Infirmière pivot en oncologie : une expertise au service des patients

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Bulletin Infirmier du Cancer Vol.16-n°3-2016
Rôle infirmier
Infirmière pivot en
oncologie : une
expertise au service
des patients
et des équipes
De quoi parle-t-on ?
L’infirmière pivot en oncologie (IPO) est une infir-
mière dédiée à la coordination du parcours de soins
des patients atteints de cancer. Par la nature même de
son cœur de tier et sa vision globale, lIPO a la capa-
cité d’analyser et d’intervenir au sein des différents
volets de la sphère biopsychosociale avec le patient
et ses proches. Son rôle est de répondre aux besoins
des patients atteints de cancer, de faciliter leur che-
minement et d’améliorer la continuité des soins. Le
but est de fluidifier la trajectoire de soins.
La littérature finit les caractéristiques nécessaires
dont doit faire preuve l’IPO, à savoir : des connais-
sances approfondies en oncologie (biopsychosociales),
une habileté en communication et en relation d’aide,
un certain leadership, une vision globale du patient,
une facili à travailler en équipe et en autonomie. LIPO
doit être accessible pour les patients et ses proches
ainsi que pour l’équipe pluridisciplinaire. Elle assure
le suivi clinique du patient tout au long de son par-
cours de soins, du diagnostic à la phase de traitement,
la rémission, la récidive jusqu’à la phase palliative.
Le contexte d’émergence
du poste
En poste depuis mars 2016, je suis IPO au sein du ser-
vice d’oncologie digestive du CHU de Rouen. La mise
en place de ce poste a été possible grâce à la volonté
pugnace de la Direction des soins infirmiers et de l’en-
cadrement et par le chef de service, le Pr Michel. Je
suis à temps plein et mon temps de travail est partagé
entre deux activités : activité clinique à 50 % et acti-
vité liée à la recherche à 30 %. Un temps de coordi-
nation des IPO est prévu à 20 %.
La création de ce poste a fait suite à l’obtention du
Master 2 en sciences cliniques infirmières, spécialité
cancérologie, obtenu après deux années de formation
universitaires dispensées par l’École des hautes études
en santé publique (EHESP) et par l’université d’Aix-
Marseille. Je suis donc infirmière en pratique avancée
(IPA). Le Conseil international des infirmières définit
en 2008 l’IPA comme étant « une infirmière diplômée
d’État ou certifiée qui a acquis les connaissances
Hélène Magnier
Infirmière praticienne spécialisée
Infirmière pivot en oncologie digestive
CHU de Rouen
Unité Est - Direction des Soins
1, rue de Germont, 76000 Rouen, France
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théoriques, le savoir-faire nécessaire aux prises de
cisions complexes, de me que les compétences cli-
niques indispensables à la pratique avancée de son
tier, pratique avancée dont les caractéristiques sont
déterminées par le contexte dans lequel l’infirmière
sera autorisée à exercer. Un master est recommandé
comme diplôme d’entrée
Ainsi une IPA a acquis des compétences supplémen-
taires notamment en clinique et en recherche. Ces nou-
velles compétences pourront permettre la réalisation
d'activités rogatoires jusqu’alors réservées au
domaine médical.
Une IPO, nommée parfois infirmière clinicienne, est
une IDE (infirmière diplômée d’État) qui a acquis de
nouvelles connaissances mais dont le champ de com-
pétences est celui de l’IDE de tier « socle ».
Actuellement, en attendant les crets d’application de
la Loi de santé, j’occupe des fonctions d’IPA dans les
champs de comtences de l’IDE, d’où ce poste d’IPO.
Lobjectif pour létablissement dimplanter des infirmres
en pratique avancée (IPA) est, notamment, de pondre
aux recommandations du 3ePlan cancer, d’augmenter
l’efficience dans la trajectoire de soins, de fluidifier le
parcours du patient tout en garantissant un haut niveau
de qualité des soins. Aussi le positionnement de ces IPA
a un double enjeu : favoriser la continuité des soins
notamment dans le cadre du virage ambulatoire et faire
preuve dinnovation dans la prise en charge des patients.
L’augmentation de la prévalence des cancers de 50 %
d’ici 2050, les progrès thérapeutiques, l’amélioration
du pronostic de certains cancers (notamment le can-
cer colorectal) et l’augmentation de l’espérance de vie
sont autant d’arguments qui incitent à fléchir sur l’or-
ganisation de l’offre de soins pour ces patients de plus
en plus complexes.
En effet, les stragies trapeutiques se complexifient,
les prises en charge sont multidisciplinaires et souvent
sur plusieurs établissements. Ces parcours de plus en
plus complexes nécessitent qu’ils soient coordonnés
et expliqués aux patients.
Mes activités sont de deux ordres : activités cliniques
et volet recherche.
