36 | ART&CULTURE
Le vide, La Lumière, L’espace. Faute de pouvoir
classer l’œuvre inclassable de Lucio Fonta-
na, c’est sans doute à ces trois fondamen-
taux que l’on peut rattacher sa quête de
l’œuvre d’art total. “Je troue, l’inni passe par
là, la lumière passe, pas besoin de peindre.
[…] Tous ont cru que je voulais détruire : mais
ce n’est pas vrai, j’ai construit, je n’ai pas
détruit,” expliquera le chef de le du mou-
vement spatialiste à propos de ses toiles
perforées (les Buchi, débutés en 1949) et
de ses toiles fendues (les Tagli, inaugurées
en 1958). Peintre des interstices, sculpteur
d’espaces et de lumière, maître des vides et
des monochromies, l’artiste italien demeure
pourtant insondable.
“Ni peintures, ni sculptures”, ses Concepts
spatiaux, oscillant entre abstraction et gura-
tion, l’espace ouvert et l’espace fermé, la am-
boyance de la matière et l’épure, ne laissent
de nous surprendre. “À la fois anticlassique
et antimoderne”, “parfois très kitsch, parfois
très avant-gardistes”, Fontana “n’est jamais
là où on l’attend”, nous a expliqué Chogha-
kate Kazarian, l’un des deux commissaires
de l’exposition du MAM. “Jamais formel ou
informel, jamais ni complètement peintre ni
complètement sculpteur, il est toujours entre
les deux. La salle dédiée aux boules en terre
cuite trouées et fendues (les Natura réalisées
entre 1959 et 1960) en témoigne.”
L’au-delà de la surface
Dès 1949, Fontana cherche à dépasser la
peinture et la sculpture au prot d’un art spa-
tial. Il créé alors, pour une galerie milanaise,
le premier environnement lumineux (une salle
plongée dans l’obscurité peuplée de gures
biomorphiques uorescentes), et entre-
prend ses Concepts spatiaux. Cependant, il
n’abandonne pas pour autant sa production
de Guerriers, Dragons et autres céramiques
irisées aux formes très peu minimalistes.
Sculptures primitivistes, abstraites ou gu-
ratives, plâtres polychromés, peintures ma-
tiéristes incrustées de sable et d’éclats de
verre (série baroque) ou semées de cratères,
toiles nues ou plaques de cuivre fendues :
c’est cette extrême diversité de l’œuvre que
Choghakate Kazarian et Sébastien Gokalp,
les deux jeunes commissaires de l’exposi-
tion, ont voulu mettre en avant, an de briser
l’image canonique du peintre minimaliste
des toiles fendues entretenue depuis les an-
nées 1970. Une diversité formelle qui jamais
cependant n’est venu contredire ou entraver
la quête d’un nouvel espace ayant mu l’ar-
tiste tout au long de sa vie.
Dans le catalogue de la dernière rétrospec-
tive consacrée à Fontana en 1987 au Centre
Pompidou, Severo Sarduy rappelait que
Fontana, dans son Manifesto Blanco, enten-
dait emprunter “l’énergie même de la ma-
tière”. Il démontrait ainsi que la fente dans
la toile monochrome – où matière et espace
ne font qu’un – permettait au contraire “l’in-
corporation de l’énergie en tant que trace vi-
sible, par-delà la surface, dans l’épaisseur”.
C’est d’ailleurs pour préserver cette tension,
qu’après avoir laissé le jour apparaître à tra-
vers les perforations, Fontana tendra une
gaze noire derrière ses toiles. Et c’est à une
grande fente creusée dans un mur que de-
vait aboutir le labyrinthe blanc qu’il conçut
en 1968 pour la documenta 4 de Kassel.
L’au-delà de la matière :
l’espace sculpté par la lumière
Ce concept spatialiste de l’œuvre conçue
comme un espace dématérialisé ou plutôt
comme un mouvement traversant l’espace,
conduira Fontana non seulement à outre-
passer les limites matérielles de l’œuvre
(perforée, lacérée, suspendue, libérée de
son socle), mais aussi le concept même de
l’œuvre se propageant dans la totalité de
l’espace l’environnant. Dans son premier
“milieu spatial”, le spectateur était ainsi
“convié à déambuler autour et à l’intérieur
de l’œuvre à la fois, en un lieu qui se déter-
mine comme œuvre”, et que seule la lumière
révèle comme telle…
Transformant l’œuvre d’art en un espace im-
palpable révélé par la lumière (“la matière est
un prétexte pour contenir la lumière” décla-
rait Fontana à l’architecte Gio Ponti), l’artiste
réalisa de nombreux projets architecturaux.
Perforée de constellations de trous irradiant
la lumière, l’architecture s’y fait sculpture
monumentale et y déploie, avec la même
virtuosité, la surface “sacriée” au prot de
l’espace traversant. Un aboutissement fasci-
nant d’une quête de l’impalpable à travers le
palpable.
LUCIO FONTANA, RÉTROSPECTIVE
DU 25 AVRIL AU 25 AOÛT
MUSÉE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS
11 AVENUE DU PRÉSIDENT WILSON, PARIS 16
e
WWW.MAM.PARIS.FR
EXPOSITIONS | PARIS par Stéphanie Dulout
Lucio Fontana
au MAM de la Ville de Paris
Une grande rétrospective au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, un accrochage-événement à
la galerie Tornuabuoni : c’est à une véritable redécouverte de la diversité et de l’originalité de l’œuvre
de Lucio Fontana (1899-1968) que le printemps parisien nous convie. L’Eventail a interrogé les
principaux acteurs de cette nouvelle mise en perspective de celui qui transfigura les œuvres d’art en
“concepts spatiaux”.