Zoom sur Sénologie Grossesse après cancer du sein Informer avant de traiter n Avec plus de 4 000 nouveaux cas par an chez les patientes de moins de 40 ans, le cancer du sein concerne de plus en plus de patientes en âge de procréer. Avant de débuter les traitements, 60 % de ces patientes ont un désir de grossesse et 36 % n’en ont pas par peur de la récidive (1). Dr Nathalie Douay-Hauser1, 2, 3, Dr Charlotte Ngô1, 2, 3, Dr Élodie Adda-Herzog4, Dr Anne-Sophie Bats1, 2, 3, Dr Chérazade Bensaïd1, 2, Dr Julien Seror1, 2, 3, Dr Jacques Médioni1, 2, 5, Dr Foucauld Chamming’s1, 2, 6, Dr Bernadette Dessart-Diana1, 2, 8, Pr Fabrice Lécuru1, 2, 3 À l’issue des traitements, entre 20 et 35 % des patientes présentent une aménorrhée définitive. Quel est l’impact des traitements sur la fertilité ? Comment l’évaluer ? Quelles techniques de préservation de la fertilité proposer ? La grossesse impacte-telle le pronostic maternel ? Quels sont les risques fœtaux ? Quand envisager une grossesse et comment la surveiller ? Toutes ces questions sont soulevées par les patientes, plus ou moins explicitement. Depuis le décret d’application du 22 décembre 2006 de la loi de bioéthique du 6 août 2004, la conservation de gamètes ou de tissu germinal doit être proposée aux patientes lorsque la prise en charge médicale est susceptible d’altérer la fertilité (2). Impact des traitements sur la fertilité Le risque des traitements est lié aux types et aux doses cumulées 1 Centre Expert Sénologie Paris Descartes-Hôpital Européen Georges-Pompidou, Paris 2 Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, Faculté de Médecine, Paris 3 Hôpital Européen Georges-Pompidou, Chirurgie Cancérologique Gynécologique et du Sein, Paris 4 Hôpital Antoine-Béclère, Gynécologie-Obstétrique et Médecine de la Reproduction, Clamart 5 Hôpital Européen Georges-Pompidou, Oncologie médicale, Paris 6 Hôpital Européen Georges-Pompidou, Radiologie, Paris 7 Hôpital Européen Georges-Pompidou, Radiothérapie, Paris onko + • Mai-Juin 2015 • vol. 7• numéro 53 de chimiothérapies ainsi qu’à l’âge des patientes au moment des traitements. La dose cumulée de cyclophosphamide est déterminante. Aussi, un protocole habituel de six cures de 5-fluorouracile/épirubicine/ cyclophosphamide (FEC) présente une plus forte toxicité gonadique que trois cures de FEC et trois cures de taxotère (3). Par ailleurs, à 40 ans, il suffit d’un quart de la dose reçue pour produire les mêmes effets d’aménorrhée que la dose totale reçue à l’âge de 20 ans (4). L’âge des patientes est un facteur fondamental : à moins de 30 ans, aucune patiente ne présente d’aménorrhée définitive, entre 30 et 40 ans, elles seront entre 21 et 71 %, et après 40 ans, entre 40 et 100 % des patientes seront ménopausées (5-7). Les effets sur la fonction ovarienne du tamoxifène sont moins connus, car il est souvent précédé par une chimiothérapie (8). Son impact sur la survenue d’une ménopause précoce est encore débattu. L’aménorrhée chimio-induite pourrait être prévenue par des agonistes de la GnRH en induisant une hypoœstrogénie temporaire et réversible pendant la chimiothérapie. Elle permettrait de préserver les follicules dont la croissance est déjà initiée et entraînerait une diminution de la perfusion ovarienne (8). Cependant, les essais contrôlés randomisés portant sur la diminution des aménorrhées chimio-induites sont discordants. Dans l’essai de phase III présenté à l’ASCO en 2014, on observait, pour des cancers non hormonosensibles, une insuffisance ovarienne à 2 ans dans 22 % des cas après une chimiothérapie seule vs 8 % après chimiothérapie avec gosérélin (p = 0,04). Le taux de grossesse était supérieur après agonistes (21 vs 11 %, p = 0,03) (9). Ainsi, la patiente doit être informée des effets délétères des traitements sur sa fertilité et des mesures envisageables pour la protéger (choix du type de molécules, adjonction d’un agoniste de la GnRH). Comment évaluer la fertilité après traitement ? L’évaluation de la