ammar al-ba$r1 la premiere somme de theologie

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MICHEL HAYEK
' AMMAR AL-BA$R1
LA PREMIERE SOMME DE THEOLOGIE CHRETIENNE
EN LANGUE ARABE, OU DEUX APOLOGIES DU CHRISTIANISME
I - INTRODUCTION GENERALE
*
1 - Le lieu
Qui est 'Ammar al-Ba~ri? De sa vie, nul ne dit rien, ou si quelqu'un en
parle, nous l'ignorons nous-memes dans l'etat actuel de nos connaissances. Comment n'a-t-il pas davantage attire !'attention des historiens de l'Eglise en Syrie
* SIGLES ET ABREVIATIONS ici utilises: BO = Bib/iotheca Orienta/is, Cd. par J. Assemani,
4 vol., Rome, 1719-1728; Cheikho, Seize traites = Cheikho Louis, Seize traites theologiques
d'auteurs arabes chretiens (Ix"-xm• siecles), Beyrouth, lmpr. Cath., 2eme ect., 1920, 149 p.;
Cheikho, Trois traites = Cheikho Louis, 1)·ois traites anciens de po/emique et de theologie
chretiennes, Beyrouth, lrnpr. Cath., 1923, 93 p.; CMA.MC = Troupeau Gerard, Catalogue des
Manuscrits Arabes: Manuscrits Chretiens (Bibliotheque Nationale, Paris), vol. 1, 1972, 279 p.;
CSCO = Corpus scriptorum christianorum orientalium, Cd. J.P. Chabot ... , Paris 1903 et sq.,
puis Lou vain et Beyrouth, serie scriptores arabici, 1945 et sq.; El. 1"/2" = Encyclopedie de
!'Islam (1ere ed./2eme ed.), Leiden, Brill, 1910-1934/1950 et sq.; GCAL = Graf Georg,
Geschichte der chrislichen arabischen Literatur, Cite du Vatican, Bib. Apost. Vaticana, col!.
Studi e Testi, 1944-1953, 5 volumes; Ibn Abl U~aybi'a =Ibn Abi U~aybi'a, 'UyCtn al-anba'
jf (abaqat al-atibba', Cd. A. Muller, Konigsberg 1884, 2 tomes; MIDEO =Melanges .de
l'lnstitut Dominicain d'Etudes Orientales (Le Caire); Ms. Charfeh = Manuscrit arabe de Charfeh
(Convent Syrien-Catholique), au Liban; Ms. Par. ar. = Manuscrits arabes de Ia Bibliotheque
Nationale (Paris); Ms. Vat. ar. = Manuscrits arabes de Ia Bibliothequc Vaticane (Vatican);
MUSJ =Melanges de l'Universite Saint--Joseph (Beyrouth); OC = Oriens Christianus, RomeLeipzig, 1901 et sq.; PG = Migne P. J., Patro/ogie cursus completus. Series graeca, Paris
1857-1866; PO = Graffin R. et Nau F., Patrologia orienta/is, Paris, 1903 et sq.; Qifti = Qifti,
Abbdr al-'Ulama, Le Caire, 1326 Mg.; ROC= Revue de !'Orient Chretien (Paris); RSO = Rivista deg!i Stucli Orientali (Roma); Sbath, Fihris = Sbath Paul, al-Fihris (catalogue de manuscrits
arabes), Le Caire, lmpr. Al-Chark, 1938-1939, 3 tomes; Sbath, Vingt traids = Sbath Paul,
Vingt traites philosophiques et theologiques d'auteurs arabes chretiens du IX" au XIV" siec!e, Le
Caire, H. Friedrich, 1929, 206 p.
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et Mesopotamie? En revanche, ce sont les Coptes qui ont une fois de plus 1
sauve cette oeuvre de 1'oubli. C'est, en effet, un copiste copte qui a conserve
pour nous dans un manuscrit unique 2 ses deux apologies. C'est un autre copte,
AbU 1-Baraldl.t ibn Kabar (t1324), qui en fournit avec precision les titres et Ies
divisions exactes 3, Ce sont 1es trois freres coptes Ibn al-'Assil.l qui se penchent
sur l'oeuvre ou se recommandent de son autorite. Abf1 Isl;aq en tire des extraits,
apres en avoir fait un eloge dithyrambique dans sa Somme des fondements de Ia
religion (Magmu' u~ul al-din wa-masmu' mab 1nll al-yaqin) 4, al-As'ad Abl! !Farag le cite dans son Traite sur l'iime (Maqiila fi l-nafs) s qu'il redige en 1231
et enfin al-$afi Abu 1-Fa<;la'il, l'aine des trois, en fait en 1241 un resume dans
lequel il declare avoir demarque le caractere nestorien de !'oeuvre en vue de presenter Ia doctrine commune acceptable par les trois grandes confessions chretiennes (qiil al-mu[lta~ir: abtadi'u bi-bti~iiri Kitiibi 'Ammiir al-Ba~ri al-Nas{uri
ma'a tahif.ib wa-ziyiida lfibat fi atnfi'i l-i[lti~fir wa-mayl 'an al-ra'y al-nas{urf
wa-laysa ilfi mfi yunfiqifju-hu bal ilfi ma yaguzu li-l-firaqi 1-talfiti 1-qawlu bi-hi) 6.
Cependant aucun de ces auteurs ne nous renseigne sur Ia vie, l'epoque et les
autres ecrits de 'Ammar. Le nom meme risque de faire probleme. Serait--ce le
nom seculier ou un pseudonyme sous lequel se cacherait une figure religieuse de
premier plan? Le port de deux noms, l'un seculier et !'autre baptismal, est courant en Orient depuis toujours. De meme que 1e pseudonymat est atteste, comme
le prouve le cas celebre du pamphlet anti-musulman attribue a 'Abd al-Masih
al-KindP: car «insulter 1' Apotre » (sabb al-rasul) etait passible de mort. Or·,
rien dans les deux ouvrages de 'Ammar nc permet de justifier une telle crainte
a moins de supposer que les passages relatifs a la personne de Mahomet et qui
manquent dans notre manuscrit s aient ete injurieux, hypothese tout a fait gratuite, vu le ton irenique de !'ensemble de !'oeuvre.
Qui est-il alors? Sans doute une personnalite d'envergure qui ne pouvait
passer inapen.,;ue des contemporains. Sa vaste culture religieuse et philosophique
jointe a une puissance de reftexion personnelle indeniable le designerait comme
une autorite de l'Eglise. Un seul indice, mais trop vague et incertain, permettrait
seulement de suggerer qu'il s'agit d'un eveque ou d'un moine voue au celibat 9:
1
Cf. l'origine egyptienne des deux tiers des manuscrits arabes chretiens de Ia Bibliotheque
Nationale de Paris, in G. Troupeau, CMA.MC, t. 1, p. 7.
2 C'est le Ms. 801 du British Museum; cf. infra, II- Analyse de !'oeuvre, a) le manuscrit.
3 Kitfib Mi~Mb al-?ulma wa-trjd/:1 al-bidma, Cd. Samir Jjalil, Makt. al-Karilz, Le Caire,
1971, (444 p.), cf. p. 298; reproduits par J. Assemani, BO, t. 3, I, pp. 608-609.
4 Ms. Par. ar. 200, fol. 11; cf. les extraits au ch. 19, fol. 136.
5 Ms. Vat. ar. 145, fol. 2.
6 Ms. ar. de Charfeh, 5/4, fol. 97.
7 Nons utilisons !'edition de Ia Risfi/a par A. Tien, Londres, 1880.
8 K. al-burhdn, fol. 7b-8a/p. 31; Ia pagination renvoie toujours a notre edition des apologies (lmpr. Cath., Beyrouth) dont Ia parution a ete retardee par Ia tragedie du Liban.
9 Depuis le concile de Seleucie, tenu par le Catholicos Acace en 485, seulle moine cloitre
[3]
'Ammiir
al-Ba~rf
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contre !'islam qui accuse le christianisme d'avoir attribue a Allah femme et enfant,
il reagit: « il en est panni no us tel ou tel qui trouve cela indigne de lui-meme,
comment pourrait-il alors l'imputer a son Createur » 1o (inni'i nabirru ilfi (A)llfih
min an naqata inna-hu (i)tta[laif.a ~dbibata" wa-inna ba'cja-nd /a-yuraffi'u nafsa-hu
'an if.dlika fa-kayfa yansibu-·hu ilfi [ldliqi-hi?).
Mais ne cherchons pas plus loin et acceptons pour le moment ce qui est
donne: 'Ammar est le prenom reel et non fictif de notre auteur, tandis que alBa~ri indique clairement qu'il est originaire de Ba~ra, cette cite musulmane prestigieuse qui a remplace dans l'histoire le metropole de Phrat Mayshan non moins
celebre chez les Nestoriens. Des l'an 224, au temoignage de Ia Chronique d'Arbeles, Phrat Mayshan fut l'un des dix-sept sieges episcopaux de l'Eglise nestorienne 11. La Chronique de Seert relate que David, metropolite de cette ville,
quitte son eparchie sous le catholicossat de Papa (1'300) et s'embarque pour une
mission en Inde 12. Le synode de Seleucie-Ctesiphon, tenu par le Catholicos
Isaac en 410, mentionne les six metropoles de l'Eglise, dont le siege de Phrat
Mayshan avec ses trois suffragants: les eveques de Karka, Rima et Nehargur 13.
N ous apprenons par Ia meme Chronique de Seert que Gabriel, metropolite de
Phrat Mayshan, a ete depute par son Catholicos a la tete d'une delegation aupres
de Mahomet; les delegues seraient arrives a Medine en 632, le Prophete venait
de mourir 14.
De son nom Bahman Ardashir, Ia ville faisait partie du district sassanide
de SMhdhbahman, avec ses trois sections: Payshan, Ubulla (Azazqubadh, Apologos) et Khurayba (Bihishtabad Aradashir; pour les Arabes, Bisabur). Apres
avoir campe a Khurayba, sur le bras du Tigre qui relie Phrat Mayshan a son
avant-port Ubulla, les armees musulmanes conduites par 'Utba ibn Gazwan
conquirent la ville, sans doute apres un combat ruineux, et edifierent Ba~ra a
quelques lieues plus loin, a Khurayba 15. Desormais les trois noms, Phrat Mayshan,
Ubulla et Ba~ra apparaissent ensemble dans les textes nestoriens, comme en temoigne la lettre que le Catholicos Hananisho' (773/4-778/9) adresse aux fideles
des trois localitees pour les avertir qu'il n'a pu obtenir du calife al-Man~ur
est tenu au celibat. Syndicon orientale, M. et trad. Chabot, Paris 1902, p. 57/305; J. Assemani,
BO, t. 3, II, p. 178/872; au temps du Catholicos Timothee (780-823), les eveques nestoriens se
marient; cette pratique courante fut jadis denoncee par le reformateur Mar Aba au synode de
544, cf. J. Assemani, BO, t. 2, p. 412 et t. 3, II, p. 872, et a nouveau par Timothee, ibidem,
t. 2, pp. 433-434 et t. 4, I, p. 127.
JO K. al-burhdn, fol. 23b/p. 57.
II Ed. et trad. A. Mingana, Sources syriaques, I, Mossoul 1907, p. 30/106.
12 Ed. et trad. A. Scher, Histoire nestorienne inedite, dans PO, IV, p. 236/292.
13 Syndicon orientale, pp. 33·-36/272-275.
14 A. Scher, op. cit., in PO, XIII, pp. 618-620/298-300.
15 Balaguri, FutCi/:1 al-buldfin, Le Caire, 1959, pp. 341 et 345; Yaqilt, Mu'jjam al-bulddn,
Cd. Wiistenfeld, IV, p. 242; A. Scher, op. cit., in PO, II, pp. 305-308.
