Les Sciences humaines et sociales et la philosophie : que peuvent-elles ? : Éduquer 28/11/2012, Université Lumière - Lyon 2 (Lyon) L’auteur Zoom Bernard Lahire est né à Lyon en 1963. Actuellement Professeur de sociologie à l’École Normale Supérieure de Lyon et directeur du Groupe de Recherche sur la Socialisation, il a été successivement maître de conférences puis professeur de sociologie à l’Université Lumière Lyon 2 et membre de l’Institut Universitaire de France. Il dirige la collection « Laboratoire des sciences sociales » aux Éditions La Découverte depuis 2002, est membre des comités de rédaction des Cahiers internationaux de sociologie et de la revue Éducation et Sociétés, des comités scientifiques des revues Sciences sociales et sports, Éducation et didactique et Tracés, ainsi que des Conseils éditoriaux internationaux des revues Educação & Sociedade (Brésil), Propuesta Educativa (Argentine) et Journal of Cultural Economy (Royaume-Uni). Il a été membre de différents conseils scientifiques (au Département d’Économie et Sociologie Rurales de l’INRA, au Groupe Permanent de Lutte contre l’Illettrisme/Ministère de l’emploi et de la solidarité, à l’ACI « Cognitique »/Ministère de la Recherche et à l’Observatoire Nationale de la Vie Étudiante) et membre nommé de la 19ème section (Sociologie, démographie) du Conseil national des universités. Il est actuellement membre de deux conseils scientifiques : ceux de l’ENSSIB (École Nationale Supérieure des Sciences de l’Information et des Bibliothèques) et de l’INRP (Institut National de Recherche Pédagogique). Monde pluriel. Penser l’unité des sciences sociales (Seuil, 2012) Comment dessiner une vue d’ensemble du monde social lorsque les cloisonnements disciplinaires et l’hyperspécialisation du savoir poussent les chercheurs à étudier des parcelles de plus en plus restreintes de ce monde ? Si cette fragmentation est une conséquence du processus de différenciation sociale qu’ils s’attachent à penser, elle est aussi ce qui les empêche d’en faire une lecture globale. Une question centrale donne pourtant aux sciences humaines et sociales un socle commun : pourquoi les individus font-ils ce qu’ils font ? Et elles y répondent d’autant mieux qu’elles parviennent à saisir les pratiques des acteurs au croisement de leurs expériences passées incorporées et des contextes de leurs actions présentes. Si la plupart des chercheurs en conviennent, peu s’accordent toutefois sur les cadres pertinents dans lesquels les acteurs doivent être situés pour analyser telle ou telle dimension de leurs pratiques. Soumettre les notions de « champ », de « monde », de « système » ou de « cadre de l’interaction » à l’examen critique, c’est dès lors oeuvrer à leur jonction théorique. Bernard Lahire s’efforce ici de marquer une distance par rapport à l’état actuel des sciences humaines et sociales et aux clivages qui les traversent en nous donnant la possibilité d’entrevoir l’unité cachée d’un espace en apparence très morcelé. La presse © Emmanuelle Marchadour Bernard Lahire France « Inciter les sciences sociales à retrouver une vision globale, tel est le vœu du sociologue Bernard Lahire. L’important pour Lahire, si l’on veut comprendre les pratiques sociales, consiste à toujours replacer des habitus, entendus comme des ensembles de dispositions, dans des contextes qu’il convient de circonscrire à la bonne échelle. Les sciences sociales se doivent donc d’articuler échelle, niveau et objet d’étude. Et la seule manière d’y parvenir consiste à multiplier les focales, et à croiser les approches, non seulement entre micro et macro mais aussi entre différentes disciplines. Les sciences sociales doivent ainsi résister à l’un des rares phénomènes sociaux sur lesquels toutes les théories, quelles que soient les obédiences, s’accordent depuis toujours : la différenciation toujours plus poussée des sociétés. Il est crucial pour les chercheurs non pas de faire l’effort, mais de prendre plaisir à lire leurs collègues des disciplines voisines. » Sylvain Bourmeau, Libération Du 20 novembre au 2 décembre 2012 / Un événement conçu et réalisé par la Villa Gillet / www.villagillet.net / 63 L’œuvre Ce qu’ils vivent, ce qu’ils écrivent. Mises en scène littéraires du social et expériences socialisatrices des écrivains (Archives