310 Cancéro dig. Vol. 2 N° 4 - 2010 - 310-315 DOI 10.4267/2042/35620 MISe au PoInt Prise en charge d’un malade atteint d’hépatopathie virale chronique candidat à une chimiothérapie Management and treatment in patients with an indication of a chemotherapy and with a chronic viral hepatitis Hélène Fontaine Hôpital Cochin Saint-Vincent-de-Paul, Pôle d’Hépatogastroentérologie médicochirurgicale, Unité Médicale d’Hépatologie, 27, rue du Faubourg Saint-Jacques, F-75014 Paris Cedex [email protected] ❚ Résumé En raison de la fréquence des cancers et des infections virales chroniques B et C dans la population générale, la coexistence de ces deux états pathologiques est fréquente. Elle peut se compliquer d’exacerbations de la maladie hépatique (réactivation, arrêt de la multiplication virale, accompagnées ou non de séroréversion ou de séroconversion) sous forme d’hépatite aiguë ou chronique pouvant évoluer à court terme vers une forme fulminante ou à long terme vers la cirrhose. Ces complications peuvent être facilement prévenues par : – le dépistage systématique des hépatites virales B et C : 1) chez tout patient devant recevoir une chimiothérapie ; et 2) pendant la chimiothérapie ou au décours de celle-ci en cas de cytolyse et/ou de cholestase, – et par l’institution d’un traitement préemptif par analogues nucléosidiques ou nucléotidiques au cours des hépatites virales B chroniques. Ceci permet de limiter la morbidité et la mortalité chez ces patients, induites, d’une part, par les complications hépatiques et, d’autre part, par la diminution de l’efficacité des chimiothérapies, trop souvent modifiées ou retardées par ces complications. Mots-clés Chimiothérapie, Exacerbation virale, Réactivation virale B, Hépatite C, Hépatite B ❚ Abstract Because of their prevalence in general population, the co-existence of cancers and chronic viral hepatitis are relatively high, and could lead to exacerbation of liver disease (HBV reactivation, discontinuation of HBV replication, sometimes associated with HBe or HBs seroreversion or seroconversion). These forms of acute or chronic hepatitis could evoluate to cirrhosis or fulminant hepatitis form. These complications could easily be prevented by: – the routine screening of hepatitis B and C in: 1. all patients who have to receive chemotherapy; 2. during the chemotherapy or during the follow-up after its discontinuation, in case of elevation of alanine aminotransferase and aspartate aminotransferase, or occurrence of cholestasis, – a pre-emptive treatment with nucleoside or nucleotide analogs in all patients with chronic hepatitis B. These recommendations allow to decrease the morbidity and the mortality, explained, in one hand, by the specific liver complications and, in other hand, by the decrease of the efficacy of chemotherapies, more often delayed or discontinuated because of them. Keywords Chemotherapy, Viral exacerbation, HBV reactivation, Hepatitis C, Hepatitis B © aln.editions Cancéro dig. Vol. 2 N° 4 - 2010 ❚ Introduction La prévalence de l’hépatite C chronique est de 0,84 % et celle de l’hépatite B chronique est de 0,65 %, en France dont 43 % et 65 % des patients ignorent leur statut, respectivement. Par ailleurs, environ 8 % de la population a eu un contact avec le virus de l’hépatite B, comme en atteste la présence de l’anticorps antiHBc [1]. Ces pourcentages sont beaucoup plus élevés dans les zones endémiques ou chez les patients en provenance de ces zones géographiques ; par exemple, en Asie, la prévalence de l’antigène HBs peut atteindre jusqu’à 10 % de la population [2]. La coexistence d’une hépatopathie virale et d’une maladie néoplasique est donc une circonstance relativement fréquente, d’autant plus que les hépatites virales B et C sont des facteurs de risque de survenue de certaines d’entre elles, comme le carcinome hépatocellulaire et certains lymphomes associés