Plan de lutte contre la douleur

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Pour aider
Plan de lutte contre la douleur
La douleur chro n
une vraie mala d
Avoir mal en permanence, être envahi par la douleur est le
quotidien de nombreux patients. Source d’incapacité, de
handicap, elle affecte aussi les rapports sociaux et la qualité
de vie. Les plans de lutte contre la douleur ont-ils vraiment
répondu à ce problème majeur de santé publique ?
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Pour aider
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H
ier, la douleur était encore
vécue comme une fatalité.
Aujourd’hui, les professionnels de santé ont obligation
d’évaluer et de traiter la douleur. Entre-temps, les 1ers Etats généraux des
malades du cancer de 1998 ont permis aux
malades de revendiquer publiquement leur
droit d’être considérés comme des personnes,
déclenchant ainsi le premier plan triennal
(1998-2001) de lutte contre la douleur de
Bernard Kouchner, alors secrétaire d’Etat
chargé de la santé. Désormais, les systèmes
de santé doivent se soucier autant du malade
que de la maladie. Alors, treize ans plus tard,
les différents plans de lutte contre la douleur, mais aussi les plans de développement
des soins palliatifs et les plans cancer ont-ils
permis de faire changer les attitudes vis-à-vis
de la douleur et de la souffrance ? Existe-t-il
une « culture antidouleur » au sein des pratiques et des exercices ? Pour Patrick
Michaud, responsable du département inter-
REPÈRES
La troisième phase du plan douleur (2006-2010), dont le
coût s’élève à 14 millions d’euros, propose quatre axes :
l’amélioration de la prise en charge des populations les plus
vulnérables, la formation renforcée des professionnels de
santé, l’amélioration des différentes modalités de traitement
et la structuration de la filière de soins. L’objectif vise à
l’amélioration de la prise en charge de la douleur pour
les personnes les plus vulnérables : les enfants, les
polyhandicapés et les personnes âgées en fin de vie.
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disciplinaire de soins de support à l’Institut
de cancérologie de la Loire, « la formation
initiale et continue des professionnels de
santé constitue un élément clé de la qualité
des soins. C’est l’un des axes prioritaires du
plan 2006-2010 qui a permis d’accomplir des
progrès dans la prise en charge de la douleur,
même si les efforts sont encore insuffisants ».
Un Français sur trois se plaint
de douleurs
La douleur est définie par l’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP)
« comme une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, en rapport avec une
lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou
décrite comme telle ». Phénomène complexe,
elle revêt un aspect multidimensionnel : sensoriel, émotionnel, cognitif et comportemental. Elle peut être aiguë ou chronique
lorsqu’elle évolue depuis plus de 3 à 6 mois.
Lorsque la douleur s’installe et devient
rebelle, elle est susceptible d’avoir un effet
néfaste sur le comportement ou le bien-être
du patient. Avec la fièvre et la fatigue, la
douleur est d’ailleurs l’un des premiers motifs
de consultation médicale. « On estime que
20 à 30 % de la population se plaint de
douleurs chroniques : cancéreuses ou non-cancéreuses, parmi lesquelles on retrouve notamment les lombalgies, les céphalées, l’arthrose
et la fibromyalgie. C’est un véritable problème
de santé publique qui induit un coût économique majeur de plusieurs milliards d’euros
par an en France, explique Julien Nizard,
médecin des hôpitaux, responsable de l’Unité
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GÉRER LA DOULEUR DE LA MALADIE
CANCÉREUSE CHRONIQUE
REPRÉSENTE UN VÉRITABLE DÉFI
AU QUOTIDIEN.
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Chez 70 % des patients atteints de cancer,
la douleur est due à la maladie. Ensuite, 20 % des
douleurs sont dites iatrogènes car elles sont liées
aux traitements ou aux soins.
d’hospitalisation du centre d’évaluation et de
traitement de la douleur, et président du
Comité de lutte contre la douleur et de prise
en charge des soins palliatifs au CHU de
Nantes. Car ces patients requièrent plus souvent des consultations, des examens, des hospitalisations et peuvent conduire à l’arrêt
maladie, parfois prolongé, voire à l’invalidité.
