pedagogie de l`amour

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AUTEUR: JEAN-MARIE MEYER (FR)
DATE: 1999
PEDAGOGIE DE L’AMOUR
Il va de soi qu’en raison de la pluralité des langues je sacrifie l'argumentation au fait de donner les idées
principales. A partir de vos travaux et de vos questions, je pourrai, si vous le désirez, m’expliquer et justifier ces
thèses.
Ce sujet est d’une immense importance et il suppose une anthropologie. Je voudrais donc traiter ce thème en
tenant compte du fait que vous avez tous une responsabilité fondamentale dans ce domaine. Actuellement en
Europe, il existe une crise anthropologique très profonde, celle des valeurs qui fondent une pédagogie de
l’amour. Pour dégager une pédagogie de l’amour, il faut d’abord prendre en compte cette crise radicale.
I – ANTHROPOLOGIE CHRETIENNE
Je dégagerai tout d'abord quelques traits de la pédagogie de l’amour authentique. Grâce à l’anthropologie, on
comprend notre origine et notre fin. Les jeunes, qui n’ont pas cette anthropologie, ne comprennent ni d’où ils
viennent ni où ils vont. Or l'homme est un être qui participe du visible et de l’invisible. Ce visible, nous allons
l’étudier au travers du terme « corps » et l’invisible au travers du terme « âme ». Ces deux éléments sont aussi
réels l’un que l’autre. Il faut à la fois ouvrir les yeux sur le réel corporel et apprendre à fermer les yeux pour
découvrir l’invisible, qui est réel lui aussi.
Thème de l’anthropologie
La personne humaine peut se caractériser au travers de trois termes : elle est un mystère d’intériorité, d’unité et
de fécondité. C’est au travers de ces trois termes qu’il me semble capital d’envisager le développement de la
personne. On ne peut comprendre la véritable relation de la personne à l’égard des autres sans intégrer ces trois
aspects. Exemple (qui peut être repris dans les groupes) : toute rencontre entre deux personnes doit respecter
deux exigences. Il faut découvrir la véritable distance entre deux personnes et en même temps leur véritable
proximité. Il est strictement impossible de définir a priori et dans l'absolu la distance ou la proximité en raison du
fait que, selon les rencontres, la distance et la proximité vont varier l’une par rapport à l’autre. Un objectif
pédagogique capital vis-à-vis des jeunes me semble être de leur faire découvrir cet aspect pour qu’ils soient
capables, dans chaque circonstance, de trouver la distance et la proximité justes. Deux exemples a contrario
pour illustrer cela :
-
-
-
des jeunes ayant du mal à entrer en relation avec les autres : la distance leur semble un espace trop grand à
franchir. En raison de leur timidité, ils n’arrivent pas à rencontrer l’autre. Ils sont enfermés en eux-mêmes et
ne peuvent s’ouvrir. C’est donc un échec dans la relation humaine car cette distance n’est pas franchie.
Pathologie inverse : gens qui sans véritablement vous connaître prétendent être d’entrée de jeu très proches
de vous. Ils vont être très familiers avec vous, croyant vivre dans votre intimité. La proximité dépend de la
relation et on ne peut pas aller trop vite dans ce domaine. Beaucoup de jeunes sont victimes de cette attitude
qui se veut immédiatement proche sans que la relation soit nourrie par l'expérience d'une vraie rencontre.
ème
Cette 2
pathologie rejoint la première. Dans les deux cas, il n’y a pas d'authentique rencontre de l’autre.
Une bonne pédagogie des relations humaines s'appuie sur un jugement clair, qui permet à chacun de se
situer en vérité dans la distance et la proximité.
En résumé, on ne peut éduquer sans une anthropologie mettant en avant l’intériorité, l’unité et la fécondité de
la personne.
Thème de la solitude
J’évoque ce point parce que communément on pense que l’amour fait sortir de la solitude. Or la question est
moins simple qu’il n’y paraît. Tout dépend d’abord de ce que l’on entend par « solitude ». Bien sûr, quand on
er
évoque le 1 sens du mot, on pense à quelqu’un qui est seul dans une maison. Donc « ne pas être avec » serait
ème
le premier sens. Mais il y a un 2
sens. Un certain nombre de jeunes, quand ils sont dans une ambiance qui
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leur déplaît ou dans laquelle les autres sont trop différents d’eux, se sentent seuls. La solitude n’est pas un fait
simple que l’on puisse décrire, c’est beaucoup plus un échec de la communication. Il est donc très important,
dans la perspective de l’amour, d'avoir présents à l’esprit ces différents aspects de la solitude. Sinon on croit qu’il
suffit d’être avec quelqu’un d’autre pour sortir de la solitude, ce qui est inexact : on peut se contenter de
juxtaposer des solitudes. De plus, il existe une autre forme – excellente – de solitude que l'on expérimente
lorsqu'on découvre sa propre originalité.