à l’hépatite C. Il est reconnu que n’importe quelle situation de déficit immunitaire peut favoriser la multiplication des virus des hépatites virales B et C avec des conséquences délétères. Au cours de l’hépatite B, un traitement préemptif est recommandé depuis déjà plusieurs années chez les patients recevant un traitement immunosuppresseur, dans le cadre d’une greffe d’organe, puis dans l’infection par le VIH. Il a été recommandé de façon plus récente chez les patients recevant une chimiothérapie. Les premiers cas de réactivation ont été décrits en 1975 au cours de pathologies myélo ou lymphoprolifératives [3]. Ces descriptions sont de plus en plus fréquentes avec le développement des traitements par chimiothérapie et l’utilisation de molécules de plus en plus immunosuppressives dans ce type de traitement. ❚ Risques évolutifs des hépatites virales B et C au cours de la chimiothérapie L’importance de la multiplication virale B et C est directement liée à l’état immunitaire de l’hôte, expliquant une réplication virale plus fréquente et élevée chez les patients immunodéprimés quelle que soit la cause du déficit : infectieuse (liée au VIH), iatrogène (traitement après une greffe d’organe ou d’une maladie auto-immune) ou autre (déficit congénital ou acquis non infectieux) [4-5]. Ces complications concernent plus fréquemment l’hépatite B chronique et, de façon plus minoritaire, l’hépatite C chronique. Au cours de l’hépatite B chronique, les risques sont la reprise (réactivation) ou l’augmentation de la multiplication virale, responsable d’exacerbation de la cytolyse hépatique. Elle survient en moyenne vers le 4e mois de chimiothérapie mais, parfois, de façon très précoce ou très retardée, parfois même après la fin de la chimiothérapie [6-7]. La traduction biochimique est une augmentation de la cytolyse hépatique qui peut, sur le plan clinique, être complètement asymptomatique, ou être responsable d’une hépatite ictérique non sévère, d’une hépatite aiguë sévère voire fulminante ; ce dernier tableau, défini par l’apparition d’une encéphalopathie, est habituellement traité par une transplantation 311 hépatique. Or, celle-ci est contre-indiquée chez un patient ayant une maladie néoplasique évolutive ou récente en raison du mauvais pronostic après la greffe, lié à l’action facilitatrice du traitement immunosuppresseur sur la croissance tumorale. La réactivation peut être associée à une séroréversion HBe (réapparition de l’Ag HBe et disparition de l’AC HBe). Ces réactivations sont principalement observées chez des patients ayant un Ag HBs positif (46 % en moyenne avec des écarts de 24 à 88 % selon les études [6]) mais également, de façon moins fréquente, chez des patients ayant des AC HBc positifs isolés (9 % environ [6,8]) et enfin chez 5 % des patients ayant des AC HBs positifs plus ou moins associés à des AC HBs positifs [6,8-9]. Chez les patients Ag HBs négatifs, elle s’observe surtout au cours d’hémopathies malignes et se traduit habituellement par une séroréversion HBs, c’est-à-dire la réapparition d’un Ag HBs et une négativation de l’AC HBs si celui-ci était positif. Elles sont responsables d’hépatites aiguës chez environ 33 % des patients, de 13 % de formes sévères œdémato-ascitiques et/ou ictériques plus ou moins associées à une encéphalopathie et de 5 % de décès environ [6]. Une autre forme de réactivation, plus rarement décrite, est celle de la fibrose hépatique cholestasiante : elle se traduit par une exacerbation biologique plus cholestatique que cytolytique, associée à une augmentation de la virémie et s’explique par un envahissement massif du cytoplasme par les antigènes viraux. L’évolution est sévère, rapidement évolutive vers l’hépatite fulminante en l’absence de traitement. Elle a été décrite au cours de l’hépatite B [10] et, plus rarement, au cours de l’hépatite C [11]. L’autre risque plus