Sociologie
du
travail
57
(2015)
230–249
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Un
construit
économique
?
Produits
de
consommation
et
différentiation
de
genre.
Le
cas
des
gels
douche
An
Economic
Construct?
Consumer
Products
and
Gender
Differentiation.
The
Case
of
Shower
Gels
Isabelle
Jonveaux
Universität
Graz,
Heinrichstrasse
78/b,
8010
Graz,
Autriche
Disponible
sur
Internet
le
15
avril
2015
Résumé
Alors
que
la
construction
sociale
des
différences
sexuelles
entre
hommes
et
femmes
est
remise
en
question
dans
la
société,
le
champ
économique
accentue
cette
distinction
en
proposant
toujours
plus
de
produits
diffé-
renciés
selon
l’identité
sexuelle
du
groupe
de
consommateurs
ciblé.
Cette
différenciation
selon
le
genre
est
particulièrement
sensible
dans
le
cas
de
produits
qui
demeurent
identiques
dans
leur
principe
actif
mais
dont
seuls
des
aspects
extérieurs,
comme
l’odeur
ou
surtout
l’emballage,
varient
dont
le
gel
douche
constitue
un
cas
d’école.
Une
enquête
menée
auprès
de
quarante
personnes
a
permis
de
mettre
en
évidence
des
acquis
sociaux
dans
les
codes
marketing
de
distinction
de
genre
sur
le
marché
du
gel
douche,
comme
les
odeurs
et
les
couleurs
qui
seraient
associées
à
chaque
sexe,
mais
aussi
un
écart
entre
les
goûts
réellement
exprimés
et
les
cibles
du
marketing.
Cette
différenciation
des
produits
sur
le
marché
crée
pour
les
consommateurs
une
contrainte
de
genre,
à
laquelle
ils
pourront
se
soumettre,
la
considérant
comme
un
renforcement
de
leur
identité
sexuelle,
ou
résister,
n’y
voyant
qu’une
ruse
marketing
pour
des
produits
au
fond
identiques.
Cet
article
vise
donc
à
explorer
la
fac¸on
dont
se
construit,
sur
un
marché,
la
différenciation
des
produits
selon
le
sexe
des
consommateurs
visés,
et
la
réception
de
cette
segmentation
par
les
consommateurs
eux-mêmes.
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2015
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Tous
droits
réservés.
Mots
clés
:
Économie
;
Genre
;
Consommation
;
Gel
douche
;
Différenciation
;
Emballage
Abstract
At
a
time
when
the
social
construction
of
sexual
differences
between
men
and
women
is
under
challenge
in
society,
in
the
economic
sphere
this
distinction
is
being
reinforced,
with
ever
more
products
differentiated
in
terms
of
the
sexual
identity
of
the
target
consumer
group.
This
gender
differentiation
is
particularly
Adresse
e-mail
:
isabelle.jon[email protected]
http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2015.03.006
0038-0296/©
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/
Sociologie
du
travail
57
(2015)
230–249
231
significant
in
the
case
of
products
that
are
identical
in
their
active
ingredient
and
vary
only
in
their
external
aspects,
such
as
smell
or
packaging,
shower
gels
being
a
textbook
case.
A
survey
conducted
with
forty
people
highlighted
social
factors
in
the
marketing
codes
of
gender
distinction
on
the
shower
gel
market,
such
as
the
smells
and
colours
to
be
associated
with
each
sex,
but
also
a
gap
between
the
tastes
actually
expressed
and
the
marketing
targets.
For
consumers,
this
product
differentiation
creates
a
gender
constraint,
which
they
can
either
accept,
seeing
it
as
a
reinforcement
of
their
sexual
identity,
or
resist
as
simply
a
marketing
ruse
for
products
that
are
ultimately
the
same.
This
article
therefore
seeks
to
explore
the
way
in
which
differentiation
on
the
basis
of
the
sex
of
consumers
is
constructed
on
a
market,
and
how
this
market
segmentation
is
received
by
the
consumers
themselves.
©
2015
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All
rights
reserved.
Keywords:
Economics;
Gender;
Consumption;
Shower
Gel;
Differentiation;
Packaging
En
décembre
2012,
la
ministre
franc¸aise
des
Droits
des
femmes,
Najat
Vallaud-Belkacem,
annonc¸ait
vouloir
lutter
contre
les
stéréotypes
de
genre
dès
l’école
maternelle,
notamment
en
dépassant
les
associations
classiques
d’activités
ou
d’attributs
à
chacun
des
sexes,
par
exemple
le
rose
pour
les
filles
et
le
bleu
pour
les
garc¸ons.
