revue de presse-Finnegans Wake-Joyce

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REVUE DE PRESSE
17 janvier > 19 février 2012
FINNEGANS WAKE - Chap. 1
D’erre rive en rêvière
d’après Finnegans Wake de James Joyce
traduction française Philippe Lavergne (Ed. Gallimard, 1982) mise en scène Antoine Caubet
(Théâtre Cazaril, cie associée au Théâtre de l’Aquarium)
avec Sharif Andoura
lumière Antoine Caubet, Pascal Joris,
son Valérie Bajcsa,
composition Louis-Marie Seveno pour le violon,
film Hervé Bellamy, accessoires Cécile Cholet,
costumes Cidalia Da Costa assistée d’Anne Yarmola
régie générale et plateau Yunick Vaimatapako
régie lumière Pascal Joris
remerciements pour le spectacle : Daniel Ferrer, Ivan Boivin, Gérard Rocher du CFA du Spectacle
Vivant et de l’Audiovisuel et CFPTS de Bagnolet, Lydia Sevette, Jean- Marc Valay (The Dubliners)
et pour leur soutien : André Topia et Daniel Ferrer ; Jo Attié, Jacques Aubert, Judith Miller,
François Regnault, membres de l’École de la Cause freudienne, l’office du Tourisme
Irlandais, l’Ambassade d’Irlande en France, le Centre culturel Irlandais, Gaël Staunton pour le Irish
Club, la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint-Laurent, le Centre culturel Italien
production Théâtre Cazaril, Théâtre de l’Aquarium, l’Apostrophe-scène nationale de Cergy-Pontoise
et du Val d’Oise, Arcadi
> contact presse
Catherine Guizard. 01 48 40 97 88 & 06 60 43 21 13
[email protected]
LA STRADA & CIES
Pavillon fond de cour
7 rue des Chalets
93230 Romainville
James Joyce ! N’ayez pas de complexes, si vous n’avez pas lu FINNEGANS WAKE, que James Joyce a
mis 17 ans à écrire, après avoir assisté à l’adaptation théâtrale de son premier chapitre (à partir de la
remarquable traduction de Philippe LAVERGNE de l’ouvrage qui comporte 900 pages) au Théâtre de
l’Aquarium, vous pourrez dire : Je connais James Joyce, je l’ai rencontré.
Si la rivière à portée d’écran sur la scène pouvait cligner de l’oeil et parler, nul doute qu’elle prendrait
une sorte de forme féminine, captivée par la voix d’un homme, capable de faire bruire aussi bien le
soleil des forêts que le tremblement de terre des êtres qui la parcourent.
En exergue à la présentation du spectacle, Antoine Caubet un metteur scène habité, rappelle la
phrase de NOUGARO : Et tu verras tous ceux qu’on croyait décédés reprendre souffle et vie dans la
chair de ma voix jusqu’à la fin des mondes.
En l’occurrence, le décédé c’est Finnegans lui même, un maçon en état d’ébriété en train de regarder
du haut de son échelle, la rivière qui traverse la ville de Dublin avant de se jeter dans la mer. Voici
pour l’anecdote, mais à vrai dire, même s’il s’agit d’un éblouissement, il n’est pas besoin de
s’harnacher de repères, l’attention requise fait appel à tous ces sens furtifs qui entrainent la voix et
l’écoule, un peu comme le bruit d’une source ou même ce qui suinte des murs, la parole d’une main
prête à s’envoler au-dessus d’une rame.
C’est que les mots ici ne prennent leur sens que par la respiration, la transpiration du corps, ils ne
sont plus abstraits, ils s‘incarnent chez un homme, de la même façon qu’un paysage est capable de
réfléchir nos états d’âme. Comme il existe des bains de boue pour purifier la peau, il faut croire que la
langue de Joyce, colorée, sensuelle, nous convie à un bain de mots rendus à leur origine, celle du jeu
et du plaisir, celle des surprises.
Et la voix de Sharif Andoura s’étonne sans cesse, tout en restant égale, elle prolonge les éclats
parsemés d’une sorte de mosaïque, ici une aire de jeux pour les enfants, un grand bac à sable
recouvert d’un compost de brisures de liège aux lueurs de paille.
Dire que Joyce invente une langue, c’est lui rendre hommage, et pourtant cette langue qui a
découragé quelques lecteurs trop cartésiens sans doute, elle est palpable, elle est délivrance
orientant la tache sur le net, elle est boule de neige de mots qui ont envie de fusionner répondant aux
caprices de nos corps qui soupirent parfois cernés par la grammaire et la logique.
IL faudrait une langue du pied, une langue des orteils, une langue du cuir chevelu et ainsi de suite…Il
faudrait une fête de mots en état d’ébriété, en état de suspension, vive la langue libre !
Mais la liberté demande beaucoup de travail. La souplesse dont font preuve Sharif Andoura et le
metteur en scène, en réussissant à filtrer l’esprit à la fois cossu et espiègle de Joyce, tient de
l’exploit.
Sans doute ont-ils conscience d’exploiter une mine d’or et de faire partie des artistes alchimistes de
notre humanité, humblement nôtres puisque sans le savoir, nous sommes tous peu ou prou des
alchimistes en herbe en remuant la terre avec nos langues.
A la fin du spectacle, une spectatrice est venue saluer l’acteur, elle avait besoin de lui dire qu’elle
avait assisté déjà plusieurs fois à FINNEGANS WAKE et qu’elle lui envoyait du monde. Je me range à
ses côtés, pour signer qu’il s’agit d’une des meilleures créations de la saison.
Chapeau bas à toute l’équipe !
