AUTEUR: JEAN-MARIE MEYER (FR) DATE: 1999
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La personne a la capacité de choisir d’aimer. Les amis se choisissent l’un l’autre. Or qui dit choix dit liberté et qui
dit liberté dit : risque, aventure, sacrifice. Je voudrais resituer ces trois termes dans la logique de l’amour et au
cœur de notre réflexion sur la pédagogie de l’amour. Il est illusoire de croire qu’on peut être libre sans risque.
Dans tout ordre d’amour, quand il y a initiative et choix de faire confiance, dès qu’on prend au sérieux la liberté
des personnes, le risque fait partie de la vie amoureuse. En expliquant ceci à mes élèves, il m’est arrivé de voir
certains qui avaient du mal à penser que l’amour implique nécessairement le risque. Pourquoi ? Parce qu’une
certaine psychologie (peut-être masculine) suppose qu’à partir du moment où je suis sûr de moi, je crois que
l’autre sera dans la même disposition d’esprit. Or ceci est une illusion profonde. Mes sentiments, mes convictions
sont une chose. Les sentiments et convictions de l’autre sont autre chose. Et ceci est vrai pour toute relation
véritable. C’est pourquoi cette dernière s’inscrit dans le temps ; elle passe par l’écoute, le silence, la prière, la
distance, le fait de demander conseil. Tous ces mots s’opposent à l’immédiateté. Si on permettait aux jeunes de
découvrir que l’amour est beaucoup trop profond pour être immédiat, on aurait déjà réalisé un véritable objectif
pédagogique.
Deuxième point lié à la liberté : une aventure (un départ). Vous connaissez tous la Genèse. Adam (modèle de
l’homme) devra quitter père et mère pour s’unir à sa femme. Ce verbe « quitter » est très intéressant. Il est très
exigeant. Il n’est pas "romantique", il est réel. Il signifie qu’au lieu de continuer à être celui qui reçoit la sécurité
des autres, l’homme (être de sexe masculin) va devoir donner la sécurité aux autres. Là encore ce n’est pas
immédiat. Par ailleurs, ce verbe "quitter" doit être compris dans sa véritable profondeur. Ce n’est pas d’abord une
réalité sociologique comme si, au travers du fait de prendre un appartement plus ou moins loin des parents, on
les quittait. C’est beaucoup plus une disposition personnelle à se donner de manière inconditionnelle, à assumer
l’histoire de l’autre, à bâtir avec l’autre quelque chose de nouveau, à accepter l'originalité de l'autre, en un mot à
ne pas avoir peur du temps. Il me semble que nous nous trouvons devant un défi très nouveau : on rencontre
aujourd’hui des jeunes qui ont peur du futur. Il me semble que beaucoup d’adultes ont ici leur part de
responsabilité, non parce qu’ils expliquent aux jeunes les dangers du futur, mais parce qu’ils ne leur ont pas
transmis la confiance en eux-mêmes, or sans cette confiance on ne peut partir et vivre une aventure fidèle qui
dure toute la vie. Objectif pédagogique urgent : un jeune peut vivre une aventure nouvelle et durable, une
aventure de fidélité, sans être condamné à vivre ce que ses parents ont vécu.
Troisième point : le sacrifice. J’aime beaucoup ce terme pour une raison fondamentale : il n’y a pas d’amour vrai
sans sacrifice. Ne pas le dire aux jeunes revient à les trahir. Il est aussi nécessaire de bien comprendre ce qu’on
entend par sacrifice. Toute notre civilisation chrétienne est bâtie sur une vision grandiose du sacrifice qui
débouche sur la Croix et sur la Résurrection. Ceci doit se vivre au jour le jour, avec le sourire si possible, de
façon simple et accessible à tous. Comment prétendre en effet bâtir au jour le jour une vie heureuse en se
donnant soi-même sans voir que l’autre mérite que l’on fasse des petits ou des grands sacrifices, des petits ou
des grands cadeaux qui tous traduisent une disposition fondamentale à se donner tous les jours ? Cette notion
me semble essentielle pour ne pas tomber dans une vision idéaliste de la liberté qui fait que les jeunes
inévitablement déçus tombent très vite dans le désespoir. En effet, il est nécessaire que ce soit au travers de
petits actes que l’engagement se traduise. Le sacrifice accorde à ces petits renoncements une valeur définitive ;
ils traduisent une attitude de don dans les petites choses de la vie quotidienne.
L’amour implique la liberté, ce qui passe par le risque, le départ / l’aventure, et le sacrifice.
Autre dimension essentielle de cette pédagogie de l’amour : il n’existe pas d’expérimentation dans le domaine de
l’amour. Nombre de jeunes ont été formés aux sciences expérimentales dans lesquelles, pour connaître, il faut
expérimenter. Par exemple dans un laboratoire on fait un certain nombre d’essais au travers desquels on tente de
mettre en évidence un principe général - une loi - en laissant tomber les cas particuliers. Cette manière de penser
imprègne les intelligences aujourd’hui. On en vient à penser qu’il faut « essayer » l’autre pour voir si, au travers
de cet essai, on peut bâtir quelque chose ensemble. Or il est clair qu’il y a une véritable expérience amoureuse
mais elle n'a rien à voir avec une expérimentation. L’expérience amoureuse, par opposition à l’expérimentation,
fait toujours attention à ce qu’il y a unique dans l’autre. Dans l’expérimentation, c’est justement l’unique qui
n’intéresse pas. En amour, on est attentif à ce que l’autre a d’original. Il ne s’agit pas de devenir un expert de
l’autre sexe mais de devenir amoureux d’une personne unique et c’est l’autre, en tant qu’unique, qui est au
principe de mon expérience. Il s'agit ici du mystère de l’autre qui est à la fois principe et contenu de mon