enjeux les historiens et la destruction des arméniens

137
Vingtième Sièc
l
e. Revue
d’h
istoire, 81,
janvier-mars 2004, p. 137-153.
ENJEUX
LES HISTORIENS ET LA DESTRUCTION
DES ARMÉNIENS
Vincent Duclert
« L’objectif réel de la déportation était le vol et la destruction ; il
s’agissait réellement d’une nouvelle méthode pour massacrer : lorsque
les autorités turques lancèrent les ordres de déportation, elles
annonçaient à tout un peuple sa destruction ; elles en étaient parfai-
tement conscientes et, dans leurs conversations avec moi, les officiers
turcs ne firent aucun effort particulier pour me dissimuler ce fait. »
Henry Morgenthau
1
L’historiographie récente de la première
guerre mondiale ne conduit pas seulement
à réévaluer les seuils de violence atteints,
sur les différents fronts, de 1914 à 1918. Elle
incite à comparer cette violence multi-
forme à ce qui est généralement considéré
comme la caractéristique du conflit sui-
vant : le recours systématique à la persécu-
tion des civils, l’extermination des juifs.
Dans cette perspective, Vincent Duclert
souligne l’urgence qu’il y a à progresser
dans la connaissance de la destruction des
Arméniens, non pas seulement pour ré-
pondre aux attentes des descendants des
1. Henry Morgenthau,
Mémoires, suivis de documents iné-
dits du Département d’État
[1919], préface de Gérard Cha-
liand, Paris, Payot, 1984,
p. 267-268. Sur cet ambassadeur
américain auprès de la Porte, cf. Paul Rouben Adalian,
« L’ambassadeur Morgenthau et l’élaboration de la politique
américaine de protestation et d’intervention contre le géno-
cide (1914-1915) »,
in
« Ailleurs, hier, autrement. Connais-
sance et reconnaissance du génocide arménien »,
Revue
d’histoire de la Shoah
, 177-178, janvier-août 2003, p. 425-
435. L’attitude des États-Unis et de l’opinion américaine
devant cet événement a fait l’objet d’une étude décisive pu-
bliée en langue anglaise en octobre 2003 : Peter Balakian,
The Burning Tigris. The Armenian Genocide and America’s
Response
, New York, Harper Collins, 2003. Je remercie bien
vivement, pour leur aide et pour leurs conseils, Jean-Jacques
Becker, Hamit Bozarslan, Anahide Ter Minassian et Claire
Mouradian. Naturellement, je reste seul responsable de la
teneur de cet article.
victimes, mais parce que la dénégation per-
sistante des autorités turques constitue
cette histoire en enjeu politique dans la
conscience européenne et, qu’au-delà, ce
passé-présent est un objet à part entière de
l’histoire du 20
e
siècle, particulièrement
celle des empires, des États, des sociétés et
des guerres.
u cours du premier conflit mondial,
l’extermination de près d’un mil-
lion d’Arméniens
2
, peuple chré-
tien
3
estimé à près de deux millions de
personnes et concentré dans trois régions
centrales de l’Empire ottoman, Constanti-
nople, les villes côtières de la mer Égée et la
2. Les chiffres des pertes arméniennes pendant la pre-
mière guerre mondiale font l’objet de vifs débats qui alimen-
tent le travail des historiens ou les entreprises de dénégation
de l’intention criminelle des massacres survenus dans l’Em-
pire ottoman. Sur ces discussions, cf. le travail de Youssef
Courbage et Philippe Fargues,
Chrétiens et Juifs dans l’Islam
arabe et turc
, Paris, Fayard, 1992, p. 222
sq
. Les deux cher-
cheurs de l’INED ne se prononcent pas sur l’interprétation
de ces massacres à grande échelle, à la différence de Fré-
déric Paulin, « Négationnisme et théorie des populations
stables. Le cas du génocide arménien »,
in
Hervé Le Bras
(dir.),
L’invention des populations. Biologie, idéologie et poli-
tique
, Paris, Odile Jacob, 2000.
3. Cf. Gérard Dédéyan (dir.),
Les Arméniens. Histoire
d’une chrétienté
, Toulouse, Privat, 1990.