Evelyne Trân - THEATRE AU VENT - 29 janvier 2012
Antoine Caubet met en scène le monument littéraire de Joyce et réussit, grâce au génie du
comédien Sharif Andoura, à rendre accessible ce texte extraordinaire, réputé illisible.
« Que l’huile bouillante et le miel sauvage me tombent dessus si je peux ne serai-ce que
comprendre un mot de ce turc en finnois dans ce foutu patois que tu me rotterdames ! ».
Voilà sans doute le meilleur résumé de l’impression qui saisit le spectateur, pétrifié par la
logorrhée que débite Sharif Andoura, magistral comédien, auquel Antoine Caubet a confié la
gageure de mémoriser, de dire et d’interpréter la langue inouïe de Joyce, remarquablement
traduite par Philippe Lavergne : huile bouillante de la torture imposée à l’esprit qui s’essaie
à comprendre, et miel sauvage d’une expérience inédite, lorsque l’entendement accepte
enfin le secours des sens pour se repérer dans les entrelacs sémantiques, les
circonvolutions référentielles, les crases poétiques et les audaces linguistiques de ce texte
incroyable, auquel le théâtre sert de révélateur. Sharif Andoura est à la fois pythie, maniant
une langue riche de toutes les cultures et faite des parlers du monde entier (de l’hébreu et
du grec à l’argot des barrières), et herméneute, jouant de son corps, de ses postures et des
modulations de sa voix pour rendre plus explicite le foisonnement anecdotique et
l’inventivité littéraire de sa partition. Fort du conseil que donnait Joyce pour répondre à ceux
qui accusaient l’impénétrabilité de son texte (« Si vous ne comprenez pas, lisez à voix haute,
ça ira beaucoup mieux. »), Antoine Caubet a patiemment attendu que l’œuvre de Joyce
tombe dans le domaine public pour en offrir l’adaptation théâtrale au public.
Une expérience esthétique rare et jubilatoire
Ce cadeau touche le spectateur, autant que la prouesse de la mise en scène et du jeu
provoquent son admiration. On embarque pour cette balade sur la Liffey, fleuve dublinois qui
charrie les pépites de ce texte aurifère (« D’erre rive en rêvière », dit le sous-titre du
spectacle), avec l’impression que cette invitation est autant un don merveilleux que la
marque de l’infini respect que portent Caubet et les siens au public, en les croyant capables
et dignes de les accompagner dans le plaisir de ce périple. Les très belles images en noir et
blanc du film d’Hervé Bellamy montrent les berges d’une rivière sur laquelle on avance
lentement. Pendant ce temps, la marionnette qui figure le maçon Finnegan, tombé de son
échelle pour s’être essayé à jouir en plein ciel, va du tapis de copeaux qui recouvre le sol
jusqu’aux cintres, comme un compagnon malicieux qui se jouerait du récit de ses propres
errements éthyliques et masturbatoires. Sharif Andoura fait preuve, en s’emparant avec une
aisance sidérante et éblouissante de ce texte que chacun de ses gestes contribue à dire en
même temps que sa voix, d’un talent qui confine au génie. Rares sont les interprètes de cet
acabit ; rares sont les spectacles de cette qualité ; rares sont les théâtres qui, comme
l’Aquarium, osent accueillir ce genre de « pari fou », selon les mots de François Rancillac,
son directeur. Force est de saluer toutes ces audaces, et d’admettre que le théâtre est un
art d’excellence lorsqu’il offre l’occasion d’une telle expérience esthétique.
Catherine Robert – février 2012
Joyce-Lacan, rencontre sur les planches
« Joyce était-il fou ? Par quoi ses écrits lui ont-ils été inspirés ? » Ces questions posées par le
psychanalyste Jacques Lacan, admiratif de l'écrivain irlandais, Antoine Caubet leur donne vie
aujourd'hui avec brio sur le plateau du Théâtre de l'Aquarium.
Le metteur en scène adapte le premier chapitre, sous-titré « D'erre rive en rêvière », du dernier chefd'oeuvre de l'Irlandais James Joyce : Finnegans Wake, histoire d'un maçon ivre qui se masturbe au
sommet d'une échelle en pensant à sa femme avant de « titubéguer » et de tomber à terre. L'homme
Finnegan mort, mis en bière, son âme est ressuscitée, par la grâce du whiskey et de la Guiness
déversés dans son cercueil. Il plane désormais sur Dublin. Avec l'aide du remarquable comédien
Sharif Andoura, acteur inépuisable, le spectacle déroule en une heure et vingt minutes, sans
anicroches ni difficulté, en aisance, la logorrhée mystique, magique et mystérieuse de Joyce. Suivant
les indications d'Antoine Caubet : « Joyce invente, met en oeuvre et livre une guerre au langage. Il
détruit la langue, la langue anglaise, sa langue maternelle, et il en invente une autre qui va chercher
latéralement, horizontalement, puis verticalement toutes les langues en Europe. […] À partir de là, il
réécrit une histoire du monde, à travers des éléments très banals en effet, une histoire qui dit
l'entièreté des composantes inconscientes qui forment nos vies. Ce n'est pas fermé, c'est secret. »
Ce secret a fasciné Jacques Lacan, héraut extravagant et charismatique de la psychanalyse postfreudienne des années 1970 (lire Philosophie magazine, numéro 52). Star du structuralisme, esthète
dont le divan est couru du Tout-Paris, gourou d'une génération professant en veste violette et
manteau d'astrakan ses leçons inspirées à la Sorbonne, Jacques Lacan lit Joyce par l'entremise d'un
universitaire. Alors engagé sur les chemins obscurs d'une recherche d'absolu, entendant découvrir
un langage qui permette de traduire l'indicible, l'inconscient et tout le non-dit de la psychanalyse,
Lacan trouve avec Joyce l'expression de la « splendeur de l'être », une épiphanie, qu'il appelle,
malicieux, le « sinthome », soit la « soudaine manifestation spirituelle se traduisant par la vulgarité
de la parole ou du geste, ou bien par quelque phrase mémorable de l'esprit même ».