Thème de la communication
Après rencontre et solitude, nous arrivons au thème de la communication. On croit souvent - nous l'avons vu qu’il suffit d’être avec quelqu’un d’autre pour sortir de la solitude ; de même on croit souvent que parole et silence
s’opposent. En réalité, il n’existe pas la parole et le silence mais des paroles et des silences. Par exemple, dans
certains cas on parle mais on parle parce qu’on ne supporte pas le silence de l'autre. Dans d'autres cas, le
silence peut être plus éloquent qu’une parole. Dans une relation d’amitié ou d’amour, le silence peut être
beaucoup plus évocateur qu’une parole. Dans la vie chrétienne, la véritable parole vient du silence et mène à la
contemplation. On a là une richesse extraordinaire pour alimenter notre pédagogie de la communication auprès
des jeunes. Dans un monde très binaire comme le nôtre (soit parole, soit silence), notre anthropologie nous
permet de découvrir que les choses sont plus mystérieuses que cela. Cette vision superficielle de la parole nous
fait oublier une chose fondamentale pour la communication : la communication doit mener à la communion des
personnes ; sinon, elle serait un échec (au moins dans une perspective éducative). Il est donc nécessaire, pour
assurer ce passage de la communication à la communion, que l’on cherche toujours dans cette communication
« où est le bien de la personne ? ». Ensuite, « qu’est-ce que les personnes mettent en commun dans cette
communication ? ».
Jusqu'à présent, j’ai dit 5 choses :
-
la personne étant une capacité d’intériorité a la capacité de se connaître.
Au travers de la distance et de la proximité, elle est appelée à rencontrer les autres.
Elle les rencontre grâce à son intériorité personnelle.
Cette rencontre se vit grâce à la communication.
La communication doit mener à la communion.
II – PEDAGOGIE DE L’AMOUR
Comprenez bien pourquoi j’ai parlé aussi longtemps d’anthropologie. Dans nombre de pays d’Europe, il y a une
rupture de transmission sur le sens même de l’homme. Depuis 20 ans, notre Pape revient indéfiniment sur le
thème de l’homme. La crise théologique est d’abord une crise anthropologique. Les jeunes ont reçu une
transmission tronquée sur le plan anthropologique. Il est donc nécessaire de revenir à cette formation
fondamentale sans laquelle les meilleurs conseils apparaissent nécessairement comme arbitraires. C’est crucial
sur le thème de l’amour.
Prenons l'exemple de jeunes convaincus que l’homme est un être fondamentalement inconscient. Pour eux, à la
base de l’homme, il y a des pulsions. Dans ce cas, tout ce qu’on pourra dire dans le domaine de l’amour
apparaîtra comme plaqué et extérieur à ces pulsions. Si on ne va pas jusqu’à ce diagnostic, même si l'on donne
des conseils, des directives justes en elles-mêmes, ils ne peuvent pas apparaître comme désirables et
compréhensibles. Dans le domaine affectif, aucun d’entre nous n’est libre d’éprouver de la sympathie à l’égard de
personnes qui nous ressemblent ou dont l’apparence nous agresse. Mais distinguons attachement, sympathie et
amour. Aimer implique un choix au sens où la personne choisit de faire de l’autre qui est aimé son propre bien, au
sens où il (elle) est digne que l’on se donne, se confie à lui (elle). On peut même aller jusqu'à lui donner sa propre
er
vie. Il y a donc un écart entre les deux perspectives : dans le 1 cas, il s'agit des réactions de l’affectivité envers
ème
les personnes qui nous entourent, dans le 2
cas, c’est l’intériorité de notre propre personne qui se manifeste. Il
est capital de ne pas confondre l'affectivité et notre propre intériorité personnelle et libre.
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La personne a la capacité de choisir d’aimer. Les amis se choisissent l’un l’autre. Or qui dit choix dit liberté et qui
dit liberté dit : risque, aventure, sacrifice. Je voudrais resituer ces trois termes dans la logique de l’amour et au
cœur de notre réflexion sur la pédagogie de l’amour. Il est illusoire de croire qu’on peut être libre sans risque.
