Anatomie structurale et fonctionnelle des

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Anatomie structurale et fonctionnelle des ganglions de la base
J. YELNIK (1)
INTRODUCTION
Les structures sous corticales ou Noyaux Gris Centraux
selon la définition anatomique classique constituent un
système aujourd’hui bien caractérisé sur le plan anatomique et fonctionnel, le système des ganglions de la base.
La participation de ce système à la programmation, à l’initiation et au contrôle du mouvement est connue depuis
longtemps mais le rôle qu’il joue dans le contrôle des comportements émotionnels n’a été démontré que plus récemment. La stimulation cérébrale profonde (SCP), mise au
point à Grenoble il y a 20 ans par l’équipe du Professeur
Benabid pour le traitement de pathologies motrices, a joué
un rôle déterminant dans cette démonstration. La première application a été la SCP du noyau thalamique Vim
pour le traitement des tremblements. Puis les indications
se sont étendues à la maladie de Parkinson avec une première cible située dans la partie postéro-ventrale du globus pallidus interne puis une deuxième, devenue la cible
de référence, située dans le noyau subthalamique (NST).
Dans cette présentation, nous utiliserons à la fois des
leçons apportées par la SCP de patients parkinsoniens et
dystoniques et des données récentes tirées de l’expérimentation animale pour tenter de mieux comprendre comment les ganglions de la base participent au contrôle des
comportements moteurs et émotionnels.
LES GANGLIONS DE LA BASE
ET LA STIMULATION CÉRÉBRALE PROFONDE
Les relations anatomo-cliniques
Une localisation très précise de l’électrode de stimulation au sein de la cible choisie est l’un des éléments déterminants pour la réussite de l’intervention. Avec le recul, il
est possible d’évaluer la qualité de cette localisation sur
des séries rétrospectives de patients traités par SCP. Pour
cela, il faut pouvoir déterminer dans quelle structure cérébrale chaque électrode a été implantée chez chaque
patient opéré. Plus encore, il faut pouvoir localiser chacun
des quatre plots que comporte l’électrode de stimulation
et parmi eux, celui qui a été choisi comme plot thérapeutique par les cliniciens. Cette localisation peut se faire sur
la base des repères ventriculaires CA et CP et la hauteur
du thalamus, ou bien par recalage d’un atlas anatomique
avec l’IRM du patient. Cette méthode a l’avantage de fournir un niveau de résolution histologique, donc plus précis
que celui de l’IRM, mais il faut en même temps adapter
les tracés de l’atlas aux dimensions propres au cerveau
du patient. Pour cela, une méthode de recalage linéaire
semi-automatique a été développée qui permet d’adapter
l’atlas au cerveau en déterminant un facteur d’échelle
indépendant selon chacun des trois axes, en prenant des
repères visibles à la fois sur l’IRM et sur l’atlas histologique.
Cette méthode a été appliquée à trois séries de
patients : 5 patients parkinsoniens traités par stimulation
pallidale (25), 10 patients parkinsoniens traités par stimulation du NST (26) et 21 patients dystoniques traités par
stimulation du pallidum interne (24). Pour les deux premières séries, une très bonne relation entre le résultat clinique et la localisation de l’électrode au sein de la cible a
été observée. Ainsi, la majorité des plots situés dans le
NST donnent de bonnes améliorations des symptômes
parkinsoniens alors que la majorité des plots situés hors
du NST donnent de mauvais résultats cliniques (26). Dans
le cas du pallidum (25), les plots qui améliorent l’akinésie
sont majoritairement situés dans le pallidum externe alors
que les plots situés dans le pallidum interne donnent de
mauvais résultats cliniques sur ce symptôme. Dans le cas
de la dystonie, les résultats ont été différents. Malgré une
très bonne localisation des électrodes au sein de la cible
visée, les résultats cliniques ne sont pas aussi bons pour
(1) INSERM U679, Hôpital de la Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75013, Paris. [email protected]
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la dystonie que pour la maladie de Parkinson, pouvant
varier d’une amélioration de 100 % à une aggravation de
34 % (24). Cette variabilité des résultats de la stimulation
est à mettre en relation avec la variabilité symptomatique,
déjà connue, de la maladie dystonique elle-même.