Le sinthome – ou symptôme, ou synthomme –, sorte de concaténation verbale, prend tantôt la forme
d'un calembour tantôt celle d'un allographe ou d'un mot-valise, bref, jeu d'un mot que l'on aurait pu
croire intraduisible, mais que la puissance du théâtre finalement exprime, ascène – pour mimer Joyce
et Lacan – et rend audible. Il en révèle les richesses. Car la mise en scène dépouillée d'Antoine
Caubet, faite d'un sol de sable, fondation mouvante et souple, symbole d'origine, d'une marionnette
représentant Finnegan, l'ouvrier maçon, miroir du comédien et interlocuteur de lui-même, et d'une
toile projetant un horizon vidéo permettant au discours de l’inconscient de s'abîmer, rend grâce à la
richesse imaginaire de Joyce. Elle en saisit la fantaisie, que Lacan, sans esprit de sérieux, n'avait pas
manqué, lui qui concluait dans une publication des actes d'un colloque consacré au Saint-homme :
« Joyce le Symptôme à entendre comme Jésus-la-Caille : c'est son nom. Pouvait-on s'attendre à
autre chose d'emmoi : je nomme. Que ça fasse jeune homme est une retombée d'où je ne veux retirer
qu'une seule chose. C'est que nous sommes z'hommes. LOM : en français ça dit bien ce que ça veut
dire. Il suffit de l'écrire phonétiquement : ça le faunétique (faun…), à sa mesure : l'eaubscène. Écrivez
ça eaub… pour rappeler que le beau n'est pas autre chose. » Qui veut plonger dans Joyce et sa beauté
obscène ira se mouiller à l'Aquarium, et ne sera pas déçu par l'audacieux travail d'Antoine Caubet et
de Sharif Andoura. Ah, les sainthomes…
Cédric Enjalbert - 30 Janvier 2012
Théâtre. ]oyce enfin
libre sur scène
On se souvient de la « Lettre
du Voyant » de Rimbaud :
«Ça ne veut pas rien dire. »
De 1922 a 1939 James Joyce,
déjà auteur des Gens de Dublin,
de Dedalus et d Ulysse, écrit
Finnegans Wake, oeuvre
qui franchit souvent les limites
de la lisibilité. À HarnetShaw
Weaver, sa mécène, qui lui
reprochait de ne pas même
écrire en anglais (le texte
intègre une cinquantaine
de langues), Joyce répondit
« Oh, ce n’est pas écrit du tout.
Ce n est même pas fait
pour être lu. C’est fait pour
être regardé et entendu »
Ce genre d’indication ne
pouvait que renforcer I’envie
d'Antoine Caubet, metteur en
scène, en 1993, du monologue
de Molly Bloom (extrait
d’Ulysse) et grand lecteur
de Joyce, de se lancer dans
la folle et géniale aventure
de porter au théâtre Finnegans
Wake. Pour cela, il fallait
attendre le 1er janvier, date
a laquelle I‘oeuvre de Joyce
tombe dans le domaine public.
Depuis longtemps en effet,
Stephen Joyce, petit-fils de
I’auteur et ayant droit, méprise
les critiques et interdit
tout projet artistique à partir
de I’œuvre. Antoine Caubet
a donc préparé son coup.
II a choisi la traduction de
Philippe Lavergne|l982|,
qu’il a trouvée plus orale que
celle d’André du Bouchet [1962).
II I’a lue a haute voix puis
a demandé à I’entendre. Le
va-et-vient entre jouissance et
agacement, qui avait marqué
sa lecture à voix basse, a cédé
la place à un étonnement sans
cesse renouvelé pour cette
langue qui détruit le langage
en en bouleversant les règles
les plus élémentaires,
ne tenant au sens qu’en
composant des mots-valises
et à la syntaxe qu’en I’oubliant
dans I’envolée des périodes
musicales.
Oralisée, cette langue est
encore écrite mieux,
elle exhibe son écriture
et y trouve (encore Rimbaud!
toute sa vigueur.
Voici donc « Finnegan
le Constructeur, stathouder
de sa main, maçon
des hommes francs », qui
« calculait par multiplicables
aletitude et maltitudejusqu’à
voir se balancer à la lumière
de son Doublin où I’était né »
Sharif Andoura, seul en scène,
donne à voir et à entendre le
premier chapitre de Finnegans
Wake ou les grands thèmes
de I’œuvre se mettent en place,
à commencer par I’histoire
de Dublin et de l’Irlande. Il se
place en position de conteur,
parfois d’écrivain. II est au
centre d’une arène. Au fond, un
film montre la femme-rivière
de I’œuvre qui traverse Dublin.
Suspendu et anime, un pantin
d’un mètre trente figure
Finnegan. II apparaît
et disparaît, manipulé par
I’acteur. II fixe la perception
du spectateur. Tout ce
dispositif orchestre la voix
de Shanf Andoura. L’objectif
est simple pour reprendre
le mot de Joyce, nous
« abestourdir à la langue »
Christophe Bident
Janvier 2012 - Mensuel
Rideau ! Le blog théâtre de Jack Dion - 26 janvier 2011
Finnegans Wake-Chap.1 de James Joyce, mis en scène par Antoine
Caubet, au théâtre de l’Aquarium, est déchirant d’émotion.
François Rancillac, responsable du Théâtre de l’Aquarium, ne le cache pas. Lorsqu’il s’est
plongé dans « Finnegans Wake », le roman monstre de James Joyce (900 pages), que
proposait de mettre en scène Antoine Coubet, il a cru que c’était une plaisanterie, tant le
texte lui est paru aride, quasi illisible.
