Territoires : accepter 7 principes du marketing Source : THEBAUD Marc, Blog « Attention, il va communiquer »,20/02/2012 Lien : ici Le marketing territorial est un dérivé direct du marketing commercial et, à ce titre, il convient de le connaître un tant soit peu. Ne serait-ce que pour comprendre qu’il ne se résume à préconiser la création d’une marque. Une chance, le marketing est riche de réflexions, de théories, d’ouvrages et d’articles. Ainsi, ce recul important et cette abondante littérature permet de tirer, pour les besoins des territoires, quelques principes fondamentaux. Un avertissement cependant : un choc culturel est à prévoir. Nous ne sommes plus au pays idéal de la démocratie participative ou de l’intérêt général, nous sommes dans le monde du commerce. On est donc prié de laisser sa sensibilité à l’entrée et de revêtir casque lourd et gilet pare-balles car la bataille va être féroce ! Communicants publics, vous voulez vous frotter au marketing ? Soit ! Mais prenez garde, les principes de cette discipline sont aussi efficaces que froids. Ils sont aussi nécessaires – que bruts, voire brutaux – à respecter s’il l’on veut vraiment être dans la logique du marketing. Denys Lamarzelle écrivait, dans un article publié dans le n°6 (juin 2003) de La revue du Trésor et intitulé L’émergence du marketing stratégique composante nouvelle de la démocratie territoriale : « … de nombreux décideurs publics, qui se préoccupent de mettre en place des stratégies d’écoute sociale, utilisent le marketing sans s’en rendre compte. Il est vrai que le terme “marketing” dérange tant il est associé aux logiques commerciales de l’entreprise privée, logiques qui furent aussi perçues comme manipulatrices … ». Je le répète, je suis conscient que les principes du marketing traditionnel peuvent être considérés comme choquants pour le monde public. Mais, parfois, l’électrochoc est, peut-être, un bon moyen de sortir de nos vieux cadres de références. Dura lex, sed lex diraient les juristes. Voici donc 7 principes à respecter. Ils sont largement (et librement) inspirés de l’ouvrage de deux conseillers américains en marketing, Al Ries et Jack Trout (Les 22 lois du marketing, Dunod). 1 – Il vaut mieux être le premier que le meilleur. « Dans chaque catégorie, la marque leader est presque invariablement la première à s’être imposée dans l’esprit des consommateurs ». Une nuance est apportée cependant, une condition plutôt, celle d’arriver au bon moment, dans le bon tempo, ni trop tôt, ni trop tard. Il convient également d’arriver avec de bonnes idées, on s’en doute. Cette règle du primo occupant se vérifie en listant les marques qui sont devenues des noms génériques de Aradel, JB 1/6 produits : Kleenex, Frigidaire, Bic, Scotch, etc. D’après les auteurs, elle se vérifie également en comparant la liste d’arrivée de marques sur un créneau avec celle du classement de leur part de marché, l’ordre y est bien souvent le même. Et elle se prouve, enfin, en vous demandant de faire l’exercice de lister certains deuxièmes à avoir, par exemple : marché sur la Lune, traverser l’Atlantique en avion, mis une souris à son clavier d’ordinateur, lancé une marque territoriale après le Grand Lyon et son anagramme génial “Only Lyon” … Cette règle demande donc aux territoires d’accélérer leurs raisonnements et le peaufinage de leurs offres pour, surtout, se positionner plus vite que leurs concurrents, non pas dans la précipitation, mais bien en ayant anticipé, plus vite que les autres, les nouvelles attentes. Comme le déclare Philip Kotler (Les clés du marketing, éditions Village mondial) : « … à mesure que les fabricants ajoutent de nouvelles caractéristiques à leurs ordinateurs, leurs appareils photos et leurs téléphones portables (que les consommateurs ne connaissaient sans doute pas et n’avaient pas réclamées), les acheteurs se forment une meilleure idée de ce qu’ils veulent. Ces entreprises (les fabricants) ne se contentent pas d’être à l’écoute du marché (c’est-à-dire des besoins des consommateurs), elles l’entraînent (par l’innovation). En ce sens, il s’agit moins de satisfaire plus vite que la concurrence les besoins du client que d’être le premier à les définir… ». L’anticipation étant une clef parfois délicate à manier. La blague qui tourne beaucoup dans les écoles de commerce résume parfaitement ces difficultés à comprendre et à prévoir : un fabricant de chaussures décide de se lancer sur le marché de l’Afrique noire. Pour étudier les potentialités, il envoie un premier expert, spécialiste des études de comportements. Celui-ci revient quelques temps plus tard avec un avis très négatif car il a constaté que tout le monde marchait pied nus. Les chaussures seraient donc a priori un produit inutile qui n’intéresserait personne. Décidé à parfaire l’enquête, le fabricant dépêche un second expert, son meilleur vendeur cette fois-ci. Après quelques jours, l’enquêteur revient plein d’enthousiasme : puisque tous les Africains marchent pieds nus, il y a un marché gigantesque à prendre ! 