actualité, info avancée thérapeutique rente cette lésion cancéreuse à partir d’un simple test sanguin. Etait-ce là une prise en compte raisonnée des limites (et des conséquences) inhérentes à certaines approches fondées sur la seule dimension biologique du dépistage ? Fallait-il n’y voir que la possibilité d’une approche plus clinicienne, moins systématiquement biologique ? Etait-ce l’abandon annoncé du dosage du prostate-specific antigen (PSA) et le retour en grâce du toucher rectal, pratique aujourd’hui en voie d’obsolescence ? Les choses sont sans doute un peu plus complexes comme en témoigne la vigueur des réactions (émanant généralement de spécialistes d’urologie) contestant souvent de manière virulente les conclusions de la Haute Autorité française de Santé. Ainsi, le Pr Michel Peyromaure (Service d’urologie de l’Hôpital Cochin, Paris) qui, dans les colonnes du Figaro (daté du 17 mai), blâme «les autorités qui refusent le progrès». «Si l’on veut guérir le cancer de la prostate avec le moins d’effets indésirables possibles, il faut continuer à le dépister, écrit-il. Certes nous devons revoir nos pratiques car le dépistage est aujourd’hui fait d’une manière irréfléchie et sans doute excessive. Mais il ne faut certainement pas arrêter de doser le PSA. Ce serait une erreur grave de revenir à l’époque où la plupart des cancers prostatiques étaient découverts trop tardivement. Nos tutelles pourraient mener une réflexion sur la meilleure manière de proposer un dépistage pertinent, LDD alvimann/morguefile Que faire une fois le diagnostic de cancer prostatique posé ? A dire vrai faudrait-il même le poser ? Ou plus précisément quand, désormais, le poser et en informer le patient ? On conviendra que ce n’est pas la plus simple des équations thérapeutiques contemporaines. Or, ce sont bien là des questions fréquentes ; des interrogations situées aux frontières de trois continents : les nouvelles possibilités diagnostiques ; le champ du possible thérapeutique ; l’indispensable prise en compte de la qualité de vie de ceux que l’on prend en charge. Des questions redoutables, une sorte de travail éthique au quotidien dont se désintéressent généralement les belles âmes professant en chaire les interrogations éthérées de la morale en marche. Nous évoquions, il y a peu dans ces colonnes, l’annonce faite en France sur ce sujet par la Haute Autorité de Santé (Rev Med Suisse 2012;8:866-7). Cette annonce faisait suite à la publication d’un rapport controversé concluant, en substance, que rien ne justifiait plus la poursuite d’une pratique (très répandue) : dépister de manière récur- © istockphoto.com/Terry J Alcorn La prostate, le cancer et les patients perdus 1186 42_45.indd 1 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 30 mai 2012 29.05.12 11:01 efficace et peu coûteux. Elles préfèrent ne pas s’engager et maintenir une position rétrograde.» Nul ne sait si les hautes autorités sanitaires françaises lisent ou non Le Figaro ; et là n’est sans doute pas la priorité. L’urgence réside en revanche dans la diffusion de messages pédagogiques éclairés à tous ceux qui sont directement concernés au premier chef par les cancers localisés de la prostate ; ceux qui, patients et praticiens, se demandent s’il faut ou non traiter. Et qui se demandent comment choisir au mieux entre surveillance, chirurgie ou radiothérapie ; confrontés qu’ils sont à une évolution naturelle que l’on sait être souvent peu défavorable. C’est à eux que répondent les rédacteurs (collectifs et toujours anonymes) du mensuel Prescrire dans la livraison datée de mai.1 Comme toujours cette réponse est formulée après synthèse des publications disponibles à l’échelon international sur ce sujet ; en l’espèce de 2000 à janvier 2012. Et cette réponse comporte l’essentiel de ce que les patients sont en droit de savoir dès lors que le diagnostic de cancer prostatique localisé a été porté et qu’ils en