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l'autorisation de les visiter 16, La metropole garde, du moins juridiquement, !'importance qu'elle detenait autrefois, puisque le premier canon du synode tenu en
790 par le Catholicos Timothee, en indiquant la procedure a suivre apres le
deces d'un patriarche, prevoit d'en aviser le metropolite de Ba~ra immediatement
apres celui d'Eiam 17: c'est l'ordre qui avait ete etabli autrefois par la Practica
de Mar Aba (t552) 18,
Situee aux canefours des voies de communications entre la plaine mesopotamienne, le desert arabe et le Golfe Persique, Ba~ra recueille les traditions
litteraires des Bedouins limitrophes, herite les inquietudes religieuses de la Perse
et reflete les recherches politiques et theologiques du califat abbaside. C'est un
veritable creuset etlmique et culture! qui atteint son apogee au vm• et au debut
clu rx< siecles. Les garnisons coloniales dans les « cinq circonscriptions » (alunas
ai-Ba~ra), atteignant, dit-on, 300.000 rationnaires d'arabes musulmans, se melent
a des clients persans, kurdes, esclaves africains (zang), g'immfs-chretiens, zott,
proletaires travaillant dans les plantations et qui se revoltent souvent contre leurs
maltres musulmans. Lieu de brassage ethnique, Ba~ra est surtout un centre commercial (avec son port fluvial, ses arsenaux, son energie hydraulique), agricole
(avec ses cinquante varietes de plantations de dattiers), et commercial (avec ses
entrepots pour les caravanes venues du Yemen et de l'Inde). C'est de Ba~ra que
sont parties les plus fecondes initiatives religieuses et intellectuelles qui caracterisent toute Ia civilisation musulmane: berceau du systeme mu'tazilite avec
Wii~il Ibn '~ta', 'Allaf et NaHam; berceau aussi du l::£arigisme avec ~abig Ibn
al~'Isl, du Si'isme primitif (salmaniyya) initiatique et non encore genealogiste,
avec 'Abel Allah Ibn Saba, du Si'isme extremiste (gurabiyya) avec Ibn Gumhur
al-Ba~ri, ou nu~ayrite avec Ibn Nu$ayr al-Numayr1; fondation de Ia premiere
ecole mystique avec I;Iasan al-Ba~ri; renouvellement des genres litteraires avec
Bassar Ibn Burd et Abu Nuwas, pour la poesie, avec Ibn al-Muqaffa', Sahllbn
Harlin et al-Gal;i~ pour la prose. Sans oublier que Ba~ra est Ia cite natale des
traditionnistes Abu Musa al-As'ari et, sans doute, Ibn I;Ianbal, du juriste Anas
Ibn Mfflik, des mystiques tels qu'al-Mul;tasibi, Rabi'a al-'Adawiyya et, sans
doute, al-I;Iallag. A part ce dernier, tous ceux-la sont contemporains de 'Ammftr
ou lui sont anterieurs. C'est a Ba~ra que les epltres encyclopediques d~s I]Jwftn
al-~afa' seront compilees; leur syncretisme revele le cosmopolitisme de la cite.
Il para!t evident que les preoccupations philosophiques et theologiques de 'Ammar s'inserent dans le cadre de Ia tradition intellectuelle de son milieu. Il est bien
de chez lui, un ba~rf, basrien.
16
17
18
E. Sachau, Syrische Rechtbiicher, II, Berlin 1908, pp. 29-31.
Syndicon orientale, p, 606.
Ibidem, p. 543/553.
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'Ammar
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2 - Le temps
Tel est le lieu, mais le temps? Dans sa Geschichte, Graf le situe entre le
Xl et le XIII0 siecle, sans fournir de preuve a l'appui de ce choix 19, Dans
notre introduction arabe a !'edition du texte nous avons recueilli certains indices
qui nous ont permis de fixer avec precision l'epoque de !'auteur. Nous les reprenons
ici avec de meilleurs developpements.
D'abord nous n'avons pas a surestimer a priori Ia valeur historiographique
de !'ample dedicace qui ouvre l'apologie intitulee Livre des Questions et des Reponses (Kitab al-masd'il wa-1-agwiba) et dans laquelle 'Ammar celebre chez le
calife regnant la vaste intelligence et le zele rationnel des choses religieuses 20,
pour en conclure qu'il s'agit du calife al--Ma'mun (813-833). De telles introductions, qui presentent l'apologie comme une reponse a une demande officielle,
sont des procedes litteraires d'utilisation com·ante destinee a s'assurer une captatio benevolentiae du lecteur musulman; elles ne recouvrent pas necessairement
des donnees historiques precises.
Moins hypothetique peut-etre serait !'argument tire du silence de 'Ammar
relativement au dogme de l'increation et de l'eternite du Coran. Si cette doctrine
avait ete courante de son temps, il n'aurait vraisemblablement pas manque d'exploiter un argument classique depuis Jean Damascene 21: si le Coran est incree et
eternel, en taut que verbe d'Allah, le Christ que le Coran proclame verbe divin,
est done incree et eternel. 'Ammar dont la logique est impitoyablement systematique oublie ce syllogisme obvie, facile et efficace. Cette lacune est-elle assez
significative pour nous faire penser a l'epoque du triomphe du Mu'tazilisme sous
le califat d'al-Ma'mun ou la communaute islamique professe officiellement le caractere cree du Coran et organise une sorte d'inquisition (mibna) contre les orthodoxes intransigeants clout Ibn "tianbal est le chef de file et le martyr. Dans Ia
mesure oil les contemporains de 'Ammar, Abu Ra'ita et Abu Qurra omettent ce
syllogisme comparatif, notre conclusion serait soutenable. De fait, nos trois
auteurs evitent cette argumentation ad hominem quoiqu'ils s'interessent surtout aux titres que le Coran attribue a Jesus, verbe et esprit de Dieu, pour poser
au musulman Ia question suivante: le verbe et !'esprit de Dieu sont-ils, ou non,
coeternels a Dieu? 22, Mais notre argumentation perd ici de sa valeur demons0
G. Graf, GCAL, II, pp, 210-211.
Fol. 44b-45a/p. 93-95.
21 Livre des Heresies, dans PG, XCIV, col. 768; Controverse entre un sarrasin et un chretien, dans PG, XCVI, col. 1341c-1344a; mais !'attribution de cette controverse est discutee
et discutable, cf. A.-T. Khoury, Les theo/ogiens byzantins et !'islam, Munster i.W., 1966, p. 68
et suivantes.
22 Ab\1 Qurra, Mayamir, ect. C. Basil, Beyrouth 1904, pp. 44-45; AbU Ra'ita, Rasa' if,
ect. G. Graf, Die Schriften des Jacobiten I,fabfb ibn Ifidma Aba Ra'ifa, dans CSCO, vol. 130,
Louvain, 1951, pp. 8-9; 'Ammi\r, K. al-burhan, fol. 17ab/p. 46-47.
t9
20
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trative, des que ]'on se rappelle que 'Ammax laisse dans l'ombre d'autres
sujets essentiels de Ia controverse islamo-chretienne; ainsi il n'aborde pas de
front Ia position docetiste de !'Islam relativement a Ia crucifixion, et ne souffle
pas mot de l'annonce evangelique du Paraclet que le Coran applique a Mahomet.
Une indication directe et historiquement decisive nous permet de fixer l'epoque
de 'Ammar al-Ba~ri, grace au vestige d'un ecrit d'AbU-1-Hugayl al-'Allilf, premier theoricien du systeme mu'tazilite et heritier de Ia pensee de Wa~il ibn 'Ata'
(699-748), fondateur de !'Ecole. Comme son maitre, al-'Allaf est ne entre 751753, a Ba~ra, qu'il quitte pour Bagdad en 818; il meurt a Samarra en 840-841 23.
Comme 'Ammar, il combat les doctrines dualistes, cible principale des attaques
mu'tazilites. De ses oeuvres, il ne subsiste que les titres . dans Je manuscrit de
Chester Beatty du Kitab al-Fihrist d'Ibn al-Nadim 24. Nous apprenons par ce
manuscrit que 'Allaf a ecrit une polemique contre les chretiens (Kitab 'ala 1Na~ara) et precisement un Livre contre 'Ammar le Chretien, en reponse aux chretiens (Kitab 'ala 'Ammar al-Na~rcinf jf 1-radd 'ala l-Na~ara) 2s. Voila qui est decisif.
Mais peut-on aller plus loin et supposer que 'Allar ait ecrit cette polemique avant de quitter Ba~ra, done avant 818? Dans ce cas, 'Ammar aurait
redige son ecrit avant cette date, et Ia dedicace en tete du Livre des Questions
et Reponses serait alors bel et bien adressee au calife al-Ma'mun.
Nous ne pouvons en decider encore avant de proposer le dernier argument.
Nous le tirons du Livre de Ia Demonstration (Kitab al-burhfin) Otl une petite
phrase paralt resoudre nos difficultes de datation: 'Ammar y cite l'exemple d'un
« roi de notre temps qui a quitte son royaume avec toutes ses armees pour le
pays des Romains a Ia recherche d'une femme dans une citadelle » (wa 'an ragul
min al-rnuluk jf dahri-nd anna-hu ra/:lala 'an mamlakati-hi bi-gamf'i gundi-hi
ila !-Rum jf talab imra'a min ba'c/. al-bu~un) 26. On peut legitimement penser
qu'il s'agit Ia d'une allusion a !'expedition contre Amorium que le calife alMu'ta~im (833-842) a conquise en 838. Cette victoire retentissante a ete celebree
par Abu Tammam dans son fameux poeme (Al-sayfu a~daqu anbfi'mz min alkutubi ... ), ou on lit ce vers: « Tu as repondu au cri d'appel de Ia Zibatriote, pour
lequel tu as sacrifie Ia coupe nocturne ... » 27. On dit en effet qu'une musulmane
de Zibatra - Azopetra, cite du limes byzantin entre Melitene et Samosate - lors
23
H. S. Nyberg, Aba l-Hudhayl al- 'Allii/, dans Ef.2•, I, p. 131; so it encore pour Ia date
de sa naissance 748/749, et de sa mort entre 842/847 ou 849/850.
24 G. Flugel, dans son edition d'al-Fihrist, ne mentionne pas ces titres ignores egalement
de Nyberg dans !'article precite.
25 Kitiib ai-Fihrist li-1-Nadfm, ed. Reza Tajaddod, Teheran, 1972, p. 204; cf. dans Ia
traduction anglaise de Bayard Dodge, The Fihrist of ai-Nadim, New-York 1970, p. 388.
26 Pol. 12a/p. 38.
27 Dfwiin Abf Tammiim, ed. M. 'Abduh 'Azzaro, Le Caire 1964, vol. 1, p. 61: Labbayta
eawt"" zibatriyy"" haraqat la-hu ka'sa 1-karii wa-ru(iiiba 1-burradi 1-'urubi.
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[7]
'Ammar al- Ba,~rf
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de Ia prise de sa cite par les Byzantins, aurait erie: «A moi, 6 Mu'tasim! » (Wa
Mu'ta~imah!); cet appel au secours serait parvenu au calife pendant qu'il festoyait
Ia nuit; il aurait laisse aussitot son verre encore plein, demandant qu'on le lui
gardat jusqu'a ce qu'il revint le boire, apres qu'il eOt venge Ia Zibatriote deportee 28.
Si notre interpretation est correcte, le Livre de Ia Dhnonstration aurait ete
redige l'annee meme de !'expedition contre Amorium, en 638. II faut done supposer qu'il soit parvenu assez vite jusqu'a 'Allaf a Samarra, et que ce dernier ait
pu, a !'age de 85 ans (chronologie courte) ou de 90 ans (chronologie longue),
se livrer encore a une polemique. Ce n'est sans doute pas impossible, d'autant
plus que no us ignorons la teneur exacte de sa « reponse refutatoire » (radd);
certes il est question, d'apres Ibn al-Nadim, d'un «Livre» contre 'Ammdr le
Chretien, mais ce Kitab peut bien n'etre qu'une courte epitre, ayant par exemple
les memes dimensions que le Kitdb al-taw[7id de Yahya ibn 'Adi 29.
Hasardons une hypothese. La reponse de 'Allilf viserait non pas le Kitdb
al-Burhan, lequel aurait done ete redige en 838, mais !'autre apologie de 'Ammar, intitulee Kitdb al-Masd'il wa-l-Agwiba, qui aurait ete adressee a al-Ma'mun
entre 813, date a laquelle celui-ci a accede au califat, et 818, date a laquelle
'Allaf a quitte Ba~ra pour Bagdad. Pour des raisons de fon9 et de forme, Ia
premiere apologie (Kitab al-burhiin) du manuscrit de Londres pourrait etre consideree comme posterieure a Ia seconde dont elle developpe certains themes
apologetiques dans un style plus pur, moins tourmente. Mais n'y insistons pas
trop!