Les
pouvoirs
publics
de
ce
début
du
xxiesiècle
s’engagent
dans
une
redéfinition
des
caractéristiques
sociales
associées
à
chaque
sexe.
Mais
ce
mouvement
est
loin
d’être
uniforme
et,
dans
les
kiosques,
se
côtoient
des
livres
sur
la
crise
de
la
masculinité
et
de
nouveaux
magazines
féminins
(Löwy,
2006,
p.
35).
Pendant
ce
temps,
sur
le
marché,
les
distinctions
selon
le
sexe
semblent
trouver
un
terrain
particulièrement
favorable
qui
encourage
leur
expansion.
Certains
produits,
comme
certains
sous-vêtements,
portent
en
eux
cette
distinction
dans
leur
incapacité
à
correspondre
à
des
besoins
de
l’autre
sexe.
D’autres
en
revanche,
comme
le
gel
douche,
sont
porteurs
d’une
distinction
de
genre
dont
le
fondement
et
la
nécessité
font
question.
S’agit-il
alors
d’un
construit
économique
reposant
uniquement
sur
des
mécanismes
de
marché,
sans
répondre
à
un
besoin
initial
des
consommateurs,
ou
peut-on
réellement
justifier
de
besoins
différenciés
selon
l’identité
sexuelle
et,
si
tel
est
le
cas,
sur
quels
éléments
ces
besoins
portent-
ils
?
En
la
matière,
le
gel
douche
est
un
excellent
exemple
de
produit
qui
a
récemment
fait
l’objet
d’une
différenciation
par
le
genre
alors
qu’a
priori
son
contenu
et
ses
usages
ne
laissent
pas
supposer
de
besoins
différents
selon
le
sexe
des
utilisateurs.
C’est
pour
cette
raison
qu’il
constituera
ici
l’exemple
principal
à
partir
duquel
on
va
étudier
la
construction
sur
le
marché
de
la
différenciation
de
genre
et
les
éventuels
besoins
auxquels
ce
processus
peut
répondre
chez
les
consommateurs.
Après
avoir
exposé
rapidement
le
rôle
du
processus
de
différenciation
sur
le
marché
ainsi
que
les
différents
types
de
distinction
des
produits
par
le
sexe
des
consommateurs
ciblés,
on
s’arrêtera
sur
le
cas
du
gel
douche
pour
étudier
la
manière
dont
se
construit
la
différenciation
de
genre.
Une
enquête
menée
en
Autriche
auprès
de
40
personnes,
ainsi
qu’un
questionnaire
diffusé
auprès
de
35
autres
personnes,
viendront
compléter
cette
approche
en
abordant
la
perception
de
cette
différenciation
par
les
consommateurs
potentiels1.
Enfin,
on
passera
du
produit
à
son
emballage
pour
montrer
que
c’est
essentiellement
sur
celui-ci
que
repose
cette
différenciation,
et
ce
que
cela
induit.
1Cette
recherche
a
été
réalisée
à
l’université
de
Graz
en
Autriche
et
financée
par
le
Fonds
Autrichien
de
la
Recherche
(FWF),
nV304-G15.
L’Encadré
1
présente
le
protocole
d’enquête
et
la
méthodologie
de
l’étude.
232
I.
Jonveaux
/
Sociologie
du
travail
57
(2015)
230–249
1.
La
différenciation
de
genre
dans
les
dynamiques
de
marché
1.1.
La
différenciation
au
cœur
de
l’économie
de
marché
La
stratégie
de
différenciation
est
un
principe
classique
en
économie
pour
s’assurer
une
place
sur
un
marché
déjà
existant
ou
en
ouvrir
un
nouveau.
Elle
opère
parallèlement
à
une
autre
straté-
gie,
dite
de
l’identification,
qui
vise
elle
aussi
à
ménager
une
place
sur
le
marché
pour
un
nouveau
produit
en
l’inscrivant
dans
une
lignée
ou
dans
une
gamme
comme
gage
de
qualité.
Ainsi
j’avais
montré,
dans
un
précédent
article,
comment
des
entreprises
laïques
en
Belgique
cherchent
à
iden-
tifier
leur
bière
à
celle
des
moines
pour
leur
garantir
la
réputation
de
qualité
accordée
aux
bières
monastiques
(Jonveaux,
2011a).
Alors
que
ces
entreprises
chargent
leurs
produits
de
signifiants
religieux,
les
brasseries
trappistes,
qui
appartiennent
réellement
aux
moines,
tentent
à
leur
tour
de
se
différencier
sur
le
marché
en
renonc¸ant
à
ces
signes
sur
leurs
emballages.