méconnu est celui, en reflet, de l’arrêt de la multiplication virale B à l’arrêt de la chimiothérapie avec les mêmes risques évolutifs que la réactivation, dont certains cas mortels survenant chez des patients en rémission complète de leur maladie cancéreuse. Il peut être associé à une séroconversion dans les systèmes HBe ou HBs [7]. D’autres évolutions sont moins sévères à court terme mais délétères à long terme : la reprise de la multiplication virale B est responsable de la constitution de lésions nécroticoinflammatoires et de fibrose hépatique pouvant conduire à la constitution d’une cirrhose. Celle-ci se complique d’environ 5 % de décompensations par an, sous forme de décompensation œdémato-ascitique plus ou moins ictérique, d’hémorragie digestive par rupture de varices principalement œsogastriques, d’encéphalopathie et de carcinome hépatocellulaire, principale cause de mortalité actuellement au cours des hépatites B et C chroniques [12-13]. On observe également la survenue de novo ou la récidive de manifestations extrahépatiques liées à la multiplication virale B, en particulier néphrologiques ou à type de vascularite [14]. Le risque de contamination de l’entourage, directement corrélé à l’importance de la virémie, est également à prendre en compte en particulier si la réactivation n’est pas diagnostiquée et l’entourage non-protégé. 312 Cancéro dig. Vol. 2 N° 4 - 2010 En dehors des risques « hépatologiques », le pronostic péjoratif de ces patients s’explique aussi par le fait que la cytolyse au cours d’une chimiothérapie peut faire contre-indiquer ou retarder la poursuite du traitement et poser le problème d’un diagnostic différentiel parfois difficile avec une toxicité médicamenteuse d’une des molécules utilisées dans la chimiothérapie [6,15]. EASL Clinical Practice Guidelines 2008 Management of chronic hepatitis B Surveillance attentive des ALAT et de la sérologie VHB Traitement pré-emptif par analogues Enfin, il est indispensable, devant un tableau d’exacerbation, d’éliminer une surinfection virale C ou D chez des patients ayant des facteurs de risque (parfois transfusionnel) ou d’autres infections favorisées par le déficit immunitaire comme des hépatites à herpès virus ou fongiques, par exemple. AgHBs + et ADN-VHB + AgHBs – et Acanti-HBs – et Acanti-HBc + AgHBs + et ADN-VHB – AgHBs – et Acanti-HBs + et Acanti-HBc + Risque de réactivation ❚ Traitements préventifs des réactivations Traitement préventif primaire Figure 1 Risque de réactivation virale B en fonction de la sérologie Le meilleur traitement préventif est la protection de la population générale, c’est-à-dire la vaccination contre le virus de l’hépatite B et les précautions limitant la contamination par le virus de l’hépatite C, c’est-à-dire l’interrogatoire des donneurs de sang afin d’exclure les sujets à risque, le dépistage des produits sanguins par sérologie B et C puis actuellement par PCR virale C, l’utilisation de matériel à usage unique pour les toxicomanes, les mesures d’hygiène chez les patients recevant des soins médicaux lourds, un traitement par dialyse, la sélection des greffons utilisés, le dépistage des sujets à risque dans la population générale. Traitement préventif secondaire Un dépistage de tous les sujets devant recevoir une chimiothérapie est indispensable avant le début du traitement, quels que soient le type de tumeur et le type de chimiothérapie. Le risque de réactivation est en effet décrit dans les tumeurs solides (environ 25 %) [16] comme dans les hémopathies (jusqu’à 50 %) [3,6,16-17]. Le premier bilan de ces patients doit absolument comprendre une sérologie virale B (antigène HBs, anticorps anti-HBc et HBs) et une sérologie C. Chez les patients ayant un AC HBc isolé, voire chez les patients ayant des anticorps antiHBc et HBs positifs et un antigène négatif, la recherche de l’ADN viral B peut permettre de détecter