Dans tout ordre d’amour, quand il y a initiative et choix de faire confiance, dès qu’on prend au sérieux la liberté
des personnes, le risque fait partie de la vie amoureuse. En expliquant ceci à mes élèves, il m’est arrivé de voir
certains qui avaient du mal à penser que l’amour implique nécessairement le risque. Pourquoi ? Parce qu’une
certaine psychologie (peut-être masculine) suppose qu’à partir du moment où je suis sûr de moi, je crois que
l’autre sera dans la même disposition d’esprit. Or ceci est une illusion profonde. Mes sentiments, mes convictions
sont une chose. Les sentiments et convictions de l’autre sont autre chose. Et ceci est vrai pour toute relation
véritable. C’est pourquoi cette dernière s’inscrit dans le temps ; elle passe par l’écoute, le silence, la prière, la
distance, le fait de demander conseil. Tous ces mots s’opposent à l’immédiateté. Si on permettait aux jeunes de
découvrir que l’amour est beaucoup trop profond pour être immédiat, on aurait déjà réalisé un véritable objectif
pédagogique.
Deuxième point lié à la liberté : une aventure (un départ). Vous connaissez tous la Genèse. Adam (modèle de
l’homme) devra quitter père et mère pour s’unir à sa femme. Ce verbe « quitter » est très intéressant. Il est très
exigeant. Il n’est pas "romantique", il est réel. Il signifie qu’au lieu de continuer à être celui qui reçoit la sécurité
des autres, l’homme (être de sexe masculin) va devoir donner la sécurité aux autres. Là encore ce n’est pas
immédiat. Par ailleurs, ce verbe "quitter" doit être compris dans sa véritable profondeur. Ce n’est pas d’abord une
réalité sociologique comme si, au travers du fait de prendre un appartement plus ou moins loin des parents, on
les quittait. C’est beaucoup plus une disposition personnelle à se donner de manière inconditionnelle, à assumer
l’histoire de l’autre, à bâtir avec l’autre quelque chose de nouveau, à accepter l'originalité de l'autre, en un mot à
ne pas avoir peur du temps. Il me semble que nous nous trouvons devant un défi très nouveau : on rencontre
aujourd’hui des jeunes qui ont peur du futur. Il me semble que beaucoup d’adultes ont ici leur part de
responsabilité, non parce qu’ils expliquent aux jeunes les dangers du futur, mais parce qu’ils ne leur ont pas
transmis la confiance en eux-mêmes, or sans cette confiance on ne peut partir et vivre une aventure fidèle qui
dure toute la vie. Objectif pédagogique urgent : un jeune peut vivre une aventure nouvelle et durable, une
aventure de fidélité, sans être condamné à vivre ce que ses parents ont vécu.
Troisième point : le sacrifice. J’aime beaucoup ce terme pour une raison fondamentale : il n’y a pas d’amour vrai
sans sacrifice. Ne pas le dire aux jeunes revient à les trahir. Il est aussi nécessaire de bien comprendre ce qu’on
entend par sacrifice. Toute notre civilisation chrétienne est bâtie sur une vision grandiose du sacrifice qui
débouche sur la Croix et sur la Résurrection. Ceci doit se vivre au jour le jour, avec le sourire si possible, de
façon simple et accessible à tous. Comment prétendre en effet bâtir au jour le jour une vie heureuse en se
donnant soi-même sans voir que l’autre mérite que l’on fasse des petits ou des grands sacrifices, des petits ou
des grands cadeaux qui tous traduisent une disposition fondamentale à se donner tous les jours ? Cette notion
me semble essentielle pour ne pas tomber dans une vision idéaliste de la liberté qui fait que les jeunes
inévitablement déçus tombent très vite dans le désespoir. En effet, il est nécessaire que ce soit au travers de
petits actes que l’engagement se traduise. Le sacrifice accorde à ces petits renoncements une valeur définitive ;
ils traduisent une attitude de don dans les petites choses de la vie quotidienne.
L’amour implique la liberté, ce qui passe par le risque, le départ / l’aventure, et le sacrifice.