Antoine Coubet a alors proposé de lui lire à haute voix quelques extraits de ce livre fruit de
17 ans de labeur, terminé en 1939, quelques mois avant la mort de l’écrivain, le 13 janvier
1941, à Zurich. François Rancillac a alors immédiatement compris pourquoi James Joyce
disait de son enfant : « Ce n’est pas écrit du tout. Ce n’est même pas fait pour être lu. C’est
fait pour être regardé et entendu ».
Antoine Coubet avait ce projet en tête depuis longtemps. Mais jusqu’ici, il se heurtait au
blocage de Stephen Joyce, petit-fils et ayant droit de l’œuvre de son grand-père, qui
interdisait toute utilisation du texte. En 1999, aux Bernardines, à Marseille, il en avait même
fait un spectacle intitulé « D’erre rive en rêvière ». A partir du premier chapitre de
« Finnegans Wake », seul en scène, il avait joué sur cette impossibilité de lire Joyce dans le
texte alors même qu’il avait été écrit pour ça.
Il ya quelques jours, l’œuvre de James Joyce est tombée dans le domaine public. Aussitôt,
Antoine Coubet a refait son sac et il est reparti à l’escalade de cet Himalaya de la littérature
par la face nord. On peut apprécier cet exploit à l’Aquarium, où l’on ne refuse jamais de tels
défis.
A priori, ce n’est pas une ballade de santé. Joyce n’a jamais été autant Joyce que dans ce
texte irracontable, fouillis à souhait, bordélique, obscur, provocant, glouton, mais d’une rare
portée poétique, comme si la musique des mots déclamés étaient la clé d’entrée permettant
d’accéder à la caverne d’Ali Baba où repose une langue magique, créée de toutes pièces.
L’acteur belgo-syrien Sharif Andura, plus irlandais d’allure qu’un joueur de rugby amateur
de Guiness, est à la manœuvre, en compagnie d’un pantin représentant le personnage de
Finnegan. En fond de scène, une vidéo où l’on voit surtout couler une rivière paisible, la
Liffey, qui irrigue tout le roman de Joyce. Sur le sol, des éclats de liège où apparaissent des
lettres d’alphabet différents. L’histoire de Finnegan est en effet celle de l’humanité toute
entière, contée par un acteur qui n’a pas son pareil pour faire résonner cette valse de mots
qui n’est pas sans rappeler celle d’un Valère Novarina.
Avec Shari Andura, le cri de James Joyce est à portée d’oreille, d’esprit et de cœur…
Finnegans Wake.... Voilà un spectacle exigeant né d'un pari risqué :
mettre en scène l'écriture du gd James Joyce . Antoine Caubet le
metteur en scène l'assure : l'écriture est là, on l'entend , la goute, la
respire. Le comédien Sharif Andoura remarquable de douceur, vous
emmène dans cette langue folle... Vous savez combien un théâtre
exigeant est indispensable au paysage théâtral actuel et parce qu'il
s'agit de James Joyce, Prix Nobel de Littérature, mais aussi d'une
parole et d'une mise en scène forte on insiste et vous recommande une
soirée au Théâtre de l'Aquarium...
Finnegans Wake : un long rêve confus traversant l'Histoire depuis le
crépuscule du péché originel jusqu'à l'aurore de la résurrection.
James Joyce disait "Si vous ne comprenez pas , lisez à voix haute, ça
ira beaucoup mieux" , profitez en, là c'est le comédien qui le fait pour
vous jusqu’au 19 février à la cartoucherie de Vincennes.
Jane Villenet - 30 janvier 2011
Sapho chante Léo Ferré
Monologue dramatique d’après l'oeuvre éponyme de James Joycedit
par Sharif Andoura dans une mise en scène Antoine Caubet.
"Finnegans Wake" de l’irlandais James Joyce, c’est 17 années
d’écriture, 900 pages, 17 chapitres mêlant une trentaine de langues
avec un abondant thésaurus de mots inventés pour un singulier
roman épique en boucle, réputé illisible, et 20 ans de labeur pour le
traducteur français Philippe Lavergne.
Porter au théâtre, cette prose dense et intense à l’écriture
hermétique ne ressortit même plus à la hardiesse ou à la témérité
mais nécessairement à la passion, celle qui anime le metteur en
scène Antoine Caubet, qui s'est appuyé sur les propos même de l'auteur qui indiquait "Ce
n’est pas écrit du tout. Ce n’est même pas fait pour être lu. C’est fait pour être regardé et
entendu.", et le comédien Sharif Andoura qui est le passeur émérite du premier chapitre
titré "D’erre rive en rêvière".
Comprendre le texte en temps réel est impossible puisque essayer, au fil de son
égrènement, d’en comprendre les mots est pour le commun des mortels qui n'est pas
exégète de l'œuvre, une vaine entreprise. Aussi, cela implique le lâcher prise, de ne plus
actionner la compréhension par la raison mais par les sens et l’émotion que dispensent
une mélopée d’un lyrisme sans affectation.
Avec en toile de fond, les images d’une remontée très lente d’une rivière, plan-séquence
pour signifier la Liffey, la rivière-matrice qui féconde l'Eire, et sur un espace scénique
terrien avec son pentacle de copeaux roux, et accompagné d’un grand pantin de
confection brute, qui constituent une dispensable illustration pour l'art poétique et ce qui
constitue un exercice de style, Sharif Andoura se révèle un conteur exceptionnel.
Il porte, transporte, dispense ce qui se présente simultanément comme une épopée
mentale et une élégie unanimiste pour dire et vivre à un instant la présence au monde et
qui puise dans la poétique, dans le rêve et dans l’imaginaire, l’imaginaire d’un auteur
fortement ancré dans celui de son pays, la légendaire, archaïque et éternelle Eirinn.