Contemporaines, 2011) Franz Kafka. Éléments pour une théorie de la création littéraire (La Découverte, 2010) La Cognition au prisme des sciences sociales, co-dirigé avec Claude Rosental (Archives Contemporaines, 2008) Monde pluriel. Penser l’unité des sciences sociales (Seuil, 2012) Ce qu’ils vivent, ce qu’ils écrivent. Mises en scène littéraires du social et expériences socialisatrices des écrivains (Archives Contemporaines, 2011) Franz Kafka. Éléments pour une théorie de la création littéraire (La Découverte, 2010) La Cognition au prisme des sciences sociales, co-dirigé avec Claude Rosental (Archives Contemporaines, 2008) La Raison scolaire. École et pratiques d’écriture, entre savoir et pouvoir (Presses Universitaires de Rennes, 2008) La Condition littéraire. La double vie des écrivains (La Découverte, 2006) L’Esprit sociologique (La Découverte, 2005 ; 2e éd. 2007) La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi (La Découverte, 2004 ; 2e éd. 2006) À quoi sert la sociologie ? (dir.) (La Découverte, 2002 ; 2e éd. 2004) Portraits sociologiques. Dispositions et variations individuelles (Nathan, 2002 ; 2e éd. Armand Colin, 2005) Le Travail sociologique de Pierre Bourdieu. Dettes et critiques (dir.) (La Découverte, 1999 ; 2e éd. 2001) L’Invention de l’« illettrisme ». Rhétorique publique, éthique et stigmates (La Découverte, 1999 ; 2e éd. 2005) L’Homme pluriel. Les ressorts de l’action (Nathan, 1998 ; 3e éd. Hachette, 2006) Les Manières d’étudier (La Documentation française, 1997) Tableaux de familles. Heurs et malheurs scolaires en milieux populaires (Gallimard/Seuil, 1995 ; 3e éd. Points, 2012) La Raison des plus faibles. Rapport au travail, écritures domestiques et lectures en milieux populaires (PUL, 1993) Culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de l’« échec scolaire » à l’école primaire (PUL, 1993 ; 3e éd. 2007) Comment établir des liens, systématiques plutôt qu’anecdotiques, profonds plutôt que superficiels, entre la vie des romanciers et leurs créations dans la perspective d’une sociologie de la création des oeuvres culturelles ? Si presque tous les sociologues de l’art et de la culture s’accorderaient sans doute à dire que les oeuvres portent en elles la trace des expériences ou des propriétés sociales de leurs auteurs, ils ont cependant davantage concentré jusque-là leur attention soit sur la carrière des créateurs, soit sur les formes différenciées de réception des oeuvres par des publics variés. Le lecteur trouvera dans ce livre, fruit d’un travail collectif mené durant quatre ans, une série d’études portant sur des auteurs aussi différents que Albert Cohen, Assia Djebar, Marguerite Duras, Jack London, John Fante, Paula Fox, David Lodge, Howard Phillips Lovecraft, Paul Nizan, Amélie Nothomb, Stendhal, Jules Vallès ou Émile Zola. Il s’agissait d’analyser les éléments les plus structurants de la vie de ces auteurs, de reconstruire les conditions de leurs existences et de leurs socialisations, en vue de comprendre la nature des intrigues élaborées dans des oeuvres singulières. En adoptant une telle démarche, le collectif de chercheurs animé par Bernard Lahire, entendait dépasser le clivage entre les lectures dites « internes » et les lectures dites « externes », en considérant les oeuvres comme des condensations littéraires d’expériences sociales mises en forme, modélisées ou typifiées par l’écrivain, et donc comme des points de vue, socialement situés, sur le monde, justiciables d’une analyse sociologique. Repartir de l’horizon des auteurs, de ce qui se présente à eux comme des problèmes à résoudre, des obstacles à franchir, des difficultés qui sont spécifiquement les leurs, pour comprendre la transposition plus ou moins complexe de cet horizon et de ces problèmes dans des oeuvres : voilà l’objectif de ce livre qui peut s’entendre comme une contribution à une science de la création littéraire. Est-il possible de percer les mystères de la création littéraire ? La sociologie peut-elle entrer dans la chair même des oeuvres ? Estelle en mesure de se confronter à des oeuvres particulièrement difficiles, voire étranges ? Bernard Lahire s’est confronté à l’un des plus grands représentants de la littérature d’avant-garde, Franz Kafka, qui a laissé une oeuvre jugée le plus souvent énigmatique et