Quoiqu'il en soit de cette derniere hypothese, il est maintenant etabli, d'une
maniere sure et definitive, que 'Ammar al-Ba~ri appartient a Ia premiere moitie
du IX 0 siecle, et que ce nom n'est pas un pseudonyme sous Iequel se cacherait
l'une ou !'autre des personnalites contemporaines plus connues: tel que le catholicos Timothee lui-meme, ou son ami le secretaire du gouverneur de Mossoul,
Abu Nul; al-Anbad, ou le celebre medecin et philosophe J;Iunayn ibn Isl).aq
(808-873/877). Car Timothee dont Ia pensee est tres proche de celle de 'Ammar
est mort en 823; par ailleurs, si no us connaissons les preoccupations apologetiques d'Abu NulJ. al-Anbari, grace aux titres de ses ecrits 30, ceux-ci sont perdus
ou inaccessibles et aucun critere n'autorise done une comparaison avec 'Ammar.
28 Tel est le commentaire d'al-Tibrizt sur levers d'Abu Tammam, ibidem; dans le commentaire d'al-ljazarangt, une femme de Zibatra aurait ecrit a al-Mu'ta~im, lorsque les Byzantins sont entres dans Ia cite: «Fils des califes, descendant des Hasimites, Zibatra est perdue
pour toi, a moins que tu n'y accoures » ( Ya bna 1-balii'ifi min gu'iibati Hasim 1" rjahabat
Ziba(ratu min-ka in lam ta'ti-hii), ibidem, p. 62, n. 1. YaqiH, Mu'gam al-buldiin, s.v. 'Ammuriyya,
precise qu'il s'agit d'une femme d'Amorium, nommee Mawiya.
29 Ms. Vat. ar. 134, fol. 2a-10b; Ms. Par. ar. 169, fol. 2b-21a.
30 Trois traites: Tafnfd al-Qur'an, Maqiila jf 1-tatlft, Maqiila /f 1-taw~fd, mentionnes par
Sbath, Fihris, n. 2530, 2351 et 2532; cf. G. Graf, GCAL, II, p. 118.
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76
M. Hayek
[8)
Ce dernier ne peut etre, non plus, identifie a I;Iusayn ibn Isl).aq, qui parait plus
jeune, quoiqu'il ait commence a l'age de dix-huit ans son activite de traducteur
a Bagdad. Certes 'Ammar cite des livres d'Aristote 3t que I;Iusayn fut precisement le premier a traduire en arabe; mais les deux personnages sont distincts,
nous en avons pour argument decisif Ia liste des signes de Ia credibilite religieuse
fournis par l'un et !'autre, ceux de I;Iunayn 32 etant substantiellement di.fferents
de ceux de 'Ammar, malgre les quelques ressemblances qui appartiennent au depot
commun de l'apologetique classique.
Bref, 'Ammar est une figure marquee et marquante et, bien que nous ne
puissions encore l'a:ffecter d'aucun indice biographique, elle n'en resiste pas
moins a toutes les reductions possibles. Nous ne connaissons par ailleurs aucune
autre figure nestorienne de l'epoque qui soit suffisamment saillante pour porter
ce nom. Et, du reste, pourquoi vouloir a tout prix enlever a 'Ammar sa personnalite, ce qumim particularise qu'il s'est taut efforce de definir.
3 - Le milieu
'Ammar al-Ba~ri est bel et bien lui-meme; il a vecu sous les califes aiMa'mun (813-833) et al-Mu'ta~im (833-842); il appartient a Ia generation des
initiateurs d'une histoire culturelle, a cette epoque privilegiee et unique qui se
caracterise par d'intenses mouvements de recherches, d'echanges et d'interferences entre les religions, les langues, les ethnics et les systemes de pensee. C'est
Ia gloire de l'Eglise nestorienne d'avoir preside a ces enfantements apres avoir
sauve, pendant trois siecles, !'heritage de Ia Grece, comme on le montrera. Du
temps de 'Ammar, elle parait tout entiere mobilisee en vue de transmettre aux
Arabes le patrimoine culture! des Anciens, de Iutter contre !'erosion sociale
et la polemique incisive declenchees par !'Islam abbaside, et de repandre en
Orient ses missions et son message. Le Catholicos Timothee qui preside au destin
de cette Eglise assume ce triple effort au cours d'un regne particulierement long
(780-823) et actif. II a traduit lui-meme, aide de son ami AbU Nul;t al-Anbari,
les Topiques d' Aristote, donne un elan au mouvement missionnaire dans les
«provinces exterieures », en Asie, organise le droit a l'interieur, et fourni aux
chretiens discutant avec les musulmans un modele de ce dialogue dont il a precisement appris les regles dans les Topiques aristoliciennes. Nombreuses sont les
correspondances entre Ia pensee theologique de Timothee et celle de 'Ammar;
nons en citerons quelques details plus loin.
'Ammar est egalement contemporain de deux eveques plus connus que lui
et qui sont de quelques annees ses aines: Abu Qurra le melchite (m. vers 825),
K. al-burluin, fol. 2b/p. 22-23.
Dans Cheikho, Seize traites, pp. 121-123, et Sbath, Vingt traites, pp. 181-185; comp.
avec 'Ammftr, K. al-burhtin, fol. 7b sq/.p. 31 sq. et K. al-masa'il, fol. 66a sq./p. 136 sq.
31
32
[9]
'Amnu'ir al-Ba;ri
77
eveque de I;Iarran 33 et Abu Ra'ita, eveque jacobite de Takt·it (m. apres 828) 34.
Ces trois representants de !'intelligentsia des trois grandes confessions chretiennes
sont les premiers auteurs a nous avoir transmis, en langue arabe, leurs discussions avec !'islam, apres avoir tente de plier cette langue aux exigences de Ia
theologie chretienne et de la pensee logique 35, Formes a Ia meme tradition,
animes par les memes preoccupations, ils se retrouvent face aux memes difficultes
et objections; il ne sera done pas etonnant de cons tater les similitudes de leur pensee·
Du cote de !'Islam, nous en sommes encore a Ia periode des tatonnements
et des recherches suscites par Ia rencontre du message coranique avec Ia pensee
rationnelle. La crise mu'tazilite en est le premier prix, et rien n'est encore decide
quant a !'issue de la crise et aux theses disputees. En soufisme, les premieres
vocations mystiques dominees par Ia figure de l;Iasan ai-Ba~ri (111. en 728) et
par al-Mul;tasibi (781-857) n'ont pas encore reussi a presenter un systeme de
doctrine suffisamment percutant pour provoquer des reactions, comme ce sera le
cas plus tard avec al-I;Iallag (m. en 922). La Tradition (sunna), elle, a deja fait
le plus long chemin; Ibn I;Ianbal (780-855) mene le combat de l'orthodoxie fideiste contre le rationalisme de la Mu'tazila; certes les deux cheikhs venerables,
al-Bubfiri (m. en 870), disciple d'Ibn I;Ianbal, et Muslim (m. en 784) n'ont pas
encore fini de classer methodiquement les materiaux des hadiths « authentiques »
( 1~a/:lfb) de leur corpus; mais Ia tradition « biographique » (sfra) du Prophete
est deja officiellement fixee par Ibn Hisam (m. en 828) sur les donnees transmises
par Ibn Isl).aq (704-768). En philosophic, al-Kindi (m. vers 870) s'essaie a penser
a la maniere d' Aristote dans les traductions chretiennes du Stagirite; les Mu'tazilites ont derriere· eux une certaine tradition de pensee philosophique mais encore rudimentaire, puisque 'Allaf qui « le premier a pose beaucoup des problemes
fondamentaux auxquels travaillera toute la Mu'tazila posterieure » est un penseur « na1f, sans tradition scolaire ... qui ne recule pas devant l'absurde », d'otl
le manque d'equilibre et de maturite de sa theologie 36, Certains de ces Mu'tazilites out lu 'Ammar et Abu Qurra. Ainsi al-Murdar (m. vers 840), le <<moine
de Ia Mu'tazila » (rahib al-Mu'tazila), a ecrit un livre de refutation d' Abu Qurra 37,
et nous avons vu 'Allaf reagir contre 'Ammar.
33 Corpus grec en 43 Opuscules mises sous son nom, PG, XCVII, col. 1469-1609; 30 traites
en syriaque sont perdus; des ecrits en arabe qui lui sont attribues, 12 traites sont consideres
comme authentiques dont 10, les plus interessants pour nous ici, ont ete publies par C. Basa,
Mayamir Ta'udurCts Abf Qurra usquf [jan·tin, Beyrouth, 1904.
34 Ses Rasa'il ont ete publiees par G. Graf, Die arabischen Schriften des Theodor AbO
Qurra, Paderborn, 1910.
35 II y a certes Ja Discussion de Timothee avec Jc calife al-Mahdi, mais Je comptc--rendu
original est sans doute en syriaque, cf. ir!fra p. [13].
36 Nyberg, dans El.2c, I, p, 131.
37 Ses deux ouvrages Kitab a{-radd 'ala Abi Qurra ai-Na~·ranf et Kitab al-radd 'alti lNaetira, mentionnes par Ie Fihrist d'Ibn al-Nadim, cf. la traduction de Dodge,. p. 394.
78
M. Hayek
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[10]
L'epoque est en effet celle de la controverse. Le debat s'instaure pour Ia premiere fois entre !'islam qui commence a raisonner sa foi et les autres systemes
religieux ou courants de pensee qui menacent cette foi de l'exterieur et de l'interieur. Ainsi des Mu'tazilites, come :Oirar ibn 'Amr (VIII 0-IX 0 s.) 38 et Gal).i:{: (776869) 39, ou des mutakallim-s, comme J).afs al--Fard (1x• s.) 40 et al-Kindi (m.
vers 870) 41, ou un si'ite zaydite, tel Qasim ibn Ibrahim al-J).asani (m. vers 860) 42,
au un renegat tel Ibn Rabban al-Tabari (m. en 855) 43, pour ne citer que les
contemporains approximatifs de 'Ammar, ont polemique avec plus ou mains de
vehemence contre le christianisme qu'ils ont rencontre sur place et qu'ils ont pu
connaitre plus profondement a travers les ecrits d'Abil Qurra, d'Abil Ra'ita et
de 'Ammar al-Ba~ri 44.
L'Islam arrivait sur les lieux muni d'un arsenal d'objections radicales transmises sous forme d'oracles par son livre. Au depart il se presente comme un
objecteur de foi, ou meme comme !'Objection par excellence. Les chretiens, dotes
d'un systeme de defense rationnelle deja eprouve par des siecles d'apologetique
anti-juive et surtout anti-pai:enne depuis st Justin (m. vers 165) et surtout depuis
Porphyre (233-304) 45, repoussent l'attaque et passent a !'offensive en usant de leurs
annes traditionnelles. Les penseurs de !'Islam ont reagi en tentant d'user des
memes instruments logiques. Ces controverses qui supposent un reseau d'echanges et d'influences ont contribue a discipliner la pensee, affiner Ia dialectique,
assouplir la terminologie, bref a susciter dans !'Islam jusque la replie sur les
38 Deux ouvrages perdus, signales par le Fihrist d'Ibn al-Nadim, trad. de Dodge,
p. 416, sous les titres Kitab al-radd 'ala l-Na~ara et Kitab yabtawf 'ala 'asara kutub fi l-radd
'ala ahl at-mila!.
39 Kitab al-radd 'ala l-Na,vara, ed. au Caire, 1932; trad. partielle de J. Finkel, The Three
Essays of Abu 'Othman 'Amr b. Babr al-Jabif, Le Caire 1926.
40 Ouvrage perdu, mentionne par le Fihrist d'lbn ai-Nad!m, trad. de Dodge, sous le
titre Kitab al-radd 'ala 1-Na~ara.
41 Son al-Radd 'ala l-Na~ara est partiellement conserve dans sa refutation par Yabya
b. 'Adi, ect. et trad. par Perier, dans ROC, 22 (1900/1921), pp. 1-21, et dans Petits traites apologetiques de Yabya Ben 'Adf, Paris 1920, pp. 118-128.