Le grand mérite de Sharif Andoura, dont il est aisé d’imaginer l’ampleur de
l’investissement et du travail réalisé en amont pour s’approprier et mémoriser une
langue aussi complexe, réside dans sa capacité à la restituer sans emphase, comme s’il
s’agissait d’une langue naturelle familière, et, tout en y prenant visiblement un grand
plaisir personnel, à le faire de manière généreuse à l’adresse du public, restant
extrêmement vigilant à retenir l'attention de ce dernier en jouant des ruptures de ton.
MM
janvier 2012
www.froggydelight.com
Songe d'une nuit d'hiver / 24 janvier 2012
Petite et joyeuse entreprise d’aller à la Cartoucherie de Vincennes. Métro Château de Vincennes. Navette gratuite
jusqu’au lieu mythique. Ariane. Caubère. Abdallah. Age d’or. Révolutions. Tout ce qui s’est créé là depuis
quarante deux ans. Les marronniers. Les chapiteaux. Les chevaux. Un monde de théâtres. Et ce soir, à
l’Aquarium, un monde de mots, un monde fondé par les mots. Et un pari dément. Faire parler Finnegan. Entrer
dans le Wake. Pas si dément que ça d’ailleurs – l’auteur lui-même le conseillait : « ce n’est pas écrit du tout. Ce
n’est même pas fait pour être lu. C’est fait pour être regardé et entendu », garanti pur Joyce ! Et ce que le
metteur en scène, Antoine Caubet, a pris à la lettre.
Une arène. Un pantin désarticulé. Un écran sur lequel vont défiler lentement des images de terre et de ciel, de
rivière et de nuages. Ne jamais oublier que Finnegans wake fait autant dans l’encyclopédique que dans
l’élémentaire, l’érudition que le primitif, l'Aleph que la chanson populaire. L’homme est langue. La rivière est
femme. Le réel est une épiphanie. Au lecteur-spectateur de se laisser aller à l’écoulement de ces mots-mondes.
Tout y est pour capter son attention : l’hologramme d’un beau visage de femme qui apparaîtra au début. Le
prélude de Tristan. Et même un étonnant instant rock. On ne comprendra qu’un tiers ? Qu’un quart ? Moins ? Et
alors ? A l’opéra aussi, on comprend à peine ce que chantent les chanteurs, et ça n’empêche pas d’être en
transe. Il faut prendre ce spectacle de Finnegans wake comme une expérience synesthésique. Et puis tout de
même, il ne faut pas exagérer nos capacités d’incompréhension (qui relèvent toujours plus ou moins d’un refus
de sentir), on comprend un peu – donc, on comprend beaucoup. Un homme qui tombe de son échelle alors qu’il
se. Bref. En pensant à sa femme. Une chute qui est aussi un coup de tonnerre de cent lettres (et on l’entend,
croyez-moi !). Un coup de tonnerre qui est aussi celui de l’effondrement de la Bourse Wall Street en 29 (et qui
n’est pas sans écho avec notre propre effondrement sociétal: Finnegans wake comme crise d’un monde et d’un
individu). Une veillée funèbre. Une leçon de ténèbres et d'ivresse. Le corps de cet homme qui devient le corps de
la ville – Dieublingue la bien nommée. L’identité de cet homme qui devient l'identité de tout le monde : HCE =
Humphrey Chimpden Earwicker = Heres Comes Everybody. Les lettres du nom de cet homme qui apparaissent
comme les hiéroglyphes de toutes les langues et de toutes les bibles, et qui se retrouvent, merveilleuse idée
scénique, sous le sable de l’arène. Sous le sable, le sens. Sous l'eau, l'amour. Au-delà du chaos, la musique. En
osant mettre en scène, en son et en image le livre le plus difficile du monde, Antoine Caubet a fait que l’illisible
devienne visible et audible.
Et il y a ce comédien extraordinaire, Sharif Andoura (que l’on avait déjà remarqué dans Les trois sœurs de
Tchékhov par Braunschweig où il incarnait le frère) dans le rôle impossible du Verbe, à la fois personnage et
conteur, serviteur et enchanteur, démiurge et décodeur de ce texte dont il devient l’Ariel dansant. Car comme il
le dit lui-même dans la présentation du spectacle, il s’agit bien de décoder Finnegans wake, de voir tout ce qu’il
contient en intimité, en innommé et en secret – et qui fera la jouissance du spectateur comme d’ailleurs celle du
comédien. Hypnotique et aérien, celui-ci captive son public une heure vingt durant. Au fond, on est devant
Finnegans wake comme un homme devant un dieu ou comme un animal devant un homme. On ne comprend rien,
mais on sent tout. Comme un chien, on sent la peur (le tonnerre) l’apaisement (la rivière), la frénésie sexuelle
(l’obélisque de Wellington), les conflits de l’humanité avec elle-même (le dialogue avec le géant), le tragique du
mythe comme le comique de l’Histoire (la fabuleuse séquence du « gardien du musardéum »). On finit par
reconnaître des sons (les vagues), par repérer des mots (en général, les sexuels !), et même par rire
franchement de certaines saillies :
« Ce qu’elle attend, c’est que le temps se mette adieu. Voilà elle va venir maintenant, la voilà, elle vient paisible,
comme un oiseau de parodie, elle péripatte en titienne, port-épique en sautîlant, avec un cuicui de quoiquoi
qu’elle béguibagoûte du bouc de son bec, dont le flic flac éflobouse d’archibourdes les paxottises de son
illuverbe, un grain par-ci, un grain par-là, pousse-pousse plein de puces. »
On aurait rêvé d’autres pages ainsi dites et dansées. Celles de Shem au chapitre cinq, ou celles d'Anna Livia au
chapitre huit, ou toute la fin, second monologue du vagin après celui de Molly dans Ulysse, et dont le metteur en
scène a quand même choisi de faire entendre la dernière page – qui, comme chacun sait, continue ou
recommence dans la première. Peut-être Antoine Caubet et Sharif Andoura continueront-ils l’aventure. En
attendant, voici un spectacle beau comme un rêve dont on ne voudrait pas se réveiller.