fertilité peut se faire sur ces taux d’aménorrhées. Cependant, la reprise d’un cycle n’est pas synonyme de fertilité, 87 Zoom sur Quelles techniques de préservation de la fertilité proposer ? Actuellement, deux techniques sont disponibles pour préserver la fertilité des patientes avant l’initiation d’une chimiothérapie : la conservation embryonnaire et ovocytaire et la conservation de cortex ovarien. La conservation d’ovocytes ou d’embryons après stimulation ovarienne Il s’agit de la technique de référence. • La conservation embryonnaire consiste à stimuler la patiente avant la chimiothérapie et à récupérer par ponction transvaginale des ovocytes matures. Une fécondation in vitro (FIV) est alors réalisée avec les gamètes du conjoint et les embryons ainsi obtenus sont congelés. À l’issue des traitements adjuvants, les embryons sont transférés. Le taux d’implantation est de 11,3 % par embryon (12). Cette technique est proposée au couple et non à la patiente, elle impose donc la construction d’un projet parental dans l’urgence, ce qui peut être inadapté dans un certain nombre de cas. • La conservation d’ovocytes matures s’adresse à une femme célibataire ou non, avec ou sans projet parental. Les ovocytes sont 88 © man_at_mouse - iStock et inversement, une aménorrhée n’implique pas nécessairement une infertilité. Le suivi de l’hormone anti-müllerienne (AMH) permet d’évaluer le stock de follicules en croissance et donc la récupération de la fonction ovarienne après traitement adjuvant (10). Les dosages de FSH, inhibine B et œstradiol, ainsi que le compte des follicules antraux et l’évaluation du spermogramme du partenaire complètent le premier bilan proposé (8, 11). Pour la conservation embryonnaire, les embryons sont obtenus par fécondation in vitro à partir d’ovocytes matures de la femme et des gamètes du conjoint. prélevés puis congelés ou vitrifiés. Lorsque la grossesse est envisagée, les ovocytes sont décongelés et une FIV ou une injection intracytoplasmique de spermatozoïde (ICSI) est réalisée avec les gamètes du conjoint. Le taux de grossesse par ovocyte est amélioré par la technique de vitrification atteignant 5,2 % par ovocyte réchauffé (13). • La stimulation réalisée avant congélation embryonnaire ou ovocytaire se fait indépendamment du moment du cycle et peut donc être organisée dès l’annonce du diagnostic. Sa durée est de 14 jours. Elle est tolérée en postopératoire avant une chimiothérapie adjuvante, mais est contre-indiquée avant une chimiothérapie néo-adjuvante, considérant les potentiels effets pro-prolifératifs de l’hyperœstradiolémie sur la tumeur en place. La technique de maturation in vitro des ovocytes (MIV) Elle consiste à prélever des ovocytes immatures, à les cultiver in vitro 24 à 48 heures puis à les vitrifier, ceci sans aucune stimulation préalable. Elle peut donc être proposée en situation néo-adjuvante. À l’issue des traitements, les ovocytes sont décongelés en vue d’une FIV ou d’une ICSI. Le taux de naissance par transfert est de 7,3 % (14). La cryoconservation de cortex ovarien Elle a pour avantage de congeler des ovocytes immatures constituant une réserve de follicules primordiaux nombreux et faciles à congeler. Le tissu est autogreffé à l’issue des traitements et une grossesse pourra être tentée sans stimulation préalable. Elle nécessite un prélèvement chirurgical sous anesthésie générale et présente encore peu de résultats en termes de grossesses (12 enfants nés pour 60 patientes) (15). Elle s’adresse plus particulièrement à des femmes jeunes puisque son efficacité dépend directement du capital folliculaire qui diminue à partir de l’âge de 30 ans. Si l’on cumule la durée de la chimiothérapie et de l’hormonothérapie, l’âge auquel la FIV ou l’ICSI sera réalisée peut dépasser 40 ans. Au-delà de 40 ans, les taux de grossesse diminuent et les risques liés à la grossesse se majorent. Aussi, l’âge seuil de 37 ans au moment de la chimiothérapie est retenu dans plusieurs centres onko + • Mai-Juin 2015 • vol. 7• numéro 53 Grossesse après cancer du sein de procréation médicalement assistée (PMA) pour proposer une congélation embryonnaire ou ovocytaire. Cette décision est prise au cas par cas à l’issue d’une concertation multidisciplinaire. La condition sine qua non d’une conservation optimale de la fertilité est l’instauration de réseaux étroits entre chirurgiens, oncologues et centres de PMA. La consultation avec le référent PMA doit être organisée dès l’annonce du diagnostic et confirmée en réunion de concertation multidisciplinaire. La grossesse a-t-elle un impact sur le pronostic des patientes ? La méta-analyse de Azim et al. portant sur 14 études rétrospectives montre que le risque de décès est inférieur en cas de grossesse après cancer du sein (RR = 0,59 ; IC95 % [0,50-0,70]). Le principal biais de cette observation est nommé healthy mother effect : lorsque l’on compare les patientes ayant obtenu une grossesse aux patientes non enceintes et sans récidive, cet effet “protecteur” de la grossesse s’estompe (RR = 0,85 ; IC95 % [0,53-1,35]) (16). Cette équipe a réalisé, en 2012, une étude rétrospective multicentrique en appariant les patientes selon le statut hormonosensible de la tumeur, l’atteinte ganglionnaire, les traitements adjuvants, l’âge et l’année du diagnostic (17). La grossesse n’a pas d’impact sur la survie sans récidive et la survie globale, quel que soit le statut hormonosensible de la tumeur. La survie globale est même meilleure après grossesse dans le groupe des tumeurs sans récepteurs aux œstrogènes, sans que l’on puisse l’expliquer (HR = 0,54 ; IC95 % [0,33-0,87], p = 0,01). Il apparaît dès lors qu’une grosonko + • Mai-Juin 2015 • vol. 7• numéro 53 sesse peut être envisagée, sous réserve de la fœtotoxicité des traitements, à l’issue des traitements adjuvants. Hormonothérapie Pic de récidive métastatique Fœtotoxicité des traitements Deux études de cohortes portent sur l’impact des chimiothérapies sur les grossesses obtenues après traitement (18, 19). Le risque de malformations est non modifié pour l’une, et pour l’autre, le risque de malformations cardiaques, rénales et urétérales est majoré (RR = 1,68 ; IC95 % [1,412,54]). Compte tenu du temps de maturation ovocytaire, on recommande d’attendre au moins 6 mois avant la conception. Concernant le tamoxifène, l’absence d’effet tératogène à distance a été démontrée. Il est conseillé d’attendre au moins 3 mois après la fin du traitement. Enfin, on ne note pas d’effet du trastuzumab à plus de 3 mois de la fin du traitement, mais seule une étude portant sur 61 grossesses vient étayer cette recommandation (20). Quand envisager une grossesse ? Si la grossesse n’altère pas le pronostic des patientes, le délai écoulé entre la fin des traitements et l’initiation d’une grossesse dépend de plusieurs paramètres (Fig. 1) : • Les caractéristiques tumorales : il semble raisonnable d’envisager un délai au-delà duquel le risque de récidive s’amenuise. Pour les tumeurs non hormonosensibles, plus de 95 % des rechutes ont lieu dans les 5 ans ; pour les tumeurs hormonosensibles, la moitié des rechutes a lieu dans les 5 ans et l’autre moitié au-delà. En cas d’atteinte ganglionnaire ou de tumeur volumineuse ou inflammatoire, les risques de récidive sont augmentés. Fonction ovarienne Sexualité et aspects psychologiques Figure 1 - Paramètres impactant le délai entre la fin des traitements adjuvants et l’initiation d’une grossesse. • La durée de l’hormonothérapie : le tamoxifène est prescrit pour 5 ans. Néanmoins, si une demande d’interruption prématurée du traitement est formulée par la patiente, une information claire sur le risque d’interruption du traitement doit être donnée. En cas de tumeur de bon pronostic, il peut paraître licite d’interrompre transitoirement l’hormonothérapie pour envisager une grossesse, ceci au-delà de 2 ans minimum de traitement. Une étude prospective est en cours dans cette indication (8), et cette décision relève