Avec la douleur chronique, on quitte le cadre
de la douleur-symptôme pour entrer dans la
douleur-maladie, capable d’altérer gravement
la qualité de vie. Physiquement d’abord, avec
une gêne importante dans les activités de la
vie courante. Ensuite, à force de souffrir, le
patient peut développer des affects anxieux,
dépressifs et, dans la plupart des cas, des
troubles du sommeil majorant le ressenti douloureux. La détresse psychologique commence
à gagner et s’accompagne d’un retentissement
social, familial et professionnel. »
La douleur cancéreuse :
un défi au quotidien !
Il n’existe pas une douleur mais des douleurs
dont les mécanismes vont nécessiter des traitements parfois très différents selon l’évolution de la pathologie. Gérer la douleur de la
maladie cancéreuse chronique représente un
véritable défi au quotidien. On distingue les
douleurs nociceptives, les plus connues, qui
permettent à l’organisme de détecter les
processus altérant ou simplement menaçant
son intégrité. En revanche, les douleurs
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neuropathiques plus rares (30 à 40 % des douleurs cancéreuses) sont plus difficiles à prendre en charge. Elles sont liées à une lésion du
système nerveux central ou périphérique.
Les sujets présentent souvent une sensation
de brûlures dans la zone atteinte, associées à
des décharges électriques fulgurantes, des
fourmillements ou des picotements. « Avec ces
différentes causes physiopathologiques, le diagnostic de la douleur se complique. Chez 70 %
des patients atteints de cancer, la douleur est
due à la maladie. Ensuite, 20 % des douleurs
sont dites iatrogènes car elles sont liées aux
traitements ou aux soins. Une simple toilette
chez un patient qui a des métastases osseuses
peut générer de la douleur. Les 10 % restants
souffraient déjà avant leur cancer »,
constate Patrick Michaud qui aime à citer la
phrase de Jean-Baptiste Gresset, philosophe
du 17e siècle : « La douleur est un siècle et la
mort un moment. » « Ses écrits rapprochent beaucoup de la réalité des malades d’aujourd’hui qui
nous traduisent souvent leur peur de souffrir »,
ajoute-t-il.
L’urgence d’une meilleure
prise en charge
Malgré les avancées incontestables portées par
les différents plans douleur, un nombre important d’enquêtes révèlent que les douleurs
chroniques continuent d’être un fardeau quotdien pour des millions de personnes (voir encadré p. 33). Et pourtant, des mesures exemplaires
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Des médicaments,
mais pas seulement…
Les médicaments utilisés dans la
gestion des douleurs nociceptives
correspondent à trois paliers de
douleur proposés par l’Organisation
mondiale de la santé (OMS). Selon une
intensité croissante, le premier palier
est traité par le paracétamol ou des
anti-inflammatoires ; le palier 2 par
le tramadol et la codéine ; le palier 3
par les morphiniques forts. D’autres
classes de produits sont également
utilisées pour traiter les douleurs
neuropathiques, comme les
antiépileptiques ou les
antidépresseurs. En l’absence
d’efficacité de ces traitements,
il existe un palier 4 incluant toutes
les techniques susceptibles de prendre
en charge la douleur. Il peut s’agir de
l’utilisation des pompes à morphine,
de l’algologie interventionnelle,
c’est-à-dire des gestes qui peuvent
se faire sous anesthésie pour évaluer
et traiter la douleur. Dans la prise en
charge des métastases osseuses
vertébrales, la cimentoplastie est
l’injection in situ faite par voie
transcutanée d’une pâte modelable
dans un foyer de fracture.
La simple prescription
médicamenteuse est insuffisante.
L’important est de prendre en charge
la douleur dans toutes ses dimensions,
tout en associant différentes
techniques pour qu’elles
puissent se renforcer mutuellement.
Il faut savoir que la douleur est un
symptôme subjectif associant une
composante sensorielle et
émotionnelle. En fonction de l’état
psychologique du patient, le seuil
d’acceptabilité et de tolérance de la
douleur sera plus ou moins haut.
De nombreuses méthodes
non-médicamenteuses peuvent aussi
soulager la douleur, en particulier
lorsqu’elle est chronique. Les plus
répandues sont l’hypnothérapie,
l’ostéopathie, les techniques de
relaxation et de sophrologie,
d’acupuncture ou encore les
électrostimulations transcutanées,
qui visent à réduire la perception de la
douleur. Le but est également de lutter
contre les états anxieux associés
à la douleur et d’apprendre au malade
à la mettre à distance.