formellement inventive. Il y avait donc un véritable défi scientifique à montrer ce dont la sociologie est capable sur un terrain qui ne lui est, a priori, pas favorable. Pourquoi Franz Kafka écrit-il ce qu’il écrit comme il l’écrit ? Pour répondre à la question, Bernard Lahire examine, grâce aux outils de la biographie sociologique, la fabrication sociale de l’auteur du Procès, depuis les primes expériences familiales jusqu’aux épreuves les plus tardives. Ce faisant, non seulement il saisit les raisons qui le conduisent à être attiré par la littérature, mais il se donne les moyens de comprendre les propriétés formelles et thématiques d’une oeuvre travaillée par les éléments constitutifs de sa problématique existentielle. Dans ce livre magistral qui, au-delà du cas de Kafka, pose les fondements d’une théorie de la création littéraire, les oeuvres apparaissent comme autre chose que des solutions esthétiques à des problèmes formels ou que des manières de jouer des coups dans un « champ littéraire ». Elles sont aussi des points de vue sur le monde, des manières formellement spécifiques de parler du monde mises en oeuvre par des créateurs aux expériences sociales singulières. « La naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’auteur », écrivait Roland Barthes. Pour sa part, la lecture sociologique doit au contraire faire renaître l’auteur - un auteur socialisé et non sacralisé - pour rendre raison de ses textes. Comment les sciences sociales peuvent-elles contribuer à l’étude de la cognition ? Quels objets spécifiques sont-elles à même de construire dans ce domaine à partir des enjeux théoriques et des méthodes qui leur sont propres? Cet ouvrage aborde ces questions en examinant les projets de collaboration des sciences sociales avec d’autres disciplines, telles que la psychologie et la neurobiologie, et en présentant leurs programmes d’investigations indépendants ou concurrents, ainsi que certains de leurs résultats. Il souligne notamment en quoi les phénomènes de perception, de représentation, de formation et de transmission de connaissances peuvent être utilement étudiés en dehors des laboratoires et des situations expérimentales. Après avoir analysé les tenants et les aboutissants de différents programmes de recherche sur la cognition, ce livre illustre plus particulièrement les apports d’investigations menées en sciences sociales sur deux grands dossiers : l’un consacré à la visualisation en société, l’autre aux propriétés cognitives des collectifs. Il étudie des mécanismes aussi différents que ceux liés à l’établissement de la confiance, à la visualisation des dangers du nucléaire, à l’acquisition de compétences logiques, aux apparitions de la Vierge lors d’un pèlerinage, ou encore à l’intelligence collective mobilisée pour la construction de grands équipements, théories scientifiques et infrastructures de données. Réunissant les contributions de chercheurs en sociologie, en anthropologie, en histoire, en philosophie et en sciences de la communication, cet ouvrage s’adresse tout autant aux étudiants et aux chercheurs en sciences humaines et sociales, en sciences cognitives et en sciences de la vie, qu’à tous ceux qui souhaitent mieux saisir les travaux et les perspectives actuelles des recherches sur la cognition. Du 20 novembre au 2 décembre 2012 / Un événement conçu et réalisé par la Villa Gillet / www.villagillet.net / 64 La Raison scolaire. École et pratiques d’écriture, entre savoir et pouvoir (Presses Universitaires de Rennes, 2008) La Condition littéraire. La double vie des écrivains (La Découverte, 2006) L’Esprit sociologique (La Découverte, 2005 ; 2e éd. 2007) La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi (La Découverte, 2004 ; 2e éd. 2006) Penser l’école à la croisée d’une sociologie de l’éducation, d’une sociologie de la connaissance et d’une sociologie des formes d’exercices du pouvoir: voilà l’horizon de pensée dans lequel s’inscrivent les textes composant ce recueil. Faisant retour sur l’histoire des différents états de la forme scolaire de socialisation en éclairant les liens entre raison graphique, rapport au langage et rapport au pouvoir, Bernard Lahire souligne le fait que l’école ne s’est jamais contentée de veiller à l’utilisation correcte du langage par les élèves ou de