Comment ne pas négliger un symptôme sans trop inquiéter ? How not to neglect a symptom without causing alarm? Mots-clés : Femme jeune – Tumeur bénigne – Aiguille – Anxiété. Keywords: Young woman – Benign tumour – Core needle – Anxiety. M. Escoute* Épidémiologie Hormis les femmes à très haut risque de cancer du sein (mutations génétiques, antécédents familiaux multiples), qui sont hors de notre propos ici, la probabilité de développer un cancer du sein est estimée à 0,04 % entre l’ âge de 20 à 29 ans et à 0,4 % entre 30 et 39 ans. Cela concerne une femme sur 2 525 à l’ âge de 30 ans, et une femme sur 217 à l’ âge de 40 ans. L’ incidence est de 1 % par an avant l’ âge de 40 ans (1). On retrouve une stabilité de l’ incidence des cancers du sein depuis 1986 chez les femmes de moins de 50 ans (2), contrairement aux “impressions statistiques” de nos consultations. Devant ces chiffres relativement faibles, la grande majorité des symptômes cliniques motivant une consultation chez une femme de moins de 40 ans s’ avèrera bénigne. Le juste équilibre est d’ éviter l’ inflation d’ examens complémentaires anxiogènes et disproportionnés, sans pour autant tomber dans l’ optimisme acharné des statistiques et des probabilités en réfutant des examens d’ imagerie. Comment ne pas négliger un symptôme... En étant clinicien Chez la femme jeune sans antécédents familiaux, c’ est le symptôme clinique qui va déterminer la consultation sénologique. * Hôpital Ambroise-Paré, Marseille. 108 32es Journées de la SFSPM, Strasbourg, novembre 2010 Comment identifier les femmes à risque ? L’ interrogatoire recherchera des antécédents d’ irradiation thoracique (maladie de Hodgkin) ou des antécédents personnels de cancer orientant le diagnostic vers une localisation mammaire secondaire (lymphomes, leucémies, sarcomes) La palpation, soigneuse, définira : – la mobilité ou non de la lésion, – l’ élasticité ou la dureté du nodule, – l’ intégrité ou l’ attraction cutanée en regard, – l’ existence ou non d’ un écoulement mamelonnaire associé, – la présence ou non d’ adénopathies axillaires. En ayant une bonne analyse radiologique La.mammographie Avant l’ âge de 30 ans, cet examen est peu demandé en première intention en raison de l’ importance de la densité mammaire, qui rend la visualisation et l’analyse sémiologique souvent difficiles. La mammographie numérique plein champ, bien que parfois controversée, peut présenter un avantage statistiquement significatif (3) chez ces patientes jeunes aux seins denses (BI-RADS 3-4) [4]. Elle peut être réalisée secondairement en fonction des résultats de l’ échographie de première intention. Après l’ âge de 30 ans, elle sera proposée surtout en fonction des signes cliniques. La sémiologie mammographique reste la même : – homogénéité ou hétérogénéité, – contours réguliers, flous, polylobés ou spiculés, – asymétrie de densité, – désorganisation architecturale, – microcalcifications associées ou non et leurs caractéristiques, – épaississement ou attraction cutanée. Cependant, les cancers du sein de la femme jeune peuvent se présenter sous la forme de lésions pseudo-bénignes de type fibroadénomes, caractéristiques des carcinomes médullaires (3 %), dont la fréquence est plus élevée avant 35-40 ans et de façon statistiquement significative (5). Cette notion doit rester toujours présente à l’ esprit du radiologue et rendre son analyse sémiologique d’ autant plus pertinente. L’.