42 Son Kitab al-radd 'ala 1-Na~ara a ete ed. et trad. par I. Di Matteo, Confutazione contra
i cristiani della zaydita Al-Qasim b. Ibrahim, dans RSO 9 (1922), pp. 304-331 (texte arabe) et
332-364 (traduction italienne).
43 Son al-Radd 'ala l-Na,vara a ete Mite par I. A. Khalife et W. Kutsch, dans MUSJ
36 (1959)/4, pp. 119-148 (texte arabe).
44 Pour les autres polemistes et apologetes. musulmans entre le vn• et le x• siecle, of. Islamochristiana (pub!. de I'I.P.E.A., Rome), 1 (1975), pp. 142-152, (Robert Caspar et collaborateurs).
45 A cause de son discours contre Ies Chretiens (Kata Kristianon), qui rassemble en 15 Iivres toutes Ies objection~ historiques et philosophiques contre le christianisme, ce commentateur d' Aristote est Ie premier responsable de Ia mise en hypotheque aristotelicienne de Ia pensee
chretienne; son Isagoge a ete traduite au moins trois fois en syriaque entre le v• et le vn• siecle:
cf. A. Baumstark, Aristoteles bei den Syrien vom V--VIII Jahrhundert, Leipzig, 1900.
[11]
'Ammar
al-Ba~rt
79
sciences religieuses (Coran, Sunna, Fiqh, Hadith) un interet de plus en plus marque pour les «Sciences des Anciens» (' Ulum al-Awa'il), comme Ia philosophie,
Ia medecine, Ia physique, Ia chimie, etc. L'Islam finissait par se trouver face a
face avec les grandes interrogations philosophiques et theologiques longtemps
eludees; i1 fallait y repondre, d'ou Ia double crise de Ia foi dans ses rapports avec
Ia Sagesse (falsa:fa) et avec Ia Mystique (~ufiyya).
Les premiers signes de cet affrontement s'etaient deja manifestes a Damas
sous Ies Omeyyades, comme en temoigne Ia controverse de Jean Damascene avec
le Sarrasin a propos de Ia liberte humaine et de Ia prescience divine, du rapport entre Essence et Attributs divins. Mais Ia veritable rencontre commence
reellement sous les Abbasides apres le transfert en 765 du califat a Bagdad en
milieu nestorien et persan; le contact avec Ia pensee hellenistique fut alors rendu
possible grace aux traducteurs chretiens, notamment nestoriens. U ne longue
tradition preparait ces derniers a cette activite de transculturation. Leurs traductions
de Ia philosophie et de la science grecques en syriaque 46 remontent a une epoque
ancienne, a la celebre Ecole des Perses a Edesse; et quand celle-ci (fondee en
363) fut fennee par l'empereur Zenon en 489, ses maltres se regrouperent a !'ecole
de Nisi be; c'est dans celle-ci et dans l'Ecole de Gundaysabilr (fondee so us Chosroes Anoushirwan, 531-578) que vont egalement etre recueillis les maitres de
philosophie mis au bane de !'Empire, apres Ia fermeture des Ecoles d' Athenes
(en 529) et d' Alexandrie par Justinien.
Ce sont les Nestoriens qui, au temps des Abbasides, initient les Arabes musulmans au patrimoine grec. Sans eux la civilisation arabo-musulmane n'aurait
sans doute pas ete ce qu'elle fut. A Bagdad le calife al-Man~ilr (754--775) fit
venir de Gundaysabilr le directeur de l'hopital Gurgis ibn Bu]].ti~il' (m. 769), lequel
traduit et ecrit nombre de traites medicaux 47. Le calife al-Rasid (776-809) conquiert Amorium et An eyre dont il depouille les bibliotheques; les textes scientifiques et philosophiques qui en furent rapportes sont confies a Yul).anna ibn
Masawayh (m. 757) 48. Cet interet encore timide devient une preoccupation majeure
sous le califat d'al-Ma'miln. Celui-ci transforme !'ecole de traduction de Bagdad
en une veritable academie connue sous le nom de « maison de Ia Sagesse » (Bayt
al-lfikma); il envoie ses emissaires recueillir les manuscrits de Ia science et de Ia
philosophie partout, a Constantinople, a Chypre, en Perse, aux Indes, en Grece,
et pensionne les traducteurs chretiens qui travaillent sous Ia direction de Yul).anna
46 Elles sont faites par des Nestoriens tels que Ibas d'Edesse (m. en 457) et ses collaborateurs Koumi et Probus, Paul de Bosra (ou de Nisibe) (m. en 571), Hananisho' ler (elu catholicos
en 686), ou par des Jacobites comme Serge de Reshalna (m. en 536), Aboude111111eh de Tagrit
(m. an 575), Severe Sebokt (m. en 667), Athanase de Balad (m. en 686), Jacques d'Edesse (633708), Georges des Arabes (m. en 724), tons eveques ou patriarches.
47 Cf. Qifti, p. 109; Ibn Abi U~aybi'a, I, pp. 124 et 136. La famille Bu]J.tiSu' a conserve
ses traditions de science medicale aupres des Abbasides pendant deux cents ans.
48 Cf. Qifti, pp. 249-250; Ibn Abi U~aybi'a, I, pp. 175-176.
80
· M. Hayek
[12]
[13]
'A mmar al- Ba~rf
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ibn Masawayh, et apres Ia mort de ce dernier, sous I;Iunayn Ibn Isl;taq. Celui-ci,
avec une centaine de collaborateurs, dont son fils Isi:taq ibn I;Iunayn, son neveu
I;Iubays ibn I;Iasan, Yal:tya ibn al-Batriq, Ibn Na'ima al-f;Iimsi, traduit et commente presque toute !'oeuvre d'Aristote, de Platon, d'Euclide, de Galien, de
Ptolemee et d'Alexandre d'Aphrodisias 49, II suffira de rappeler que Ie premier
comme le dernier des philosophes musulmans, al-Kindi (m. vers 870) et Averroes (m. en 1198) apprendront Aristote dans les traductions de I;Iunayn, pour
marquer le role. decisif que les Nestoriens ont joue dans l'histoire de Ia civilisation 50,
Bref on peut assurer que, grace au climat de tolerance et a cet exemple
d'avidite intellectuelle donne par le calife al-Ma'mun, Ia connaissance n'est plus
reservee a quelques inities; son champ s'etend au grand public. Mas'udi, resumant le regne d'al-Ma'mil.n, affirme qu'« il s'est fait entourer de dialecticiens,
de philosophes, de juristes, de gens de lettres qu'il a fait venir de partout et
combles de largesses; alors, le peuple se mit a prendre gout a Ia speculation,
apprit !'art de Ia discussion et de Ia dialectique; chaque ecole ecrivit des ouvrages
pour soutenir et corroborer sa doctrine » 51,
4 - La place
C'est dans cc contexte et ces conditions que 'Ammar al-Ba~ri redige son
oeuvre. Cette somme apologetique est la premiere de cette importance qui dispose
d'un instrument linguistique et dialectique aussi perfectionne, en langue arabe.
Ce n'est pas ici le lieu de chercher a determiner !'influence et Ia portee de cette
oeuvre clans le developpement de la pensee religieuse arabe, chretienne et musulmane. On doit seulement noter que nous ne connaissons pas a cette epoque,
pas plus chez les musulmans que chez les chretiens, un ecrit theologique ou
philosophique de cette envergure, tant du point de vue de !'elaboration conceptuelle que de Ia maitrise de l'appareil technique. Certes nous n'avons pas entre
les mains les textes polemiques et apologetiques des auteurs musulmans, notamment mu'tazilites, de l'epoque, puisqu'il n'en subsiste que de rares vestiges;
maix ceux-la qui nous sont parvenus, comme les « Refutations des chretiens »
d'al-I;Iasani et d'ai-C'Jal)i'{: s2, apparaissent d'une pauvrete evidente, comparees
49
Cf. Qiftl, pp. 117-122; Ibn Abl
U~aybi'a,
I, pp. 184--200.
so Le mouvement de transcultutation a continue jusqu'au debut du xr• siecle, avec Ya~1ya
b. 'Adi (m. en 973), Qusta b. Ll1qi't (n. en 900) et Ibn Zur'a (m. en 1008); sur ces auteurs,
cf. G. Graf, GCAL, II, sub verbo, et sur ]'ensemble de l'activite intellectuelle des chretiens sous
les Abbasides, <.f. J. Labourt, Le christianisme dans !'empire perse, Londres, 1904; O'Leary,
How Greek Science passed to the Arabs, London, 1948; Rafa'il Babu Isbi'tq, Abwalna$dra Bagdad,
Bagdad, 1960.
51 Mas'(Idi, Mur{ig al-r}ahab, Le Caire, 1958, IV, pp. 318--319.
52 Cf. supra Notes 39 et 42.
81
a celles
de 'Ammar. II leur manque a Ia fois Ia rigueur de Ia pensee et Ia possession d 'un langage adequat.
Par ailleurs, chez les chretiens, ni Abu Ra'ita, malgre sa transparence, ni
Abu Qurra, en depit de sa profusion, n'atteignent Ia rigueur ni Ia creativite
de 'Ammar. La comparaison avec Timothee s'impose, bien que le Catholicos ne
semble pas avoir ecrit clirectement en arabe, les clifferentes versions 53 de sa
«Discussion» avec le calife al-Mahdi etant vraisemblablement issues du compterendu syriaque qu'il en avait fait lui-meme pour l'aclresser a son ami Serge,
eveque d'Elam 54,
Pourtant Ia pensee de 'Ammar rejoint celles de ses trois contemporains.
Comme Timothee, il affirme, a propos du mode d'union des deux natures dans
le Christ, qu'il s'agit bien cl 'une union reelle et naturelle plus profonde que cell<:'
de l'ame et du corps, mais il refuse de Ia considerer comme une union hypostatique tout comme il refuse qu'on puisse dire que Marie est mere de Dieu et
que Dieu est ne, a souffert et est mort 55; comme Timothee, il refere le Verbe
et !'Esprit a Ia Sagesse et a Ia Vie divine, et use des memes analogies trinitaires
tirees de l'ihne humaine et des elements du cosmos 56; il rejoint son Catholicos
sur de nombreux autres points: sur !'imperfection de l'unicite numerique attribuee
a !'Essence divine, Ia double naissance du Christ, Ia non-reciprocite de Ia communication des idiomes divins a Ia nature divine, !'equivalence entre Noms et
Hypostases, Ia non-falsification des Ecritures, le culte de Ia Croix, la responsabilite
des juifs clans Ia mise a mort du Christ. 'Ammar considere 1' Homo assumptus comme un voile eternellement pose entre Dieu et l'homme 57, mais il ne va pas jusqu'a
affirmer comme le Catholicos que l'homme assume par le Verbe dans le sein de la
Vierge ne voit pas J'Essence divine infi.nie, etant lui-meme cree et fini ss. II traite Ion-
53 II en existe deux versions syriaques, dont l'une fut publiee par A. Mingana, The Apology
of Timothy the Patriarch before the Caliph Mahdi, dans Woodbrooke Studies II (1928), pp. 1-162,
avec une traduction anglaise, et !'autre avec une traduction latine par A. van Roey, Une apo{ogie
syriaque attribuee a Elie de Nisibe, dans Museon 59 (1946), pp. 181-397; il yen a plusieurs versions arabes: Ms. Par. ar. 82, fol. 73a-84b; Ms. Par. ar. 215, fol. 122a-154b, fol. 176a-185b;
nous utilisons le texte arabe publie par Cheikho, La controverse religieuse ... , dans al-Masriq,
XIX, pp. 359-374, 408-418, et reedite par le meme dans Trois traites, pp. 2-23.
54 C'est Ia lettre LIX publiee par Mingana sous le titre The Apology of Timothy ..
55 Cf. surtout Ia lettre XLI adre~see aux moines de Mar Maroun, publiee par Mgr Bidawid•
Les lettres du Patriarche nestorien Timothee !, Rome 1956, pp. 106, 118-120, 145-374; comp·
avec 'Ammi'tr, K. al-masa'il, fol. 86b- 87b/p. 179-182; fol. 95b/p. 199-200.
56 A. Mingana, The Apology ... , p. 73 sq.; Cheikho, Discussion ... , pp. 362-363 et 374;
comp. avec 'Ammar, K. al-burhan, fol. 17a sq.fp. 46 sq.