Il apparaît donc que la maladie de Parkinson et la dystonie, deux pathologies impliquant le même système des
ganglions de la base, réagissent de façon très différente
à la stimulation. L’interprétation de cette différence fait
appel, comme nous le verrons plus loin, à des niveaux
d’organisation différents du système.
Les effets non moteurs de la stimulation
La SCP, qui s’est largement développée en France puis
à l’étranger, a montré son efficacité et son innocuité pour
le traitement de pathologies motrices, en tout premier lieu
les tremblements, la maladie de Parkinson, la dystonie.
Dans le décours de ces traitements, des manifestations
non motrices liées à la stimulation ont été observées. Ainsi
un cas de dépression aiguë provoquée par la stimulation
de la substance noire (5), un cas de fou-rire provoqué par
stimulation du NST (14), un comportement agressif
déclenché pendant l’intervention par stimulation d’une
électrode d’exploration située médialement au NST (6),
des symptômes obsessifs compulsifs supprimés ou améliorés par stimulation de la partie médiane du NST (15).
Ces cas individuels suggèrent qu’en dehors de ses fonctions purement motrices, le système des ganglions de la
base est capable de traiter des informations non motrices
associées à des processus comportementaux plus complexes. C’est à partir de cette constatation que la SCP a
été proposée pour le traitement de pathologies non motrices telles que la maladie de Gilles de la Tourette (11) et
les troubles obsessifs compulsifs (protocole multicentrique français en cours).
L’interprétation de ces effets non moteurs fait appel à
un niveau d’organisation anatomique et fonctionnel particulier des ganglions de la base sur lequel nous revenons
plus loin.
Il faut cependant noter que si ces effets non moteurs,
qui ont pu être observés dans des centres neurochirurgicaux différents, sont incontestablement provoqués par la
stimulation, tous les patients stimulés, et loin s’en faut, ne
présentent pas ce type d’effets même avec des électrodes
localisées exactement dans les mêmes sites topographiques. Les réponses non motrices induites pas la stimulation des ganglions de la base révèlent là aussi une grande
variabilité interindividuelle dans le domaine comportemental.
L’ANATOMIE FONCTIONNELLE DES GANGLIONS
DE LA BASE
Dans le chapitre précédent nous avons vu que la SCP,
en plus de son utilité principale dans le domaine thérapeutique, peut devenir un outil d’étude du fonctionnement
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des ganglions de la base particulièrement instructif. Ainsi,
nous avons vu que les symptômes parkinsoniens ne réagissent pas de la même façon que les symptômes dystoniques à la stimulation, nous avons mis en évidence une
caractéristique importante des ganglions de la base, la
variabilité symptomatique et thérapeutique, et nous avons
montré que les ganglions de la base sont impliqués dans
des processus non moteurs.
Un modèle de fonctionnement des ganglions de la base
peut-il expliquer à la fois ces différentes observations ? La
réponse est positive si l’anatomie des ganglions de la base
est analysée à trois niveaux organisationnels successifs :
connectivité, territoires fonctionnels et architecture neuronale.
La connectivité des ganglions de la base
Il s’agit ici de prendre en compte la façon dont les différentes structures qui composent les ganglions de la
base sont connectées les unes aux autres et avec
l’ensemble du système nerveux.
La figure 1 montre les principaux circuits que comportent les ganglions de la base selon un modèle devenu classique initialement proposé par Albin et al. (1). Un premier
circuit dit « voie directe » connecte le cortex cérébral au
striatum, puis au pallidum interne et à la substance noire
pars reticulata, et enfin au thalamus et au cortex frontal.