échographie Chez la femme jeune, cette technique présente tout son intérêt, car la densité mammaire est un écueil à l’ analyse sémiologique. Elle permet une classification : • ACR-2 (lésions bénignes) : on retrouve ici une échostructure anéchogène pure, avec renforcement postérieur (kystes) isoéchogène, discrètement lobulé, à parois fines ovalaires à fins septa et ombres de diffraction latérales (fibroadénomes), hétérogène, à couronne hyperéchogène ovalaire (hamartome) ; 32es Journées de la SFSPM, Strasbourg, novembre 2010 109 M. Escoute • ACR-3 : on classe ici les lésions hypoéchogènes homogènes à fins échos ou niveau liquide (kystes compliqués) [6] avec un risque cumulé de seulement 0,2 % (7). Devant ce type de lésions, on proposera une surveillance à court terme. Une étude de Gordon (8) montre en effet que l’ augmentation de la taille d’ une lésion classée en fibroadénome n’ est pas un facteur de risque de cancer si elle n’ excède pas 20 % à 6 mois. Dans une autre étude de Harvey (9) concernant 320 patientes avec 81,1 % de fibroadénomes diagnostiqués par échographie et/ou mammographie, la surveillance (2,7 ans en moyenne) montre une augmentation de volume pour 6,9 % de ces lésions, sans aucun cancer à la biopsie : l’ auteur en conclut qu’ une surveillance à court terme est une alternative acceptable à la biopsie. Enfin, dans une étude portant sur 448 lésions bénignes avec un suivi de 3,3 ans en moyenne, Graf (10) retrouve 0,2 % de faux négatifs et une VPN de 99,8 %, et propose là encore une simple surveillance ; • ACR-4 : on retrouve ici les lésions hétérogènes au sein d’ un kyste (papillome), les lésions multikystiques simples et les lésions multikystiques compliquées chez l’ adolescente (papillomatose juvénile), les zones d’ atténuation suspectes des mastopathies fibreuses (diabètes insulino-dépendants, notamment), les lésions hétérogènes microkystiques aspécifiques (hyperplasie épithéliale) ou encore les lésions hypoéchogènes, rondes ou microlobulées (carcinome colloïde ou médullaire). Ces lésions nécessitent des examens complémentaires, qui sont représentés majoritairement par la microbiopsie, avec reclassement en ACR-2 après concordance radio-histologique. Vetto (11) a montré que, en cas d’ antécédents familiaux, l’ examen clinique, l’ échographie et la ponction avaient une VPN de 100 % lorsque les résultats sont bénins et concordants chez la femme jeune ; • ACR-5 : ce sont les lésions typiques d’ un carcinome selon des critères sémiologiques précis (tableau) ; elles nécessitent une prise en charge onco-chirurgicale. TABLEAU. Critères sémiologiques échographiques de Stavros (12). Critèresdebénignité Critèresdemalignité Absence de signes de malignité Hyperéchogénicité intense Ovalaire, parallèle à la peau Fine pseudocapsule échogène Régularité des contours Aspect bi- ou trilobulé au maximum Contours spiculés Contours anguleux Hypoéchogénicité marquée Atténuation postérieure Calcifications punctiformes Extension canalaire Aspect branché Aspect microlobulé L’.IRM En dehors des patientes jeunes à très haut risque entrant dans le cadre d’une surveillance déterminée (expertise FNCLCC–HAS), l’ IRM chez la femme jeune ne sera proposée qu’après concertation pluridisciplinaire, si cela peut modifier la prise en charge chirurgicale et en cas de traitement néoadjuvant avec évaluation de la réponse tumorale. 110 32es Journées de la SFSPM, Strasbourg, novembre 2010 Comment identifier les femmes à risque ? La caractérisation d’ une lésion probablement bénigne (ACR-3) n’ entre en aucun cas dans les indications de cette technique, qui peut être responsable de faux positifs en raison de la forte cellurarité de ces lésions chez les femmes jeunes, qui présentent, en outre, une forte imprégnation hormonale glandulaire pouvant gêner la distinction et la définition de prise de contraste. … sans trop inquiéter ? L’ anxiété face au risque Une étude sur la pratique du dépistage menée chez 2 654 femmes âgées de 35 à 39 ans et parue dans le Bulletin du Cancer (13) montre que 34 % des patientes avaient eu au moins une mammographie, 11,2 % avaient eu 2 mammographies ou plus, 18,6 % avaient une mammographie récente et 6,4 % avaient eu une mammographie récente pour dépistage. De plus, 15 % des femmes de moins de 40 ans