57 K. al-burhiin, fol. 33a/p. 72 et fol. 41 b/p. 87.
ss TimotMe fait condamner abusivement, au synode de 790, Ia doctrine contraire; cf.
0. Braun, Zwei Synoden des Katholicos Timotheos I, dans OC, II (1902), pp, 305-307. La question fut si gravemcnt debattue a l'epoque que BarMbreus (m. en 1826) en retiendra encore !'echo,
dans son Cancte/abre du Sanctuaire (trad. Graffin), in PO, XXVII, pp. 540-541.
82
M. Hayek
[14]
guement, d'une maniere semblable a celle de Timothee, Ia question capitale chez
les Nestoriens, qui consiste a savoir dans que! sens on peut appliquer au Christ
le titre de « Serviteur » 59; Timothee avait lui-meme du repondre a cette question en presence du Calife al-Mahdi et adresser une lettre a ce sujet precisement aux diocesains de Ba~ra et d'Ubulla 60,
Toutes ces correspondances, jusque dans certains traits explicatifs marginaux,
comme le debat sur le titre de « serviteur » 61, ou sur le culte du Bois (de Ia Croix)
«proche du fruit» 62, permettent de parler d'une influence directe de Timothee
sur 'Ammar. On dira que ces similitudes refletent Ia theologie commune, particulierement nestorienne. C'est si vrai que toute Ia pensee theologique de 'Ammar
remonte, par deJa Timothee, a Theodore de Mopsueste (i' 428), maitre de Nestorius et de Narsai (i' 507), le fondateur et le grand maitre de !'Ecole de Nisibe.
Plus specialement, elle repete Ia doctrine de Babai: le Grand (551-628 env.) et celle
de Ia collection du Syndicon orientale, qui recueille les actes des quatorze Synodes
nestoriens tenus entre 410 et 790. Les rapports avec BabaY sont si frappants
en certains details et formules qu'on verrait 'Ammar puiser principalement dans
le Liber de Unione de son predecesseur 63,
Sauf en ce qui concerne Ia doctrine christologique de Chalcedoine relati-.
vement au mode d'union, 'Ammar rejoint souvent ses deux autres contemporains Abu Qurra et surtout Abu Ra'ita, qui luttaient avec les memes armes
contre les memes contradicteurs. Relevons quelques correspondances: celle de
!'imperfection du nombre Un, qu'on retrouve chez Timothee 64, chez Abu Qurra 65,
plus tard dans le pamphlet d'al-Kindi 66, chez Amr ibn Matta et auparavant chez
Jean Damascene 67, qui est particulierement chere a Abu Ra'ita 68, et que 'Ammar justifie philosophiquement d'une maniere sure 69, Notons Ia proximite des
K. al-masa'il, fol. 124a-126a/p. 259-264.
C'est l'ep!tre XXXIV dans 0. Braun, Timothei Patriarchae I epistulae, dans CSCO,
Script. Syri, ser. IIa, t. LXVII, texte syr., Paris/Leipzig 1914; trad. lat., Rome/Paris 1915, pp. 156
sq./106 sq.; sur le meme sujet, Timothee adresse deux autres ep!tres it un fidele nomme Na~r,
dans 0. Braun, op. cit., pp. 205 sq./140 sq. (ep. XXV), pp. 238 sq./164 &a. (ep. XXXVI).
61 A. Mingana, The Apology ... (texte syr.), p, 85; K. al-masa'il, fol. 124b/p. 259 sq.
62 Cheikho, La controverse religieuse ... , p. 375; K. al-burhdn, fol. 41b/p. 87.
63 Babai Magni Liber de Unione, texte ~yriaque et trad. lat. d'A. Vaschalde, dans CSCO,
Script. Syri, t. 35, Louvain 1953 (reimpression anastatique).
64 A. Mingana, The Apology ... , pp. 63 sq.
65 Abu Qurra, Mayamir, pp. 33-34.
66 Al-Kind!, Risala, p. 30 et Kitab al-maifdal, Ms. Par. ar. 190, fol. 140.
67 Jean Damascene, Contra Jacobitas, dans PG, XCV, col. 1457-1459.
68 Abu Ra'ita, Rasa'il (M. G. Graf, Die Schriften ... ), pp. 18-19.
69 K. al-burhdn, fol. 19b-20a/p. 50-51. Aristote, dans son De Coelo, Liv. I, ch. 1, notait
que le ternaire etait en usage dans le culte des dieux; sa propre philosophie et les courants
doctrinaux qui s'en inspirent ont une propension aux dualismes, tandis que les neo-platoniciens
se complaisent dans les trilogies; cf. les trilogies recueillies en masse, en Dieu, dans les cieux,
59
60
[15]
'Ammar
al-Ba~rf
83
points de vue a propos des criteres de la vraie religion, des preuves philosophiques, analogiques et bibliques de Ia Trinite, de ]'equivalence theologique
entre les Noms (al-asma'),- Concepts (al-ma' an£), Faces (al-wuguh), Propril!tes
(al-~ifat), Hypostases (al-aqanfm), etc. Sur ces points comme sur d'autres
qu'une etude de detail mettrait facilement en relief, 'Ammar pense comme ses
contemporains. Relevons seulement qu'il se defie du terme (sab~) que son contemporain Abu Ra'ita affectionne 70, et que les musulmans fustigent chez les
chretiens 71, Il lui prefere, pour designer Ia « Personne » divine, le terme de qurrCtm, qu'il trouve dans Ia version syriaque de Ia Pshitta sur les levres du Christ
lui-meme 72 et qu'il ramene a une origine syriaque au sens de « pronom reflechi »,
«en soi », en son «essence» 73. Contrairement aux Jacobites, semble-t-il, les
Nestoriens seront reserves quant a !'equivalence entre sab~ et qunum 74.
Quoi qu'il en soit de ce detail, 'Ammar accuse Ia plus grande similitude
avec son contemporain Abu Ra'ita. On est frappe par les multiples accords
entre les deux auteurs, non seulement au niveau de Ia pensee, mais aussi au plan
lexical, si bien qu'on doit se demander si de telles affinites ne sont pas le fruit
d'une interdependance ou d'une connaissance personnelle: ainsi pour les analogies
psychologiques (arne: vie, science, sagesse) 75 et naturelles (lampe, solei!) 76 de
Ia Trinite; elles sont encore communes a to us les apologetes; mais sur les six
criteres de Ia credibilite religieuse, 'Ammar et AbU Ra'ita s'accordent presque
dans to us les details 77; il en est de meme du type de questions posees, telles
le cosmos, Ia Bible, l'Evangile, le Coran, etc., par Kitab al-magdal, Ms. Par. ar. 190, fol. 131138, 159-167.
70 Dans ses Epitres, sa Refutation des Melchites et sa Conference compromissoire avec
le Nestorien 'Abdisf1' et le Melchite Abf1 Qurra, il multiplie !'usage de ce terme, cf. G. Graf,
Die Schriften ... , pp. 11, 107, 109, 110, 111, 163-165.
71 Ainsi le philosophe al-Kindi, dans sa refutation par Yal~ya b. 'Adi, ed. A. Perier,
Petits traites apologetiques de -Yabyd ben 'Adf, Paris 1920, p. 125 (2); de meme 'Ali al-Magribi, dans son reproche it Elie de Nisibe, Magalis (ed. Cheikho), dans al-Ma§riq, 20 (1922),
p. 34.
n Jean, V, 25, ainsi traduit par 'Ammar, Id kana li-1-abi 1-bayatu fi dati-hi, ka-f!iilika
afarja 1-bayata ita 1-ibni fa-kana bayy'"' /f qunflmi-hi, dans K. al-masa'il, fol. 79b/p. 163.
73 K. al-masa'il, fo!. 78b/p. 162; le mot, documente dans les inscriptions cananeennes,
aurait de fait le sens de pronom reflechi, selon M. Lidzbarski, Handbuch der nordsemitischen
Epigraphik, Weimar 1898, I, p. 363; Ia question a ete etudiee par J. W. Sweetman, Islam and
Christian Theology, I/II, Londres 1947, pp. 225-237.
74 Ainsi Kitab al-maifdal, Ms. Par. ar. 190, fol. 79: qunflm et sab$ sont identifiables approximativement; Elie de Nisibe esquive le terme, Majfa!is, p. 34; al-Kind! !'utilise dans un passage
de son pamphlet copie sur Abu Ra'ita, Risdla, p. 32; cf. les distinctions precises d'Ibn al-Tayyib,
Ms. Par. ar. 200, fol. 95b.
75 Abi'J Ra'ita, Die Schriften ... , pp. 8, 16-17.
76 Ibidem, pp. 11-12, 16, 141-142, 144-145.
77 Sur les six criteres (le septieme etant le prodige), cinq sont communs, sauf que Abft
Ra'ita pose les desirs materiels de l'au-delit lit meme ou 'Ammar parle d'affabulation ou de magie
84
M. Hayek
[16]
que: Pourquoi Ie Fils, plutot qu'un Ange, s'est-il incarne 78? Comment l'Incorporel pouvait-il prendre corps 79? Comment a-t-il done delivre de Ia mort ceux
qui pourtant continuent a mourir 80? etc. Et c'est surtout le vocabulaire technique
commun qui prouve d'une maniere decisive le lien intime entre nos deux theologiens 81.
Toutefois 'Ammar depasse ses contemporains par l'originalite de son expression et par !'elucidation scolastique des categories qu'il utilise. Mieux que
le predicant AbU Qurra, le subtil AbU Ra'ita et le ruse Timothee, il aborde de
front les problemes avec le detachement et Ia Iiberte du penseur qui ne connait
aucune concession, mais sans bravade ni ironie. II maitrise toutes Ies objections
et les reponses avec Ia parfaite assurance du croyant et clu logicien. Que sa doctrine reste classique n'empeche point que, a travers sa methode, son style et
ses ingenieuses et multiples deouvertes, elle apparaisse si personnalisee qu'elle
semble tout a fait originale.
Les auteurs chretiens venus apres lui ont-ils puise directement dans son
oeuvre? Le silence qui entoure son nom n'est pas une preuve negative, car les
theologiens d'Orient ont !'habitude de se copier au de se repeter sans se citer.
Nous avons vu que les Freres Ibn al-'Assal le mentionnement nommement soit
pour le Iauer, soit pour l'utiliser, soit pour le resumer. Nous supposons qu'Abu
!-Farag ibn al-Tayyib (m. 1043) a lu 'Ammar clout il aclopte certains termes specifiques 82. Elie de Nisibe (m. apres 1049) a sans doute repris de 'Ammar la liste
des differentes categories d'etres et Ia definition de l'hypostase, en tant que « qunCtm particulier » (qumlm bfi~~), dans sa relation a la « substance generale »
(gawhar 'amm) 83. Comme 'Ammar, il identifie « proprietes » subsistantes (bawdN),
«concepts» (ma'an 1") et «hypostases» (aqanfm) 84, et refere le Verbe et !'Esprit
(bayiil, si/:lr); Abtl Ra'ita, Die Schriften ... , pp. 131-135; K. al-burhdn, fol. 7b-13b/p. 31-41, Otl
'Ammar mentionne cinq criteres, alors qu'il en donne six dans K. al-masii'il, fol. 66a-bfp. 136138; d'autres ont traite le meme sujet avec moins de bonheur, ainsi I;Iunayn b. Isl)aq, dans
Sbath, Vingt traites, pp. 184-185, AM Qurra, Mayiimir, pp. 71-75, ISt1'yab b. Malkun, dans
Sbath, Vingt traites, pp. 152-155, Yal)ya b. 'Ad1, ibidem, pp. 168-171.
78 Abu Ra'ita, op. cit., p. 38; K. al-masii'il, fol. 104a-b(p. 218.
79 AbU Ra'ita, op. cit., pp. 47-48; K. al-masti'il, fol. 93a(p. 194.
80 Abu Ra'ita, op. cit., p. 37; K. a!-masii'il, fol. 122a-b/p. 255-257.
81 Ainsi, chez AbU Ra'ita, les termes mantfq, pp. 13, 52, 151; mustikil, multi'im, pp. 23,
52, 59, 142; intifti'; ta/:lr/-frJ,; istfgiib, p. 58; ibniyya, p. 50; insiyya, pp. 52, 163; $ar'a, p. 36;
,mlti/.t wa-tafa(lrj,ul, p. 36, etc. Abu Ra'ita utilise un terme sans doute invente par lui, barsub,
pour prosopon, p. 107, au lieu de far,l'uf employe par 'Abd Allah b. al-Tayyib, Ms. Par. ar.