La clinique
Les activités cliniques se traduisent par la réalisation
de consultations d’annonces infirmières, de séances
d’éducation thérapeutique (ETP), de consultations,
de prise en charge des sorties des patients, de coor-
dination des soins de support ainsi que de suivi des
patients à leur retour au domicile.
La consultation d’annonce
infirmière
La cation de ce poste déd a permis d’en augmenter
le nombre. Les patients devant en bénéficier (pre-
mière fois ou récidive) me sont signalés par les col-
gues infirmières de la cellule parcours patient (CPP)
qui programment les traitements et un rendez-vous
est alors fixé avec le patient selon ses disponibilités.
Il m’est également possible de recenser les patients
qui doivent en bénéficier en assistant aux réunions
de concertation pluridisciplinaires (RCP) au tout début
de leur prise en charge.
Lors de la consultation d’annonce infirmière, les vul-
nérabilités psychosociales des patients et de leur(s)
aidant(s) sont détectées. Le recours aux soins de sup-
port est alors organisé et coordonné suivant les
besoins des patients.
L’ETP
Le service a conceptualisé et mis en œuvre deux pro-
grammes d’ETP dans le cadre d’un appel à projet de
l’Institut national du cancer (INCa) et répondant à des
problématiques de san territoriales. Le premier
concerne les patients atteints d’un cancer de l’œso-
phage non métastatique et a pour but de limiter les
conséquences thérapeutiques et nutritionnelles des
traitements. Le second concerne les patients bénéfi-
ciant d’un traitement anticancéreux oral. Fore à
l’ETP, j’ai participé à la réflexion et à la rédaction de
ces deux programmes autoris par notre agence
régionale de san(ARS) et les mets en œuvre avec
l’ensemble de l’équipe multidisciplinaire.
Le suivi clinique
Formée à lexamen clinique et gce à mes neuf
années d’expérience en oncologie il m’est possible
de réaliser des évaluations cliniques pour apprécier
la tolérance aux traitements anticancéreux. Ces éva-
luations faites au lit du patient ou par téphone
lorsque les patients sont au domicile découlent
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parfois sur la mise en place de mesures correctives
(mesures hygiéno-diététiques, mise en place de soins
de support, discussion avec les médecins oncologues
pour mise en route de traitement et surveillance de leur
efficacité, etc.). Ce suivi permet d’anticiper les pro-
blèmes des patients dans l’objectif d’éviter le passage
aux urgences. Ce poste d’IPO permet de coordonner,
évaluer et réajuster la prise en charge de la pathologie.
Un des points essentiels, à mon sens, est la commu-
nication et les échanges très faciles avec les médecins
ce qui permet d’être très réactif dans l’adaptation de
la prise en charge.
Les patients bénéficient également d’un suivi télé-
phonique assu par une IDE (call center). Nous
sommes installés dans leme bureau. Aussi les
échanges sont facilités et très rapides. La résolution
des problèmes présentés par les patients et/ou leurs
aidants en est d’autant plus efficace.
Une place importante est donnée aux professionnels
de ville. Les contacts sont très faciles avec les méde-
cins traitants, les infirmiers libéraux, les pharmaciens,
les laboratoires de ville, etc., qui identifient l’IPO
comme professionnelle ressource. Ce maillage des
professionnels hospitaliers et de ville, autour du
patient, facilitent le parcours de soins et favorisent la
continuité des soins.
La prise en charge des patients traités pour un cancer
est de plus en plus orientée en dehors des murs de
l’hôpital, réduisant les durées de séjour. Les patients
viennent donc en pital de jour (HDJ) pour leurs
soins et repartent dès que possible au domicile. Ils
passent donc de moins en moins de temps à l’hôpi-
tal, et pour mes collègues IDE, les soins s’enchaînent.
Mon objectif est donc de poursuivre leur prise en
charge en ayant la possibilité de passer du temps avec
les patients.
Mon poste d’IPO consiste également à organiser et à
coordonner la sortie des patients qui retournent au
domicile avec les professionnels de ville. Il s’agit ainsi
de mettre en place les soins nécessaires via les infir-
miers libéraux et les sociétés prestataires de sanà
domicile. Une fois la sortie organisée et le patient
retourné au domicile, mon rôle est d’assurer un suivi
et d’anticiper éventuellement les problèmes.
Également bien identifiée par les prestataires de santé
à domicile, les relations sont faciles et efficaces.
Au sein du service, j’ai la chance d’avoir d’excellentes
relations avec mes colgues, l’encadrement et les
médecins ce qui permet détablir une relation de
confiance indispensable au bon fonctionnement de
ce poste. Disponible et située au sein du service, il
m’est possible d’intervenir très rapidement dès que
je suis sollicitée. Mes interventions aups des patients
sont donc déclences directement par mes colgues,
l’encadrement de proximité, les decins, la CPP, l’in-
firmière du call center, un autre service, les soins de
support, les professionnels de ville, etc.