Les
labels
inter-
viennent
alors
pour
renforcer
l’identification
à
un
même
groupe
de
produits
(une
même
origine)
et
se
différencier
des
autres.
Poussé
à
l’extrême,
ce
processus
de
différenciation
peut
viser
la
«
singularité
»,
qui
aboutit
à
ce
que
Lucien
Karpik
nomme
«
l’économie
des
différences
»,
terme
désignant
«
toutes
les
formes
de
marché
dont
les
objets
d’échange
sont
des
singularités,
c’est-à-
dire
des
biens
et
des
services
partiellement
incommensurables
»
(Karpik,
2000,
p.
370).
L’on
tend
alors
à
faire
du
produit
un
objet
unique.
L’artisanat
et
l’art
se
prêtent
particulièrement
bien
à
ce
type
de
singularisation.
Processus
de
différenciation
et
d’identification
sont
donc
deux
dynamiques
intrinsèques
au
marché,
comme
l’a
montré
Edward
Chamberlin.
«
Cet
ajustement,
Chamberlin
le
souligne,
est
fondé
sur
un
double
mouvement.
Mouvement
qui
conduit
à
singulariser
un
bien
(de
manière
à
ce
qu’il
se
distingue
des
autres
biens
et
vienne
satisfaire
une
demande
que
les
autres
biens
ne
peuvent
satisfaire).
Mouvement
qui
conduit
à
rendre
comparable
ce
bien
à
d’autres
biens
existants,
de
manière
à
construire
des
marchés
nouveaux
par
élargissement
et
renouvellement
des
marchés
existants
»
(Callon
et
al.,
2000,
pp.
220-221).
Le
marché
est
donc
constitué
de
deux
dynamiques
a
priori
contraires,
mais
complémentaires.
La
différenciation
s’effectue
selon
«
certaines
caractéristiques
du
produit
lui-même,
telles
que
des
particularités
garanties
par
des
brevets
exclusifs,
des
marques
de
fabrique,
des
emballages
ou
récipients
spéciaux,
ou
une
originalité
de
qualité,
de
modèle,
de
couleur
ou
de
style
»
(Chamberlin,
1953,
p.
61).
Et
lorsque
les
conditions
d’identification
et
de
différenciation
sont
réunies,
qui
permettent
autant
à
un
produit
de
se
trouver
en
concurrence
avec
d’autres
que
de
s’en
distinguer
et
donc
de
créer
un
micro-monopole,
on
entre
dans
ce
qu’E.
Chamberlin
nomme
une
situation
de
«
concurrence
monopolistique
»,
qui
est
celle
que
visent
les
offreurs.
1.2.
Typologie
des
différenciations
de
genre
et
ouverture
de
marchés
différenciés
Pour
ouvrir
de
nouveaux
marchés
dans
le
cadre
d’un
même
groupe
de
produits,
divers
types
de
différenciation
sont
possibles.
Celle
qui
retient
ici
notre
attention
repose
sur
une
distinction
selon
le
sexe
des
personnes
auxquelles
le
produit
prétend
s’adresser.
Pour
la
construire,
les
producteurs
partent
de
la
considération
d’une
utilité
différente
du
produit
en
fonction
du
sexe
du
consom-
mateur,
qui
crée
potentiellement
deux
sous-marchés
correspondant
aux
deux
sous-ensembles
de
consommateurs,
le
premier
constitué
par
les
femmes,
l’autre
par
les
hommes.
Une
distinction
I.
Jonveaux
/
Sociologie
du
travail
57
(2015)
230–249
233
Encadré
1
:
le
protocole
d’enquête
L’enquête
s’est
composée
de
trois
parties
réalisées
en
deux
étapes.
Des
tests
de
reconnaissance
olfactive
en
aveugle
(sans
l’emballage
d’origine)
ont
d’abord
été
réalisés
sur
un
échantillon
de
40
personnes
20
hommes
et
20
femmes,
âgés
de
18
à
66
ans,
pour
une
moyenne
d’âge
de
35
ans
entre
le
11
décembre
2012
et
le
3
février
2014.
Ce
test
présentait
10
gels
douche
et
se
composait
de
deux
questions.
Pour
la
première,
les
enquêtés
devaient
uniquement
dire
si
le
produit
leur
plaisait
a
priori.