La perplexité plane dans la salle. Finnegans Wake-Chap 1, réveille l’éternel
questionnement entourant cette oeuvre controversée de James Joyce, souvent
qualifiée d’illisible.
Génie ? Folie ? Plaisanterie ? Il faut être prévenu qu’il s’agit définitivement d’un des
textes les plus « difficiles» à comprendre, à jouer, et, pour certains esprits
rationnels, à supporter (Si j’en juge par la tête de mon voisin.). Parce que le texte
propose un imbroglio de langages, des nouveaux mots et des formes grammaticales
inventées, il ne faut pas désirer tout assimiler. C’est comme la poésie, à chacun sa
perception et son image.
Voici donc l’audacieux défi qui a charmé le metteur en scène Antoine Caubet. Il met
au service de ce texte l’acteur Sharif Andoura, qui déploie son talent sur scène en
multipliant les nuances de son jeu. Pour passer du papier au théâtre, Caubet
propose aussi ombre, vidéo, son et marionnette, mais le spectateur peut s’y perdre
malgré tout.
Pour réfléchir et théoriser autour de Finnegans Wake, l’équipe artistique du théâtre
de l’aquarium propose des discussions avec des spécialistes de Joyce, membres de
l’école de la Cause freudienne et autres passionnés.
L’histoire est tissée de quelques étincelles de sens qui font patienter jusqu’au
prochain indice de cohérence. Heureusement, le spectateur s’appuie sur la «
physicalité » de l’acteur-narrateur-guide. La trame narrative n’est pas importante,
mais, en gros, elle raconte que Finnegans, un maçon alcoolique irlandais, mourra en
tombant de son échelle parce qu’il se masturbait en pensant à sa femme et ou à sa
fille « qui n’est autre que la Liffey, la rivière qui traverse toute la ville de Dublin avant
de se jeter dans la mer».
(Ouf ! )
Finnegans devient un personnage mythique intemporel, fantôme apparaissant ici et
là, errant. Il représente ou dénonce un cycle perpétuel. Puis, au goût des
absurdistes, le dernier mot du texte se lie avec le premier pour garder l‘esprit
prisonnier de cette histoire sans fin, ni queue ni tête.
Certains proclament l’histoire de l’humanité ; le récit serait habilement écrit dans
une langue unique et universelle pour rejoindre l’ensemble du genre humain.
D’autres n’y comprennent rien de rien.
Donc Finnegans wake-Chap.1 : à voir avec humour, imagination et curiosité.
Tamara Bousquet – janvier 2012
critique de Anne-Marie Watelet – janvier 2012
Finnegan renaît / ressuscite chaque soir au Théâtre de L’Aquarium grâce à une jouissive mise en
scène du récit éponyme de Joyce (le 1er des 17 chapitres). Pour sa dernière œuvre publiée en 1939,
moins de deux ans avant sa mort, il part dans une joyeuse folie de mots, sur les traces de l’Histoire
de l’humanité. Point de départ : Finnegan, un maçon dublinnois, tombe dead-mort de son échelle ; la
trame narrative, c’est la famille Finnegan. Apparemment, aucun rapport avec le reste du récit
(quelque 800 pages). Et pourtant. De Finnegan, les lieux et l’histoire de Dublin, de Dublin l’Histoire
du monde jusqu’à nous; s’arrêtant sur les premiers signes de l’écriture et sur les langues – « les
babéléniens », sur le péché originel, évoquant des héros mythiques. Et la Liffey, la rivière qui
traverse toute la ville, c’est la Parque de cette épopée: « Je te reconnais ma Parque de salut ! »
Finalement, toutes les figures ressurgies du monde, les amis de Finnegan, veillent son cercueil
jusqu’à ce que son corps s’envole pour planer au-dessus de Dublin.
Bien plus qu’une histoire, c’est une langue inventée : c’est « garanti pur Joyce », dit-il avec humour !
Pour embrasser toute cette matière, l’auteur d’Ulysse s’est fait plaisir. II a tout mêlé (époques,
cultures etc…) et charrié des dizaines de langues – on entend aussi du grec et du latin. Le tout dans
un tournoiement de mots tronqués, télescopages syllabiques, associations extravagantes de noms,
mais allusives, mots-valises et autres jeux de langage tant sonores que lexicaux. Déconcertantes,
cette création de mots et les phrases gonflées de sens par une recherche savante, ou simplement
poétique ! Et comment suivre? Cette eau qui est aussi Anna l’épouse de Finnegan, les sombres
méandres de sa chevelure ; et comme toutes les femmes, source de la vie. « Si vous avez des
difficultés [pour comprendre], essayez de le lire à haute voix… » répondait Joyce aux reproches
qu’on lui adressait. Et en effet, ce texte, certes déroutant voire muet pour le lecteur, se révèle dès
lors qu’il passe par la voix, le corps, les matières, et dans un espace scénique. C’est ce qui nous est
offert ici. Un conteur-comédien, un pantin (Finnegan), sur une petite piste (cirque ou arène)
composée de copeaux de liège laissant furtivement apparaître des traces de mots. Antoine Caubet a
conduit avec intelligence le comédien Sharif Andoura, qui donne vie et sens atout au long du
spectacle. D’abord le mémoriser impliquait dit-il, de le « transférer » en soi, de chercher des échos
personnels, d’imaginer à partir de ça. Il a su, et avec un naturel savoureux, dégager la légèreté et
l’humour inhérent au récit, tout en manipulant le pantin de temps à autre. Coïncidence heureuse:
son visage, ses cheveux, correspondent à l’image que l’on a de l’Irlandais-type ! Jamais statique,
mais usant de son corps souple avec une subtile économie, son jeu et sa gestuelle sont très nuancés.