À côté de cette voie dite directe existe une « voie
indirecte » qui passe par le striatum, le pallidum externe
et le NST avant de projeter comme la voie directe sur le
pallidum interne et la substance noire pars reticulata, le
thalamus et le cortex frontal. En considérant le caractère
excitateur ou inhibiteur des différentes connexions
(figure 1), on comprend que dans l’état normal la voie
directe est activatrice, elle facilite le mouvement, alors que
la voie indirecte est globalement inhibitrice et a donc pour
effet d’empêcher le mouvement. Dans l’état normal, le
mouvement est favorisé par la dopamine synthétisée dans
la substance noire pars compacta et libérée dans le striatum. En effet, la dopamine active les récepteurs D1 portés
préférentiellement par les neurones de la voie directe alors
qu’elle inhibe les récepteurs D2 portés principalement par
les neurones de la voie indirecte. Dans l’état parkinsonien,
l’absence de dopamine libère la voie indirecte inhibitrice
et n’active plus la voie directe activatrice, d’où une inhibition globale du mouvement (figure 1).
Le modèle connexionniste (aussi appelé « boîteflèches ») des ganglions de la base permet donc de comprendre le principal symptôme de la maladie de Parkinson,
l’akinésie, comme un défaut de la balance normale entre
l’effet activateur du mouvement de la voie directe et l’effet
inhibiteur du mouvement de la voie indirecte. Il explique
également l’effet bénéfique de la SCP qui agit par inactivation du NST donc par une réduction de l’hyperactivité
des noyaux de sortie (pallidum interne et substance noire
pars reticulata) qui libère ainsi le thalamus et le cortex en
permettant l’exécution du mouvement.
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Anatomie structurale et fonctionnelle des ganglions de la base
CORTEX CEREBRAL
CORTEX CEREBRAL
STRIATUM
STRIATUM
D2
GPe
STN
D1
D2
Thal
SNc
GPe
STN
SM
D1
Thal
AS
SNc
LI
Gpi/SNr
Gpi/SNr
FIG. 1. — Modèle connexionniste des ganglions de la base.
Le circuit direct prend son origine dans les neurones striataux
porteurs des récepteurs dopaminergiques D1. Le circuit
indirect prend son origine dans les neurones striataux porteurs
des récepteurs dopaminergiques D2. Les flèches noires sont
excitatrices, les flèches blanches sont inhibitrices. Dans l’état
normal (à gauche) la voie directe activatrice et la voie indirecte
inhibitrice s’équilibrent. Dans l’état parkinsonien (à droite),
l’absence de dopamine favorise la voie indirecte et freine la voie
directe, d’où une inhibition excessive du mouvement (akinésie).
GPe, pallidum externe, GPi, pallidum interne, SNr, substance
noire pars reticulata, SNc, substance noire pars compacta,
STN, noyau subthalamique, Th, thalamus.
Les territoires fonctionnels des ganglions de la base
Les ganglions de la base peuvent être subdivisés en
trois territoires fonctionnels distincts en fonction de la topographie des régions du cortex cérébral qui projettent sur
les différentes parties du striatum (figure 2). Ainsi, selon
le type d’information traitée dans chaque cortex, on distingue un territoire sensorimoteur qui traite des informations sensorimotrices, un territoire associatif qui traite des
informations cognitives, et un territoire limbique qui traite
des informations émotionnelles et motivationnelles (2,
18). Le territoire sensorimoteur provient des cortex moteur
primaire, prémoteur, moteur supplémentaire, oculomoteur et somesthésique et projette principalement sur le
putamen. Le territoire limbique provient des cortex orbitofrontal, cingulaire antérieur et de l’hippocampe et projette sur la portion ventrale du striatum, le noyau accumbens. Le territoire associatif provient de la partie restante
des cortex frontal, pariétal, temporal et occipital et projette
sur la partie dorsale du noyau caudé. La validité de cette
subdivision territoriale a été clairement démontrée par des
expérimentations chez le primate. Sur le plan fonctionnel,
l’injection d’agents pharmacologiques a permis de déclencher des mouvements anormaux de type dyskinétique
dans le territoire sensorimoteur, des troubles de l’attention
avec hyperactivité dans le territoire associatif et des stéréotypies dans le territoire limbique (9). L’injection de traceurs axonaux dans chacune de ces mêmes régions a
permis de confirmer la ségrégation anatomique de ces
trois territoires (8).