200, fol. 95b et par d'autres.
82 Outre Ia doctrine commune, cf. des tennes comme «concepts» (ma'tin 1") equivalents
d'« attributs » (,Yifiit), Ms. Vat. ar. 145, fol. 59a, 61b; «cause» ('ilia) et «deux causes» (ma'lultini) appliques aux Trois Hypostases, op. cit., fol. 55b; I'« Uni » (al-muiftama') pour designer
!'unique Christ avec ses deux natures, op. cit., fol. 55b; Ms. Par. ar. 200, fol. 65b.
83 Elie de Nisibe, Magtilis (eel. Cheikho), p. 33; dans Sbath, Vingt traites, p. 101.
84 Idem, Ms. Par. ar. 82, fol. 143-144.
[17]
'Ammar
al-Ba~rt
85
a la Sagesse et Ia Vie divine 85. Amr ibn Matta, qui connait assurement taus ses
devanciers, rejoint 'Ammar en nombre de details: adoption du terme qunum
parce que donne tel que! dans l'Evangile de Jean V, 26 86; definition du qunum
comme substance individualisee par une propriete concrete 87; equivalence entre
«concepts», « proprietes », «essences» (rjawfit), «hypostases» 88; identification
du Verbe et de !'Esprit avec Ia Sagesse et Ia Vie de Dieu le Pere, «Cause»
premiere 89; utilisation de l'analogie trinitaire de l'ame et du solei!, etc. 90.
Ces quelques exemples auraient pu etre multiplies, si les Iimites de cette
introduction, deja trap longue, n'interclisaient de pousser plus loin un simple
sondage comparatiste. On dira que toutes ces similitudes se reportent en fait
aux sources communes de l'apologetique chretienne, et qu'il n'y a pas lieu d'attribuer a 'Ammar al-Ba~ri une place et un role privilegies. C'est si vrai que I'un
de ses ouvrages, le LiPre de Ia Demonstration (Kitab al-burhan) porte le titre
generique clont le sens correspond precisement a celui du mot « apologie » (()(noAoy~()() 91, en tant que «defense», «illustration» de la verite chretienne._ 'Ammar
prolonge ici une tradition qui remonte aux Peres Apologistes du uc siecle 92
et qui continue jusqu'a lui en passant de Justin a Origene, a Clement d'Alexandrie et a Jean Damascene, adaptant sans cesse ses arguments toujours les memes aux contradictions nouvelles: face aux juifs, aux pai:ens, aux gnoses, aux
philosophies, aux religions.
- II en est de meme de son LiPre des Questions et Reponses (Kitab al-masfi'il
wa-1-agwiba) dont !'expose dialogue est classique depuis Platon et, chez les Chretiens, depuis le Dialogue aPec Tryphon de Justin. En syriaque, des Monophysites comme Jean Bar Cursus (m. 538), des Nestoriens comme Theodore de Merw
(m. 550), avaient utilise cette methode didactique. En arabe, nous retrouvons du
temps de 'Ammar et apres lui les titres de ses apologies et sa methode dialogale
sous differentes plumes: ainsi Ies Kitab al-burhdn de Abu !-Farag Sa'id ibn
Idem, Ms. Par. ar. 82, fol. 139b.
Kittib al-magdal, Ms. Par. ar. 190, fol. 79b; camp. avec K. al-masii'il, fol. 79b/p. 163
et K. al-burhiin, fol. 20a(p. 62.
87 Ibidem, fol. 72b; comp. avec 'K. al-masii'il, fol. 79a-b/p. 163-164.
8 8 Ibidem, fol. 79; comp. avec K. al-masii'il, fol. 75bfp. 155, excepte ce fait que 'Ammar
refuse le terme sab$.
89 Ibidem, fol. 159 ou il distingue les trois Concepts (Essence, Vie, Sagesse) des trois Noms
fondamentaux (Genereux, Sage, Puissant): les premiers sont les ma'tini et les seconds les mabiini.
90 Ibidem, fol. 72b.
9! cbtolloy~o: a ce sens en grec classique; il est ainsi employe par Platon dans l'apologie
de Socrate.
92 La premiere apologie, contenant le premier essai de philosophic chretienne sons !'em"
pereur Adrien (117-138) ou Antonin (138-161), a ete retrouvee precisement en traduction syriaque; ed. et trad. par R. Harris, The Apology of Aristides, dans Texts and Studies, I, Cambridge
1891.
85
86
M. Hayek
86
[18]
'Ali a1-Anbari 93, de Ibn al-$alt Yui:tanna 94, de Sa'i:d ibn al-Batriq 95, de Yal:tya
ibn 'Adi 96, de AbU 1-Fa<;ll 'Ali ibn Rabban al-Na~rani 97, d'Elie de Nisibe 98,
d'Isho'yab ibn Malkoun 99; de meme les « Questions et Reponses » (masfi'il
wa-agwiba) 100, les «Refutations» (radd) 101, les «Discussions» (mugfidala) 102,
les « Debats » (mubfiwara) 103, les « Face-a-face » (muna+ara) 104, les « Seances »
(magfilis) contradictoires 105, sont nombreux dans Ia litterature arabe chretienne.
Dans cette litterature, 'Ammar a l'avantage de Ia primeur, etant le premier a
avoir redige en arabe et dans une langue adequate un expose aussi rigoureux
des preuves fondamentales du Christianisme; mais il a d'autres merites: son
esprit de synthese, sa vision theologique puissante, une certitude de foi existentielle, une expression souvent eclatante soutenant une argumentation toujours
serree et austere, une etonnante originalite creatrice de style, en font une des plus
seduisantes figures du christianisme oriental.
Nestorien du rxe siecle, cf. Sbath, Fihris, 2525 et G. Graf, GCAL, II, p. 118.
Nestorien fin 1xe-debut x0 siecle, cf. Sbath, Fihris, 7 et G. Graf, GCAL, II, pp. 149-150.
95 Patriarche melchite d'Alexandrie (m. en 940); ed. P. Cachia, dans CSCO, Script. ar.,
vol. 20-23; tract. anglaise par W. M. Watt, Louvain 1960-1961.
96 G. Graf. GCAL, II, p. 240 et aussi E. Platti, Deux manuscrits theo/ogiques de Yabyd
b. 'Adt, dans MIDEO 12 (1974), pp. 217-229.
97 Sbath, Fihris, 418 et G. Graf, GCAL, II, p. 118.
98 Sbath, Fihris, 235 et G. Graf, GCAL, II, pp. 183-184; nombreux manuscrits.
99 Sbath, Vingt traites, pp. 152-167.
1oo C'est le vrai titre des epitres d'Abu Ra'ita, Die Scriften ... , p. 1, 15; Yal)ya b. 'Adi
a excelle dans le genre; cf. les quatre « reponses » a des «questions», publiees par Perier, Petits traites ... , pp. 28-68, 87-109; cf. du meme Yal)ya, notamment Ms. Vat. ar. 134, fol. 12a18b; 83b-89b; 105b-109a; 131a-144b; 169b-179a; cf. aussi G. Graf, GCAL, II, pp. 243-248 et
Islamochristiana (Rome, IPEA) 1 (1975) pp. 162-165: Numeros 5, 7, 10, 16, 16 bis, 18-20,
23-25.
101 Cf. le Radd d'al-Kindi a Hasimi, Risdla (ect. Tien), pp. 24 sq.; de Yusuf b. al-Bul)ayri
a Abu 1-Qasim al-Bagi, dans G. Graf, GCAL, II, pp. 157-158 et Sbath, Fihris, 258; de Qusta
b. Luqa a Ibn al-Munaggim, Ms. 664 (Beyrouth, Universite St Joseph), fol. 232-276; de Yal)ya
b. 'Ad1 a Abu 'Isa ai-Warraq (titres variables dans les Ms. Par. ar. 167, 169 et Vat. ar. 113,
133) et au philosophe ai-Kindi, Ms. Par. ar. 169, fol. 47-51, etc.
102 Cf. Ia Mugadala du moine melchite Ibrahim al-Tabarani (1ere moitie du IXe siecle)
avec 'Abd ai-Ral;lman b. 'Abd ai-Malik, Ms. Par. ar. 214, fol. 26-47; 215, fol. 50-83; 258,
fol. 247-274, etc.; et Ia Mugddala de l'eveque jacobite Ibn al-Samma' (fin xe siecle) avec le calife
fatimide al-Mu'izz, cf. Sbath, Fihris, 2512, et G. Graf, GCAL, II, p. 251.
103 Cf. Ia Mubdwara gadaliyya entre le moine Georges du convent St Simeon de Ia mer
avec le Fils de Saladin, emir d' Alep, Ms. Par. ar. 186, fol. 2-48; une version publiee par P. Carali, La Revue Patriarcale, 7 (1932), pp. 8-10; cf. aussi G. Graf, GCAL, II, pp. 79-81.
104 Mund;ara entre anonymes, Ms. Par. ar. 215, fol. 2-49 et G. Graf, GCAL, II, p. 472.
10s Ainsi les Magdlis d'Elie de Nisibe, ect. Cheikho, et ceux rapportes par Severe b. alMuqaffa', dans G. Graf, GCAL, II, pp. 308-309.
93
94
'Ammar
[19]
al-Ba~·rf
87
5 - La theologie
Nous ne pouvons sanger a presenter ici d'une maniere exhaustive et systematique cette theologie: certains elements en ont ete recueillis dans le paragraphe
precedent, et les grandes articulations en seront exposees plus loin dans !'analyse
cletaillee des apologies. Il importe surtout ici cl'en cerner Ia vision centrale et la
methoclologie qui Ia sous-tend. Car l'originalite de !'auteur tient dans cette vision
synthetisant une veritable theologie de l'Histoire qui s'exprime pour Ia premiere
fois en arabe dans une formulation personnelle d'une rigueur logique inattaquable. Pour le reste, 'Ammar est un nestorien pur, car toute sa doctrine de Ia
trinite, de Ia christologie, de l'eschatologie, clu sacramentalisme et de l'anthropologie est marquee par le conservatisme theologique de son Eglise, laquelle n'a
cesse, pendant des siecles et avec une persistance tenace, de repeter Ia doctrine
de Theodore de Mopsueste (t 428). Celui-ci etait devenu le « docteur propre »
que l'Ecole d'Edesse et de Nisibe a impose et que les Synodes ont canonise.
Certaines formules christologiques de 'Ammar remontent en droite ligne a Theodore, via Babai: le Grand et Timothee, cependant que cette doctrine se trouve
mise au service d'une Weltanschauung qui rejoint les meilleures expressions de
Ia grande tradition patristique.
Face a l'au-dela, 'Ammar affirme !'existence d'un etre absolu createur,
auquel le consensus des traditions religieuses et philosophiques rend temoignage,
sons la diversite des doctrines et des confessions. La contemplation de cet univers
ordonne et finalise le prouve a celui qui reftechit, car Ia preuve qu'il existe c'est
notre existence meme (al-dalfl 'ala rjalika wugudu-na) 106, La vie elle-meme
dans ses aspects les plus sombres et les plus scandaleux, comme ceux du mal
et de Ia mort, est une invitation inscrite au plus intime du coeur a rechercher un
au-dela meilleur.
Cet etre createur est un, parce que premier, anterieur a tout le reste, tout
comme le nombre un est le principe d'oi'.t le reste procede. Sans cette unicite
primordiale, Ia multiplicite apparait comme un non-sens; or Ia multiplicite est
impliquee necessairement dans l'unicite, puisque le multiple sans l'un n'est pas
possible; ma.is l'un sans le multiple est concevable, et c'est pom·quoi l'acte createur n'est point « necessite » (masi'at i¢tirfir), mais « choix libre » (iradat ibtiyar).
