients, certains aspects du traitement semblent encore
ramener le patient à son rôle traditionnel de malade. Pour plu-
sieurs, le cancer peut être une maladie qui les anéantit sur tous
les fronts.
En gardant les patients chez eux, on met carrément l’accent
sur l’adaptation. L’adaptation désigne habituellement une faculté
particulièrement importante pour la survie d’un organisme et,
dans cette étude, elle désigne l’aptitude à faire face au cancer et
à son traitement. Pour certains patients, le fait d’être à la maison
était très important. La signification du chez soi a été étudiée par
d’autres chercheurs et décrite comme un « paysage thérapeutique »
(Williams, 2002). La recherche de Williams nous invite à reconnaître
que le chez soi ne représente pas seulement une habitation, mais a
une multitude de sens, y compris l’identité personnelle, la sécurité
et la vie privée.
Implications
La demande de soins de qualité pour les personnes atteintes
de cancer continue d’augmenter. Beaucoup sont d’avis que la
chimiothérapie convient mieux à un milieu hospitalier, mais cette
recherche démontre que plusieurs raisons militent en faveur d’un
transfert du traitement contre le cancer vers le domicile du patient.
Les patients sont souvent obligés de se conformer au modèle actuel
du système de santé, sans qu’ils aient droit à une quelconque flexi-
bilité. Le cancer peut être une maladie chronique qui exigera des
années de traitement. La perte de contrôle que vivent les patients
est souvent frustrante, déprimante et épuisante. En notre qualité
de fournisseurs de soins de santé, nous devons nous focaliser au
maximum sur les besoins de nos patients. En conservant autant que
possible au quotidien son caractère normal, en créant ce « milieu
naturel », nous permettons à des individus de jouir de la vie pro-
longée ou préservée par le traitement de chimiothérapie. Nous
atteindrons ainsi l’objectif de qualité que se fixent la plupart des
fournisseurs de soins de santé.
La sécurité du patient est une préoccupation de premier ordre
lors du traitement de chimiothérapie à domicile. Heureusement,
les participants à ce projet pilote n’ont pas vécu d’effets indési-
rables à domicile. Il faut aussi tenir compte des risques du trai-
tement à l’hôpital et des infections nosocomiales. Selon Zoutman
et ses collègues (2003), on peut s’attendre à ce que 220 000 infec-
tions nosocomiales occasionnent 8 000 décès par an au Canada.
En traitant les patients à domicile, nous pourrions peut-être éviter
cette complication. Cependant la porte de l’hôpital doit toujours
être ouverte au cas où la chimiothérapie à domicile deviendrait
une source de problèmes pour le patient. Les patients doivent
avoir l’occasion d’interagir avec d’autres patients atteints de
doi:10.5737/1181912x24295101