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PARCE QUE LA DOULEUR CHRONIQUE A BIEN UN IMPACT
SOCIÉTAL MAJEUR, CE SYNDROME DEVRAIT ÊTRE RECONNU
COMME UNE MALADIE, AU MÊME TITRE QUE LE DIABÈTE
OU LES PATHOLOGIES CARDIO-VASCULAIRES.
ont été initiées, notamment un levier institutionnel via la certification des établissements de
santé. Treize pratiques exigibles prioritaires ont
été identifiées par la Haute autorité de santé
(HAS) dont la prise en charge de la douleur
figure au premier rang des critères ayant le
maximum d’impact sur la qualité des soins.
« Cette mesure a représenté une incitation extraordinaire à mettre en place des comités et des
programmes de lutte contre la douleur et, dans le
prolongement, des protocoles, des recommandations et des référents douleur », souligne
Julien Nizard. Pour le Dr Bruno Audhuy,
président de la Commission actions pour les
malades et président du Comité départemental
du Haut-Rhin de la Ligue contre le cancer, « ce
plan a répondu à l’exigence sanitaire et sociale
en améliorant la prise en charge des populations
vulnérables, que ce soit les enfants, les adolescents et les personnes âgées. Il a aussi permis
d’aborder le problème des douleurs en fin de vie
ou encore la formation des professionnels de
santé ». Actuellement, un partenariat est en cours
entre la Ligue contre le cancer et l’AFSOS1, présidée
par le Pr Ivan Krakowski, oncologue médical,
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pour éditer une brochure à destination des
patients de retour à leur domicile pour les aider
à mieux comprendre et gérer leur traitement
antidouleur. Parce que la douleur chronique a
bien un impact sociétal majeur, ce syndrome
devrait être reconnu comme une maladie, au
même titre que le diabète ou les pathologies
cardio-vasculaires. De nombreux spécialistes
espèrent que le quatrième plan mettra l’accent
sur ce point. Faut-il pour s’en convaincre rappeler la citation de Jean Giono : « La douleur est
un scandale ! »
Gilles Girot
1
Association francophone pour les soins oncologiques de support.
Pour en savoir +
Brochure Comment prévenir et soulager la douleur pendant
un cancer ?, éditée par la Ligue, consultable sur le site
www.ligue-cancer.net/shared/brochures/cancer-douleur.pdf
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La douleur au cœur des enquêtes…
Des enquêtes qui font mal !
1) En 1995, dans une étude
multicentrique nationale, Larue et al.1
montrent que 57 % des malades
souffrant de cancer déclarent
souffrir d’une douleur. Parmi ces
patients, 69 % des malades
rapportaient une douleur
suffisamment importante pour
entraver leurs activités quotidienne
et 30 % ne recevaient aucun traitement
contre la douleur.
2) En 2004, l’enquête française
Stopnep2, conduite auprès de 30 135
personnes de plus de 18 ans, a révélé
une prévalence de la douleur chronique
de 31,7 %, dont 19,9 % d’intensité
modérée à sévère, et 6,9 %
présentaient une douleur chronique de
type neuropathique.
3) En 2007, l’enquête EPIC (European
Pain In Cancer)3 effectuée sur la
douleur chez 4 824 malades atteints
d’un cancer, menée dans 12 pays
européens, a révélé que 68 % des
personnes étaient gênées dans leur
quotidien, ce qui les empêche de mener
une vie normale. Les chiffres parlent
d’eux-mêmes : 27 % sont obligées
de s’arrêter de travailler en raison
de douleurs insupportables ; 62 %
souffrent de douleurs modérées à
sévères et 38 % d’entre elles signalent
que les douleurs sont intolérables ;
26 % estiment que leur médecin ne leur
demande pas toujours si elles souffrent
et seules 22 % reçoivent un opiacé
suffisamment puissant.
4) En 2008, une dernière enquête
menée conjointement par
la Haute autorité de santé (HAS)
et la Société française d’étude et de
traitement de la douleur (SFETD)4
auprès de 2 896 patients douloureux
chroniques, dont 1 590 en âge de
travailler, a montré que 50,4 %
ne travaillaient pas ou plus : 24 %
étaient en arrêt maladie, 10 %
en arrêt de travail et 16 % en
invalidité.
1
http://mhsrvweb.medhyg.ch/revues/r_article.php4?
article_id=155
2
et 4http://sante-guerir.notrefamille.com/sante-a-z/
douleurs-chroniques-les-mal-aimees-du-systeme-desoin-francais-o54096.html
3
http://sante-medecine.commentcamarche.net/contents/
cancer/062_la-douleur-et-le-cancer.php3
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