FIG. 2. — Organisation territoriale des ganglions de la base.
Subdivision des ganglions de la base (vue sagittale à droite)
en trois territoires fonctionnels, sensorimoteur (SM), associatif
(AS) et limbique (LI) définis par leur origine corticale (vues
interne et externe à gauche).
Le modèle territorial des ganglions de la base permet
donc d’expliquer comment la stimulation de certaines
localisations au sein des ganglions de la base peut avoir
des effets clairement moteurs alors que la stimulation
d’autres subdivisions peut se traduire par des modifications comportementales qui sont plutôt du domaine de la
psychiatrie.
L’architecture neuronale des ganglions de la base
L’architecture neuronale, dendritique et axonale, au
sein des ganglions de la base constitue un troisième
niveau d’organisation du système.
Sur le plan de la morphologie dendritique (figure 3), les
neurones du striatum appartiennent à plusieurs espèces
neuronales très différentes morphologiquement (27). La
grosse majorité (96 %) est constituée des neurones épineux. Ils portent des épines dendritiques sur lesquelles
font synapse les afférences corticales en provenance des
trois territoires fonctionnels. La base des épines reçoit les
synapses dopaminergiques qui sont ainsi en position stratégique pour moduler l’effet de l’afférence corticale (22).
Parmi les autres neurones du striatum, les neurones cholinergiques (2 %) jouent un rôle capital dans le contrôle
des comportements motivés (13). Les neurones du pallidum ont une géométrie complètement différente de celle
des neurones épineux du striatum (figure 3). Ils ne portent
pas d’épines, ont des dendrites extrêmement longues et
peu ramifiées et qui forment des disques aplatis disposés
perpendiculairement aux axones afférents en provenance
du striatum (28). La géométrie des neurones du NST et
du thalamus est plus proche de celle des neurones épineux du striatum mais ils ne portent pas d’épines. Le cœur
des ganglions de la base est donc caractérisé par une rupture de géométrie très importante entre le striatum et le
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p
CX
ST
GP
l
a
c
e
b
TH
ST-GP
200 µm
STN
FIG. 3. — Architecture dendritique des ganglions de la base. Dessins à la chambre claire d’un neurone pyramidal du cortex (CX),
d’un neurone épineux du striatum (ST), d’un neurone du globus pallidus (GP), d’un neurone du noyau subthalamique (STN) et d’un
neurone thalamo-cortical (TH). Les corps cellulaires et les arborisations dendritiques sont toutes représentés à la même échelle.
Les flèches indiquent les projections axonales. Le schéma de droite (ST-GP) montre les neurones épineux du striatum (petites
sphères) et les disques pallidaux disposés perpendiculairement aux axones striato-pallidaux sur une coupe frontale du striatum
(noyau caudé et putamen), du pallidum externe et du pallidum interne.
pallidum qui implique une convergence très forte en terme
géométrique mais aussi numérique (il n’y a qu’un neurone
pallidal pour cent neurones striataux) et volumique (le
volume du striatum est vingt fois plus grand que celui du
pallidum).
L’architecture axonale est elle aussi très particulière
(figure 4). Chaque axone striatal ne donne qu’un très petit
nombre de boutons synaptiques à chaque neurone pallidal qui reçoit ainsi ses afférences d’un grand nombre de
neurones striataux parfois très éloignés les uns des autres
(12, 29). Il reçoit ainsi une proportion, qui peut varier d’un
neurone à l’autre, d’informations motrices, associatives et
limbiques. L’ensemble des neurones du pallidum constitue donc une représentation réduite, un échantillon, de
l’information corticale. La projection pallido-thalamique
est elle aussi très particulière. Chaque neurone pallidal se
termine en effet dans le thalamus par le moyen d’une série
de petits bouquets terminaux dont le nombre et la répartition au sein du thalamus varie énormément d’un axone
à l’autre (3, 19).