vérifier leur compréhension en acte (et en contexte), mais qu’elle a eu pour ambition d’inculquer un rapport réflexif et raisonné au langage. L’institution scolaire, qui enseigne une langue autonomisée, décontextualisée et dé-fonctionnalisée, se révèle ainsi, en pratique, très « saussurienne » et la linguistique saussurienne apparaît clairement comme une théorie scolaire des faits langagiers. La meilleure façon de dénaturaliser la raison scolaire et d’en saisir les spécificités est d’étudier de près les modalités de la socialisation scolaire ainsi que les résistances que lui opposent les élèves en difficultés scolaires, majoritairement issus des classes populaires. Privilégiant un rapport pratique au langage, ces derniers ne parviennent pas systématiquement à le mettre à distance et à le prendre comme un objet étudiable en lui-même et pour lui-même. Par ailleurs, l’étude de l’inégale transmission intergénérationnelle de l’écrit au sein des familles (selon le milieu social d’appartenance ou le sexe de l’enfant) permet de compléter la compréhension de ce qui se trame sur la scène scolaire pour des enfants plus ou moins culturellement disposés à jouer le genre de jeux de langage que l’institution leur impose. Bien que les écrivains soient l’objet d’une grande attention publique, force est de constater qu’on les connaît en réalité très mal. Faute d’enquêtes sérieuses, on se contente bien souvent de la vision désincarnée d’un écrivain entièrement dédié à son art. Et l’on peut passer alors tranquillement à l’étude des textes littéraires en faisant abstraction de ceux qui les ont écrits. Ce livre fait apparaître la singularité de la situation des écrivains. Acteurs centraux de l’univers littéraire, ils sont pourtant les maillons économiquement les plus faibles de la chaîne que forment les différents « professionnels du livre ». À la différence des ouvriers, des médecins, des chercheurs ou des patrons, qui passent tout leur temps de travail dans un seul univers professionnel et tirent l’essentiel de leurs revenus de ce travail, la grande majorité des écrivains vivent une situation de double vie contraints de cumuler activité littéraire et « second métier », ils alternent en permanence temps de l’écriture et temps des activités extra-littéraires rémunératrices. Pour cette raison, Bernard Lahire préfère parler de « jeu » plutôt que de « champ » (Pierre Bourdieu) ou de « monde » littéraire (Howard S. Becker) pour qualifier un univers aussi faiblement institutionnalisé et professionnalisé. Loin d’être nouvelle, cette situation de double vie - dont témoignaient Franz Kafka et le poète allemand Gottfried Benn - est pluriséculaire et structurelle. Et c’est à en préciser les formes, à en comprendre les raisons et à en révéler les effets sur les écrivains et leurs œuvres que cet ouvrage est consacré. Il permet de construire une sociologie des conditions pratiques d’exercice de la littérature. En « matérialisant » les écrivains, c’est-à-dire en mettant au jour leurs conditions d’existence sociales et économiques, et notamment leur rapport au temps, il apparaît que ni les représentations que se font les écrivains de leur activité ni leurs œuvres ne sont détachables de ces différents aspects de la condition littéraire. Si toutes les théories du social peuvent a priori prétendre à l’égale dignité scientifique, c’est uniquement dans la mesure où celles et ceux qui les mobilisent acceptent de s’imposer un haut degré de rigueur argumentative, de contrainte méthodologique et de sévérité empirique. Or, à bien considérer l’état réel des productions sociologiques, cela est rarement le cas. Mais qu’est-ce que penser et connaître en sociologue ? Et pourquoi un regard scientifique sur le monde social est-il si important à construire, à défendre et à transmettre ? Issu d’une réflexion sur le travail d’interprétation sociologique mis en œuvre sur des données de nature différente (données d’observation, entretiens, documents écrits, données quantitatives), ce livre aborde des questions centrales dans l’apprentissage de l’esprit sociologique : la description, l’interprétation et la surinterprétation, l’usage sociologique des analogies, les rapports entre objectivation sociologique et critique sociale, entre l’ordre de la pratique et l’ordre du