2 – Si vous n’êtes pas le premier, créez une nouvelle catégorie dans laquelle vous le serez. « On peut donc faire un leader d’un second en lui créant une nouvelle catégorie […] Oubliez la marque. Pensez en termes de catégories » recommandent les auteurs. L’avantage semble certain et l’argument imparable : en vous créant votre propre catégorie, non seulement vous y serez le premier mais surtout, vous y serez, au moins pour un certain laps de temps, sans concurrence. Le tout, sous réserve de la pertinence de la catégorie et de la crédibilité de votre marque pour la personnifier. Un travail sur l’identité du territoire semble donc, ici, relativement incontournable pour fonder ce travail sur votre réalité. En 1991, Issy-les-Moulineaux avait la possibilité de créer un festival de cinéma. Mais il y en a tellement en France ! Il fallait donc éviter de saturer cette catégorie d’évènements en recherchant ce qui n’existait pas encore. Pour aller vers des créneaux libres, elle aurait pu organiser, par exemple, le 1er festival Français du film Bulgare, noir et blanc, muet, et de moins de 52 minutes. Le créneau était tout à fait libre. La ville a préféré à l’époque lancer le Festival International de Météo d’Issy-les-Moulineaux, qui mettait à l’honneur les présentateurs météo du monde entier. Créneau libre, thème légèrement loufoque mais en Aradel, JB 2/6 lien avec l’image, à l’époque, de la ville et de son Maire, comme de son souhait d’avoir un événement tourné vers les media : le choix a été rapide ! Principe corollaire, on ne peut pas être deux sur un même créneau. Impossible, de nos jours, d’être une collectivité “surdouée” sans prendre le risque d’accusation de plagiat de la part de Montpellier. Impossible de lancer un festival de bandes dessinées sans subir la comparaison avec celui d’Angoulême. Ceci, bien sur, ne veut pas dire que Montpellier soit vraiment surdouée ou que le festival d’Angoulême ne puisse pas vivre ailleurs, avec un modèle plus performant et une organisation radicalement différente. Ici, une pensée paur les différents territoires « Made in … » : 3 – Ce qui compte, c’est la place que l’on occupe dans l’esprit des cibles. Venant nuancer la toute première loi posée, les auteurs précisent que « [cette nouvelle loi] découle de la loi de la perception. Si le marketing est une bataille de perception et non de produits, la conquête des esprits prévaut sur celle du marché […] Pourquoi ? Parce que nous détestons changer d’avis ». A partir de là, on doit adapter sa stratégie à la place occupée dans cette “échelle mentale” de nos cibles. Et principalement, assumer son rang avec courage et réalisme, surtout si on n’est pas le premier. Prenons un exemple : Saint-Étienne Métropole était présente à l’édition 2004 du MIPIM (marché international des professionnels de l’immobilier à Cannes). De manière délibérée et négociée, elle était proche des stands de Lyon et de Grenoble. Quel slogan choisir dans de telles conditions, sachant, qui plus est, que l’anglais est quasiment la langue officielle de ce salon ? Parler d’une “grande métropole”, voire de la “2ème ville de Rhône-Alpes” ? Face à Lyon et Grenoble, l’argument risquait d’être peu convaincant. Pourtant, d’un point de vue simplement arithmétique, la ville de Saint-Etienne compte plus d’habitants que celle de Grenoble (175 000 pour Saint-Etienne contre seulement 157 000 pour Grenoble) et les deux métropoles sont équivalentes (385 000 habitants pour Saint-Etienne Métropole et 404 000 pour l’agglomération de Grenoble). Néanmoins cette vérité comptable n’était pas, après tests, crédible aux yeux des cibles visées, Grenoble ayant l’image du deuxième territoire de Rhône-Alpes. De plus, le simple fait d’être présent dans ce salon doit être considéré comme le signe d’une certaine “grandeur”, les “petits” n’étant pas exposants. Tout miser sur le design, positionnement que Saint-Etienne avait choisi depuis sa première biennale internationale de Design en 1998 et son projet de création d’une Cité du Design (ouverte depuis septembre 