A
VS81-137-154 Page 137 Mardi, 25. octobre 2005 8:54 08
Vincent Duclert
138
grande Anatolie ou Arménie
1
, et sa quasi-
disparition de ce foyer originel
2
, constitue le
principal événement par lequel se transmet
aujourd’hui en Occident la connaissance de
la guerre en Orient
3
. Si les violences consi-
dérables exercées sur la communauté loyale
et fidèle « nation » de l’Empire (
Millet-i Sa-
dika
), dont le rôle avait été important pour
la libéralisation du régime ottoman aux deux
phases cruciales de 1876 et de 1908
4
, consti-
tuent un fait historique dont la matérialité
n’est contestée que par la marge la plus or-
thodoxe des historiens officiels turcs, en
revanche l’interprétation de cet événement –
l’intention et la réalisation collectives, poli-
tiques et étatiques, d’un crime de masse ca-
ractéristique d’un génocide moderne – fait
l’objet de contestations très violentes, der-
rière lesquelles agissent des enjeux natio-
naux et identitaires puissants.
L’État turc a conçu un système de dé-
négation du génocide servi par une historio-
graphie officielle. De fait, la Turquie mo-
derne risque de se poser là en héritière
directe de la dictature du gouvernement
jeune-turc de 1913. Du moins apparaît-elle
en situation de revendiquer le pire de ses hé-
ritages. La contradiction apparaît cependant
moins définitive si, d’une part, on considère
le processus de nationalisation de l’histoire
dès l’instauration de la République
5
et si,
d’autre part, on relève le principe de turcifi-
cation de l’espace, source d’une légitimité
absolue qui restreint la portée démocratique
de la citoyenneté kémaliste
6
. Il demeure
aujourd’hui quasiment impossible en Tur-
quie d’aller contre un discours d’État qui mo-
bilise historiens, intellectuels, syndicalistes,
etc. Le « tabou arménien » existe depuis
l’avènement du nouvel État en 1922, non pas
en raison de la volonté kémaliste de s’achar-
ner spécifiquement sur les Arméniens, mais
parce que toute menace sur l’intégrité de la
Turquie implique le recours à une idéologie
nationaliste indépassable.
Les communautés arméniennes sont mo-
bilisées pour obtenir la reconnaissance du
génocide perpétré par la dictature jeune-
turque à leur encontre. Le mur dressé par la
Turquie devant ce qu’elle nomme le
« prétendu génocide » et la radicalisation du
patriotisme arménien ont engendré dans les
années 1970 une phase de terrorisme,
aujourd’hui révolue
7
. La montée en puis-
sance de la judiciarisation des faits histo-
riques, particulièrement en France en ce qui
concerne le génocide perpétré contre les
juifs
8
, a dirigé le militantisme arménien vers
1. Les effectifs arméniens varient entre 1,2 million pour la
dernière estimation ottomane (1914) et 2,4 millions pour le
comptage du patriarcat d’Istanbul en 1912. L’historien britan-
nique Arnold Toynbee (
Les Massacres des Arméniens, 1915-
1916
, Paris, Payot, 1916) estime que la communauté armé-
nienne doit être comprise avant la guerre entre 1,6 million et
2 millions. Raymond Kévorkian et Paul Paboudjian ont ex-
ploité les statistiques du patriarcat arménien – contestées par
les autorités ottomanes et les historiens turcs – pour écrire
leur livre
Les Arméniens dans l’empire ottoman à la veille du
Génocide
, Paris, Éditions d’art et d’histoire, 1992.
2. L’effectif fourni par le premier recensement de la Répu-
blique fait état de 77 000 Arméniens résidant en Turquie en
1927. Le recensement de 1965 décompte 64 000 personnes
de religion arménienne, mais seulement 32 000 arméno-
phones (cf. Youssef Courbage et Philippe Fargues,
op. cit.
,
p. 222 et p. 226).
3. L’itinéraire de l’historien Yves Ternon illustre cette ob-
servation. Spécialiste du génocide des Arméniens depuis
1977, il a écrit en 2002 une histoire de l’Empire ottoman,
Empire ottoman. Le déclin, la chute, l’effacement
, Paris, Édi-
tions du Félin/Michel de Maulne, 2002.
