Lucio Fontana - Tornabuoni Art Paris

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EXPOSITIONS | PARIS par Stéphanie Dulout
Lucio Fontana
au MAM de la Ville de Paris
Une grande rétrospective au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, un accrochage-événement à
la galerie Tornuabuoni : c’est à une véritable redécouverte de la diversité et de l’originalité de l’œuvre
de Lucio Fontana (1899-1968) que le printemps parisien nous convie. L’Eventail a interrogé les
principaux acteurs de cette nouvelle mise en perspective de celui qui transfigura les œuvres d’art en
“concepts spatiaux”.
Le vide, la lumière, l’espace. Faute de pouvoir
classer l’œuvre inclassable de Lucio Fontana, c’est sans doute à ces trois fondamentaux que l’on peut rattacher sa quête de
l’œuvre d’art total. “Je troue, l’infini passe par
là, la lumière passe, pas besoin de peindre.
[…] Tous ont cru que je voulais détruire : mais
ce n’est pas vrai, j’ai construit, je n’ai pas
détruit,” expliquera le chef de file du mouvement spatialiste à propos de ses toiles
perforées (les Buchi, débutés en 1949) et
de ses toiles fendues (les Tagli, inaugurées
en 1958). Peintre des interstices, sculpteur
d’espaces et de lumière, maître des vides et
des monochromies, l’artiste italien demeure
pourtant insondable.
“Ni peintures, ni sculptures”, ses Concepts
spatiaux, oscillant entre abstraction et figuration, l’espace ouvert et l’espace fermé, la flamboyance de la matière et l’épure, ne laissent
de nous surprendre. “À la fois anticlassique
et antimoderne”, “parfois très kitsch, parfois
très avant-gardistes”, Fontana “n’est jamais
là où on l’attend”, nous a expliqué Choghakate Kazarian, l’un des deux commissaires
de l’exposition du MAM. “Jamais formel ou
informel, jamais ni complètement peintre ni
complètement sculpteur, il est toujours entre
les deux. La salle dédiée aux boules en terre
cuite trouées et fendues (les Natura réalisées
entre 1959 et 1960) en témoigne.”
L’au-delà de la surface
Dès 1949, Fontana cherche à dépasser la
peinture et la sculpture au profit d’un art spatial. Il créé alors, pour une galerie milanaise,
le premier environnement lumineux (une salle
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plongée dans l’obscurité peuplée de figures
biomorphiques fluorescentes), et entreprend ses Concepts spatiaux. Cependant, il
n’abandonne pas pour autant sa production
de Guerriers, Dragons et autres céramiques
irisées aux formes très peu minimalistes.
Sculptures primitivistes, abstraites ou figuratives, plâtres polychromés, peintures matiéristes incrustées de sable et d’éclats de
verre (série baroque) ou semées de cratères,
toiles nues ou plaques de cuivre fendues :
c’est cette extrême diversité de l’œuvre que
Choghakate Kazarian et Sébastien Gokalp,
les deux jeunes commissaires de l’exposition, ont voulu mettre en avant, afin de briser
l’image canonique du peintre minimaliste
des toiles fendues entretenue depuis les années 1970. Une diversité formelle qui jamais
cependant n’est venu contredire ou entraver
la quête d’un nouvel espace ayant mu l’artiste tout au long de sa vie.
Dans le catalogue de la dernière rétrospective consacrée à Fontana en 1987 au Centre
Pompidou, Severo Sarduy rappelait que
Fontana, dans son Manifesto Blanco, entendait emprunter “l’énergie même de la matière”. Il démontrait ainsi que la fente dans
la toile monochrome – où matière et espace
ne font qu’un – permettait au contraire “l’incorporation de l’énergie en tant que trace visible, par-delà la surface, dans l’épaisseur”.
C’est d’ailleurs pour préserver cette tension,
qu’après avoir laissé le jour apparaître à travers les perforations, Fontana tendra une
gaze noire derrière ses toiles. Et c’est à une
grande fente creusée dans un mur que de-
vait aboutir le labyrinthe blanc qu’il conçut
en 1968 pour la documenta 4 de Kassel.