Autre dimension essentielle de cette pédagogie de l’amour : il n’existe pas d’expérimentation dans le domaine de
l’amour. Nombre de jeunes ont été formés aux sciences expérimentales dans lesquelles, pour connaître, il faut
expérimenter. Par exemple dans un laboratoire on fait un certain nombre d’essais au travers desquels on tente de
mettre en évidence un principe général - une loi - en laissant tomber les cas particuliers. Cette manière de penser
imprègne les intelligences aujourd’hui. On en vient à penser qu’il faut « essayer » l’autre pour voir si, au travers
de cet essai, on peut bâtir quelque chose ensemble. Or il est clair qu’il y a une véritable expérience amoureuse
mais elle n'a rien à voir avec une expérimentation. L’expérience amoureuse, par opposition à l’expérimentation,
fait toujours attention à ce qu’il y a unique dans l’autre. Dans l’expérimentation, c’est justement l’unique qui
n’intéresse pas. En amour, on est attentif à ce que l’autre a d’original. Il ne s’agit pas de devenir un expert de
l’autre sexe mais de devenir amoureux d’une personne unique et c’est l’autre, en tant qu’unique, qui est au
principe de mon expérience. Il s'agit ici du mystère de l’autre qui est à la fois principe et contenu de mon
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expérience. Il faut donc se rendre disponible au mystère de la personne de l’autre et non essayer l’autre dans les
différents aspects de son corps ou de sa psychologie.
Toute civilisation repose sur des principes anthropologiques fondamentaux. Notre civilisation, qui vient du
christianisme, s’appuie sur la rencontre de l’homme et de la femme comprise comme rencontre de deux
personnes libres et uniques, en tant que chacune représente une version originale de l’espèce humaine. Or on
voit depuis des années un autre modèle tenter de prendre la place de cette rencontre fondatrice. Au lieu de
mettre à la base de l’histoire la rencontre de l’homme et de la femme, on retombe dans une très vieille histoire qui
est le "mythe" de l’androgyne. Au commencement il existait non des hommes mais des êtres plus parfaits qu'eux,
tellement parfaits, tellement complets qu'ils n'avaient pas de sexe. Leur perfection les amenant à se prendre
presque pour des dieux, le dieu, pour se défendre, les a coupés en deux. Ils ont donc été sectionnés, ce que dit
étymologiquement le latin "sexus". Dans ce terme de "sexe" se trouve donc l'idée de séparation.
La suite du "mythe" nous raconte que chaque moitié cherche désespérément son autre moitié car la séparation
avive un désir de fusion : chacun veut à nouveau faire un avec l'autre, ou mieux, en finir avec l'altérité.
Une chose est donc claire dans ce "mythe". L'amour y apparaît comme une pulsion régressive tournée vers la
fusion : il appartient au Destin et non à la liberté. Au lieu de placer la liberté au cœur de la rencontre comme dans
la Bible, on met à sa place un Destin, le désir de fusion.
La question de savoir si l'on est de sexe masculin ou féminin n'a donc plus d'importance : de multiples
combinaisons sont possibles qui échappent à mon contrôle… Je subis l'expérience du désir au lieu d'entrer
librement dans une relation amoureuse et personnelle.
Il y a bien des mots pour dire cette rencontre de l’homme et de la femme. Il est extrêmement important de
redonner au mot mariage sa plénitude de signification. Un mariage est plus qu’un "couple". Le mot "couple" est
très abstrait. Or la femme n’est pas un clone de l’homme. Les deux gardent, dans l'amour, leur originalité. Il est
extrêmement important dans un seul mot (mariage) de comprendre la rencontre authentique qui respecte la
signification humaine des corps et en même temps le rôle de la liberté qui dans le cas de l’homme et de la femme
est la condition pour réaliser dans toute leur vie une unité indissoluble.
En conclusion, il me semble essentiel, dans une pédagogie de l’amour, d’avoir une pédagogie tournée vers les
fiançailles en gardant bien, dans ce beau mot, l’idée de la confiance, de la liberté, avec une conviction : si le
corps est un langage, - ce que dit le Pape -, avant de parler il faut réfléchir, faire silence. Les fiançailles sont un
moment où le corps ne peut pas encore avoir la plénitude de signification : c’est le oui des noces qui lui donne
cette plénitude. Cette exigence de continence stricte avant le mariage fait vraiment partie de la bonne nouvelle
sur l’amour et le mariage. Il s’agit donc d’une pédagogie réaliste et mystique. Vous avez une responsabilité
extraordinaire. A vous de faire la preuve que c’est possible.
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