4. C’est aussi le cas de la Perse. Cf. Anahide Ter Minas-
sian, « Le rôle des Arméniens du Caucase dans la révolution
constitutionnaliste de la Perse (1905-1912) »,
in
Raoul
Motika et Michel Ursinus (eds),
Causasia between the Ot-
toman Empire and Iran, 1555-1914
, Wiesbaden, Reichert
Verlag, 2000, p. 147-176.
5. Etienne Copeaux,
Espaces et temps de la nation turque.
Analyse d’une historiographie nationaliste, 1931-1993
,
Paris, CNRS Éditions, 1997.
6. Le crime de « séparatisme » a justifié aussi bien le coup
d’État militaire du 12 septembre 1980 que les nombreuses
condamnations d’intellectuels et de militants politiques
kurdes ou communistes. L’abolition de l’article 8 de la loi,
qui constitue l’une des pièces maîtresses de ce dispositif de
répression, est incluse dans la réforme du 19 juin 2003 visant
à démocratiser l’arsenal juridique turc. Cette avancée a été
récusée par le président de la République Ahmet Necdet
Sezer qui a usé de son droit de veto le 30 juin suivant.
7. Sur le terrorisme arménien, cf. Yves Ternon,
La cause
arménienne
, Paris, Le Seuil, 1983 et Armand Gaspard,
Le
combat arménien. Entre terrorisme et utopie
, Genève, L’Âge
d’Homme, 1984.
8. La loi dite Gayssot du 30 juin 1990 réprimant « ceux qui
auront contesté […] l’existence d’un ou plusieurs crimes
contre l’humanité », a montré qu’il était possible de légiférer
sur l’histoire, en pénalisant les actes de négationnisme du
génocide des juifs. Dans le même sens, les différents procès
visant des responsables de la Solution finale en France ont
établi le pouvoir de la justice en matière historique. Que
cela soit considéré comme un bien ou un mal n’enlève rien
au fait qu’il s’agit là d’une réalité incontournable.
VS81-137-154 Page 138 Mardi, 25. octobre 2005 8:54 08
Les historiens et la destruction des Arméniens
139
un combat sans relâche en faveur de la re-
connaissance du génocide. Beaucoup des
historiens des Arméniens participent active-
ment à cette quête de la qualification qui
correspond à des choix où se mêlent le droit,
la morale, la politique – lutte contre la néga-
tion du passé et volonté de restitution de
l’histoire à ceux qui en sont privés. Des tra-
vaux récents montrent cependant que la
voie de la recherche conserve un rôle dans
ce défi autant civique que scientifique, le lien
entre les deux termes forgeant une proposi-
tion éthique fondée sur le pouvoir du savoir.
QUESTIONS SUR UN GÉNOCIDE
La réalisation du premier des génocides
du 20
e
siècle amène à s’interroger sur sa sin-
gularité au regard de ceux qui l’ont suivi
1
.
Elle implique en même temps de com-
prendre le rôle de la guerre dans ce phéno-
mène historique et de participer à la rééva-
luation en cours du sens de la Grande
Guerre
2
. Pour les Arméniens, la tragédie re-
présentée par la destruction volontaire de
leur principale communauté a isolé l’événe-
ment du cours de leur longue histoire, ou
du moins l’a mise en question
3
. Pour les
Turcs qui ont conservé et nationalisé le
cœur de l’Empire ottoman après la défaite
de 1918, le fait du génocide, la spécificité
qui pourrait être accordée à la destruction
des Arméniens sont récusés par une propa-
gande d’État, au profit d’une situation de
guerre supposée installer une forme d’équi-
valence entre les violences, les massacres et
les souffrances. Par défaut de cette vérité
historique incontestée, fondement des pro-
cessus de libéralisation des États et d’accep-
tation du passé, si tragique soit-il, les repré-
sentants des communautés arméniennes et
de nombreux historiens qui s’y rattachent
poursuivent donc un combat visant à la re-
connaissance de la qualité de génocide de
la tragédie de 1915, au moyen d’une qualifi-
cation juridique que peuvent seuls décréter
des tribunaux souverains et des assemblées
internationales. L’histoire s’est parfois dé-
placée hors du terrain de la recherche. Il est
possible, sans faiblesse ni naïveté, d’envi-
sager qu’elle y demeure pourtant.