certaines formes d’hépatite B chronique dites « cryptiques » (définies par un ADN détectable et un antigène HBs négatif) qui ont un risque majeur d’exacerbation au cours des traitements immunosuppresseurs et doivent être considérées comme des hépatites B chroniques avec un antigène HBs positif [6]. Si la sérologie C est positive, une PCR doit être demandée afin de savoir s’il s’agit d’une hépatite C chronique, comme c’est le cas chez 70 % des patients, ou d’une hépatite C guérie. Si la PCR est négative, le diagnostic s’oriente vers une hépatite C guérie qui doit être confirmée par une 2e PCR négative, en théorie, six mois après la première. Dans ce contexte particulier, une autre PCR doit être réalisée de façon plus rapprochée. En pratique 3 Si possible avant l’immuno-dépression : • Co-infection VIH ou VHC ? • Sérologie B complète (HBe) • ADN-VHB • Sérologie VHD (+ PCR) si AgHBs + • Apprécier la gravité de la maladie du foie • Transaminases et bilan hépatique • Échographie du foie • Tests non invasifs ? • PBH si nécessaire 1 2 Hépatite chronique B AgHBs + ou Ac anti-HBc + isolé (?) avec ADN-VHB – et absence de maladie du foie Entécavir ou Ténofovir pendant et 12 mois après immuno-dépression Surveillance ALAT, AgHBs (ADN-VHB) AgHBs –, Acanti-HBs et HBc + Traitement Figure 2 Conduite à tenir pratique préventive des réactivations virales B Un bilan de sévérité initial de l’hépatopathie doit être réalisé, comprenant : – la recherche de signes indirects de cirrhose : • examen clinique : foie dur à bord inférieur tranchant, signes d’insuffisance hépatique ou d’hypertension portale ; • biologiques (thrombopénie, signes d’insuffisance hépatique comme la diminution du taux de prothrombine, de l’albuminémie et l’augmentation de la bilirubine), à interpréter avec précaution sachant que l’existence de la maladie cancéreuse peut influencer certains résultats et fausser leur interprétation ; • morphologiques : dysmorphie ou signes d’hypertension portale à l’échographie couplée au doppler hépatique ou éventuellement à la fibroscopie œsogastroduodénale. – la recherche d’autres hépatopathies associées : • en particulier, les co-infections par les virus des hépatites B, C et VIH et par le virus de l’hépatite D chez les patients infectés par le B ; 313 Cancéro dig. Vol. 2 N° 4 - 2010 • les autres hépatopathies fréquentes comme la maladie alcoolique du foie par l’interrogatoire, une toxicité médicamenteuse (interrogatoire et chronologie des prises médicamenteuses), une hémochromatose (bilan martial). – une évaluation de la fibrose hépatique qui est souvent pratiquée par des tests non-invasifs en raison : • de la nécessité d’une chimiothérapie rapide habituellement ; • de la validité de certains tests au cours de l’hépatite C chronique : Fibroscan, Fibrotest, Fibromètre, Hepascore, sachant que certains tests biochimiques peuvent être influencés par la maladie néoplasique sous-jacente et d’interprétation parfois difficile [18] ; • de l’absence de l’influence de l’importance de la fibrose au cours de l’hépatite B chronique, en raison de la recommandation systématique du traitement préemptif en cas de portage de l’antigène HBs [19,21] ; seule l’existence d’une cirrhose décompensée sera à prendre en compte afin de poser une éventuelle contre-indication à certaines chimiothérapies. ❙ Indications du traitement préemptif Il n’y a pas de traitement préemptif au cours de l’hépatite C chronique ; en effet, le traitement de référence, la bithérapie par interféron pégylé et ribavirine n’est efficace que dans 55 % des cas environ après 24 à 48 semaines de traitement et sa tolérance médiocre, peu compatible avec une chimiothérapie en raison des effets secondaires généraux et hématologiques principalement [22,23]. Au contraire, au cours de l’hépatite B chronique, l’indication du traitement préemptif a été clairement établie par différentes