2.
I) LA PREMIERE ACCUSATION.
Commençons par la première : Socrate serait un athée. J'entends lui opposer
trois arguments ; le premier est un moyen d'irrecevabilité, le second une
réfutation au fond et le troisième s'attachera à l'accusation réelle cachée derrière
l'apparente.
A. "Il n'est point de crime ni de peine sans loi".
Nos voisins romains disent : "Nulla poena sine lege". Les lois et décrets de la
République d'Athènes, que vous avez rétablis, Messieurs les Jurés, après avoir
renversé la dictature des Trente et restauré la démocratie, ne comportent aucun
texte d'aucune nature que ce soit qui punirait l'athéisme ni a fortiori
l'agnosticisme. La poursuite manque donc de base légale. En effet il s'agit ici
d'une procédure pénale et non civile. Notre régime démocratique a toujours
soumis le droit pénal au principe d'une interprétation stricte, qui ne supporte pas
le doute. Au pénal, si un comportement ou un acte cause tort à quelqu'un, ce
simple fait ne suffit pas à entraîner une responsabilité et encore moins une
culpabilité. Si j’ouvre une épicerie à côté d’une autre épicerie dans la même rue,
ma concurrence va causer du tort mais ce préjudice n’est ni punissable au pénal
ni même juridiquement réparable au civil. Montrez-moi donc le texte écrit qui
justifierait la poursuite. Il n'existe pas.
Et il y a une raison bien simple à cela : si la justice pénale se limite à des règles
de droit écrit, si vous l'avez cantonnée et limitée de si judicieuse manière, c'est
précisément pour éviter de tomber dans l'arbitraire, le discrétionnaire,
l'appréciation influencée par les préjugés ou même les sentiments. Respectons,
je vous en prie, ce principe sacré de notre cité si nous voulons éviter de
retomber dans les maux et les excès dont nous sommes si difficilement sortis en
403, ceux de la tyrannie. Faute de fondement légal écrit, visible et extérieur à ce
procès, la poursuite doit tomber d'elle-même et doit être déclarée irrecevable.
B. Si le texte invoqué est celui relatif à l'impiété, il convient de faire valoir
l'inexactitude de l'accusation.
Socrate n'est ni athée ni même désinvolte ou indifférent à l'égard de la religion.
Il en est même l'un des contributeurs les plus zélés puisqu'il a développé dans sa
philosophie un concept rigoureusement incompatible avec l'athéisme : celui de
l'âme. Ce concept a été développé ensuite par ses disciples et s'oppose
fondamentalement aux philosophies matérialistes des penseurs opportunément
appelés pré-socratiques. Pour ces derniers, il n'y a que la matière et rien d'autre.
Pour Socrate et ses disciples au contraire, la matière, le corps est la prison de
l'âme. La mort libère l'âme captive de sa prison biologique et lui permet
d'accéder à sa véritable vocation mystique, ainsi délivrée de ses souffrances
physiques, de ses besoins primaires et plaisirs furtifs pour ne plus être que dans
l'extase spirituelle. C'est sans doute pourquoi mon client, si désireux d'atteindre