Éditorial ● MARKETING ET POLITIQUE, Y A-T-IL VÉRITABLEMENT RAPPROCHEMENT ? À l’heure où la campagne pour les élections présidentielles bat son plein en France, le lien entre marketing et politique suscite de nombreuses réflexions outre Manche et outre Atlantique. Ce n’est pas nouveau et des écrits ont, de longue date, été consacrés au sujet dans le monde anglo-saxon. Récemment, plusieurs publications ont cherché à faire le point sur la question (1-3) dont l’une adresse au lecteur intéressé une promesse qui ne le laissera pas insensible : « winning elections with political marketing » ! En France, la communauté académique du marketing écrit peu sur le sujet, alors que, pour leur part, certains politologues soulignent combien les méthodes du marketing influencent candidats, militants et électeurs. Si l’actualité nous incite à nous pencher sur la question, les liens entre politique et marketing ne sont pas nouveaux. Les candidats font appel à la publicité et, depuis longtemps, d’aucuns analysent les campagnes électorales avec les outils de la sémiotique et du média-planning. Par ailleurs, les sondages politiques sont fondés sur des méthodes très proches de celles des études de marché... à moins que ce ne soit l’inverse. Assister à un meeting politique est un moment incontestablement expérientiel par nature, que l’on pourrait analyser avec les outils que chercheurs et praticiens du marketing emploient pour décrypter un match de football ou un spectacle. Offrir des réductions aux nouveaux adhérents à un parti avant une certaine date évoque indubitablement les techniques de promotion des ventes. Les annonces de candidature peuvent, elles-mêmes, s’interpréter au regard des stratégies de lancement. Et l’on pourrait utiliser les méthodes du géomarketing pour étudier la localisation des permanences des partis. Plus encore, les blogs et autres outils de la « démocratie participative » font penser au marketing relationnel et au « one-to-one » par lesquels les candidats tenteraient de limiter les intermédiaires entre eux-mêmes et les électeurs, pour construire une relation qui ne soit plus seulement unilatérale et favoriser dialogue et... fidélité. Les parallèles sont donc nombreux et faciles. Mais sont-ils toujours pertinents ? À notre sens, les spécialistes du marketing peuvent contribuer de plusieurs manières au débat public et à la réflexion sur les pratiques politiques et leur rapprochement supposé avec le marketing. D’abord, notre rôle peut être, nous semble-t-il, de mettre en évidence les limites des comparaisons de pratiques entre les deux univers. Par exemple, les primaires visant à désigner les candidats peuvent-elles être sérieusement comparées à des pré-tests, en tenant compte de leur caractère public et des différences profondes entre la population des militants et celle des électeurs ? Alors qu’un rejet de la politique se répand dans certaines tranches de l’opinion, parfois les mêmes qui rejettent le marketing, il convient de questionner soigneusement les parallèles faciles comme ceux énoncés ci-dessus et de voir dans quelle mesure la démarche de campagne électorale se rapproche réellement d’une démarche de conquête des clients. Sur le plan méthodologique ensuite, pour éviter les amalgames et les critiques, le rôle des professionnels du marketing – qui réfléchissent depuis des années aux méthodologies et à leurs limites – doit être d’informer et de mettre en garde les spécialistes de la politique pour que l’usage qui serait fait de certaines techniques tiennent compte de leurs biais, risques et limites. Décisions Marketing No 45 Janvier-Mars 2007 – 5 ● Éditorial Au plan de la pratique, enfin, il conviendrait d’analyser les outils du marketing politique, depuis les sondages jusqu’à la publicité ou au prix de l’adhésion, pour analyser en quoi les réflexions que nous menons depuis de nombreuses années peuvent favoriser des décisions politiques opérationnelles. Et c’est très volontairement que nous n’abordons pas ici les questions plus stratégiques de ciblage et de positionnement, à nos yeux les plus discutables dans le parallèle entre démocratie et consommation. Il nous semble que ces questions pourraient trouver leur place dans Décisions Marketing et vous invitons donc, en ces temps d’actualité politique intense, à nous soumettre des articles sur ces sujets. Delphine Manceau et Jean-François Trinquecoste Références (1) Davies Ph. et Bruce I. (ed) (2006), Winning elections with political marketing, The Haworth Press, Washington. (2) Niven D. (2006), Political marketing : a comparative perspective, Choice, 43, 5. (3) Walter W. Jr. et Lees-Marshment J. (2005), Current issues in political marketing, Best Businness Books, Portland. ■ 6 – Décisions Marketing No 45 Janvier-Mars 2007