études montrant la diminution de la morbidité et de la mortalité chez les patients traités de façon préemptive par rapport à ceux traités de façon curative (c’est-à-dire après le diagnostic de la réactivation), avec une diminution de la mortalité, toutes causes confondues de 36 à 18 % dans une méta-analyse récente [6], d’arrêt de la chimiothérapie de 39 à 17 % et une diminution de la mortalité tumorale de 35 à 26 %. D’après les dernières recommandations de l’EASL et de l’AASLD, le traitement préemptif doit être systématique chez tous les patients porteurs chroniques de l’antigène HBs. Il est plus discuté chez les patients ayant un antigène HBs négatif et un anticorps anti-HBc positif isolé, témoignant d’un contact avec le virus de l’hépatite B. S’il existe une hépatite B cryptique caractérisée par une virémie détectable, le patient doit recevoir un traitement préemptif au même titre que les porteurs chroniques de l’Ag HBs. Chez ceux ayant une virémie indétectable, un suivi biologique (ALAT) et virologique (ADN) est recommandé sans préciser sa fréquence, et un traitement institué dès que la réactivation virologique est détectée afin d’éviter l’exacerbation biochimique qui survient habituellement plusieurs semaines après. L’intégration de l’ADN viral à l’intérieur du génome des celluleshôte explique la possibilité d’une réactivation virale B chez ces patients, principalement chez ceux ayant un anticorps anti-HBc isolé puis, de façon moins fréquente, chez ceux ayant des anticorps anti-HBc et HBs positifs. Certaines études ont démontré qu’un anticorps anti-HBc isolé, le sexe masculin, une maladie néoplasique de type lymphomateux, l’utilisation de corticoïdes, d’anti-CD20 [24] ou d’anti-CD52 [25], le nombre de lignes utilisées, le caractère systémique de la chimiothérapie utilisée et parfois un indice de masse corporelle élevé étaient des facteurs de risque de réactivation [6-7]. Il a été montré, par exemple, que le pourcentage de survenue de réactivation virale B chez un patient traité pour un carcinome hépatocellulaire était d’environ 40 % chez ceux traités par chimiothérapie intraveineuse, 25 % par chimioembolisation et 5 % chez ceux recevant un traitement local [26]. Il faut également tenir compte du terrain et particulièrement de la présence d’une cirrhose, facteur pronostique péjoratif des exacerbations. En raison de ces résultats, le traitement préemptif est fréquemment prescrit chez les patients ayant un AC HBc positif isolé, d’autant plus si ces facteurs de risque sont présents. Enfin, il n’est pas indiqué chez les patients ayant un AC HBs positif isolé témoignant habituellement d’une vaccination passée efficace ou d’un anticorps anti-HBs et HBc positifs témoignant d’une hépatite B « guérie » (chez qui la surveillance reste nécessaire). ❙ Nature du traitement préemptif Les traitements actuellement disponibles, au cours de l’hépatite B chronique, sont l’interféron ou les analogues ; l’interféron n’est pas recommandé chez ces patients car efficace dans seulement 30 à 40 % des cas après 12 mois de traitement avec le risque d’exacerbation biologique au moment de l’arrêt de la multiplication virale [27] ; de plus, comme au cours de l’hépatite C chronique, ses effets secondaires le rendent difficilement compatible avec ceux d’une chimiothérapie. Par conséquent, le traitement recommandé est constitué par un des analogues nucléosidiques ou nucléotidiques efficaces dans l’hépatite B chronique : – les 2 analogues de 1 re génération sont la lamivudine et l’adéfovir. La lamivudine, à une posologie de 100 mg/j, a longtemps été le seul analogue recommandé, permettant une diminution rapide de la virémie avec une excellente tolérance mais limité par la survenue de mutations génotypiques responsables de résistances dans 20 % des cas par année de traitement [28]. Or, il est souvent difficile de préciser la fin prévue