Au-delà de l’importance majeure que re-
vêtent la « Grande Catastrophe » et sa mé-
moire définitive pour les communautés ar-
méniennes désormais absentes de Turquie
(à l’exception d’Istanbul), regroupées pour
une part dans l’Arménie ex-soviétique et dis-
persées pour l’autre en Europe occidentale
et en Amérique du Nord
4
, au-delà de l’actua-
lité du conflit qui oppose une historiogra-
phie particulière au discours idéologique
d’un État-nation, des questions apparaissent
toujours décisives, mais semblent difficiles à
poser en raison d’une lourde conjoncture
politique, archivistique et scientifique. Elles
n’intéressent pas les seuls spécialistes de
l’Empire ottoman ou de l’histoire armé-
nienne ; elles convient à la réflexion les his-
toriens des génocides et de la violence, ceux
de l’État et des guerres, ceux du politique et
1. Il n’est pas possible de conclure que l’achèvement du
20
e
siècle a signifié la fin des génocides. Il paraît avéré qu’un
génocide se déroule en Tchétchénie. Cf. la mise au point
d’Yves Cohen sur ce sujet, « Intervenir dans la cité-monde »,
in
Vincent Duclert, Christophe Prochasson et Perrine Simon-
Nahum (dir.),
Il s’est passé quelque chose
, Paris, Denoël, coll.
« Médiations », 2003, p. 219-229.
2. Cf. Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker,
14-
18, retrouver la guerre
, Paris, Gallimard, 2000.
La politique
et la guerre. Pour comprendre le XX
e
siècle européen. Hom-
mage à Jean-Jacques Becker
, Paris, Éditions Agnès Viénot-
Noesis, 2002. Cf. également George L. Mosse,
De la Grande
Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés euro-
péennes
, préface de S. Audoin-Rouzeau, Paris, Hachette,
1999, ainsi que Aviel Roshwald et Richard Stites (dir.),
Euro-
pean Culture in the Great War. The Arts, Entertainment and
Propaganda, 1914-1918
, Cambridge, Cambridge University
Press, 1993, et John Horne et Alan Kramer,
German Atroci-
ties, 1914. A History of Denial
, New Haven/London, Yale
University Press, 2001 ; J.-J. Becker et S. Audoin-Rouzeau
sont les maîtres d’œuvre d’un
Dictionnaire critique de la
Grande Guerre
(Paris, Bayard, 2004) qui fait une place im-
portante à la connaissance des fronts turco-ottomans et de
la destruction des Arméniens.
3. Cf. Hrand Pasdermadjian,
Histoire de l’Arménie, depuis
les origines jusqu’au traité de Lausanne
[1949], nouvelle édi-
tion, Paris, Librairie orientale H. Samuelian, 1986 ; Gérard
Dédayan (dir.),
Histoire des Arméniens
, Toulouse, Privat,
1982, réédition 1996 ; Raymond H. Kévorkian et Jean-Pierre
Mahé (dir.),
Arménie. 3000 ans d’histoire
, Marseille, Maison
arménienne de la jeunesse et de la culture, 1998 ; Claire
Mouradian,
L’Arménie
, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? »,
2002 (3
e
édition).
4. Cf. Martine Hovanessian (dir.),
Les Arméniens et leur
territoire
, Paris, Autrement, coll. « Français d’ailleurs, Peu-
ples d’ici », 1995.
VS81-137-154 Page 139 Mardi, 25. octobre 2005 8:54 08
Vincent Duclert
140
des intellectuels, ceux des savoirs et de leur
place dans les engagements civiques. Une
première expérience de recherche nous a du
reste personnellement convaincu de la né-
cessité de poser en ces termes les interroga-
tions relatives à l’événement
1
.
