Deux revendications essentielles à l`origine de la pression faite sur l

Publié dans La Revue internationale et stratégique, Paris, été 2008, pp. 195-207.
La campagne contre Iran : le lobby sioniste et l’opinion juive
/ Yakov M. Rabkin, professeur d’histoire à l’Université de Montréal et auteur
du livre Au nom de la Torah : une histoire de l’opposition juive au sionisme/
Résumé
Deux allégations formulées à l’endroit du président iranien Mahmoud
Ahmadinejad intensifient les pressions que les États-Unis et Israël font peser sur
l’Iran : il est accusé de nier la Shoah et de menacer de génocide la population
israélienne. Souvent, on présente l’Iran comme une nouvelle Allemagne nazie et le
président Ahmadinejad comme un nouvel Adolf Hitler. Cet article retrace les
origines de ces accusations en mettant en lumière le rôle que joue, dans la
formation du discours occidental sur l’Iran, l’amalgame que d’aucuns pratiquent
entre les juifs, d’une part, et l’État d’Israël, d’autre part. En terminant, l’article met
en garde contre les réactions épidermiques et fait ressortir la nécessité d’agir
rationnellement, particulièrement lorsque les Occidentaux ont affaire à des
dirigeants qu’ils jugent irrationnels.
Abstract
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Two claims attributed to Iran’s President Mahmoud Ahmadinejad have intensified
the pressure that the United States and Israel have put on his country: he is accused
of denying the Holocaust and threatening a genocide against Israel’s population.
Iran is often presented as a new Nazi Germany and President Ahmadinejad as a
new Adolf Hitler. This article traces the origins of these accusations and explains
the role that the confusion between the Jews, on one hand, and the state of Israel,
on the other, has played in shaping Western perceptions of Iran. The article
concludes by emphasizing the importance of avoiding knee-jerk reactions and
acting rationally, particularly when dealing with leaders the West deems irrational.
Deux accusations dominent dans le discours occidental sur l’Iran depuis
quelques années. On accuse le président Mahmoud Ahmadinejad de nier la
Shoah et de vouloir rayer de la carte l’État d’Israël. Les médias répètent souvent
ces accusations dans les émissions et les textes consacrés à l’Iran. Ce discours
influe sur les décisions politiques, potentiellement graves, que prennent les
gouvernants ou leurs représentants. Lorsque le représentant des États-Unis quitte
une réunion plénière de l’Assemblée générale de l’ONU, à l’automne 2006, il
donne principalement deux raisons pour justifier son refus d’écouter le discours
du président iranien : M. Ahmadinejad nie la Shoah et veut rayer Israël de la
carte. Un an plus tard, le président de l’Université de Columbia réitère les
mêmes allégations dans le « discours de bienvenue », plutôt hostile, qu’il
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adresse au président iranien, invité à parler sur le campus. Ces allégations
fournissent une justification morale aux pressions exercées sur l’Iran pour qu’il
cesse ses activités nucléaires et elles offrent par conséquent à Israël et aux États-
Unis un argument convaincant pour la préparation d’une attaque militaire contre
l’Iran. C’est pourquoi les deux forfaits que l’on reproche au président iranien
méritent un examen attentif.
Cet article se propose de retracer les origines de ces accusations, sans pour autant
discuter de la personne du président iranien ni, encore moins, de ses intentions. Cet
article ne traite donc pas de la politique étrangère de l’Iran, mais plutôt de quelques
particularités du discours occidental sur l’Iran. Il s’intéresse aux propos de ceux
qui présentent l’Iran comme la nouvelle Allemagne nazie et Mahmoud
Ahmadinejad, son président, comme un nouvel Adolf Hitler. À preuve, la
représentation que l’on donne couramment aujourd’hui de l’Iran, à savoir que le
pays et son président représenteraient une grave menace pour le monde entier. Ces
déclarations sont à l’origine des pressions exercées sur l’Iran pour que le pays
mette fin à ses activités d’enrichissement de l’uranium, même s’il a signé le traité
de non-prolifération (TNP) et que ses représentants ont affirmé à de nombreuses
reprises qu’ils n’avaient pas l’intention de se doter d’armes nucléaires.
Les pressions auxquelles est soumis l’Iran se fondent largement sur les
préoccupations affichées par le gouvernement américain concernant la sécurité
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d’Israël. Les deux accusations reflètent l’amalgame assez courant entre l’État
d’Israël, d’une part, et les juifs, d’autre part, ainsi qu’entre l’antisémitisme et
l’antisionisme. Cette confusion politiquement utile étouffe depuis longtemps le
débat politique sur Israël et la Palestine dans les pays occidentaux. Ceux qui se
livrent à des critiques contre Israël se voient souvent qualifiés d’antisémites, même
s’ils sont juifs. On n’hésite pas à recourir aux insultes ad hominem: l’ancien
président Jimmy Carter et le pasteur Desmond Tutu comptent parmi les cibles les
plus illustres de ces accusations, qui commencent à avoir des effets sur les relations
internationales à plus grande échelle.
Négation de la Shoah
D’après la BBC, M. Ahmadinejad s’est exprimé de la manière suivante : « Si les
pays européens insistent sur le fait qu’ils ont massacré des juifs pendant la Seconde
Guerre mondiale… pourquoi n’offriraient-ils pas au régime sioniste un territoire en
Europe ? » Bien sûr, il s’agit à l’évidence d’une provocation, pourtant ni cette
affirmation ni les nombreux autres propos du président iranien que l’on pourrait
citer n’indiquent qu’il ait eu comme but de nier le génocide nazi. Il utilise plutôt le
souvenir de la Shoah pour attirer l’attention sur le sort des Palestiniens et pour
tester les limites de la liberté de parole que réclame l’Occident. Il met en relief le
fait que l’on peut publier en Occident des caricatures de Mahomet, de Jésus ou de
Moïse tandis que dans bien des pays européens il est interdit par la loi de
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s’interroger sur la réalité de la Shoah ou de s’en moquer. Il montre que la Shoah a
été transformée en objet sacré.
Le concours de caricatures sur la Shoah organisé en Iran visait justement à
souligner cette sensibilité particulière et, comme on aurait pu le prévoir,
l’exposition a provoqué une réaction furibonde de la part d’Israël et de nombreux
pays occidentaux. C’était précisément là l’effet escompté par le président iranien.
Certaines caricatures étaient franchement antisémites et elles s’accompagnaient
d’une iconographie imagée empruntée à l’arsenal antisémite européen, que des
médias musulmans diffusent régulièrement. D’autres caricatures pouvaient être
considérées comme révisionnistes, voire négationnistes. Peut-on pour autant en
conclure que le président iranien même nie la Shoah?
Il proteste, certes, contre les conséquences de la formation de l’État sioniste sur les
Palestiniens (musulmans, chrétiens, ainsi qu’un certain nombre de juifs non et anti-
sionistes), qui ont dû payer le prix d’un crime commis par les Européens. Bien
qu’il soit ouvertement antisioniste, M. Ahmadinejad précise souvent qu’il n’est pas
antisémite. La présence de six rabbins barbus et vêtus de noir à la conférence
intitulée « Bilan de la Shoah, une vision d’ensemble », qui s’est tenue à Téhéran en
décembre 2006, a donné au président iranien l’occasion de dire encore une fois
qu’il n’était point antisémite. Les rabbins antisionistes ont maintes fois répété que
la Shoah était un fait historique indiscutable et que parmi eux plusieurs avaient
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