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Le modèle neuronal montre donc que l’information corticale afférente est soumise lors de son passage dans les
ganglions de la base à une restructuration complète par
compression numérique (dans le striatum et le pallidum),
modulation dopaminergique (dans le striatum également),
convergence géométrique (dans le pallidum), distribution
topographique variable (dans le thalamus).
LES GANGLIONS DE LA BASE
ET LA PROGRAMMATION DES COMPORTEMENTS
Le rôle que jouent les ganglions de la base dans la programmation et l’exécution des programmes moteurs ou
comportementaux porte sur plusieurs fonctions complémentaires (4, 10, 16, 21) : apprentissage de séquences
comportementales nouvelles, mémorisation par compétition sous l’effet d’un renforçateur (la dopamine), sélection
sous l’effet d’une commande à point de départ cortical
frontal, exécution automatique sous l’effet facilitateur de
l’innervation dopaminergique. Mais comment réconcilier
des capacités fonctionnelles aussi élaborées (apprentis-
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Anatomie structurale et fonctionnelle des ganglions de la base
sage, mémorisation, sélection, exécution des tâches comportementales très complexes) avec une convergence
anatomique qui semble réduire les possibilités de discrimination du système ?
ST
GP
LI
AS
SM
Clavier pallidal
FIG. 4. — Architecture axonale des ganglions de la base. Quatre neurones épineux du striatum (ST) avec leur axone et leurs
collatérales portant des varicosités présynaptiques faisant synapse avec les dendrites d’un neurone pallidal (GP). Chaque neurone
striatal ne donne qu’un petit nombre de varicosités et l’ensemble des boutions synaptiques que porte un neurone pallidal (environ
30 à 40 000) provient donc de nombreux neurones striataux différents. Le schéma de droite montre une coupe horizontale du pallidum
interne avec ses disques pallidaux et ses afférences provenant des trois territoires fonctionnels du striatum : limbique (LI), associatif
(AS) et sensorimoteur (SM). Certains neurones situés à la frontière entre deux territoires peuvent recevoir une combinaison
de deux types d’informations.
Convergence pallidale
et apprentissage comportemental
nes pallidaux intégrant les informations sensori-motrices,
cognitives et limbiques appropriées à cette séquence*.
Les très longues dendrites pallidales et leur disposition
par rapport aux axones striataux permettent de faire converger sur un même neurone pallidal des informations provenant de régions éloignées au sein du striatum (12, 29).
Le degré de convergence est en fait modulé par la dopamine par un phénomène de focalisation dynamique (7) mis
en évidence dans son amplitude maximum chez le singe
rendu parkinsonien par injection du neurotoxique MPTP
(23). L’hypothèse proposée ici, l’hypothèse du clavier pallidal, est que ce mécanisme est utilisé pour ajuster l’étendue de l’information afférente en fonction de la nature de
la séquence comportementale à exécuter. Une séquence
comportementale complète serait ainsi apprise, mémorisée et exécutée par une population spécifique de neuro-
* Dans son ensemble, le pallidum constitue une sorte de clavier qui
reçoit l’ensemble de l’information corticale, certains neurones pallidaux recevant leur information à partir de deux territoires fonctionnels adjacents. La sélection de la sous-population de neurones correspondant à une séquence comportementale donnée
peut être vue comme la sélection, sur le clavier d’un piano, des
touches nécessaires à la réalisation d’un accord donné. Ainsi le
clavier pallidal permettrait d’exécuter une variété infinie de
séquences comportementales comme un clavier de piano permet
d’exécuter une infinité de pièces musicales différentes. Une fois
mémorisée sous l’effet dopamine-dépendant de la récompense,
une séquence donnée serait exécutée de façon automatique par
la population de neurones correspondante, à la demande d’un
chef d’orchestre cortical.
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Cette population pallidale projette à son tour sur le thalamus selon un pattern divergent qui permet de recruter une
population thalamique elle aussi spécifique de cette
séquence.