La première guerre mondiale a-t-elle,
par la destruction des Arméniens d’Orient,
inauguré un processus génocidaire qu’on
pensait devoir seulement connaître pour la
seconde avec la destruction des juifs
d’Europe ? Quelle place et quelles inter-
prétations peuvent être données aux mas-
sacres à grande échelle qui ont eu lieu pré-
cédemment dans l’Empire en 1894-1896 et
en 1909 ? Peut-on faire l’histoire des faits
qui ont débuté le 24 avril 1915 à Istanbul
en dehors du cadre dressé par la qualifica-
tion juridique de 1945 ? Comment distin-
guer et définir au sein d’un processus qui
s’impose par sa massivité et son caractère
de tragédie absolue ? Comment se situer
dans l’affrontement qui oppose le travail
de qualification mené par les historiens du
génocide des Arméniens et l’entreprise de
contestation des autorités turques récusant
toute intention génocidaire ? Comment
penser le rôle des chercheurs dans cette
configuration publique, politique et idéo-
logique centrée sur l’interprétation d’un
événement historique ? Comment la re-
cherche historienne peut-t-elle devenir
une voie possible dans le processus de ré-
conciliation des Turcs et des Arméniens
adoptant un même principe démocatique ?
L’objet d’étude que constitue la destruc-
tion des Arméniens de l’Empire ottoman
croise objectivement de nombreux do-
maines de l’histoire contemporaine géné-
rale, relations internationales
2
, histoire de
l’État, histoire religieuse et sociale, histoire
politique et intellectuelle. Le développe-
ment du comparatisme sur les génocides
3
et le travail critique mené sur la Solution
finale
4
ont déterminé, dans le sillage de
travaux pionniers
5
, de nouvelles recherches
sur le cas arménien
6
, à l’image de celle que
dirigèrent deux historiens suisses en 2002
7
ou des travaux réunis par la
Revue d’his-
toire de la Shoah
dans un dossier spécial
8
.
La nouvelle historiographie de la première
1. Vincent Duclert et Gilles Pécout, « La mobilisation intel-
lectuelle face aux massacres d’Arménie (1894-1900) »,
in
André Gueslin et Dominique Kalifa (dir.),
Les exclus en Europe
1830-1930
, Paris, Éditions de l’Atelier, 1999, p. 323-344.
2. Ce croisement est illustré par le travail de la revue
Guerres mondiales et conflits contemporains
, et en son sein
de l’historien Jacques Thobie, lui-même spécialiste de l’Em-
pire ottoman (
Intérêts et impéralisme français dans l’Empire
ottoman, 1895-1914
, Paris, 1977). Cf. à paraître aux Publi-
cations de la Sorbonne, les mélanges en l’honneur de Jac-
ques Thobie.
3. Cf. Jean-Michel Chaumont,
La concurrence des vic-
times. Génocide, identité, reconnaissance
, Paris, La Dé-
couverte, coll. « Textes à l’appui », 1997.
4. Cf. Arno Mayer,
Why Did the Heavens not Darken ? The
« Final Solution » in History
[1988],
La « solution finale » dans
l’histoire
, traduction française, préface de Pierre Vidal-Na-
quet, Paris, La Découverte, coll. « Textes à l’appui », 1990.
5. Cf. Léo Kuper, « Le concept de génocide et son appli-
cation aux massacres des Arméniens en 1915-1916 par les
Turcs »,
in
Tribunal permanent des peuples, préface de
Pierre Vidal-Naquet,
Le crime de silence. Le génocide des Ar-
méniens,
Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1984, p. 313-
322 et Jean-Jacques Becker, « Génocide. Du bon usage d’un
mot »,
in
« Enquête sur la tragédie d’avril 1915. Le massacre
des Arméniens »,
L’Histoire
, 187, avril 1995, p. 38-39. Ce tra-
vail comparatiste a été mené aux États-Unis par Vahakn
N. Dadrian (« The Convergent Aspects of the Armenian and
Jewish Cases of Genocide. A Reinterpretation of the Con-
cept of Holocaust »,
Holocaust and Genocide Studies
, 2,
1988, p. 151-170), par
Richard Hovannisian, qui a dirigé
deux ouvrages importants (
The Armenian Genocide in pers-
pective
, New Brunswick, Transaction Publishers, 1986, et
The Armenian Genocide. History, Politics, Ethics
, New York,
St Martin’s Press, 1992) et par Robert Melson (
Revolution
and Genocide. On the Origins of the Armenian Genocide
and the Holocaust
, Chicago, University of Chicago Press,
1992 et « Problèmes soulevés par la comparaison arménien
et l’holocauste »,
in
« Actualité… »,
op. cit.