Essentiel: il déploie les phrases et les sonorités nouvelles dans un rythme adapté qui exalte le texte,
en restituant son sens. Le ton met en valeur ce qui doit nous faire réagir. C’est, comme pourrait
écrire l’auteur, émerveillant !
La scénographie nécessaire au spectacle. Musique, piste circulaire où se joue le comédien, images
du film… Cela nous porte de façon convaincante dans un univers tantôt tellurique, tantôt cosmique.
Au fond du plateau est projeté un film où l’on voit s’écouler lentement la rivière, en noir et blanc. Ce
plan-séquence étiré donne la mesure du spectacle et du récit. Le paysage change
imperceptiblement, avec une lenteur extrême ; l’image est mélancolique, onirique, comme celle
ensuite, qui nous ouvre les cieux avec des teintes sombres en dégradés de gris et de bleu. Et cela ne
“jure” pas avec certaines paroles joyeuses du conteur. L’eau constitue ici la matrice symbolique du
récit : la femme éternelle, la femme de Finnegan, les méandres de sa chevelure, la source de la vie.
Les notes de musique discrètes – la harpe, le violon – égrènent la temporalité de ce rêve, et nous
enchantent. La lumière blonde s’assombrit peu à peu ; la voix du fils de Finnegan se fait entendre:
« Je m’éteins. O fin amère. (…) Père appelle. J’arrive Père. Ci la fin. Comme avant. Finn Renaît !
Prends. Hâte-toi, enmemémore-moi…. » Et le père de renaître ailleurs, et le fils d’emporter le
souvenir.
Finnegan et Anna sont l’humanité, si l’on veut ; hommes et femmes laissent leurs traces de vies, des
« fossilités de passage », dont ce livre est l’écho.
INFERNO
ANTOINE CAUBET REVISITE JOYCE A L’AQUARIUM : FINNEGANS WAKE, CHAP 1 /
« D’ERRE RIVE EN REVIERE » : DE LA PURE FOLIE ?
Antoine Caubet a entrepris voilà déjà quinze ans de porter à la scène le premier chapitre de Finnegans Wake,
l’œuvre littéraire de James Joyce, objet d’étude du psychanalyste Jacques Lacan dans les années soixante dix.
Dans le cadre de ses recherches sur le symptôme et sa structure, ce dernier donnera une conférence intitulée
“Joyce le symptôme”, révélant au grand jour son appréhension du cas Joyce, sous la figure du Sinthome. Ce texte
est une frénésie verbale, une libre association musicale qui n’est rien d’autre qu’une parole. Il est écrit comme
un casse-tête, composé d’assonance et de dissonance autour de la lettre, aussi déconcertant qu’intriguant.
Sharif Andoura, de père belge et de mère syrienne, campe ce personnage avec tant d’appétence que malgré la
frontière de la langue, il est déterminé à nous faire passer ce texte. Le travail qu’il fournit est remarquable de
mémorisation, d’assimilation et de diction. Il s’empare de cette parole et la fait étonnamment sienne. C’est
maintenant son histoire. Et nous, perdus dans toute cette décomposition textuelle, nous l’admirons gambader
sur ce terrain de jeu dont il ne néglige aucune attraction. Sous le regard bienveillant de son metteur en scène, il
nous transmet cette épopée sans relâche, maîtrisant à lui seul tous les accents de la pièce. Aucune inquiétude à
l’idée que le fil se rompe et pourtant mille et une occasions que cela puisse arriver. Aucune perte de vitesse à
noter pour cet impressionnant conteur
Et ce texte passe certainement mieux par l’écoute, par l’attention portée au dire que par la lecture. Il peut même
devenir appétissant dans la bouche de ce grand gaillard dont la couleur capillaire réchauffe d’emblée le décor
funeste ambiant. Les choix de mise en scène viennent ponctuer le texte sans l’encombrer, l’interprétant dans les
grandes lignes, lui laissant ainsi l’absolue exclusivité de l’altération. Le décor est légèrement traité mais la
performance flamboyante de Sharif Andoura ne requiert aucun artifice, sinon de couleur orange ! Un hexagone
de gravier, mappemonde de cet état qu’il traverse depuis la rivière de Dublin, une pelle en avant, une rivière en
plan fixe à l’arrière, image mouvante inter-changeante avec un ciel ombragée ou une ombre cauchemardesque
et enfin, pendouillant dans le vide, il y a Finnemort : la marionnette, le cadavre de Finnegans, en nom et place du
Père.
Tout à coup, lui, sa marionnette et son paysage nous transportent quelque part, dans un endroit intemporel, à
l’inconnu. On nous dit de lui, qu’il est mort, tombé d’une échelle en état d’ébriété. Un début qui commence par la
fin, des fils dans le fil, beaucoup de rupture dans le fil, bref, un vaste champ d’études pour la psychanalyse.
L’institution ce soir était d’ailleurs représentée dans la salle par Judith Miller, fille de Lacan, épouse de JacquesAlain Miller, tous deux à la tête de l’héritage lacanien, entre autres figures de l’Ecole de la cause freudienne de la
rue Huymans présentes ce soir. Le comédien, interpellé par ces derniers à la fin de la représentation,
notamment sur le travail de mémorisation et de concentration salué, explique faire « feuille blanche » avant
d’entrer en scène. Reprise d’une expression d’Antoine Vitez, haut personnage du Théâtre populaire dont se
réclame, un siècle plus tard, les résidents des théâtres de la Cartoucherie de Vincennes, toujours sur le coup.
