2. S’il existe donc bien des conduites positives de danger (dont la fréné-
sie de la vitesse est un signe), peut-on d’emblée les taxer d’immorales et leur
opposer une conduite sage, maîtrisée, seule à correspondre à une norme
éthique? Les agents en question ne considèrent-ils pas leur conduite comme
un ethos, à l’égal du guerrier ou du sportif de haut niveau, ou comme une
conduite à haute valeur symbolique ajoutée? L’automobile procurerait
ainsi des sensations extatiques qui engageraient une sacralité, au sens au moins
d’une sacralité de la transgression, de la dépense, telle que la décrit Georges
Bataille? La mort possible participerait ainsi d’un imaginaire sacrificiel, médié
par la voiture, qui ferait de la dépense de la vie, de soi et même des autres,
une valeur fascinante (ne parle-t-on pas des « sacrifiés » de la route, au même
titre que l’anthropologue parle des sacrifices aztèques?). Dans ce cas, la per-
ception de soi du conducteur (le fameux « fou du volant ») relèverait plu-
tôt du registre du surhomme, du héros, de l’initié, ou de la victime sacrifi-
cielle mais toujours sacralisés. Il existerait donc bien un imaginaire positif
du risque, qui réveille des schémas archaïques que notre société rationnelle
avait cru jugulés ou canalisés dans le sport. Même si on peut considérer qu’il
s’agit déjà là d’une déritualisation d’un jeu qui devrait se jouer en circuit
fermé (précisément dans « les circuits » des courses automobiles), il n’en
reste pas moins que, phénoménologiquement, il n’existe qu’une différence
de degré et non de nature entre l’usager standard et le pilote de course.
3. L’automobile apparaît donc en fait comme un déclencheur d’imagi-
naire qui permet de valoriser des actions dangereuses par un jeu d’images
typiques et médiatisantes. La conduite automobile cristallise même diverses
formes d’imaginaires dont on peut dégager quelques lignes de force :
- l’imaginaire du véhicule : comme machine, il sollicite des pulsions sexuelles
(moteur/sexe) et des fantasmes magiques (vitesse). Dans le registre tech-
nique du moteur, la voiture est sans doute un substitut du cheval (voir le
lexique du moteur), qui active par conséquent un inconscient du couple ca-
valier/monture. Mais sans doute y a-t-il toujours eu connexion symbolique
entre monture/femme, qui vient érotiser aussi bien la course à cheval que
la conduite automobile. La voiture réactive donc un ensemble de fantasmes
et de mythes de violence sauvage, d’extase et de mort sur fond d’un imagi-
naire sexué et viril.
- l’imaginaire de la conduite joue aussi avec un « éthos » et une symbolique
du nomade (réactivation des figures du cavalier, métaphores des espaces-
temps parcourus, fantasmes de jouissance des efforts de la machine pous-
sée à l’extrême, etc.), lié aux mythes héroïques du guerrier conquérant et
L’auto-éthique
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