de la chimiothérapie qui dépend de l’évolution à moyen ou long terme de la maladie néoplasique. Le 2e traitement, l’adéfovir, a permis au début des années 2000, d’être efficace chez la plupart des patients ayant une souche résistante à la lamivudine avec un pourcentage moindre de résistance (jusqu’à 25 % à 5 ans) mais également 15 % environ de réponse virologique partielle [29] ; – depuis environ 4 ans, deux analogues de 2e génération sont disponibles, l’entécavir [30] et le tenofovir [31], avec une efficacité plus rapide et surtout un taux d’échappement quasi-nul après 3 à 6 ans de traitement. Ces deux molécules font actuellement partie des traitements de 1re intention au cours de 314 l’hépatite B chronique et peuvent être utilisés en monothérapie dans les traitements préemptifs, en particulier lorsque la durée de la chimiothérapie peut être évaluée à plus d’un an. Les posologies recommandées sont d’un comprimé de 245 mg/j de tenofovir ou d’un comprimé d’entécavir de 0,5 mg/j chez un patient qui n’a jamais été traité par lamivudine ou 1 mg/j chez un patient qui a déjà reçu de la lamivudine. Si le patient est infecté par une souche résistante à la lamivudine, le tenofovir est recommandé afin d’éviter au maximum les échappements, plus fréquents sous entécavir. Le problème non-résolu de ce traitement est la durée du traitement préemptif. Il est recommandé de le poursuivre jusqu’à 12 mois après la fin du traitement potentiellement immunosuppresseur. Cependant, des réactivations à l’arrêt du traitement peuvent survenir malgré le respect de ce délai, particulièrement chez les patients ayant initialement une réplication virale significative (supérieure à 2 000 UI/ml) [32]. Les risques potentiels de cette réactivation sont également celui d’une hépatite aiguë parfois sévère, voire fulminante et la reprise de l’évolution des lésions d’hépatite chronique. La surveillance est donc indispensable à l’arrêt du traitement préemptif, par le dosage de la virémie ; sa fréquence n’est pas clairement définie dans les recommandations mais elle doit être régulière, au moins tous les 3 mois initialement et prolongée puisqu’elle peut survenir plusieurs années après l’arrêt du traitement. ❚ Autres hépatopathies virales Hépatite D Chez les patients atteints d’hépatite delta (toujours dans le cadre d’une infection virale B systématiquement associée) et immunocompétents, on observe habituellement la réplication d’un seul des 2 virus ; cet équilibre de réplication est modifié dans les conditions de déficit immunitaire où les 2 virus se répliquent plus fréquemment de façon significative. Des modifications de cet équilibre dans le sens d’une reprise ou d’un arrêt de la multiplication virale peuvent s’accompagner comme dans la monoinfection B d’une exacerbation avec les mêmes risques. Il n’y a pas de traitement préemptif concernant l’hépatite D mais un traitement antiviral B par analogues doit être institué comme chez tout patient porteur chronique de l’antigène HBs. Hépatite E Enfin, de façon très préliminaire, il faut signaler la description récente de formes chroniques d’hépatite E (habituellement considérée comme responsable de formes aiguës uniquement), chez des patients immunodéprimés (co-infections VIH, patients recevant des traitements immunosuppresseurs après une greffe d’organe ou porteurs de déficit immunitaire acquis d’autre origine), avec parfois des cytolyses élevées et la constitution de cirrhoses [33-34]. La diffusion de ce virus était habituellement considérée comme limitée aux régions en voie de développement Cancéro dig. Vol. 2 N° 4 - 2010 mais est devenue, au cours de ces derniers mois, beaucoup plus fréquente dans d’autres régions, par exemple, dans le sud de la France où sa prévalence a dépassé celle de l’hépatite A au cours des hépatites aiguës. Cette étiologie n’est pas une cause connue d’exacerbation au cours