Ce théâtre ne craint en effet pas le challenge pour ramener la parole et l’expérience au cœur des préoccupations
théâtrales. C’est à cela qu’Antoine Caubet s’emploie, à faire entendre ce texte, celui de la parole, ou encore du
parlêtre comme dirait Lacan. Cet écrit est « un rêve qui comme tout rêve est un cauchemar, même s'il est un
cauchemar tempéré. A ceci près, et c'est comme ça qu'il fait ce Finnegans Wake, c'est que le rêveur n'y est
aucun personnage particulier, il est le rêve même » (Lacan au sujet de Joyce). Quand une seconde on croit
détenir le sens de ce récit, il nous file entre les neurones la seconde d’après. Il est langage, possédant sa
singularité, son identité : propre et confuse, à démêler. Le metteur en scène s'autorise même quelques effets de
voix sonorisée pour transparaître la monstruosité du champ de bataille dans lequel le rêveur est pris au piège.
Traduite de l’anglais au français, l’adaptation revient à la langue d’origine par bribes d’enregistrement sonores,
ou par l’acteur lui-même, à la croisée d’autres langues. Au total, c’est environ une cinquantaine de langues qui
sont utilisées par Joyce pour se raconter. Ecouter, il ne s’agit que de ça ici, quand la parole est en acte et la lettre
en jeu. En s’attaquant à cette exception littéraire, Antoine Caubet fait preuve d'une audacieuse inconscience et
offre l’occasion de découvrir ce texte méconnu de Joyce.
On s’arrête au Chapitre Un, sous-titré « D’erre rive en rêvière », c’est déjà un bon début. Pas tout d'un coup, à
moins justement d’un coup de folie pour que soit empoignée un jour l’intégralité de l’œuvre (dix sept chapitres,
quatre livres), au risque sans doute d’y perdre ses repères…
Audrey Chazelle – 26 janvier 2012
Jouer Joyce
Finnegans wake est peut-être l’œuvre la plus ardue de James Joyce, un auteur déjà réputé difficile.
Faire passer la rampe à ce texte ressemble à un défi gigantesque. Pour Antoine Caubet, tout au
contraire, il s’agit d’une évidence. Explications.
Est-ce par goût du défi que vous montez Finnegans Wake ?
Antoine Caubet : On considère James Joyce comme un auteur littérairement extrêmement difficile.
C’est vrai, notamment pour Finnegans Wake, œuvre réputée illisible. Celle-ci a été violemment
attaquée à sa sortie en 1939. Virginia Woolf la tenait pour une œuvre d’une vulgarité sans limite.
Beaucoup de ses soutiens ont lâché Joyce, l’accusant à demi-mots d’être devenu fou ou sénile. A
ceux-là, Joyce répondait : « Vous n’y comprenez rien ? Ce n’est pas grave. Vous devriez vous la faire
lire ».
Est-ce à dire que c’est une œuvre orale ?
A.C : C’est même une œuvre théâtrale. Joyce ajoutait : « ça n’est pas écrit du tout. C’est fait pour être
écouté et regardé ». Et c’est vrai. C’est un véritable tour de force littéraire que l’on apprécie qu’à
partir du moment où le texte est proféré et incarné. Le résultat est impressionnant. Se déploie alors
la langue de Joyce, cette langue complexe, vivante, nerveuse, joyeuse, pleine d’humour et de jeux de
mots tout droit venus d’Alice. D’une certaine manière, dans le domaine du théâtre français, Guyotat et
Novarina sont les descendants de Joyce.
« Cette langue complexe, vivante, nerveuse, joyeuse, pleine d’humour et de jeux de mots tout droit
venus d’Alice. »
Au-delà de la langue, il y a aussi chez Joyce une multiplicité de références culturelles, pas toujours
faciles d’accès…
A.C : Dans ce texte, Finnegans Wake se casse la figure de son échelle parce qu’il a trop bu. Il meurt.
On assiste à sa veillée funèbre où tout le monde danse et boit, comme on le fait en Irlande. Puis il
ressuscite parce qu’on renverse du whisky sur son cadavre et qu’il trouve que c’est gâcher. Il y a donc
un premier niveau de lecture qui se passe de toute référence. Après, c’est tout le travail du théâtre, de
la mise en scène et en jeu que de faire apparaître la dimension très riche de cette écriture. C’est là
qu’est le vrai défi pour moi. Ne pas tomber dans le one-man show du conteur et par les outils du
théâtre, rendre compte de la richesse sous-jacente de l’œuvre, sans la rendre aride, ni purement
culturelle. Il ne faut pas oublier que les amis de Joyce, c’étaient les concierges des hôtels où il
descendait. Avec Proust, ils n’auraient rien eu à se dire.
Quels sont donc vos choix de mise en scène afférents ?
A.C : Nous travaillons sur le premier chapitre du livre, que nous avons repris presque in extenso, dans
la traduction de Philippe Lavergne. Sharif Andoura sera un conteur, rêveur, traversé par ces histoires,
ces paysages et personnages que charrie le texte de Joyce. Derrière une toile où le film d’une rivière
presque immobile mais toujours mouvante sera projeté, des acteurs feront un théâtre d’ombres
vivantes. En arrière-plan, un pantin d’un mètre trente environ sera aussi tour à tour Finnegans Wake,
la cabaretier, le guerrier légendaire du texte de Joyce, toutes ces figures avec lesquelles le conteur va
jouer.
Propos recueillis par Eric Demey
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