Pour
la
deuxième
phase,
l’ordre
des
échantillons
était
changé
et
présenté
aux
participants
qui,
les
yeux
fermés
(pour
ne
pas
voir
la
couleur
du
produit),
devaient
alors
déterminer
s’il
s’agissait
pour
eux
d’un
produit
à
destination
des
femmes,
des
hommes
ou
des
deux
sexes
indif-
féremment
(neutre).
Les
enquêtés
n’étaient
souvent
pas
en
mesure
de
faire
le
lien
entre
la
première
et
la
deuxième
questions
et
d’associer
leur
réponse
à
la
première
question
avec
le
produit
qui
se
présentait
alors
à
eux.
Ce
test
était
suivi
d’un
court
entretien
semi-directif,
posant
différentes
questions
pour
savoir
si
l’enquêté
achète
lui-même
un
gel
douche
correspondant
à
son
sexe,
pourquoi,
s’il
pourrait
acheter/utiliser
un
gel
douche
destiné
à
l’autre
sexe,
etc.
Le
test
s’est
déroulé
principalement
à
l’Université
de
Graz
(Autriche),
en
portant
une
attention
à
l’équilibre
de
sexe
et
d’âge
dans
l’échantillon.
Les
par-
ticipants
étaient
essentiellement
des
étudiants,
employés
et
professeurs
de
la
faculté
ou
des
extérieurs
amenés
par
les
enquêtés
(il
leur
était
demandé
à
l’issue
du
test
d’envoyer
si
possible
d’autres
personnes).
Une
enquête
complémentaire
par
questionnaire,
reprenant
les
questions
posées
en
entretien
lors
de
la
première
enquête,
a
été
réalisée
en
mai
2014
auprès
de
35
personnes
de
17
à
46
ans.
Le
questionnaire
était
composé
de
sept
questions.
Les
réponses
n’ont
pas
permis
de
mettre
en
évidence
des
diffé-
rences
significatives
selon
la
catégorie
socio-professionnelle,
ni
selon
l’origine
géographique.
Les
deux
étapes
de
l’enquête
ont
inclus
des
Franc¸ais
et
des
Autrichiens.
interne
peut
encore
être
apportée
selon
l’orientation
sexuelle
de
chacun
de
ces
sous-groupes,
qui
est
alors
érigée
en
déterminant
marketing,
par
exemple
pour
les
hommes
homosexuels
(Wieser,
2001).
Le
type
de
différenciation
sexuelle
auquel
nous
nous
intéressons
ici
est
un
cas
très
pré-
cis,
et
c’est
pourquoi
il
nous
faut
tout
d’abord
proposer
une
typologie
des
degrés
possibles
de
segmentation
des
marchés
selon
l’identité
sexuelle
des
groupes
cibles.
Le
premier
type
est
celui
qui
repose
sur
une
différence
physiologique
des
sexes
et
répond
à
un
besoin
différent
d’ordre
biologique
ou
morphologique.
Par
exemple,
les
soutiens-gorge
ou
certains
produits
d’hygiène
féminine
ne
peuvent
que
difficilement
répondre
à
un
besoin
masculin.
Ils
reposent
sur
une
utilité
intrinsèquement
liée
à
l’identité
sexuelle
considérée
d’un
point
de
vue
physiologique.
En
cela,
ils
ne
découlent
pas
d’un
processus
de
différenciation
économique,
puisque
le
produit
lui-même
est
d’emblée
différent,
associé
aux
besoins
particuliers
d’un
groupe
sexué
de
consommateurs.
Il
s’agit
donc
de
marchés
différents.
Nous
les
appellerons
des
produits
physiologiquement
sexués.
Le
second
niveau
de
différenciation
est
celui
fondé
sur
un
besoin
socialement
construit
de
manière
différente
selon
le
sexe,
autrement
dit
sur
des
besoins
de
genre.
Il
s’agit
alors
du
genre
234
I.
Jonveaux
/
Sociologie
du
travail
57
(2015)
230–249
comme
construit
social
et
non
plus
uniquement
du
sexe
biologique.
Les
vêtements
en
sont
un
excellent
exemple.
Ils
croisent
un
aspect
morphologique
dans
leur
coupe,
plus
ou
moins
adaptée
aux
formes
féminines
ou
masculines,
et
un
besoin
de
genre
socialement
construit.
«
Le
fait
d’avoir
des
testicules
et
de
la
barbe
ou
des
seins
et
des
ovaires
ne
saurait
en
rien
fournir
l’explication
de
ce
que
certains
humains
portent
des
cravates
et
d’autres
des
jupes
»
(Guionnet
et
Neveu,
2005,
p.
5).
Sur
les
marchés
textiles
européens,
la
jupe
est
en
effet
un
article
essentiellement
offert
en
vue
d’une
demande
féminine.