discours, entre sociologie et littérature, etc. Et s’il fallait absolument l’affilier à un genre particulier, un tel ouvrage entrerait sans doute, par sa tonalité critique et sa volonté d’expliciter sans détour ce qu’est la connaissance sociologique mais aussi ce qu’elle n’est pas, dans la catégorie des antimanuels. De caricatures en vulgarisations schématiques des travaux sociologiques, on a fini par penser que nos sociétés, marquées par le maintien de grandes inégalités sociales d’accès à la culture, étaient réductibles à un tableau assez simple : des classes dominantes cultivées, des classes moyennes caractérisées par une « bonne volonté culturelle » et des classes dominées tenues à distance de la culture. Dans ce livre qui combine solidité argumentative et ampleur du matériau empirique, Bernard Lahire propose de transformer cette vision simpliste. Il met ainsi en lumière un fait fondamental : la frontière entre la « haute culture » et la « sous-culture » ou le « simple divertissement » ne sépare pas seulement les classes sociales, mais partage les différentes pratiques et préférences culturelles des mêmes individus, dans toutes les classes de la société. Il montre qu’une majorité d’individus présentent des profils dissonants qui associent des pratiques culturelles allant des plus légitimes aux moins légitimes. Si le monde social est un champ de luttes, les individus sont souvent euxmêmes les arènes d’une lutte des classements, d’une lutte de soi contre soi. Une nouvelle image du monde social apparaît alors, qui ne néglige pas les singularités individuelles et évite la caricature culturelle des groupes. Du 20 novembre au 2 décembre 2012 / Un événement conçu et réalisé par la Villa Gillet / www.villagillet.net / 65 À quoi sert la sociologie ? (dir.) (La Découverte, 2002 ; 2e éd. 2004) Portraits sociologiques. Dispositions et variations individuelles (Nathan, 2002 ; 2e éd. Armand Colin, 2005) Le Travail sociologique de Pierre Bourdieu. Dettes et critiques (dir.) (La Découverte, 1999 ; 2e éd. 2001) L’Invention de l’« illettrisme ». Rhétorique publique, éthique et stigmates (La Découverte, 1999 ; 2e éd. 2005) « À quoi sert la sociologie ? » La question est tout à la fois naïve et provocatrice. La sociologie doit-elle nécessairement servir à quelque chose ? Ou, pour le dire autrement, à quoi ne doit-elle surtout pas servir ? Et si la sociologie doit avoir une quelconque utilité, quelle doit en être la nature : politique (sociologue-expert, sociologue-conseiller du prince, sociologue au service des luttes des dominés), thérapeutique (la sociologie comme socio-analyse et moyen de diminuer ses souffrances grâce à la compréhension du monde social), cognitive (la sociologie comme savoir n’ayant d’autre objectif que d’être le plus scientifique possible) ? C’est à cet ensemble de questionnements que les auteurs de cet ouvrage ont accepté de se confronter. À l’heure où les politiques sont parfois tentés de dénoncer le « sociologisme », notamment en matière de sécurité, l’actualité nous rappelle que la sociologie est une discipline académiquement moins « légitime » que d’autres, une science particulièrement exposée aux demandes de justification ou aux remises en question de ses résultats. Mais si la situation (sociale, académique et cognitive) singulière de la sociologie la met dans une situation inconfortable, dans le même temps, cette demande de réflexivité peut se révéler très productive. Chaque individu est le « dépositaire » de manières de penser, de sentir et d’agir qui sont les produits de ses multiples expériences socialisatrices. Modelés par un monde social que nous façonnons en retour, nous ne lui échappons d’aucune façon. C’est ce que cet ouvrage met en évidence à travers huit portraits sociologiques de personnes longuement interviewées, à plusieurs reprises, sur des thèmes très différents : l’école, la famille, le travail, les amis, les loisirs et activités culturelles, le sport, l’alimentation, la santé, l’habillement... Le lecteur découvre ainsi des femmes et des hommes dans leurs constances et leurs variations et comprend mieux les raisons de leurs actions. Renoncer à l’idée d’une « subjectivité » absolue, au mythe de « l’intériorité », du libre-arbitre ou de l’existence « personnelle » hors de toute influence sociale, pour