Bref la creation est pure « gratuite » (tabarru'), clans un dessein genereux: « il
etait seul dans !'existence; il voulut no us faire un sort avec lui, et il no us fit»
(kana huwa jt l-kawni wabda-hu ja-~ayyara la-na jt l-kawni ma'a-hu na~tb""
ja-kawwana-na) 107, Telle est Ia premiere initiative gratuite et genereuse de Dietl.
K. al-masd'il, fol. 45a/p. 95.
L'idee est la meme que chez StJean Damascene: « Etant bon et suprabon, {me:pcx.yOG8o<;,
il ne s'est pas contente de sa propre contemplation, mais dans l'exces de sa bonte, i1 lui a plfl
qu'il y eut des etres participant a ses bienfaits et a sa bonte », De fide orthodoxa, PG, XCIV,
col. 1136; Ia formule de 'Atnmar est plus percutante, si Ia pensee est Ia meme.
106
107
7
M. Hayek
88
[20]
La seconde qui y repond, Ia continue et l'accomplit par une decision tout aussi
« volontairement libre » (tatawwu'), mene a !'incarnation par laquelle le Verbe
eternel assume un etre humain parfait cree dans le sein de Ia Vierge, auquel il
s'unit pour former le Christ et auquel il confere les privileges divins. Cette manifestation est I'« apocalypse» (tagall 1") parfaite de l'economie divine de l'histoire,
car elle revele Ia generosite de Dieu, consolide sa presence dans nos coeurs inquiets et nos esprits incertains, et comble notre aspiration a la connaissance du
Mystere.
Ce corps du Christ, qui n'est pas Corps de Dieu, est le «Temple» (haykal)
d'oi1 Dieu nous parle, et le lieu oi1 « Ia substance de toute Ia creation est rassemblee » (gamf'u gawhari-him mugtama'"" jf badani-hi) 10s; il revele !'Essence invisible dont il est le « vetement » et dont il rester a eternellement le « voile » (/:1-igab)
devant nos yeux. lssu de Ia creation, expression ramassee de toute la substance
creee, il est soumis aux epreuves communes aux hommes, de Ia naissance a la
mort. Mais, de par son union au Verbe eternel, il participe aux privileges divins,
sans que la divinite so it a:ffectee par l'humain; il transcende la condition de
l'espece humaine, ressuscite, penetre dans la gloire et re9oit, par une mainmise
imprescriptible, le pouvoir absolu sur toutes choses.
'Ammar al-Ba~ri ne manque jamais de tirer les consequences de cette vision
centrale de sa theologie de !'Union (itti/:1-ad): la dignite divine qui investit 1' homo
assumptus, rejaillit sur tout le genre humain et atteint chaque homme en particulier de sorte que chacun participe a la « christianite » (masf/:1-a) du Christ,
a Ia « filialite » (ibniyya) du Fils, a la seigneurie du Seigneur universe!, et que,
en adorant et louant celui qui est « extrait de leur substance» (al-'uif,w al-muntaza' min gawhari-him), les hommes s'adorent et se louent eux-memes, d'une
certaine maniere. L'homme singularise, elu (mustabla>?), « specific » (mustalwN)
dans le Christ, confere aux autres hommes non pas un simple droit de fils adoptifs a !'heritage, mais le droit inscrit dans la nature meme de la filialite: c'est
le droit d'un enfant qu'aurait engendre un roi apres son mariage dans un peuple
etranger 109,
La deuxieme consequence qui s'impose est le triomphe meme acquis pour
tous et pour chacun sur « cette horrible mort inf!igee au premier et au dernier d'entre
nous » (basa'at hdqa 1-mawti 1-nazi!i bi-awwali-him wa-abiri-him) uo; parce que
la mort « a ete en verite abolie par l'un des notres », le Christ (abtala-hu bi-l-/:1-aqfqa
wd/:1-id"" min-nd) 111, elle n'est plus qu'un « sommeil passager entre cette vie et
!'autre» (raqda bayna 1-dunya wa-1-abira) 112, Une part de nous-memes, les
K. al-burhan, foi. 41a-bfp. 87.
Cf. Ia parabole dans K. al-masa'il, fol. 106ajpp. 221-222.
11 o K. al-masa'il, fol. 53b/p. 110.
I l l K. al-burhfin, fol. 39b/p. 84.
112 Ibidem, fol. 38a/p. 81.
[21]
'Ammar
al-Ba~rf
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premices, ont ete emportees et plongees dans les profondeurs divines oi1 nous
serous a notre tour plonges. Car victime volontaire, « otage prisonnier dans ce
monde » (babasa-hu jf signi !-'a/ami) pour Ia liberation de ses freres, il devient,
lib6n~ par Ia resurrection, leur « caution et leur garantie » (al-kaffl al-rjamin
'an-na) et «notre Preuve devant le Pere » (/:1-uggatu-na !ada 1-Abi) 113, Par lui nous
avons done, non seulement vaincu la mort, mais obtenu deja !'assurance au Jugement et les arrhes de la gloire. Ayant choisi « le meme statut que nous dans la
vie et Ia mort» (/:1-ukmu-hu jf 1-mawti wa-1-b-ayati /:1-ukmu-na), il « s'est mis a
notre place pour nous placer a Ia sienne », au jour du Jugement (aqama nafsahu maqama-hum wa-aqama-hum maqama-hu) 114, Il reste a chacun a acquerir
ce qui est deja acquis a sa propre nature, en transformant en realite de vie le
symbole du bapteme et de l'Eucharistie que nous avons re9us. Le gage de son
corps mort et ressuscite nous est donne, et quand nous le prenons dans nos
mains, le souvenir desolant de la mort est dissipe devant la joie du memorial de
Ia vie eternelle: communier c'est « detenir !'assurance de la vie entre ses mains »
(fa-mata aba4u-hu bi-aydf-him wa-huwa musamma" bi-gasadi-hi llaqf mata waqama, qakaru 1-qiyamata wa-l-/:1-ayata 1-da'imata, fa-tajarraga 'an-hum al-gammu
bi-qikri l-mawti wa-jari/:1-u bi-qikri l-bayati wa-~aru ka'anna-hum abar}:tt !-amana
bi-l-/:1-ayati bi-aydf-him, iq Ia yakunu say'"" a>?ab-ba 'inda l-insani mim-ma ya~fru
jf yadi-hi wa-ta/:1-wf-hi kajju-hu) m,
L'oeuvre commune de la Trinite inauguree a la creation s'accomplit a !'incarnation pour laquelle le Fils a ete elu et specific; elle trouvera son parfait
achevement lorsque l'homme, desormais affilie divinement, sera deifi6 selon le
modele de l'homme christique parvenu a la gloire. Mais pas plus a la genese qu'a
Noel ou a la Parousie, !'Essence divine ne sera devoilee aux Elus. Elle est par
definition eternellement cachee et invisible. C'etait par l'une de ses « Faces »
(wuguh), de ses « Proprietes » (bawd>?~), de ses «Notions» (ma'an 1"), par l'Hypostase (qunum) du Verbe, qu'elle s'est revelee a nous, non point a la mesure de
ce qu'elle est, mais en fonction de notre capacite finie d'apprehension; elle ne s'est
pas imposee par une decision brutale, mais selon une economie progressive et
ascendante a partir des th6ophanies cosmiques jusqu'a l'Eplphanie th6andrique.
Or, deja ce qui est propose aux yeux de notre foi deborde notre nature,
heurte notre esprit, scandalise nos coeurs. En effet, y a-t-il rien de plus repugnant
que d'en appeler a !'adoration d'un Crucifie, a la soumission a la Croix et a la
foi en Un-Trois »? (Ia say'a asna'u min al-da'wati ila 'ibd_dati ma.y!ub 1" wa-1burJu'i li-1-~a!fb wa-l-fmani bi- Wabid 1" Talatat 1") 116, Aucune des raisons possibles
ou imaginables, ni la convenance, ni les licences, ni les contraintes, ni les soli-
JOB
109
89
113
114
115
116
Cf. Ia belle parabole dans K. al-masa'il, fol. 125a-bjpp. 261-262.
K. al-burhfin, fol. 40b/p. 86; fol. 40a/p. 84.
Ibidem, fol. 40a-b/p. 85.
Ibidem, fol. llb/p. 37.
~~----------------------------------------------------------------------------------------------------------,
90
M. Hayek
[22]
darites familiales, ni les compromissions, n'avaient pu rendre credibles aux hommes
une foi et une morale de cette exigence. Le miracle est la seule justification possible des origines memes du christianisme. 'Ammar est ici d'accord avec toute Ia
tradition apologetique chretienne. Mais pour lui, si le miracle originaire a cesse
de se reproduire, c'est a dessein: pour que !'intelligence, ref!echissant ajourd'hui
sur les raisons de croire, en arrive a conclure que le prodige seul avait pu e.ffectivement accrediter un tel message aupres des hommes, que ceux-ci fussent
«frustes» (ahl gcifii' wa-gala+) ou « subtils » (ahl diqqa wa-latiifa). 'Ammar tire
la credibilite du Christianisme de. l'irrationalite de sa genese et de son contenu;
ll insiste fortement sur l'une pour mieux faire apparaitre la purete de l'autre,
sans les separer ni etablir entre elles une quelconque precellence 117, En d'autres
termes, le christianisme dont le fondement prodigieux est constatable a la fois des
esprits grossiers et des intelligences affinees, depasse les possibilites de l'industrie
humaine et jouit de la veritable insuperabilite que !'islam invoque en faveur de
son Livre. Cette reconnaissance possible de !'impossible, - en taut que fait historique et contenu convenant a Dieu et a l'homme -, confere a la foi sa rationalite et sa surnaturalite. Devant cette logique de l'Economie divine, les « coeurs
sont combles de certitude» (tasba'u 1-qu!Cibu yaqfn"") us.
C'est pom·quoi 'Ammar est convaincu que le christianisme est, de toutes
les religions, la seule vraie et la plus conforme a la generosite divine et au bien
de l'humanite. Contrairement au juda'isme limite aux Hebreux et a !'islam donne
aux Arabes, elle n'est liee a aucun peuple, aucune langue. ou culture, ni reservee
a aucune categorie humaine; mais, fondee sur le prodige que les plus simples
et les plus sages peuvent reconnaitre, elle est destinee a etre la religion universelle. Elle paracheve toutes les demarches tentees par les autres systemes et experiences et comble les aspirations des hommes; ceux-ci, dans leur quete de Dieu,
ont ete jusqu'a le figurer par des idoles ou l'imaginer selon des representations
anthropomorphiques ou cosmologiques, tandis que certains desesperaient d'en
rencontrer la face ou meme de pouvoir affirmer quoi que ce soit a son sujet. Or,
dans le christianisme, l'objet de la quete s'est rendu proche, devoile dans un corps
d'humanite (tagalla jf basar 1" min-nii wa-abac}a-hu ma'a-hu jf l-sultani wa-1waqiiri) pour combler le desir des hommes, apaiser leurs coeurs, et les dispenser
desormais de fouiller le ciel et la terre a la recherche d'un createur jusque la
invisible (wa-taraku mii qad istagnaw 'an-hu min al-tciftfSi 'an bafiqi" Iii yura qad
qarraba 'alay-him al-talaba fa-+ahara jf gasad 1" yurii) 119,
117 Contrairement a 'Abel Allah b. al-Tayyib qui accorde a Ia «preuve rationnelle »
(dalfl 'aqli) une fonction demonstrative de Ia foi, au-deJa de Ia «preuve sensorielle » (dalfl bissf),
sujette a !'illusion, dans Sbath, Vingt traites, pp. 179-180.
118 K. al-burhan, fol. 6b/p. 29 et 8b/p. 32; K. al-masa'il, fol. 64b/p. 131 et fol. 66b/p. 138,
etc.