La
différenciation
ne
découle
pas
d’un
processus
économique
mais
de
besoins
socialement
construits
ex
ante
(avant
l’expression
du
besoin)
qui
entraînent
d’emblée
des
marchés
différenciés.
Nous
les
appellerons
des
produits
genrés.
Enfin,
le
troisième
niveau,
qui
est
une
bifurcation
du
deuxième
type,
est
celui
des
produits
qui
portent
une
différenciation
de
genre
pour
des
contenus
qui
restent
globalement
identiques
et
qui
ne
semblent
pas
à
première
vue
correspondre
à
des
besoins
différents.
Dans
ce
cas,
la
construc-
tion
sociale
de
la
différenciation
ne
préexiste
pas
au
produit
:
elle
s’élabore
progressivement,
à
partir
de
produits
génériques
déjà
existants.
C’est
ce
troisième
niveau
que
l’on
va
étudier
ici
pour
comprendre
les
ressorts
de
cette
distinction
de
genre.
Nous
les
appellerons
produits
économique-
ment
genrés
et
tâcherons
de
vérifier
à
travers
des
exemples
concrets
en
quoi
cette
différenciation
peut
effectivement
reposer
sur
un
construit
économique.
Les
distinctions
de
genre
sont
donc
portées
à
différents
niveaux
sur
le
marché,
selon
qu’elles
reposent
sur
des
caractéristiques
biologiques
ou
sociales,
qu’elles
apparaissent
dans
un
second
temps
ou
préexistent
au
produit.
Dans
le
cas
des
produits
économiquement
genrés,
la
question
est
aussi
de
savoir
si
la
différenciation
de
genre
repose
sur
des
besoins
socialement
expri-
més
ou
si
le
marché
construit
le
besoin
du
consommateur
potentiel.
Claude
Fischler
et
Estelle
Masson
ont
mis
en
lumière
un
rapport
sexué
différencié
à
l’alimentation
(Fischler
et
Masson,
2008,
p.
81).
Stéphane
Ravache
(2003)
est
arrivé
aux
mêmes
conclusions,
identifiant
en
milieu
rural
des
produits
plutôt
masculins
comme
la
viande
rouge
ou
plutôt
féminins
comme
la
viande
blanche.
Si
les
besoins
exprimés
s’avéraient
effectivement
différents,
cela
signifie-
rait
que
la
différenciation
par
le
genre
vient
répondre
à
un
besoin
des
consommateurs
sans
devoir
le
construire
d’un
point
de
vue
économique.
Depuis
les
travaux
fondateurs
de
Pierre
Bourdieu
(1979)
sur
le
jugement
esthétique
social,
les
sciences
sociales
s’attachent
à
analyser
les
déterminants
sociaux
du
goût
qui
ouvrent
sur
des
besoins
exprimés
de
manière
différente
sur
le
marché.
La
différenciation
de
genre
selon
le
troisième
niveau
est
un
moyen
supplémentaire
d’ouvrir
de
nouveaux
marchés
en
les
segmentant,
qui
s’ajoute
à
d’autres
types
de
différenciation
classiques
déjà
éprouvés.
Franck
Cochoy
explique
ainsi
que
:
«
Pour
diversifier
leurs
productions
et
pour
trouver
de
nouveaux
créneaux,
les
entreprises
eurent
l’idée
de
“segmenter”
leur
marché
en
fonction
des
caractéristiques
sociographiques
des
populations,
c’est-à-dire
d’inventer
une
pluralité
de
clients
dans
la
texture
jadis
homo-
gène
du
marché
:
par
exemple,
le
producteur
de
café
Arbuckle
Brothers
s’appuya
sur
le
constat
accidentel
d’une
différence
de
goût
entre
les
clientèles
riche
et
pauvre
pour
proposer
deux
marchés
différents
»
(Cochoy,
2002,
p.
359).
Le
principe
est
le
même
pour
la
segmentation
de
genre
qui
s’appuie
sur
la
construction
de
différences
de
goût
entre
hommes
et
femmes.
L’idée
d’un
goût
différent
pour
le
café
selon
l’identité
sexuelle
est
actuellement
reprise
par
la
marque
Affrocoffee
qui
propose
en
2013,
dans
une
publicité
pour
des
cafés
froids
à
emporter,
un
type
«
Sweet
for
the
ladies
»
et
un
autre,
«
Strong
for
the
men
».
Ces
caractérisations
reprennent
les
distinctions
de
genre
des
femmes
douces
et
des
hommes
forts
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