L’au-delà de la matière :
l’espace sculpté par la lumière
Ce concept spatialiste de l’œuvre conçue
comme un espace dématérialisé ou plutôt
comme un mouvement traversant l’espace,
conduira Fontana non seulement à outrepasser les limites matérielles de l’œuvre
(perforée, lacérée, suspendue, libérée de
son socle), mais aussi le concept même de
l’œuvre se propageant dans la totalité de
l’espace l’environnant. Dans son premier
“milieu spatial”, le spectateur était ainsi
“convié à déambuler autour et à l’intérieur
de l’œuvre à la fois, en un lieu qui se détermine comme œuvre”, et que seule la lumière
révèle comme telle…
Transformant l’œuvre d’art en un espace impalpable révélé par la lumière (“la matière est
un prétexte pour contenir la lumière” déclarait Fontana à l’architecte Gio Ponti), l’artiste
réalisa de nombreux projets architecturaux.
Perforée de constellations de trous irradiant
la lumière, l’architecture s’y fait sculpture
monumentale et y déploie, avec la même
virtuosité, la surface “sacrifiée” au profit de
l’espace traversant. Un aboutissement fascinant d’une quête de l’impalpable à travers le
palpable.
LUCIO FONTANA, RÉTROSPECTIVE
DU 25 AVRIL AU 25 AOÛT
MUSÉE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS
11 AVENUE DU PRÉSIDENT WILSON, PARIS 16e
WWW.MAM.PARIS.FR
Portrait de Teresita, 1940, collection Fondazione
Lucio Fontana, Milan.
© Lucio Fontana / SIAE / ADAGP, Paris 2014
Concetto spaziale, Attese, 1965. © Musée d’Art Moderne / Roger-Viollet / © Lucio Fontana / SIAE / ADAGP, Paris 2014
Il Guerriero (Le Guérrier), 1949, Collection
particulière. © Galerie Karsten Greve/Photo Sasa Fuis,
Cologne © Lucio Fontana / SIAE / ADAGP, Paris 2014
Concetto spaziale, New York 10, 1962. Collection Fondazione Lucio Fontana, Milan.
© Lucio Fontana / SIAE / ADAGP, Paris 2013
Lucio Fontana - Concetto spaziale, 1967 - Metal
laqué rouge avec fente sur trépied, diam. 90 x 10
cm ©Courtesy Tornabuoni Art
ART&CULTURE | 37
L’œuvre perforée en direct
12 novembre 1962, Knokke-le-Zoute, dans la maison du collectionneur Louis Bogaerts : Lucio
Fontana, venu de Milan, va procéder, face à la télévision belge, à la perforation d’une grande toile
Véritable performance filmée (qui sera retransmise un mois plus tard dans l’émission “Medium” de la BRT), ce documentaire de 9 minutes retrouvé en 2013 par Valérie Da Costa*
ne pouvait cependant être visionné au côté
de l’œuvre (intitulée Le Jour) dont on avait
perdu la trace. C’est à cette confrontation
inédite que nous invite la galerie Tornabuoni,
qui œuvre depuis des années à la diffusion
et à la valorisation du travail de Fontana.
Possédant quelques-unes des réalisations
majeures de son artiste fétiche (dont une dizaine figure au catalogue de la rétrospective
du MAM), la galerie présentera, à l’occasion
de cette redécouverte, une vingtaine de
Concetto spaziale (datés de 1950 à 1968).
Unique dans la carrière de Fontana, l’œuvre
réalisée à quatre mains, à l’évidence comme
une performance, atteste la position
avant-gardiste du fondateur du spatialisme
collaborant avec la jeune garde du Groupe
Zéro (né en 1932, Jef Verheyen a trente-trois
ans de moins que Fontana). Elle est aussi un
témoignage émouvant de la collaboration de
deux artistes portés par la même conception
esthétique de l’œuvre en tant que “espace
illimité”. Par la profondeur de ses monochromies mouvantes, le peintre flamand ne
pouvait laisser indifférent le maître italien, qui
y décèlera les “inquiétudes” et les “incertitudes qui sont la vraie base d’un véritable artiste”.* Diffusé aussi au Musée d’Art moderne
de la Ville de Paris, le documentaire y sera
présenté parallèlement à un autre film retrouvé l’an passé par Choghakate Kazarian, où
l’on voit Fontana réaliser entièrement une
toile, un cratère de la série des Huiles roses.
* Valérie Da Costa a rassemblé les Écrits de Fontana
aux éditions La Presse du Réel en 2013.
LUCIO FONTANA : AUTOUR D’UN CHEF-D’ŒUVRE
RETROUVÉ
DU 26 AVRIL AU 21 JUIN
GALERIE TORNABUONI
16 AVENUE MATIGNON, PARIS 8e
WWW.TORNABUONIART.FR
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À gauche : Lucio Fontana & Jef Verheyen, Le Jour,
huile sur toile, 211 x 140 cm. © Courtesy Tornabuoni
Art
Ci-contre : Lucio Fontana & Jef Verheyen (devant Le
Jour). © Filip Tas
ANNE HUSTACHE DÉCORTIQUE
L’ART SUR IPAD
A chaque fois que vous retrouverez ce picto dans
votre magazine, rendez-vous sur la version iPad
pour découvrir le regard d’Anne Hustache sur une
œuvre particulière de l’artiste cité.
