La question de l`autonomie selon une perspective existentielle

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Mireille Lavoie, inf. Ph.D.
Professeure chercheuse
Faculté de sciences infirmières, Université Laval, Québec
Centre de recherche clinique et évaluative en oncologie du CHUQ
tel-Dieu de Québec
22 novembre 2010
La question de l’autonomie
selon une perspective existentielle
La philosophie existentielle est…
« une philosophie qui réfléchit à partir de
l’expérience humaine, avec ses ombres (le
mal, la souffrance, la mort) et ses lumières (la
foi, la contemplation des choses belles,
l’amour, etc.). En ce sens, toute grande
philosophie depuis Socrate est existentielle. »
(Parain-Vial dans la préface de Marcel, 1991, p. 5)
La philosophie existentielle
met l’emphase sur le devenir humain.
(Assell, 1969)
« L’activité humaine déterminante est la prise de décision :
c’est par ces choix que nous créons nos vies et devenons
nous-mêmes. »
(Kierkegaard, 1949 selon Magee, 2001, p. 208)
« Être c’est se choisir. »
(Sartre, 1943)
« Chaque plan de soins et de traitements est personnalisé et
souple, et vise (…) à soutenir le désir de contrôle,
d’autonomie et d’intimité du patient. » (nous soulignons;
ACSP, Modèle de guide des soins palliatifs, 2002, p. 33)
L’infirmière aide « la personne à conserver, dans la mesure
du possible, sa capacité fonctionnelle et son autonomie. »
(nous soulignons; MSSS, Plan directeur du développement des
compétences, 2008, p. 62)
« L’autonomie constitue un enjeu décisif,
dès lors que les soins palliatifs sont conçus au service d’une
personne reconnue dans son aspiration
à réaliser un projet personnel
jusqu’au terme de son existence ».
(Hirsch, 2002, p. 213)
Définition de l’autonomie
« Capacité d’une personne de donner un sens à sa vie
et de se fixer elle-même des règles de conduite,
des objectifs sur la base desquels elle jugera des
situations et de ce qu’il convient de faire. »
(Gagnon & Blondeau, 1999, p. 178)
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Les dimensions
de l’expérience de l’autonomie
dans le contexte des soins palliatifs
Mireille Lavoie, Ph.D., Université Laval, Québec
Danielle Blondeau, Ph.D., Université Laval, Québec
Isabelle Martineau, M.Sc., Maison Michel-Sarrazin, Québec
Lavoie, M. ; Blondeau, D.; & Picard-Morin, J. (sous presse). The Autonomy Experience of
Patients in Palliative Care. Journal of Hospice and Palliative Nursing.
L’expérience de l’autonomie
dans le contexte des soins palliatifs…
1. Représente l’affirmation de sa pleine identité en
tant qu’être humain.
« … à chacun sa couleur…c’est important d’avoir
sa couleur personnelle, c’est-à-dire qu’elle
(autonomie) soit capable de nous identifier et non
pas monsieur X dans le troupeau. »
« L’autonomie, c’est dans le temps présent, être
capable de…de citer mes besoins, de les faire
moi-même, mais si j’en suis pas capable, d’aller
chercher de l’aide… »
L’expérience de l’autonomie
dans le contexte des soins palliatifs…
2. Représente la capacité d’agir par soi-même.
« J’aime bien décider de ce que je veux faire,
quand je veux le faire, où je veux le faire, puis
tout ça, être un peu indépendant...»
L’expérience de l’autonomie
dans le contexte des soins palliatifs …
3. Entraîne un sentiment de bien-être.
Elle permet de :
Conserver un contrôle sur sa vie;
Procurer un sentiment de fierté et de liberté.
« Ma façon de vouloir mes funérailles…j’ai tout
planifié…ça me libère, puis ça me fait du bien parce
que je vais…ça va être fait comme je vais vouloir. C’est
plutôt une prise de…une emprise sur ma vie… »
« T’es fière, t’es capable de faire tes choses
toute seule, t’as pas à attendre après personne,
t’as pas à demander…c’est de la fierté. »
L’expérience de l’autonomie
dans le contexte des soins palliatifs …
4. Comporte des sentiments difficiles et parfois
pénibles… tels l’impuissance, la souffrance et la
résignation, etc.
« J’ai trouvé ça très dur être obligée de réveiller quelqu’un
la nuit pour m’aider. Pour moi, c’était un sacrifice d’être
obligée de réveiller…Je le faisais par obligation. »
« Puis ça, accepter que les autres viennent t’aider, ça, c’est
la pire chose. »
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L’expérience de l’autonomie
dans le contexte des soins palliatifs …
5. Inclut des réactions de l’entourage qui
colorent les relations existantes.
