Toutes ces données permettent de dessiner le profil du
patient menacé à moyen terme par la démence. Une per-
sonne dont la mémoire épisodique et la mémoire de travail
déclinent rapidement et qui présente une détérioration
du langage.
Et plus approche le moment où le diagnostic de démence
devient inévitable, plus l’effondrement des facultés intel-
lectuelles s’amplifie. « Cela semble indiquer que le moment
du diagnostic peut représenter la période où la quantité de
dommages cérébraux est suffisamment importante pour
entraîner l’échec d’une forme de compensation, ce qui a un
effet catastrophique sur la cognition et précipite la démence »,
indiquent les auteurs dans leur article.
Concrètement, comment utiliser ces résultats en clinique ?
« Un médecin qui suit d’une année à l’autre un patient pré-
sentant des troubles cognitifs légers peut savoir que ce
dernier n’est pas forcément dans un processus d’alzheimer si
l’atteinte ne change pas. Cependant, s’il remarque un déclin
dans beaucoup de fonctions et une grande différence par
rapport à l’année précédente, par exemple pour la mémoire
de travail, cela peut indiquer que dans un ou deux ans, ce
patient-là présentera un grand risque
d’avoir un diagnostic d’alzheimer »,
résume M. Cloutier.
LES PATIENTS STABLES
L’étude comporte de bonnes nouvelles
pour au moins la moitié des patients
atteints de troubles cognitifs légers.
« Chez les personnes qui n’ont jamais
progressé vers l’alzheimer, ce qui est
remarquable, c’est leur stabilité. Notre
recherche montre que leurs troubles
cognitifs légers sont restés extraordi-
nairement stables. Cela veut dire que ce
groupe ne bouge absolument pas. Pour-
quoi ont-ils eu, tout à coup, un problème
de mémoire ou autre ? On ne le sait pas. Si on les compare
à des sujets de leur âge, leur niveau est un peu inférieur.
Ils arrivent au cabinet du médecin et disent : « Ma mémoire
n’est pas très bonne ». On l’évalue et, effectivement, elle n’est
pas très performante, mais elle ne bouge pas », précise la
Pre Belleville.
Dans l’étude, 74 des 121 patients ont ainsi tenu la démence
en échec. « En général, quand l’état des gens n’a pas évolué
en sept ans, il ne va pas progresser. Le taux est normale-
ment de 15 % par année. Donc, après six ans, la plupart des
gens qui devaient progresser l’ont fait. »
LE DIAGNOSTIC D’ALZHEIMER,
UN JALON TARDIF
Les troubles cognitifs légers ne comportent pas que des pro-
blèmes mnésiques. « Les patients vont souvent dire : « J’ai
un problème de mémoire ». Mais quand on les interroge,
il s’agit d’un problème de langage ou
de concentration. Les gens ont beau-
coup tendance à employer le terme
« mémoire ». Je leur demande alors :
« Que vous voulez dire ? », indique la
Pre Sylvie Belleville. Le patient peut
parler, par exemple, d’une difficulté
à mémoriser les noms de personnes.
« Dans ce cas, je lui dis que moi aussi
j’ai ce problème. Mais si la personne
me dit qu’elle ne retrouve plus son che-
min alors que le trajet lui est familier,
ça, c’est un peu plus inquiétant. Elle
peut aussi avoir des problèmes sur le
plan des fonctions exécutives, comme
éprouver de la difficulté à faire un repas
quand il y a du bruit. » Parfois, elle n’arrive pas à bien gérer
son temps, ajoute M. Cloutier. Certaines ont de la difficulté
à terminer leurs phrases.
Ces indices sont importants. Ils permettent de soupçonner
des atteintes des fonctions exécutives, des habiletés visuo-
spatiales ou du langage. Mais généralement, déjà la mémoire
épisodique et la mémoire de travail ont été touchées.
Quand le diagnostic de la maladie d’Alzheimer tombe, le
cerveau présente depuis longtemps des atteintes. « Une des
grandes avancées des dernières années vient du fait qu’on
a réalisé que la maladie commençait probablement dix ou
quinze ans (il y en a qui disent vingt ans) avant le moment
DOSSIER SPÉCIAL//
M. Simon Cloutier
Photo : André Gamache, IUGM
« Une des grandes
avancées des dernières
années vient du fait qu’on
a réalisé que la maladie
commençait probablement
10 ou 15 ans (il y en a
qui disent 20 ans) avant le
moment où l’on pose
le diagnostic. »
– Pre Sylvie Belleville
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