des chimiothérapies mais devrait maintenant faire partie des étiologies à rechercher systématiquement devant une cytolyse aiguë ou chronique inexpliquée. À noter qu’il n’y a pas de traitement préemptif recommandé au cours de cette pathologie seulement émergente, mais que la ribavirine a permis d’inhiber la réplication virale chez certains patients [35]. ❚ Conclusion Le risque de coexistence d’une maladie néoplasique et d’une hépatopathie virale chronique B ou C est une circonstance fréquente dont le risque est l’exacerbation virale, secondaire à deux évolutions possibles, en miroir, qui sont la reprise de la réplication virale puis son arrêt favorisés par les modifications de l’état immunitaire du patient. La prévention de ce risque est indispensable afin d’éviter le développement d’une comorbidité et la surmortalité de cause hépatique et cancéreuse ; elle consiste dans le dépistage systématique des infections virales B et C dans le bilan préthérapeutique avant toute chimiothérapie, le traitement préemptif au cours des hépatites B chroniques et parfois en présence d’un AC anti-HBc isolé, et la recherche de ces infections dans le bilan étiologique de toute perturbation du bilan hépatique avant, pendant et après la chimiothérapie. ❚ Références 1. Prévalence des hépatites B et C en France en 2004. Rapport InVS. Saint-Maurice : institut de veille sanitaire, mars 2007;113. 2. Ganem D, Price AM. Hepatitis B virus infection – natural history and clinical consequences. N Engl J Med 2004;350:1118-29. 3. wands JR, Chura CM, Roll FJ, Maddrey wC. Serial studies of hepatitis-associated antigen and antibody in patients receiving antitumor chemotherapy for myeloproliferative and lymphoproliferative disorders. Gastroenterology 1975;68:105-12. 4. Mathurin P, Mouquet C, Poynard T, Sylla C, Benalia H, Fretz C, et al. Impact of hepatitis B and C virus on kidney transplantation outcome. Hepatology 1999;29:257-63. 5. Thein HH, Yi Q, Dore GJ, Krahn MD. Natural history of hepatitis C virus infection in HIV-infected individuals and the impact of HIV in the era of highly active antiretroviral therapy: a meta-analysis. AIDS 2008;22:1979-91. 6. Katz LH, Fraser A, Gafter-Gvili A, Leibovici L, Tur-Kaspa R. Lamivudine prevents reactivation of hepatitis B and reduces mortality in immunosuppressed patients: systematic review and metaanalysis. J Viral Hepat 2008;15:89-102. 7. Yeo w, Johnson PJ. Diagnosis, prevention and management of hepatitis B virus reactivation during anticancer therapy. Hepatol 2006;43:209-20. 8. Lok ASF, Liang RH, Chiu EK, wong KL, Chan TK, Todd D. Reactivation of hepatitis B virus replication in patients receiving cytotoxic therapy. Report of a prospective study. Gastroenterology 1991;100:182-8. Cancéro dig. Vol. 2 N° 4 - 2010 9. Hui CK, Cheung ww, Zhang HY, Au wY, Yueng YH, Leung AY, et al. Kinetics and risk of de novo hepatitis B infection in HBs Ag negative patients undergoing cytotoxic chemotherapy. Gastroenterology 2006;131:59-68. 10. Davies SE, Portmann BC, O’Grady JG, Aldis PM, Chaggar K, Alexander GJ, williams R. Hepatic histologic findings after transplantation for chronic hepatitis B virus infection, including a unique pattern of fibrosing cholestatic hepatitis. Hepatology 1991;13:150-7. 11. Zylberberg H, Carnot F, Mamzer MF, Blancho G, Legendre C, Pol S. Hepatitis C virus-related fibrosing cholestatic hepatitis after renal transplantation. Transplantation 1997;63:158-60. 12. McMahon BJ. Natural history of chronic hepatitis B. Clin Liver Dis 2010;14:381-96. 13. Seeff LB. The history of the “natural history” of hepatitis C (1968-2009). Liver Int 2009;29:89-99. 14. Lunel F, Cacoub P. Treatment of auto-immune and extra-hepatic manifestations of HCV infection. J Hepatol 1999;3:210-6. 15. Yeo w, Chan PK, Hui P, Ho wM, Lam KC, Kwan wH, et al. Hepatitis B virus reactivation in breast cancer undergoing cytotoxic chemotherapy: a prospective study. J Med Virol 2003;70:553-61. 