« Bien voyons, fais pas ça, tu devrais pas faire ça…Écoute,
délègue-nous, on va…on va penser à ça pour toi. »
« Non, non, non, ôtez-moi pas ça, c’est tout ce qui me
reste. Tant que je peux le faire, ne me l’ôtez pas…je
pense qu’on est très infantilisé au départ. »
L’expérience de l’autonomie
dans le contexte des soins palliatifs …
6. Suscite des attitudes diverses en regard du futur
variant entre
la confiance / l’espoir;
l’incertitude;
la crainte;
l’évitement.
« C’est sûr que c’est de l’inquiétude (le futur). C’est
des angoisses qu’on a, on peut pas faire autrement.
On est inquiet de ce qui peut nous arriver. Parce que
je sais très bien qu’un moment donné, je vas en
perdre encore plus que ça. Je sais. Ça s’en vient. »
«Le futur, je le vois pas parce que je vis au jour le
jour. Aujourd’hui, je suis bien, je fais qu’est-ce que je
suis capable. Demain, y m’appartient pas, puis je sais
pas si je vas être là. Vous non plus d’ailleurs!»
Vers une
« autonomie-relationnelle »…
La perspective individualiste
de l’autonomie?
« Par l’autonomie bien comprise, l’individu se pense
comme appartenant à la commune humanité, ce qui
suppose l’ouverture à l’autre. L’euthanasie
volontaire ne peut plus alors être pensée comme une
décision solitaire sans répercussion sur l’entourage
ni même sur l’humanité. »
(nous soulignons; Ricot, 2003, p. 39)
L’autonomie,
« c’est consentir à avoir besoin des autres.
C’est le contraire de l’indépendance. »
(Jollien A., 2010)
L’autonomie:
un exercice d’indépendance?
L’aspect relationnel de l’autonomie n’est
pas un mal obligé: il la définit!
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On peut comprendre que « la souffrance
et les chagrins arrivent facilement à un
degré où la mort nous devient désirable et
nous attire sans résistance. »
(Schopenhauer, 1991, p. 175)
Prudence face à l’interprétation
d’une demande d’euthanasie
9.5% des participants (36 personnes) auraient demandé
l’euthanasie… mais ont changé d’idée.
Raisons: la résolution des problèmes comme
douleur incontrôlable (n=10)
symptômes physiques particuliers (n=8),
souffrance (n=3)
stress psychologique (n=6)
faible qualide vie (n=2)
choc de l’annonce du pronostic terminal (n=2).
(Wilson et al., 2007)
Prudence reliée à la nature
de l’être humain
« L’absurde ne délivre pas, il lie. Il n’autorise pas
tous les actes. Tout est permis ne signifie pas
que rien n’est défendu. »
(Camus, 1942, p. 94)
« Un homme, parce qu’il est un homme, ne fait pas
de soi ce qu’il veut (même s’il en a le "droit");
en effet un homme ne peut pas faire de son être-
propre n’importe quoi; (…) il n’a pas la libre et
arbitraire disposition morale de cet être, par
exemple pour le vendre ou le supprimer. »
(Jankélévitch, 1957, p. 222)
« Soigner est d’abord, et avant tout,
un acte de vie »
(Collière,1982, p. 241)
L’approche de l’« humaindevenant »
(Parse 1998, 2003, 2008)
Une théorie: trois assomptions
L’humaindevenant...
1. choisit librement un sens personnel à ce qu’il vit
en fonction de ses priorités de valeurs;
2. cocrée des patterns rythmiques de relation avec
l’univers;
3. cotranscende avec les possibles qui émergent de
façon illimitée.
(trad. libre; Parse, 2008)
L’humaindevenant
Un être indivisible, imprévisible, toujours changeant.
Un être libre de choisir ses façons de devenir, en situation.
3 DIMENSIONS:
Éclairer le sens
Synchroniser les rythmes
Mobiliser la transcendance
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Offrir une présence vraie.
Dialogue, présence durable et parfois silencieuse.
Accompagner la recherche de sens.
Suivre les patterns rythmique de relation.
Appuyer la mobilisation des projets, des rêves.
Vers les possibilités de l’accompagnement…
« Rencontrer quelqu’un, ce n’est pas seulement le
croiser, c’est être au moins un instant auprès de lui,
avec lui ; c’est (…) une co-présence. »
(Gabriel Marcel, 1940, p. 22)
Il s’agit donc de soutenir et respecter l’autonomie
dans une perspective relationnelle.
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