aujourd’hui d’une décision conjointe dans le cadre d’une réunion de concertation pluridisciplinaire. • La durée de maturation folliculaire : un délai minimum de 3 à 6 mois est nécessaire. • L’évaluation de la fonction ovarienne résiduelle après traitements adjuvants. Si une technique de préservation de la fertilité a été initiée avant les traitements, l’organisation du transfert d’embryon, de décongélation ovocytaire ou de greffe de cortex ovarien est rapidement réalisable par le centre de PMA. • L’impact des traitements sur la sexualité du couple et l’image corporelle de la patiente. À la fin des traitements, 89 Zoom sur 61 % des patientes se plaignent d’une sexualité altérée. Déficits hormonaux, dyspareunies, baisse de la libido, syndrome dépressif sont autant de facteurs qui perturbent l’intimité du couple. On conseillera donc aux patientes sous tamoxifène d’attendre la fin de l’hormonothérapie ainsi que 3 à 6 mois supplémentaires (délai de maturation folliculaire). Les patientes aux tumeurs non hormonosensibles devraient attendre au moins 2 ans, principalement à cause des délais de récidive. En présence de facteurs pronostiques péjoratifs comme une atteinte ganglionnaire, une tumeur initiale volumineuse ou inflammatoire, on proposera un délai minimal de 3 ans. Quel bilan avant d’envisager une grossesse ? Le bilan maternel doit permettre de confirmer l’absence de récidive locale ou métastatique. Après un examen clinique, une mammographie et une échographie mammaire, un scanner thoraco-­abdominal et une scintigraphie osseuse ou un TEP-scanner seront prescrits. La fonction cardiaque sera évaluée par échographie si la patiente a été traitée par des anthracyclines ou du trastuzumab. Quel suivi pendant la grossesse ? Pendant la grossesse, un examen clinique régulier doit être réalisé. S’il s’avère suspect, une échographie mammaire sera préférentiellement prescrite, compte tenu de la faible sensibilité de la mammographie due aux modifications hormonales et glandulaires. Des risques accrus d’accouchement prématuré (RR = 3,20 ; IC95 % [1,70-6,03]), de retard de croissance avec poids de naissance inférieur à 1,5 kg (RR = 2,86 ; IC95 % [1,41-5,78]), de césarienne (RR = 1,3 ; IC95 % [1,2-1,9]), d’extraction instrumentale (RR = 1,5 ; IC95 % [1,20-1,90]) ont été rapportés (19). On propose donc une surveillance plus étroite de la patiente, notamment en fin de grossesse et en cours de travail. Conclusion Envisager une grossesse après cancer du sein nécessite une réflexion en amont des traitements adjuvants. Les techniques de préservation de la fertilité doivent être systématiquement proposées au moins jusqu’à 37 ans dans le cadre d’une coordination réactive entre équipes oncologiques, chirurgicales et centres de PMA. Le pronostic maternel n’est pas altéré par la grossesse, c’est donc le risque de récidive lié aux caractéristiques tumorales initiales et à une hormonothérapie en cours qui conditionnent l’initiation du projet de grossesse. Toute patiente en âge de procréer doit donc être informée du pronostic de fertilité lié aux traitements et des délais recommandés avant une grossesse. La réunion de concertation pluridisciplinaire et, a fortiori, l’oncologue doivent s’assurer que la préservation de la n fertilité a été discutée. Mots-clés : Cancer du sein, Grossesse, Fécondation in vitro, Fertilité, Procréation médicalement assistée Bibliographie 1. Senkus E, Gomez H, Dirix L et al. Attitudes of young patients with breast cancer toward fertility loss related to adjuvant systemic therapies. EORTC study 10002 BIG 3-98. Psychooncology 2014 ; 23 : 173-82. 2. http://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/bilan_d_application_loi_ bioethique_2004-2.pdf 3. Torino F, Barnabei A, De Vecchis L et al. Chemotherapy-induced ovarian toxicity in patients affected by endocrine-responsive early breast cancer. Crit Rev Oncol Hematol 2014 ; 89 : 27-42. 4. Mc Carthy MJ. 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