16. Alexopoulos CG, Vaslamatzis M, Hatzidimitriou G. Prevalence of hepatitis B virus marker positivity and evolution of hepatitis B profle, during chemotherapy, in patients with solid tumours. Br J Cancer 1999;81:69-74. 17. Yeo w, Chan PK, Zhong S, Ho wM, Steinberg JL, Tam JS, et al. Frequency of hepatitis B virus reactivation in cancer patients undergoing cytotoxic chemotherapy: a prospective study of 626 patients with identification of risk factors. J Med Virol 2000;62:299-307. 18. Fontaine H, Petitprez K, Roudot-Thoraval F, Trinchet JC. Guidelines for the diagnosis of uncomplicated cirrhosis. Gastroenterol Clin Biol 2007;31:504-9. 19. EASL Clinical Practice Guidelines: management of chronic hepatitis B. European Association for the Study of the Liver. J Hepatol 2009;50:227-42. 20. Lok ASF and Mc Mahon BJ. Chronic hepatitis B: update 2009. Hepatol 2009;50:1-36. 21. Liaw YF, Leung N, Kao JH, Piratvisuth T, Gane E, Han KH, et al. Asian Pacific consensus statement on the management of chronic hepatitis B: a 2008 update. Hepatol Int 2008;2:263-83. 22. Manns MP, McHutchison JG, Gordon SC, Rutsgi VK, Shiffman M, Reindollar R, et al. Peginterferon alfa-2b plus ribavirine compared with interferon alfa-2b plus ribavirin for initial treatment of chronic hepatitis C: a randomised trial. Lancet 2001;358:958-65. 315 23. Fried Mw, Shiffman ML, Reddy KR, Smith C, Marinos G, Goncalves FL, et al. Peginterferon alfa-2a plus ribavirine for chronic hepatitis C virus infection. N Engl J Med 2002;347:975-82. 24. Coiffier B, Lepage E, Briere J, Herbrecht R, Tilly H, Bouabdallah R, et al. CHOP chemotherapy plus rituximab compared with CHOP alone in elderly patients with diffuse large-B-cell lymphoma. N Engl J Med 2002;346:235-42. 25. Iannitto E, Minardi V, Calvaruso G, Mule A, Ammatuna E, DI Trapani RD, et al. Hepatitis B virus reactivation and alemtuzumab therapy. Eur J Haematol 2005;74:254-8. 26. Jang Jw, Choi JY, Bae SH, Kim Cw, Yoon SK, Cho SH, et al. Transarterial chemo-lipiodolization can reactivate hepatitis B virus replication in patients with hepatocellular carcinoma. J Hepatol 2004;41:427-35. 27. Brunetto MR, Oliveri F, Colombatto P, Coco B, Ciccorossi P, Bonno F. Treatment of HBe Ag negative chronic hepatitis B with interferon or pegylated interferon. J Hepatol 2003;39:S164-7. 28. Liaw YF, Sung JJ, Chow wC, Farrell G, Lee CZ, Yuen H, et al. Lamivudine for patients with chronic hepatitis B and advanced liver disease. N Engl J Med 2004;351:1521-31. 29. Chan HL, Heathcote EJ, Marcellin P, Lai CL, Cho M, Moon YM, et al. Treatment of hepatitis B e antigen positive chronic hepatitis with telbivudine or adefovir: a randomized trial. Ann Intern Med 2007;147:745-54. 30. Chang TT, Gish RG, de Man R, Gadano A, Sollano J, Chao YC, et al. A comparison of entecavir and lamivudine for HBeAg-positive chronic hepatitis B. N Engl J Med 2006;354:1001-10. 31. Marcellin P, Heathcote EJ, Buti M, Gane E, de Man RA, Krastev Z, et al. Tenofovir disoproxil fumarate versus adefovir dipivoxil for chronic hepatitis B. N Engl J Med 2008;359:2442-55. 32. Hui CK, Cheung ww, Au wY, Lie AK, Zhang HY, Yueng YH, et al. Hepatitis B reactivation after withdrawal of pre emptive lamivudine in patients with haematological malignancy on completion of cytotoxic chemotherapy. Gut 2005;54:1597-603. 33. Renou C, Lafeuillade A, Cadranel JF, Pavio N, Pariente A, Allegre T, et al. Hepatitis E virus in HIV infected patients. AIDS 2010;24: 1493-9. 34. Kamar N, Selves J, Mansuy JM, Ouezzani L, Peron JM, Guitard J, et al. Hepatitis E virus and chronic hepatitis in organ transplant recipients. N Engl J Med 2008;358:811-7. 35. Mallet V, Nicand E, Sultanik P, Chakvetadze C, Tessé S, Thervet E, et al. Brief communication: case reports of ribavirine treatment for chronic hepatitis E. Ann Intern Med 2010;153:85-9.