, p. 373-385). Cf.
également Yair Auron,
The Banality of Indifference. Zionism
and the Armenian Genocide
, Transaction Publishers, 2000,
les actes du colloque d’Erevan organisé par le Zoryan Insti-
tute,
Problems of Genocide
, Cambridge (MA) et Toronto,
1997 et le travail de Roger W. Smith, « Pouvoir étatique et in-
tentions génocidaires. Les usages du génocide au
XX
e
siècle »,
in
« Actualité… »,
op. cit.,
p. 387-396.
6. Tout en poursuivant ses recherches sur le génocide des
Arméniens, Yves Ternon a développé à partir de 1995 un
travail original autour des génocides et de l’État criminel. Cf.
L’État criminel. Les génocides au XX
e
siècle
, Paris, Le Seuil,
1995 ;
Du négationnisme. Mémoire et tabou
, Paris, Desclée
de Brouwer, 1999 ;
L’innocence des victimes. Au siècle des
génocides
, Paris, Desclée de Brouwer, 2000.
7. Hans-Lukas Kieser et Dominik J. Schaller Hrsg (dir.),
Der Völkermord an den Armeniern und die Shoah
, Zurich,
Chronos, 2002.
8. « Ailleurs, hier, autrement. Connaissance et reconnais-
sance du génocide arménien »,
Revue d’histoire de la Shoah
,
177-178, janvier-août 2003 (dossier coordonné par Georges
Bensoussan, Claire Mouradian et Yves Ternon, désormais
abrégé en « Ailleurs… »). Cf. en particulier Annette Becker,
« L’extermination des Arméniens entre dénonciation, indiffé-
rence et oubli, de 1915 aux années vingt »,
ibid.
, p. 295-312.
VS81-137-154 Page 140 Mardi, 25. octobre 2005 8:54 08
Les historiens et la destruction des Arméniens
141
guerre mondiale dirige d’autres historiens
vers ce sujet
1
. Elle n’est d’ailleurs pas indif-
férente à la problématique des usages poli-
tiques du passé, telle qu’elle a été définie
dans un ouvrage collectif conçu par Fran-
çois Hartog et Jacques Revel
2
. L’évolution
de l’historiographie de la Solution finale
contribue elle aussi à mieux intégrer le
génocide des Arméniens dans l’histoire
contemporaine. L’initiative de la
Revue
d’histoire de la Shoah
est tout à fait signifi-
cative de cette nouvelle histoire des géno-
cides qui privilégie l’historicisation des
faits plutôt que leur irréductibilité infran-
chissable
3
.
L’histoire turque, qui reste marquée par
l’œuvre essentielle de l’historien anglo-
américain Bernard Lewis
4, connaît elle aussi
des transformations importantes liées à
l’émergence de nouvelles dimensions, dont
la question kurde qui réinstruit le dossier
de l’identité politique et culturelle de l’État-
nation. Hamit Bozarslan, spécialiste de cette
histoire, a lui aussi contribué à la réflexion
sur la connaissance du génocide arménien
en publiant une importante enquête histo-
riographique et empirique 5. L’histoire ar-
ménienne s’oriente également vers des di-
rections de recherche capables de mieux
éclairer le processus de destruction et sa
place dans l’histoire des Arméniens au
20e siècle 6, dans celle de l’Europe et des
deux conflits mondiaux encore trop rare-
ment étudiés ensemble. Ce renforcement
de la recherche peut permettre une amorce
de rapprochement avec les historiens
turcs, ne serait-ce qu’en déterminant des
sujets d’enquête précis qui peuvent échap-
per au préalable paralysant du génocide et
de son déni. Devant le face-à-face entre
l’historiographie du génocide des Armé-
niens et le discours d’État en Turquie, il
reste possible de privilégier un travail mo-
nographique très précis multipliant les
types de regard et leur croisement, exploi-
tant tous les chantiers documentaires
accessibles, sans pour autant renoncer à
l’étude elle-même de ce face-à-face et de
ses mécanismes contemporains.