avaient demandé une mammographie sans signe clinique. Or, la probabilité de développer un cancer dans la tranche d’ âge 30-39 ans n’ est que de 0,4 % (14), ce qui rend compte probablement d’ une ignorance de la réalité des chiffres et d’ une surestimation certaine du risque personnel. Une étude de Mehlsen (15) montre que le degré de maîtrise des émotions est moindre chez la femme jeune lorsqu’ il y a suspicion de cancer à la mammographie, même avec des résultats définitifs bénins. Lang (16), en dosant le cortisol salivaire chez 150 patientes en attente de résultat d’ un prélèvement biopsique avec un délai de 8 jours, montre un état de stress aussi élevé chez les femmes ayant un résultat incertain que chez les femmes ayant un diagnostic positif connu, et propose un raccourcissement du délai de réponse histologique. Witek-Janusek (17) retrouve une réduction de l’ activité des cellules NK et de la production des gamma-INF avec une augmentation de la production des IL-4,IL-6,IL-10 chez les femmes subissant une biopsie, traduisant un état de stress important avec anxiété et troubles de l’ humeur perdurant de manière significative plus d’ un mois après l’ examen et quel que soit le résultat. Dans une revue systématique de la littérature excluant les articles aux méthodologies douteuses, Woodward (18) retrouve 14 communications montrant de manière significative qu’ après une biopsie mammaire, les femmes porteuses d’ une pathologie bénigne ont un niveau de stress et d’ anxiété aussi élevé que celles atteintes d’ un cancer. Dans une étude rétrospective chez des femmes ayant eu un suivi mammographique pour lésion bénigne et des femmes ayant subi une biopsie pour lésion bénigne, Lindsfors (19) montre un taux de stress statistiquement significatif plus élevé chez les femmes ayant eu un geste interventionnel que chez les autres, en dépit des explications fournies par le radiologue ou le médecin traitant. Une étude de Liang (20) montre que, en cas d’ anomalies radiologiques, les femmes sont prêtes à payer 611 dollars pour des examens complémentaires si ceux-ci peuvent 32es Journées de la SFSPM, Strasbourg, novembre 2010 111 M. Escoute leur éviter la biopsie avec la même qualité diagnostique, et 308 dollars si la fiabilité de ces examens est de 95 %. Une étude de Berg (21) menée chez 1 215 patientes à haut risque de cancer du sein et nécessitant, selon le protocole, une IRM de suivi retrouve un refus de participation chez 42,1 % des femmes pour des motifs divers : claustrophobie (25,4 %), contraintes de temps (18,2 %), contraintes financières (12,1 %), une information non convaincante de la nécessité de l’ examen (9,2 %) ou encore la peur de l’ injection de gadolinium (1,4 %). Les résultats de ces études semblent confirmer ce que nous appréhendons de manière empirique dans nos consultations, à savoir que les gestes interventionnels représentent une grande source de stress, et ce d’ autant plus que la patiente est jeune. Cela doit nous inciter à poser nos indications de micro- ou macrobiopsie avec application et discernement. La microbiopsie est-elle indispensable chez la très jeune femme ? Non évaluée, elle reste exceptionnelle et même peu recommandée (22) : s’ il s’ agit d’ une papillomatose juvénile, le traitement est chirurgical et la microbiopsie est inutile. En cas de doute entre adénofibrome et tumeur phyllode, le diagnostic histologique sur carotte biopsique est très difficile, en raison de la richesse cellulaire importante. Un geste chirurgical sera proposé, rendant la microbiopsie inutile. Notons que la simple cytologie, beaucoup moins invasive, est responsable d’ un taux de faux positifs élevé chez la femme très jeune, en raison de la forte cellurarité des lésions bénignes (23) pouvant entraîner une inflation de microbiopsies inutiles, gestes très agressifs pour cette tranche d’ âge. Une