2009) ? C’était un peu tôt. L’agglomération n’avait en 2004 que des projets à montrer et, qui plus est, les mêmes que ceux qui furent présentés au précédent salon. Après différents débats et différents temps de recherche, il a été décidé d’opter pour l’illustration de ce qui semblait le plus crédible pour l’externe, à savoir le mouvement. En effet, les quelques sondages effectués dans les milieux de l’immobilier (le public cible du MIPIM) laissaient apparaître la reconnaissance d’un territoire en mouvement, qui bougeait dans le sens d’un développement exogène. De plus, un territoire qui semblait, en 2004, Aradel, JB 3/6 bouger plus que Lyon ou que Grenoble. Le choix s’est porté sur la signature « Be where it’s at », expression purement anglophone signifiant « Soyez là où ça se passe ». Le stand a alors pris la forme d’un bar branché, d’un bar où il faut être, car c’est là que ça se passe ! Évidemment, la décoration du bar était totalement “design”. En somme, de manière sousjacente, les responsables stéphanois reconnaissaient qu’il y avait encore du chemin à parcourir pour trouver une aura équivalente à ses concurrents, mais ils promettaient que le territoire se donnait, plus que d’autres, les moyens d’y parvenir. On aura compris, ici, tout l’intérêt pour les territoires d’avoir pris le temps d’analyser la perception, par leurs cibles, de leur réalité. Pour compléter l’information, il peut être utile de lire une enquête québécoise de janvier 2012, réalisée par Léger-Marketing Les affaires, qui s’intéresse tous les ans aux “sociétés les plus admirées des Québécois”. Il est dit, par un des commentateurs : « Il me semble que la présence dans nos vies et dans le paysage médiatique des entreprises constitue un puissant déterminant de la place qu’elles occupent dans le classement » ; et aussi : « Les grandes gagnantes sont les entreprises qui sont le plus présentes dans nos vies ou dans notre inconscient ». CQFD ! 4 - On peut être second, si on s’adapte au leader. « On peut classer les clients d’un produit donné en deux catégories : ceux qui tiennent à acheter la marque leader et ceux qui ne veulent surtout pas acheter la marque leader […] En d’autres termes, quand vous vous positionnez comme l’anti-leader, vous enlevez des clients à tous les autres candidats […] des foules de numéro deux potentiels s’acharnent à imiter le leader.ils ont le plus souvent tort. Mieux vaut se présenter comme l’alternative au leader ». Les auteurs citent, pour illustrer leurs propos, de nombreux exemples, dont celui de la bière allemande Beck qui souhaitait s’implanter aux USA. Elle avait face à elle Heineken, à l’époque la première bière importée aux USA. Pour se positionner et se démarquer, elle lança cette campagne : « Vous avez essayé la bière allemande que préfère les Américains, goûtez maintenant la bière allemande que préfèrent les Allemands ». Donc, en marketing, le mimétisme ne paie pas, il convient plutôt de rechercher le contraste maximum. Et puis, peut aussi transformer ses défauts en vertus. « … Quoi de plus désarmant que la candeur … Tout jugement négatif que vous portez sur vous-même est immédiatement perçu comme vrai. En revanche, les affirmations positives ne sont acceptées que sous réserves – surtout lorsqu’elles sortent de la bouche d’un publicitaire ». Une condition : le point négatif qui sera mis en avant doit être absolument perçu comme tel. C’est en recueillant l’assentiment immédiat, en allant chercher la perception des cibles là où elle vous ont classé, avec vos qualités et vos défauts, que vous réussirez. Vous devez vous fonder sur une évidence, pas sur une confession. Quand André Santini, député-maire d’Issy-les-Moulineaux, parlait d’ « Issy-les-Moules » aux rédactrices du groupe Marie-Claire qui quittaient la place de la Concorde pour s’implanter dans sa ville, il ne faisait que reconnaître le bien fondé de leurs craintes et, par la suite, il pouvait passer au développement d’autres arguments, alors Aradel, JB 4/6 parfaitement audibles pour ces journalistes car ils étaient rendus crédibles par l’élan de sincérité de départ. 