faire apparaître les forces et contre-forces, internes (dispositionnelles) comme externes (contextuelles), auxquelles nous sommes soumis depuis notre naissance et qui déterminent nos comportements et nos attitudes, voilà à quoi nous invite la sociologie de Bernard Lahire. Elle peut nous aider à progresser dans la connaissance de soi et des autres. L’œuvre de Pierre Bourdieu propose l’une des orientations théoriques contemporaines les plus stimulantes et les plus complexes en sciences sociales. Pourtant, de procès en polémiques sur l’engagement intellectuel et politique de Pierre Bourdieu, on a fini par oublier de prendre en considération le travail sociologique du professeur au Collège de France. Celui-ci fait l’objet de réfutations « radicales » qui sont malheureusement souvent l’expression d’une triste mauvaise foi, ou suscite, à l’inverse, des manifestations naïves d’adhésion, de soutien ou d’éloge manquant pour le moins de recul critique. Prenant acte de la situation, une dizaine de chercheurs ont décidé, sous la direction de Bernard Lahire, de redonner toute sa place au débat scientifique et d’entreprendre un dialogue critique avec l’œuvre de Pierre Bourdieu. Tous ces auteurs - issus de la sociologie, de l’histoire, de l’économie, de la philosophie et de la psychologie n’ont ni la même sensibilité théorique, ni le même rapport à l’œuvre ou à l’auteur. Mais tous ont le désir de discuter rationnellement des concepts d’habitus, de champ, de marché, de capital, de pouvoir symbolique, de légitimité culturelle. L’ambition de ce livre est - entre dettes et critiques de contribuer à un véritable débat autour du travail sociologique de Pierre Bourdieu. Cette nouvelle édition est augmentée d’un texte d’Olivier Favereau, « L’économie du sociologue ». L’ « illettrisme » fait désormais partie des grands problèmes sociaux publiquement reconnus en France, considéré comme une priorité nationale par les plus hautes instances de l’État. Depuis l’invention du néologisme, à la fin des années 1970, on a assisté à la fantastique « promotion » de ce problème. Mais entre la réalité des inégalités d’accès à l’écrit, qu’il ne s’agit pas de nier, et les discours qui sont censés en parler, le rapport n’a rien d’évident. C’est ce qu’entend démontrer Bernard Lahire, en analysant les grandes phases de la construction publique du problème, mais aussi et surtout, la rhétorique des discours sur l’illettrisme. S’appuyant sur un corpus très étendu, il retrace l’histoire de l’ « invention » collective de l’illettrisme, cette extraordinaire machinerie qui a créé, par la magie d’un intense travail symbolique, un « problème social ». Pour Bernard Lahire, la sociologie historique de l’ « illettrisme », est un moyen de prendre distance par rapport aux présupposés et aux pièges des discours ordinaires. Son travail est une manière d’interroger toute une période de notre histoire politico-idéologique, et notamment le « tournant culturel », pris en France à partir des années 1960. Il permet ainsi de saisir le poids et la nature des représentations de l’écrit dans notre pays, ainsi que des processus de stigmatisation qu’induit la valorisation sociale de la culture lettrée. Du 20 novembre au 2 décembre 2012 / Un événement conçu et réalisé par la Villa Gillet / www.villagillet.net / 66 L’Homme pluriel. Les ressorts de l’action (Nathan, 1998 ; 3e éd. Hachette, 2006) Tableaux de familles. Heurs et malheurs scolaires en milieux populaires (Gallimard/Seuil, 1995 ; 3e éd. Points, 2012) La Raison des plus faibles. Rapport au travail, écritures domestiques et lectures en milieux populaires (PUL, 1993) Culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de l’« échec scolaire » à l’école primaire (PUL, 1993 ; 3e éd. 2007) L’homme que les sciences humaines et sociales prennent pour objet est le plus souvent étudié dans un seul contexte ou à partir d’une seule dimension. On l’analyse en tant qu’élève, travailleur, consommateur, conjoint, lecteur, pratiquant d’un sport, électeur, etc. Or, dans des sociétés où les individus vivent simultanément et successivement des expériences sociales hétérogènes et parfois contradictoires, chacun est inévitablement porteur d’une multiplicité de dispositions, de façons de voir, de sentir et d’agir. Interrogeant la manière dont l’individu s’inscrit dans une pluralité de mondes où il agit différemment selon les contextes qu’il rencontre, l’auteur esquisse une théorie de l’acteur pluriel qui met en évidence les plis les plus singuliers du social. Quelles sont les différences internes aux milieux populaires susceptibles de rendre raison des variations, parfois considérables, dans la scolarité d’enfants d’environ huit ans ? Qu’est-ce qui peut éclairer le fait qu’une partie de ceux qui ont la plus grande probabilité de redoublement à l’école élémentaire échappent à ce risque et même, dans certains cas singuliers particulièrement intéressants, occupent les meilleures places dans les classements scolaires ? Les phénomènes de dissonances et de consonances entre des configurations familiales populaires et l’univers scolaire constituent donc l’objet central de ce livre. Les « tableaux de famille » qui forment le corps principal de l’ouvrage permettent notamment de comprendre comment un capital culturel familial peut se transmettre ou, au contraire, ne parvient pas à trouver les conditions de sa transmission ; ou bien encore comment en l’absence de capital culturel ou en l’absence d’action expresse de transmission d’un capital culturel existant, les savoirs scolaires peuvent tout de même être appropriés par les enfants. Mais, en fin de compte, ce sont les notions mêmes de capital culturel, de transmission ou d’héritage qui, métaphores utiles lorsqu’on commente des tableaux croisant des variables, perdent de leur pertinence dès lors que, changeant d’échelle d’observation, on s’attache à la description et à l’analyse des modalités de la socialisation familiale ou scolaire, dans le cadre d’une anthropologie des relations d’interdépendance. Le lecteur trouvera ici des analyses concernant la vie au travail, la vie en famille, les pratiques de la lecture et, ce qui paraîtra sans doute le plus singulier et insolite, les pratiques d’écriture quotidiennes professionnelles et domestiques des classes populaires. L’auteur, qui entend saisir la spécificité des pratiques populaires sans jamais oublier qu’elles sont, pour une part, le produit d’un rapport de domination, construit les liens entre l’espace de socialisation professionnelle et l’espace de socialisation domestique, entre le rapport au travail (par l’éclairage des modes d’appropriation des postes ainsi que des types de savoirs et savoir-faire qui en sont indissociables) et les modes d’appropriation des imprimés (livres, journaux, revues...), entre le rapport au travail et à l’école et le rapport à la formation. L’ouvrage s’attache particulièrement à décrire des pratiques quotidiennes de l’écrit pour saisir des rapports au monde (dont l’une des dimensions les plus fondamentales, le rapport au temps), des modes d’organisation des activités domestiques et, plus précisément encore, des phénomènes de division sexuelle du travail domestique au sein des classes populaires. Les pratiques d’écriture les plus ordinaires (listes de commissions, pense-bêtes, livres de comptes, lettres aux administrations ou aux proches, agenda...) apparaissent comme des opérateurs pratiques de mode d’organisation des activités familiales et sont constitutives de mises en forme du monde. Que signifie « échouer » ou « réussir » à l’école primaire ? Comment comprendre les difficultés éprouvées par des élèves d’origine populaire en lecture-écriture, grammaire, conjugaison, orthographe, vocabulaire, expression orale et expression écrite ? Comment se construisent, jour après jour, les processus d’ « échec scolaire » dans les salles de classe ? Ce livre tente de répondre à ces questions, en procédant à l’étude détaillée des pratiques et des productions scolaires d’élèves du cours préparatoire au cours moyen 2e année en français. Soulignant le rôle central du rapport au langage dans la production des différences scolaires, l’auteur fonde son analyse sur une sociologie de l’éducation informée des travaux anthropologiques et historiques concernant la spécificité des cultures écrites. Il entend ainsi rendre raison de l’ « échec scolaire » du double point de vue d’une anthropologie de la connaissance et d’une anthropologie du pouvoir. Du 20 novembre au 2 décembre 2012 / Un événement conçu et réalisé par la Villa Gillet / www.villagillet.net / 67