Michele Casamonti, directeur de Tornabuoni Art
et Francesca Piccolboni, directrice de la galerie Tornabuoni à Paris
L’Eventail – Trois mots pour décrire
l’œuvre de Fontana ?
Michele Casamonti – Révolutionnaire,
élégance, liberté. Révolutionnaire, car sa
vision de l’art est à l’origine de tout l’art
contemporain. Élégance, car sa créativité
a changé le langage artistique à travers
quelques gestes d’une extraordinaire simplicité. Liberté, car il a exprimé cette créativité en se libérant de toutes les limites ou
de tous les conditionnements de la tradition. Peindre avec un cutter ou réaliser une
sculpture avec un néon sont des inventions
d’une liberté considérable.
– Comment parleriez-vous de cet œuvre unique ?
Michele Casamonti – Fontana est l’aîné de cette génération d’artistes (je
pense, entre autres, à Burri, Klein, Pollock, Warhol) qui a réalisé entre les années
1950 et 1960 la transformation linguistique à l’origine de l’art contemporain.
Son œuvre est incroyablement actuelle.
Francesca Piccolboni – Fontana a changé le cours de l’histoire du xxe siècle.
C’est un pilier de la modernité. En s’affranchissant des outils traditionnels du
peintre pour dresser la forme, il ouvre, au sens propre comme figuré, un nouvel
espace à la création picturale. En recherchant la tridimensionnalité du tableau,
il a révolutionné la conception traditionnelle de la peinture. Il a créé un genre qui
n’était plus ni une peinture ni une sculpture mais un unicum. On ne peut plus regarder la peinture de la même manière après lui. C’est un artiste révolutionnaire,
un artiste immense pourtant toujours resté humble : “J’aime tes inquiétudes, tes
recherches et tes tableaux si profondément noirs, rouges, blancs, qui indiquent
ta pensée, ta crainte. Je ne peux que […] te rappeler de rester humble, très
humble. Nous ne sommes ‘rien’ devant le temps”, écrit-il à Paolo Scheggi en
1962.
– Que peut-on dire de la cote de Fontana aujourd’hui ?
Michele Casamonti – Fontana est désormais irréversiblement établi dans
le cercle des artistes millionnaires. Malgré
l’important volume d’œuvres proposées dans
les ventes aux enchères internationales, les
invendus sont extrêmement rares. On observe
depuis une décennie une très forte tendance à
la montée des prix de ses œuvres et je pense
que cette tendance va encore beaucoup s’accentuer. Cependant, je suis convaincu que
si Fontana avait été américain, son marché
atteindrait des prix trois à quatre fois plus
élevés.
Francesca Piccolboni – Aujourd’hui, la demande est à la hausse. Le marché est solide
et, bien que la production soit dense et diversifiée, il a la capacité d’absorber les œuvres
en circulation (la quasi-totalité des peintures a trouvé preneur lors des ventes
italiennes de Christie’s et Sotheby’s en octobre dernier).
– Pourriez-vous nous dire ce que la redécouverte du film de la télévision
belge montrant Fontana à son œuvre perforatrice (et performatrice) a
provoqué chez vous ?
Michele Casamonti – L’œuvre et la vidéo sont bouleversantes : c’est une intervention de quelques secondes qui crée une œuvre dont la signification contredit,
ou plutôt, dépasse des siècles d’histoires et d’habitudes.
Tornabuoni Art représente les principaux artistes italiens de la seconde moitié
du xxe siècle (Burri, Boetti, Manzoni…), ainsi que les grands noms du Novecento
italien (De Chirico, Morandi, Balla, Severini…), mais également les représentants des avant-gardes picturales du xxe siècle (de Miró à Basquiat, en passant
par Matta ou Wesselman). Fondée en 1981 par Roberto Casamonti à Florence,
la galerie Tornabuoni s’est depuis démultipliée (à Milan en 1995, Portofino en
2001, Paris en 2009, mais aussi à Forte Dei Marmi et Crans-Montana). Elle a
fait de Fontana (à l’œuvre duquel chaque nouvel espace de la galerie est dédié)
son artiste fétiche et apparaît aujourd’hui comme la galerie de référence pour la
diffusion et l’expertise de son œuvre.
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