5 – Le marketing n’est pas une bataille de produits, mais une bataille de perceptions. Pour les auteurs, contrairement au sport, dans le marketing, le meilleur ne gagne pas toujours. Voire il ne gagne jamais. « La plupart des erreurs de marketing découlent de la supposition que la bataille se livre entre des produits, sur le terrain d’une réalité objective […] Ce n’est qu’en étudiant la manière dont les perceptions se forment dans l’esprit et en concentrant votre programme de marketing sur ces perceptions que vous pourrez déjouer cette conception apparemment logique, mais de fait fausse […] La mission du marketing est de “faire avec” ces perceptions, et d’en tirer parti ». Pour tenter de s’imposer dans l’esprit de ses cibles, des pistes peuvent être suivies. Par exemple, celle de tenter de s’approprier un mot : ketchup pour Heinz, photocopieur pour Xérox, PC (personnal computer) pour IBM, souris pour Apple, … Bien sûr, deux marques ne peuvent prétendre au même mot. Ici, on vous renvoie vers la loi n°2 en regrettant que les nombreux territoires qui se sont autoproclamés, en même temps « Carrefour de l’Europe », « Ville à la campagne » ou « Capitale de l’innovation » ne l’aient pas lue plus tôt. Il convient donc, ici, puisque le travail sur l’identité aura été fait (voir principe n°2) ainsi que celui sur la perception, donc l’image (voir principe n°3) de ne plus jamais confondre les deux concepts. Redisons-le, l’image n’est que la perception de ce que l’identité donne à voir d’elle-même. 6 – Pour gagner, il faut se fixer des limites. Pour réussir, il convient de se fixer des limites et de réduire ses ambitions, de ne courir qu’un lièvre à la fois, et encore, un type particulier de lièvre. En termes marketing, il s’agit de renoncer à « l’incoercible tentation d étendre sa gamme » et donc de renoncer à succomber à 3 tentations : « la multiplication des produits, l’extension de la cible et le renouvellement stratégique continu ». Dit autrement, il est inutile de vouloir plaire à tous, car c’est prendre le risque de ne plaire à personne. Lorsque des produits ciblent, visiblement, des “niches” (qu’il s’agisse de vêtements, de voitures ou d’alimentation), les marques visent en réalité un marché bien plus large. Viser les jeunes, c’est à coup sûr voir des “vieux” qui, se disant encore jeunes, vont adopter le produit. Viser le luxe, ce n’est pas réserver ses produits aux quelques fortunés capables de les posséder, c’est offrir à tous les autres la possibilité de s’identifier aux membres de ce cercle restreint mais ô combien attirant. Une niche n’est pas un marché, les deux idées ne sont pas à confondre. Pour les territoires, un choix clair de positionnement sera donc à effectuer en ayant conscience d’un renoncement nécessaire : celui de ne pouvoir être sur tous les créneaux. Ce qui n’est jamais aisé. Sachant que ce ne sera pas le seul deuil à faire. 7 – Le projet doit reposer sur des tendances et non sur des modes. Se donner du temps, voici l’essentiel en marketing, alors que la communication, parfois, semble ne viser que le court terme. Cela suppose que le projet s’inscrive dans une certaine Aradel, JB 5/6 durée. Des succès à court terme peuvent devenir des échecs à long terme. On pressent bien ici l’aspect indispensable des études de marché, en tous les cas, l’analyse experte des besoins et des motivations de vos cibles. Pour autant, il ne s’agit pas de jouer aux extralucides, il est impossible de prédire, à long terme le comportement d’un marché. Il ne s’agit donc pas de savoir à coup sûr ce dont demain sera fait, il s’agit de se préparer au fait que demain sera différent d’aujourd’hui. Issy-les-Moulineaux s’appropriant les NTIC dès 1995, c’était le constat que le mouvement allait devenir irréversible et que, d’un point de vue strictement économique et toute chose étant égale par ailleurs, le choix d’une implantation dépendrait des infrastructures en télécommunications existantes ou émergeantes dans les collectivités et de leur capacité à préparer leur territoire à ces évolutions. Saint-Étienne développant le “design“, c’est non pas surfer sur une simple mode de l’esthétique, mais c’est plonger dans tout ce qu’englobe la démarche “design” à moyen et long terme dans nos sociétés et dans nos industries. Le design suppose des réflexions sur les moyens de production, sur les matériaux utilisés, sur les mécanismes de consommation. Pas de design sans ouverture aux champs du développement durable, du dialogue nord/sud, de la place de l’objet dans nos vies quotidiennes, des organisations du travail … Autant de sujets qui sont de réelles tendances, face à de simples phénomènes éphémères en faveur de mode pour les objets “rouges”, “ronds”, “en bois”, etc. À voir comment Paris ou Lyon se sont mobilisés de leur côté sur l’application du design au marché de la mode (bien pris ici au sens “marché” du terme) ou à celui du luxe, on sent bien qu’ils ont alors partagé la même analyse. Aradel, JB 6/6