L’AFFRONTEMENT DES HISTORIOGRAPHIES
Deux manières de faire, et avec elles
deux conceptions du rapport au passé de
la première guerre mondiale, s’affrontent
1. Cf. S. Audoin-Rouzeau et al. (dir.), La Violence de
guerre 1914-1945, Bruxelles, Complexe, 2002. On remar-
quera néanmoins que le cas arménien n’a pas été retenu
pour la publication, à la différence de ceux des Tsiganes et
des juifs pour la seconde guerre mondiale (le colloque dont
le livre est issu comprenait une table ronde au cours de la-
quelle François Georgeon présenta une communication sur
le génocide arménien).
2. François Hartog et Jacques Revel (dir.), Les usages poli-
tiques du passé, Paris, Éditions de l’EHESS, 2001. Cf. notam-
ment, des deux concepteurs, « Note de conjoncture
historiographique », p. 13-24, et de Lucette Valensi, « Notes
sur deux histoires discordantes. Le cas des Arméniens pen-
dant la Première Guerre mondiale », p. 157-168.
3. Cf. également Raya Cohen, « Le génocide arménien
dans la mémoire collective juive », Cahiers du judaïsme, 3,
automne 1998, p. 112-122. L’écrivain juif allemand, né à
Prague, Franz Werfel est au cœur de ce processus de trans-
mission avec son roman Les Quarante jours du Musa Dagh,
conçu en mars 1929 au cours d’un séjour à Damas. « Le
spectacle désolant d’enfants de réfugiés qui travaillaient
dans une manufacture de tapis, mutilés et minés par la faim,
fut le point de départ qui décida l’auteur à ressusciter
l’inconcevable destinée du peuple arménien, déjà plongé
dans la nuit du passé. » (Avant-propos, trad. française, Paris,
Albin Michel, 1936, p. 9. Nouvelle édition, préface d’Élie
Wiesel, Paris, Livre de Poche, 1986 et 1990). Sur Franz
Werfel, cf. Peter Stephan Jungk, Franz Werfel. Une vie de
Prague à Hollywood, trad. française, Paris, Albin Michel,
1990. L’auteur y narre son propre voyage à Venise, sur l’île
San Lazzaro des méchitaristes, reconstituant l’itinéraire de
Franz Werfel afin de mieux comprendre la genèse de cette
œuvre majeure sur le génocide des Arméniens ( ibid.,
p. 186-188). Ce récit a été publié dans le dossier de la Revue
d’histoire de la Shoah (op. cit., p. 375-378).
4. Bernard Lewis, Islam et laïcité. La naissance de la Tur-
quie moderne, Paris, Fayard, 1988 (il s’agit de la traduction
de la réédition de 1968 de l’Oxford University Press et de la
Royal Institute of International Affairs). Sur la Turquie mo-
derne, cf. également, Paul Dumont, Mustafa Kemal invente
la Turquie moderne, Bruxelles, Complexe, 1983, et, avec
Jean-Louis Bacqué-Grammont (dir.), La Turquie et la France
à l’époque d’Atatürk, Paris, ADET, 1981 ; Serif Mardin, Reli-
gion and Social Change in Modern Turkey, Albany, New
York University Press, 1989 ; Ërik-Jan Zürcher, Türkey. A
Modern History, Londres & New York, I.B. Tauris, 1998, pré-
cédé de The unionist Factor. The role of the Committee
Union and Progress in the Turkish National Movement,
1905-1926, Leiden, E. J. Brill, 1984.
5. Hamit Bozarslan, « L’extermination des Arméniens et
des juifs. Quelques éléments de comparaison », in Hans-
Lukas Kieser et Dominik J. Schaller Hrsg (dir.), Der Völke-
rmord an den Armeniern und die Shoah, op. cit., p. 317-
345.
6. Cf. Anahide Ter Minassian, « Les Arméniens au
20e siècle », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 67, juillet-
septembre 2000, p. 135-150.
VS81-137-154 Page 141 Mardi, 25. octobre 2005 8:54 08
1 / 17 100%

enjeux les historiens et la destruction des arméniens

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !