LA RAGE AUJOURD'HUI Plus de cent ans après la première vaccination humaine contre la rage, conçue par Louis Pasteur, cette maladie reste présente sur tous les continents et tue environ 40 000 personnes chaque année, principalement dans les pays en développement. Pour autant, les pays industrialisés ne sont pas à l'abri d'une ré-émergence de la rage et sont de plus en plus confrontés, avec le développement des voyages internationaux, au problème de la rage d'importation. Les moyens de lutte existent, mais leur coût limite leur application dans de nombreux pays et la rage va probablement garder encore quelques années son rang de dixième maladie infectieuse dans le monde de par sa mortalité. La maladie Le virus de la rage (genre Lyssavirus) est présent dans la salive de l'animal (chien, animal sauvage...) en fin de maladie. L'homme ou l'animal est contaminé par morsure, griffure ou léchage sur la peau excoriée ou sur une muqueuse. Le virus rabique est neurotrope : il modifie le fonctionnement du système nerveux. Il ne provoque pas de lésions physiquement visibles dans le cerveau mais perturbe les neurones, notamment ceux qui régulent des fonctionnements rythmiques comme l'activité cardiaque ou la respiration. Ces mécanismes sont encore loin d'être bien connus. Toujours est-il qu'après quelques jours à quelques mois d'incubation, l'individu atteint développe un tableau d'encéphalite. La phase symptomatique débute souvent par une dysphagie (difficulté à avaler) et des troubles neuropsychiatriques variés, notamment l'anxiété et l'agitation. L'hydrophobie est parfois présente. L'évolution se fait vers le coma et la mort (souvent par arrêt respiratoire) en quelques jours à quelques semaines. L'issue est toujours fatale en l'absence de traitement après exposition ou lorsque la maladie est déclarée. Quatre cas de survie après une maladie rabique déclarée ont été rapportés : il s'agissait de sujets vaccinés, qui ont gardé de très lourdes séquelles neurologiques et physiques. La rage dans le monde ASIE L'Asie est le continent qui compte le plus de cas de rage humaine, globalisant plus de 95% des cas mondiaux. Le nombre estimé de morts y est de l'ordre de 35 000, qui surviennent en grande majorité en Inde. Certains pays comme la Chine, la Malaisie, l'Indonésie, la Thaïlande, ont établi des programmes nationaux de lutte qui ont fait diminuer de façon importante le nombre de morts humaines. D'autres, comme le Japon, Hong-Kong et Singapour, sont indemnes de rage. Le vecteur de la rage sur tout le continent est principalement le chien, responsable de 88% des contaminations humaines. Mais d'autres animaux sont porteurs de la rage comme les mangoustes (Inde, Népal, Pakistan, Sri Lanka), les loups (Iran, Afghanistan, République d'Asie Centrale) ou les renards (Moyen-Orient). AFRIQUE C'est le deuxième continent le plus touché, avec 1 à 2% des cas mondiaux. Plusieurs centaines de personnes y meurent chaque année de la rage. Là encore, le chien reste le principal vecteur de la maladie. Mais d'autres vecteurs carnivores comme les chacals et les mangoustes existent. AMERIQUE DU NORD La situation aux Etats-Unis est très complexe. En effet, la rage animale est en recrudescence chez quantité d'animaux sauvages : les ratons laveurs, les mouffettes, les renards, les coyotes et les chauve-souris, ces dernières étant responsables de décès humains. Ce tableau, dans un pays aussi vaste, rend impossible tout programme global de lutte anti-vectorielle. EUROPE Après l'éradication de la rage canine grâce à la vaccination des chiens domestiques et à l'élimination des chiens errants, plusieurs pays d'Europe de l'Ouest ont été indemnes de rage pendant des périodes variables. Mais à la fin de la seconde guerre mondiale, le virus rabique s'est adapté au renard et la rage a envahi de nombreux pays. Depuis l'utilisation de vaccins antirabiques contenus dans des appâts, dès la fin des années 70, le nombre de cas de rage a sensiblement diminué dans toute l'Europe. Les cas de rage indigène y sont aujourd'hui rares. Ils surviennent surtout dans les pays de l'Est où la rage canine ou " rage des rues " reste importante. Mais les cas de personnes mordues dans des régions de rage endémique (Afrique, Asie) et développant la maladie dans un pays européen existent. France En France, aucun cas de rage humaine autochtone n'a été rapporté depuis 1924. Par contre, 17 sujets sont décédés de rage contractée à l'étranger (Afrique Noire, Afrique du Nord, Madagascar, Mexique) de 1970 à novembre 1996. En France aujourd'hui, la rage humaine apparaît donc comme une maladie d'importation. Concernant la rage animale, le quart Nord-Est du pays reste touché. Mais grâce à la vaccination des renards, qui a débuté en 1986, le nombre de cas animaux est passé de plus de 4000 en 1989 à une quinzaine en 1996. Et les foyers actifs subsistants sont aujourd'hui limités aux seuls départements des Ardennes, du Doubs et de la Moselle. La rage du renard devrait donc prochainement être éliminée de l'hexagone. Reste la menace d'un animal sauvage très surveillé en Europe, porteur d'un Lyssavirus proche de celui de la rage (et différent de celui de la rage du renard) : la chauve-souris insectivore. Deux cas ont été diagnostiqués sur de tels animaux en 1989 en Meurthe-et-Moselle. Une troisième chauve-souris positive pour ce Lyssavirus a été découverte à Bourges en 1995. Moyens de lutte Diagnostic Chez l'animal, le diagnostic s'effectue uniquement après la mort, à partir du cerveau et par diverses techniques qui permettent un résultat rapide (en quelques heures), compatible avec l'urgence du traitement antirabique. Il faut cependant souligner qu'en France, pour 80% des patients, le statut de l'animal reste inconnu durant le temps du traitement (animal disparu, résultat non communiqué...). Chez l'homme contaminé, il est possible de réaliser un diagnostic intra-vitam à partir de la salive, du sérum, du liquide céphalo-rachidien, de biopsies cutanées... Mais il est actuellement peu sensible. Les nouvelles techniques d'amplification génique (PCR) devraient cependant permettre à l'avenir de réaliser un diagnostic précoce de la rage humaine. Le traitement après exposition chez l'homme Chaque année dans le monde, plus de 6,5 millions de traitements après exposition sont pratiqués, dont plus de 90% en Asie. En France, plus de 6000 personnes ont été traitées en 1995. Le traitement après exposition commence par le traitement non spécifique (nettoyage des plaies, antibiothérapie, prophylaxie antitétanique). Le traitement spécifique comprend la vaccination et la sérothérapie antirabiques, et doit être effectué avant l'apparition des premiers symptômes, qui signe une évolution inexorablement fatale. Plusieurs types de vaccins sont utilisés. On emploie encore en majorité des vaccins produits sur encéphales d'animaux adultes ou nouveaux-nés. Mais les vaccins produits sur culture de cellules ou oeufs embryonnés, à la fois plus immunogènes et mieux tolérés, tendent à les remplacer. De plus, avec les vaccins produits sur cultures de cellules, le risque d'accident neuro-immunologique disparait. Avec les vaccins modernes, apparus dans les années 70, deux protocoles de traitement par voie intra-musculaire sont validés, l'un en quatre injections, l'autre en cinq, à quelques jours d'intervalle. Les injections sont pratiquées par voie intramusculaire profonde, dans le deltoïde. Mais une autre voie d'administration des vaccins se développe, car elle permet de diminuer le coût du traitement : c'est la voie intra-dermique. Dans le protocole le plus connu, celui de la Croix Rouge thaïlandaise, les injections - pratiquées dans le bras et à différents sites - sont de 1/5 de la dose utilisée par voie intramusculaire! D'autres protocoles multisites par voie intradermique sont aujourd'hui à l'étude et apparaissent, du moins à court terme, comme la seule alternative possible pour un traitement après exposition à moindre coût. La sérothérapie est indiquée en supplément à la vaccination lorsque les risques de contamination sont graves (morsures ou griffures ayant traversé la peau, léchage de muqueuses...). Les immunoglobulines disponibles sont d'origine équine ou humaine. Elles sont en partie infiltrées localement au niveau de la morsure, en partie injectées par voie intra-musculaire, et permettent une réponse rapide en anticorps neutralisants. Vaccination préventive Il y a dix ans, la vaccination préventive se limitait aux milieux professionnels exposés : vétérinaires, gardes-chasses, agents des services vétérinaires... Depuis, elle se développe de plus en plus chez les voyageurs, avant tout séjour dans un pays à fort risque rabique. La vaccination préventive permet de réduire le nombre d'injections chez les sujets devant être vaccinés à titre curatif après leur retour et limite les risques de traitements tardifs après la contamination. (En France, le nombre de traitements antirabiques suite à une contamination à l'étranger a été multiplié par 2,5 ces 14 dernières années...). Elle recquiert l'injection de trois doses de vaccin (J0, J7 et J28) par voie intra-musculaire et un rappel un an après. La lutte contre les animaux vecteurs Dans les pays les plus menacés par la rage, la vaccination des chiens et l'élimination des chiens errants sont des priorités. Pour d'autres pays où la " rage des rues " a disparu grâce à ces actions, la vaccination orale de la faune sauvage est pratiquée. C'est le cas en Europe de l'Ouest où des campagnes de vaccination lancées dès 1978 ont permis de faire reculer le front de la rage jusqu'à la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et l'ancienne Yougoslavie. Mais des foyers de rage vulpine persistent en Allemagne, Autriche, Suisse, Italie et dans l'Est de la France. Dans ce pays, un programme de vaccination nationale des renards a été mis en place en 1986. Les appâts vaccinaux sont distribués par hélicoptère -ainsi que directement au niveau des terriers - dans le cadre de deux campagnes annuelles, l'une au printemps et l'autre à l'automne. La vaccination orale de la faune sauvage est également utilisée localement dans la lutte contre la rage des ratonlaveurs aux Etats-Unis, où une récente campagne a aussi visé la vaccination des coyotes (état du Texas). La rage tue encore quelque 40 000 personnes chaque année à travers le monde. Elle persiste notamment dans les pays en développement - en Europe de l'Est, Afrique, Asie, Moyen-Orient, Amérique Latine -, et le chien, responsable de 88% des contaminations humaines, demeure le principal vecteur de la maladie. L'Asie est de loin le continent le plus touché, globalisant 95% des cas mondiaux de rage humaine. La rage humaine a disparu de France où les rares cas encore déclarés concernent des voyageurs. A partir de 1968, une vague de rage animale, en provenance des confins de la Pologne, a déferlé vers l'ouest et gagné les portes de Paris, touchant surtout les populations de renards. Des campagnes massives de largage de vaccins oraux, en Allemagne, Suisse, Belgique, France et certains pays de l'Est de l'Europe, entreprises dans les années 80, ont finalement endigué le phénomène. En France, les résultats ont été spectaculaires : on est passé de 2000 à 3000 cas annuels, essentiellement chez le renard, dans les années 70-90, à un cas seulement en 1997. La France est considérée libre de rage des carnivores terrestres depuis mai 2001 mais la rage peut être véhiculée par des chauve-souris autochtones ou importées (cinq cas en 2000). La vigilance doit donc être maintenue dans les pays industrialisés : la recrudescence de la rage animale (ratons laveurs, mouffettes, renards, coyotes, chauve-souris) observée ces dernières années aux Etats-Unis - où des décès humains par rage transmise par des chauve-souris ont été déclarés -, en est la preuve. Par ailleurs, la prévention doit être améliorée dans les pays les plus concernés, et les chercheurs de l'Institut Pasteur visent notamment à développer contre la rage canine un vaccin à la fois plus efficace et moins coûteux que ceux existants aujourd'hui. Une maladie 100% mortelle sans vaccination Le virus de la rage gagne rapidement les neurones, ses cibles préférentielles, où les anticorps ne peuvent plus l'atteindre. A ce moment là, la rage se déclare et elle est fatale dans presque 100% des cas. C'est donc avant que le virus n'ait atteint le système nerveux qu'il faut susciter une réponse immunitaire. Le vaccin peut être utilisé à titre préventif chez l'homme (vaccin inactivé), dans des milieux professionnels exposés ou chez des voyageurs se rendant dans des zones de forte endémie, ou chez l'animal (vaccins oraux pour les animaux sauvages, injectables pour les animaux domestiques). Mais dans le cas de la rage humaine, son utilisation la plus fréquente est thérapeutique : le vaccin est inoculé après l'infection supposée (morsure par un animal agressif par exemple). Actuellement, on estime que plus de 6,5 millions de traitements vaccinaux après exposition sont pratiqués annuellement, dont plus de 90% en Asie. Améliorer la prévention de la rage : un vaccin à ADN Seuls 7% des 500 millions de chiens potentiellement exposés à la rage dans le monde sont vaccinés. 30% d'entre eux le sont avec des vaccins utilisant des suspensions de cerveaux d'animaux infectés plus ou moins inactivées, moins coûteux mais beaucoup moins immunogènes que les vaccins purifiés produits sur culture cellulaire. Par ailleurs, les vaccins vivants recombinants ou atténués oraux utilisés sous forme d'appâts pour la faune sauvage (le renard en Europe) sont inappropriés à proximité des populations humaines. Dans ce contexte, les vaccins à ADN, par leur faible coût de production, apparaissent comme une alternative des plus intéressantes pour la lutte contre la rage dans le monde. Des chercheurs du Laboratoire des Lyssavirus, dirigé par Noël Tordo, ont été les premiers à démontrer dès 1999 une protection efficace et totale contre des virus sauvages chez le chien par cette technologie, en collaboration avec l'AFSSA¤-Nancy et deux instituts mexicains. Ils ont utilisé un fragment d'ADN codant la glycoprotéine du virus de la rage, administré par voie intramusculaire, en deux injections. Ils cherchent aujourd'hui à réduire le protocole vaccinal à une injection unique, et à utiliser des glycoprotéines chimères : déjà testées avec succès chez la souris, elles permettent d'obtenir une protection étendue à des lyssavirus apparentés à la rage, comme ceux véhiculés par des chauves-souris européennes, également susceptibles de provoquer la maladie. Les chercheurs pensent pouvoir disposer dans un avenir relativement proche d'un vaccin efficace à large spectre, économique et simple à administrer pour protéger le réservoir canin de la rage, et prévenir par là-même la rage humaine. ¤ Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments La glycoprotéine de la rage, base d'un vaccin multivalent On l'a vu, la glycoprotéine de la rage peut être modifiée pour porter des antigènes de virus apparentés à la rage. Le même principe peut être appliqué à des antigènes de divers agents infectieux. Le Laboratoire des Lyssavirus l'a confirmé par des expériences d'immunisation contre un virus mortel chez la souris : le virus de la chorioméningite lymphocytaire (CML). L'injection d'un vaccin expérimental associant la glycoprotéine du virus de la rage et des antigènes du virus de la CML a effectivement permis de protéger les souris de l'infection. Ces travaux démontrent que la glycoprotéine de la rage peut être envisagée comme prototype pour un vaccin multivalent qui permettrait de protéger une espèce animale contre plusieurs des pathogènes qui l'infectent.