sont informés. Rappelons qu’en l’absence de traitement d’emblée, chez les patients ayant une atteinte d’un seul lobe, un score histologique de Gleason m 7 et un taux de PSA m 20 ng/ml, le risque de mourir de ce cancer est l 0,5% par an. Chez les patients ayant une tumeur plus étendue, un cancer peu différencié (score de Gleason L 7) ou un taux élevé de PSA, ce risque est de l’ordre de 4% par an. Dans ce contexte, les rédacteurs de Prescrire établissent deux cas de figure. Cancers à risque faible (ou intermédiaire) d’évolution défavorable LDD alvimann/morguefile Chez les patients ayant par ailleurs un état de santé dégradé avec une espérance de vie de moins d’une dizaine d’années le risque de mourir de ce cancer est très faible. Mieux vaut donc ne pas les exposer aux effets indésirables d’un traitement dont ils ne tireront peu ou pas de bénéfices. «Chez les autres patients il n’y a pas, début 2012, de donnée d’évaluation comparative de fort niveau de preuves pour guider les choix de traitement, assure Prescrire. La surveillance sans traitement initial est une option : sans traitement d’emblée, le risque de mourir de ce cancer est de l’ordre de 5% ou moins dans les dix années qui suivent le diagnostic.» La prostatectomie totale ? Elle a (dans un essai) réduit la mortalité toutes causes confondues de patients âgés de moins de 65 ans en évitant un décès par cancer de la prostate pour environ dix patients opérés et suivis pendant treize ans. A long terme, environ 75% des hommes opérés souffrent de troubles de l’érection (versus environ 50% en cas de surveillance avec traitement différé). Ces troubles sont nettement atténués par un inhibiteur de la phosphodiestérase de type 5 (50% des cas versus 15% avec un placebo). La prostatectomie totale entraîne une incontinence urinaire chez 12 à 25% des patients. La radiothérapie externe ? Dilemme : elle est peut-être moins efficace que la prostatectomie totale en termes de réduction de la mortalité mais semble à l’origine de moins de troubles de l’érection et de moins d’incontinences urinaires. Rectite radique chez 15% des patients. Il ne semble pas, d’autre part, certain que la curiethérapie soit aussi efficace que la radiothérapie externe en termes de réduction de la mortalité. En revanche, c’est le traitement qui «expose le moins aux risques de troubles de l’érection et d’incontinence urinaire». Enfin, «un traitement hormonal prolongé, utilisé seul, n’a pas sa place en traitement des cancers localisés de la prostate». Cancers à risque élevé d’évolution défavorable Ce cas de figure correspond à l’envahissement des deux lobes (stade T2c) ou quand le cancer est peu différencié (score de Gleason L 7) ou quand le taux de PSA est L 20 ng/ml. Dans ce cas, «un traitement semble en général justifié». Dilemme : «la prostatectomie totale est une option envisagée mais son efficacité en termes de survie n’est démontrée que chez les patients atteints d’un cancer localisé de meilleur pronostic»… Enfin, «la radiothérapie externe associée à un traitement hormonal pendant six mois est une autre option souvent proposée», conclut Prescrire. Elle n’a pas fait l’objet de comparaison directe avec la chirurgie. Ce sont là les principaux éléments d’information permettant d’associer les patients au choix d’une stratégie de traitement. La question reste entière de savoir s’il faut systématiquement les associer ? Et si non, sur quels critères on peut ou non les associer à ce qui les concerne très directement. Peutêtre, faut-il conclure qu’il revient au praticien (ou à l’équipe de praticiens) de décider en son âme et conscience de la meilleure conduite à tenir. Comme avant la médecine fondée sur les preuves ? Peut-être bien. Jean-Yves Nau [email protected] 1 Traiter (ou non) les cancers localisés de la prostate. Prescrire 2012;32:362-8. Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 30 mai 2012 42_45.indd 2 1187 29.05.12 11:01