étude de Thomas (24) montre que des antécédents traumatiques au niveau des seins survenus pendant l’ adolescence ou chez la très jeune femme peuvent diminuer la compliance ultérieure à la participation aux campagnes de dépistage. Quelle surveillance ? Chez la femme de moins de 30 ans, l’ incidence des cancers étant très faible, une surveillance à 6 mois/1 an pourra être proposée en cas de fibroadénome afin de ne pas méconnaître une tumeur phyllode, tout en ayant à l’ esprit que c’ est surtout une augmentation de taille clinique qui évoquera le diagnostic. La surveillance ne doit pas être itérative : elle est anxiogène et souvent peu suivie dans cette tranche d’ âge (25). Park (26) montre que l’ échographie a une VPN de 99,4 % avec un taux de faux négatifs de 0,6 % sur 312 lésions ; le suivi représente une option intéressante et acceptable face à la biopsie. Avant l’ âge de 40 ans, l’ incidence est encore faible ; en l’ absence d’ antécédents familiaux nécessitant une prise en charge protocolisée, l’objectif devra être de permettre à ces femmes de faire leur prochaine mammographie à partir de l’ âge où l’ incidence des cancers fait proposer une surveillance régulière et éviter des examens itératifs et anxiogènes. La microbiopsie peut être proposée si la patiente est très anxieuse ou en cas de doute radiologique, mais elle ne doit pas être utilisée pour rassurer le médecin si tous les examens sont bénins et concordants. 112 32es Journées de la SFSPM, Strasbourg, novembre 2010 Comment identifier les femmes à risque ? Cas particulier : la grossesse En France, on estime entre 350 et 750 le nombre annuel de femmes enceintes porteuses d’ un cancer du sein au cours de leur grossesse (27) ; ce nombre, en croissance, s’ explique par le recul de l’ âge de la première grossesse ou par des grossesses tardives après recomposition familiale. Des études montrent que si la grossesse ne modifie pas le pronostic, les lésions sont souvent de plus grande taille et avec envahissement ganglionnaire (28). Cela peut être dû aux changements morphologiques du sein pendant la grossesse, mais celle-ci ne doit pas modifier l’ approche radiologique au risque d’ entraîner un retard diagnostique. La mammographie est souvent peu contributive (29) et l’ échographie première est réalisée, qui fera la part des lésions liquidiennes (galactocèle, kyste) et des lésions solides (adénome lactant, fibroadénome, abcès, tumeur maligne). Une mammographie peut être pratiquée en cas de discordance clinique et/ ou échographique avec une irradiation faible pour le fœtus (0,004 Gy), sa protection pouvant être renforcée par l’ application d’ un tablier de plomb sur l’ abdomen. Même si l’ interruption de grossesse au premier trimestre n’ est plus une attitude systématique, un diagnostic histologique par microbiopsie est souhaitable au moindre doute sémiologique, afin de ne pas laisser évoluer un cancer avec des conséquences psychologiques ultérieures particulièrement lourdes dans ce contexte. L’ IRM est généralement très peu utilisée dans ce cas en raison des modifications physiologiques importantes et demande une connaissance précise de cette sémiologie. Très peu d’études ont été réalisées chez ces patientes, la grossesse étant une contre-indication à l’ injection de gadolinium. Conclusion Chez la jeune femme de moins de 40 ans et en dehors de tout contexte familial ou personnel, la découverte d’ une anomalie est avant tout symptomatologique. Un examen clinique minutieux et une analyse sémiologique radiologique rigoureuse permettront de poser un diagnostic précis, en limitant les techniques interventionnelles agressives aux discordances radio-cliniques. Références bibliographiques [1] Colonna M, Delafosse P, Uhry Z et al� Is breast cancer incidence increasing among young women? 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