Soutenue par la Direction des soins infirmiers (DSI),
des missions transversales m’ont été attribuées. En
effet je suis également coordinatrice des IPO en poste
dans d’autres secteurs d’oncologie et je suis impli-
quée dans des missions de la Fédération de cancéro-
logie du CHU de Rouen (implantation des IPO, mise
en place des IPA, coopération internationale, réac-
tualisation des procédures et des protocoles existants,
réflexion autour du parcours de formation des IDE
en cancérologie, etc.).
J’ai également une mission de formation et d’ensei-
gnement auprès de mes collègues IDE au CHU autour
de la manipulation de la chambre implantable et
aups des étudiants en soins infirmiers en ce qui
concerne la recherche en soins et la consultation d’an-
nonce paramédicale.
La recherche
La recherche est un levier pour le renforcement de la
professionnalisation et pour l’émergence d’une nou-
velle identiprofessionnelle. Elle permet la construc-
tion de savoirs et de connaissances utilisables pour
les prises de décisions des IDE, le veloppement des
pratiques professionnelles et incite les IDE à ne plus
baser uniquement leurs connaissances que sur le
savoir expérimental. Enfin, pour le patient, il s’agit de
lui fournir des soins de haute qualité tout en respec-
tant ses choix.
La recherche est un moyen pour valoriser la profes-
sion infirmière qui ane chaque professionnel à
adopter une pratique réflexive, à se fédérer autour
d’un questionnement.
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Au CHU de Rouen, la recherche paramédicale est très
largement soutenue par la DSI et par la Direction de
la recherche clinique et de l’innovation. Pour mener
à bien ce projet, un soutien a été apporté par la coor-
dinatrice de la recherche paramédicale.
L’implication des IDE dans la recherche est une vraie
innovation et un el tremplin pour notre profession.
J’ai ainsi la possibilité d’avoir des activités liées à la
recherche.
Formée à l’Evidence Based Nursing (EBN), je cherche
à introduire les données probantes (données issues
de la recherche) dans la pratique clinique au quoti-
dien. Cela se traduit, notamment, par la mise en place
d’une fiche d’évaluation clinique que nous utilisons
et qui permet de « graduer » les chimio-toxicis
(grades Organisation mondiale de la santé [OMS]).
Lors de l’accueil du patient, la tolérance au traitement
est évaluée pour chaque effet secondaire spécifique
du protocole. Chaque symptôme présent est coté en
grade OMS.
Ainsi les IDE et les médecins parlent le même
langage.
velopper les connaissances de la profession au tra-
vers de la recherche s’exprime, notamment, par la
mise en œuvre de PHRIP (Programme hospitalier de
recherche infirmière et paradicale). Une étude,
dont je suis la responsable scientifique, débutera à
l’automne. Cette étude aura pour objectif d’évaluer le
suivi d’une IPA pour les patients atteints de cancer
digestif, versus une prise en charge médicale.
Afin de maintenir une haute qualité de soins dans le
service par la réactualisation des connaissances de
chaque collègue (les plus anciennes comme les plus
jeunes), nous organisons conjointement avec la cadre
de santé, des temps d’information sur des probléma-
tiques pertinentes au regard de la prise en charge des
patients en oncologie digestive. Les sujets sont variés
comme, par exemple, quelle prise en charge pour les
patients au domicile ? Ou encore quelles solutions
pour remédier à l’alopécie ? Il y a également des temps
d’information avec les laboratoires pharmaceutiques
afin de réactualiser les connaissances autour des mo-
cules de chimiothérapie. Ces temps conviviaux sont
à destination des collègues soignants (IDE et aides-
soignants [AS]) mais aussi des internes. Mon objectif
est aussi de réaliser une veille bibliographique sur des
problématiques rencontrées par les patients et par les
soignants afin d’intégrer le plus vite possible ces don-
nées dans la pratique au quotidien.
Une autre activité liée à la recherche est la réponse
aux appels à projet et aux manifestations profession-
nelles (congrès, journée francophone de la recherche
en soins, joures professionnelles HDJ d’oncolo-
gie/hématologie, etc.).
L’IPO a un rôle très intéressant. Elle travaille en col-
laboration et réunit tous les intervenants autour d’un
plan de soins interdisciplinaire. Elle lie de forts liens
de confiance avec les patients, les aidants et l’en-
semble de l’équipe. Elle a un le cdans l’évalua-
tion des besoins du patient et de ses aidants et dans
le soutien apporté en ayant des interventions ciblées.
Cette fonction est un moyen de mettre à disposition
des patients, des équipes et de l’établissement dans
lequel je travaille les compétences acquises au fil de
mon expérience et de mes formations.
Liens d’intérêts : Interventions et essai clinique en
rapport avec l'article.
Bibliographie
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