Dans cette hypothèse, l’organisation convergente du
pallidum apparaît comme une ressource positive alors
qu’elle resterait une anomalie évolutive difficilement inexplicable dans le modèle strictement parallèle des circuits
ségrégés. Quel serait en effet l’avantage d’une disposition
anatomique qui maximise la convergence si cette convergence doit être annulée par une modulation dopaminergique aussi complexe ?
De plus, la réduction numérique striatale et pallidale est
compatible avec la fonction des ganglions de la base de
mémorisation de séquences comportementales puisque
en effet les séquences mémorisées par un individu ne
représentent qu’une très faible partie de l’infinité de
séquences que le cortex cérébral pourrait potentiellement
élaborer. La présence des trois territoires fonctionnels permet quant à elle aux ganglions de la base d’apprendre et
de mémoriser des séquences comportementales qui comportent les trois aspects (sensorimoteurs, cognitifs et émotionnels) qui caractérisent tout comportement primate. La
convergence géométrique permet enfin d’optimiser les
possibilités d’associer des informations venant des trois
territoires fonctionnels différents.
Variabilité architecturale
et variabilité comportementale
Nous avons noté que la variabilité est une caractéristique du fonctionnement des ganglions de la base. Cette
variabilité se retrouve dans certaines pathologies neurologiques comme la dystonie, tant sur le plan symptomatique que dans la réponse des symptômes à la stimulation.
Par ailleurs, la stimulation peut déclencher de façon variable des symptômes non moteurs, une crise de dépression
aiguë, un fou-rire, une crise d’agressivité chez quelques
patients mais pas chez d’autres alors que l’électrode est
positionnée au même endroit.
La variabilité est en fait une caractéristique comportementale des primates. Lorsqu’on met des singes en face
d’un protocole comportemental, on observe que chaque
animal répond en développant une stratégie qui lui est propre (20). De même chez l’homme, il est flagrant que chacun à sa façon propre de bouger, de parler, de sourire,
chacun a un « style comportemental » parfaitement
reconnaissable. Un danseur ou un musicien, qui est capable d’apprendre et de mémoriser des séquences motrices
extrêmement complexes et de les exécuter dans un contexte cognitif et émotionnel particulièrement intense, a
plus que tout autre son propre style comportemental que
le public est parfaitement capable d’identifier.
L’hypothèse du clavier pallidal permet aussi de rendre
compte de cette variabilité comportementale. Chaque
axone striatal donne peu de synapses sur chaque neurone
pallidal qui reçoit ainsi ses informations de nombreux neurones différents, chaque synapse étant contrôlée par une
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afférence dopaminergique*. Lorsqu’une séquence comportementale est transmise du cortex au striatum puis au
pallidum, elle se traduit par l’activation d’une certaine
population de neurones pallidaux dont le nombre et la
topographie dépend à la fois du contenu (sensorimoteur,
associatif et limbique) de cette séquence et de l’activité
plus ou moins facilitatrice des afférences dopaminergiques**. La représentation finale de la séquence comportementale sera donc un ensemble particulier de neurones
pallidaux répartis au sein du clavier pallidal en fonction des
caractéristiques particulières de la séquence. Une infime
variation de la séquence, soit sur le plan moteur soit dans
ses composantes cognitives ou émotionnelles, se traduira
par un ensemble différent de neurones pallidaux recrutés.
Le clavier pallidal offre ainsi le moyen de coder de façon
très précise des séquences comportementales très
variées, expliquant à la fois la stabilité du style comportemental chez un individu donné et la variabilité comportementale caractéristique des primates.
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* L’effet de la dopamine s’exerce à la fois sur l’ensemble de la population striatale comme indiqué dans le modèle connexionniste
mais aussi de façon locale sur chaque synapse (22) permettant
probablement une facilitation extrêmement ciblée en fonction de
la motivation et de la récompense attendue.
** L’activation d’un neurone pallidal dépend aussi de la localisation
de chaque synapse au sein de l’arborisation dendritique (17),
introduisant ainsi une variable architecturale supplémentaire.
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