119 Ibidem, fo!. 36b/p. 78 et tout le chapitre 7 sur !'Union, fol. 27a sq./p. 62 sq.
[23]
'Ammar
al-Ba~rf
91
Pour le prouver, 'Ammar met en oeuvre toutes les ressources de sa science,
de son experience et de sa foi. II ne se contente pas de se defendre, il justifie
positivement ce qu'il croit etre la verite objective. 11 manifeste assez de comprehension et de respect a l'egard de ses adversaires pour prendre au serieux leurs
objections qu'il passe au crible d'une logique aceree. Plus patticulierement, il se
preoccupe des attaques de l'islam, taut au point de vue de la doctrine qu'a celui
de la vie sacramentelle et de la pratique cultuelle, sans toutefois refuter systematiquement toutes les objections. Pour debrouiller les arguments lances en vrac
par les contradicteurs, il analyse les notions, precise les donnees, decompose et
recompose les elements des problemes souleves, avec la patience d'un vieux
maitre en pedagogie. On pourrait meme dire que toute l'apologie du Livre des
Questions et Reponses ressemble, en chacune de ses sections, a un unique syllogisme · dont les propositions et les termes s'emboltent avec la complexite d'une
vaste « disputation » scolastique.
Le raisonnement philosophique soutenu par les distinctions aristoteliciennes
domine cette pensee; en cela, 'Ammar est un bon nestorien, tant il est vrai que
!'etude d' Aristote et le Nestorianisme apparaissent en meme temps chez les Syriens a qui Jean Damascene reprochait de faire d' Aristote un treizieme Apotre 12o.
Si !'argumentation philosophique est la base de cette oeuvre, elle n'est pas la
seule, puisque 'Ammar utilise d'autres techniques plus accessibles, comme la
parabole 121 et l'analogie qu'il emploie d'une fac;on com·ante, souvent percutante
et savoureuse. Son imagination ne faillit jamais ici, quoiqu'il rappelle souvent les
limites de ces procedes approximatifs, tout comme il avoue pertincmment que Ia
rigueur de Ia rationalite ne parviendra jamais a atteind-re !'ineffable, eternellement
voile au cree et au fini. II manie !'argument ad hominem d'une maniere surprenante, sans toutefois en abuser 122, contrairement aux facilites que se donnent
Timothee, le pamphletiste al-Kindi ou Elie de Nisibe. Les preuves bibliques
apparaissent comme margin ales so us sa plume; certes il ne se dispense pas de
les employer meme abondamment et d'en tirer de tres belles meditations 123;
mais il se retient de les fournir toutes a cause de la suspicion de l'interlocuteur
qui accuse les Ecritures de falsification (wa-lawla anna-ka wasamta 1-kutuba ·
12o Precisement Contra Jacobitas, PG, XCV, vol. 1441; Jean Philippon a Alexandrie,
Severe d'Antioche, Serge de Reshalna, sont des Jacobites celebres par leurs traductions ou leurs
commentaires d'Aristote; mais le Philosophe regne egalement sur !'Ecole d'Edesse des Perses.
121 Cf. les paraboles du Potier (K. al-burluin, fo!. 39a/p. 83), du Fermier (K. al-masa'il,
fol. 107b/p. 226), du Roi (Ibidem, fol. 106a/p. 222), du Lutteur (Ibidem, fol. 108b/p. 229), du
Medecin (Ibidem, fol. 109a/p. 229), de l'Otage (Ibidem, fol. 125a-b/pp. 261-262).
122 Exemp!es a propos de Ia Crucifixion, K. al-burhan, fol. 37a/p. 79, du culte de la Croix,
Ibidem, fol. 41b/p. 87, de !a falsification des Ecritures, K. al-masa'il, fol. 70b-7la/p. 146.
123 Cf. K. al-masa'il, fol. 80a sq./p. 164 sq.; fol. 99a sq./p. 206 sq., et les tres belles pages,
Ibidem, fol. 100b-10lb/pp. 209-211.
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92
M. Hayek
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bi-l-tabrif wa-1-fasad la-abcjartu !a-ka ... ) 124, Son e.ffort doit done porter principalement sur la demonstration rationnelle.
La place speciale qu'occupe !'argument de « convenance » 125 cher a ses
contemporains les Mu'tazilites 126, merite qu'on s'y arrete. 'Ammar s'y refere
constamment. L'idee selon laquelle Dieu agit toujours selon ce qui « ressemble
le plus » (asbah) a sa generosite et ce qui « correspond» le mieux (askal) a
notre dignite et notre bien, constitue le leit-motiv de sa pensee. Elle est !'expression d'une confiance inalterable en Dieu, qui lui permet de repondre aux questions les plus ardues ou les plus .angoissantes. Car si Dieu est, tout ce qu'il fait
est marque par ce double coefficient: sa fidelite a lui-meme et son souci de no us;
son action est a son image et a notre ressemblance Ia meilleure. Sous cet eclairage,
'Ammar interprete le probleme de !'existence du mal et de Ia mort, de Ia souffrance des innocents, de Ia prescience divine et de Ia liberte humaine; Ia creation,
!'incarnation et le salut final sont entrevus dans cette lumiere. C'est a partir du
destin du Christ assumant toute Ia condition humaine que nous pourrons surmonter les obstacles angoissants qui entourent notre existence et contre lesquels
butent nos esprits. Sa manifestation anthropomorphe revele Dieu a l'homme et
l'homme a lui-meme.
A son contradicteur musulman, 'Ammar rappelle que si Dieu s'est manifeste
dans une nuee, une arche de bois, un temple de pierre, un buisson vulgaire, i1
etait bien plus « conforme » qu'il se choisit l'homme pour «temple» (haykal),
«receptacle», «lieu d'inhabitation » (maball), ce qui devait « elever les hommes
et les combler sans ravaler Dieu ni l'amoindrir » (rjalika yarfa'u-hum wa-yanfa'uhum wa-la yacja'u-hu wa-yanqu,yu-hu) 127, car Ia substance humaine est Ia plus
noble de Ia creation et Ia plus apte a servir de voile a Dieu (wa-awla l-asya'i
al-man?uri ilay-hd wa-asrafu-hd wa-akramu-hd 'alay-hi wa-asbahu-hd bi-btigabi-hi bi-hd gawharu l-insani) 128, Des lors, refuser de reconnaitre Ia ressemblance humano-divine, au plan de Ia paternite, de Ia filiation 129 et de !'incarnation, ne s'expliquerait que par Ia pietre idee qu'on aurait et de Dieu et de l'homme;
et 'Ammar de s'ecrier: «Ton Createur voudrait pour toi l'honneur et !'eminence,
et tu voudrais pour toi-meme Ia honte et Ia bassesse! ... Peut-etre entends-tu le
K. al-burhan, fol. 35a/p. 76.
Cf. Ia frequence significative, dans les deux apologies, des termes yula'imu, yusakilu,
askal, asbah, pp. 50, 67, 69, 111, 129, 217, 255, etc.
126 Ils utilisent le comparatif, <<le meilleur » (a$ lab), le plus conforme a Ia «justice» ('ad!)
divine, sans !'idee de « ressemblance ».
127 K. al-burhan, fol. 30a/p. 68.
128 Ibidem, foJ. 30b/p. 69.
129 Les noms de « Pere » et «Fils», propres a l'honune seul dans toute Ia creation, seraient « inconvenables » a Dieu a qui, de par ailleurs, on attribue des oreilles, des yeux, des
pieds, des mains; cf. K. al-burhan, fol. 23b-26b/pp. 57-62.
124
125
'Ammar al-Ba,yri
[25]
93
ramener au niveau de ta propre avarice!» (ka'anna-ka turidu an tustiwiya-hu
bi-ka fi l-bu[lli) 130.
6 - L' ecriture
'Ammar est un nestorien qui puise les elements de sa doctrine dans Ia tradition de son Eglise. Sa langue maternelle, sans doute le syriaque, le trahit de
temps a autre quand il arabise le terme .fourqono, « sauveur », en fdruq; quand il
accole a certains substantifs comme tatlit « trinite », malakut, « royaume », masculins en arabe, des epithetes feminines; quand i1 transpose du syriaque le terme
specifiquement nestorien, lbech qu'il traduit par tadarra'a, « revetir » un corps 13 1.
Mais il connait le grec; il est meme imbu de Ia culture «des premiers Hellenes qui ont ebloui les esprits et seduit les coeurs par les subtilites qu'ils ont
inventees » (ma ibtara'at-hu 'uqulu l-Yunaniyyfna l-awwalina fi l-lata'ifi allati
abharat al-'uqula wa-fatanat al-quluba) 132, Il cite Platon et se refere a la Physique, a Ia Metaphysique, au De Coelo et au De Generatione et Corruptione d' Adstote 133, lequel lui fournit, comme aux autres Peres qui l'ont precede et suivi, les
bases philosophiques de son elaboration theologique. Cette formation grecque
transpire a travers sa logique, sa methodologie et jus que dans sa syntaxe meme;
l'indice le plus evident est !'usage abusif qu'il fait de la particule irj, traduisant le
fameux ycxp devenu gher en syriaque. Des Grecs, il cite encore Galien 13 4 et choisit
assez frequemment ses comparaisons dans Ia science medicale 135. II ne serait pas
etonnant qu'il flit verse dans cette science traditionnellement liee a Ia philosophie
et pratiquce par les moines et les hommes d'Eglise en Orient. On sait que les
Nestoriens y ont excelle deja a Gundaysabur, avant !'islam, et, au temps du califat
abbaside, a Bagdad, avec les families Masawayh et Bu1Jtisu' 136.
Connaissait-il l'hebreu? Quelques citations tirees de la Bible dans la langue
K. al-burhdn, fol. 35a/p. 75.
C'est un terme favori de 'Ammar, K. al-masa'il, fol. 93a/p. 194, 94a/p. 196 et passim;
de menw, quand il utilise pour « unir » le verbe arabe a/:lf:lada (cf. egalement son ma,~dar: ta'/Jfd)
qui proviendrait peut-etre du syriaque ahed (ou hayed). Ni AbU Qurra ni Abu Ra'ita n'emploient, a notre connaissance, tadarra'a ni a/J/Jada.
132 K. al-masa'il, fol. 66a/p. 136.
133 K. al-burhan, foJ. 2b-3afpp. 22-23.
134 Ibidem, fol. 22a/p. 55.
135 Sergius de Resha!na (m. en 536) fut le premier a traduire une partie des oeuvres de
Galien, cf. le Traite des Simples (11:e:p~ xp&cre:chv 'l"E:XCI:~ 3uVCI:fLWJ.lV 'l"WV CI:TtAWV <pCGpfLCI:Xwv) dans le
Ms. Add. 14661 du British Musetml et les fragments de !'Art medical et des Facultes des aliments,
dans le Ms. Add. 17156; les traductions de Sergius ont ete utilisees par l;[unayn b. lsl~i'tq.
136 Cf. G. Graf, GCAL, II, pp. 109-114, sur ces deux families; sur l;[unayn b. Isl)aq,
medecin, cf. G. Anawati, dans Les Mardis de Dar el-Salam, MCMLIII, Le Caire, 1956, pp. 175186; sur Ia medecine chez les Syriens, cf. R. Duval, La litterature syriaque, Paris, 1907, pp. 269274.
130
131
94
M. Hayek
[26]
meme de l'Ecriture 137 permettraient de le croire. Notons une fois de plus que
'Ammar le logicien devore 'Ammar !'exegete, bien que ce demier sache prouver a
!'occasion la solidite de ses connaissances bibliques 138,
I1 est en tout cas au courant de toutes les varietes des doctrines religieuses
de son temps, aussi bien celles des diverses confessions chretiennes que celles de
la tradition iranienne: ses objections et ses reponses aux Monophysites qu'il ne
mentionne pas nommement 139, aux Marcionites, aux Bardessaniens, aux Zoroastriens, aux Manicheens, montrent que ces pensees lui sont familieres. Il a pu
les connaltre par l'intennediaire de leurs representants sur les lieux memes ou
a travers les refutations que l'Eglise syro-mesopotamienne 140 ou les auteurs musulmans 141 en ont faites.
De l'islam il cite quelques versets du Coran142 auquel il emprunte parfois
le lexique 143; il mentionne une fois l'exegese d'un verset coranique faite par le
traditionniste Ibn 'Abbas 144. Le badft qui n'est pas encore detinitivement constitue en corpus officiel n'est pas represente litteralement dans son oeuvre, sauf
peut-etre une fois 145. Mais il se refere a l'hagiographie musulmane a propos de
Jean-Baptiste 146 et aux pratiques rituelles des ablutions et du baiser de la Pierre
Noire 147. II utilise la tenninologie en faveur chez ses contemporains les Mu'tazilites 148. Mais il est surprenant de constater que, ayant projete de refuter les
objections musuhnanes contre le christianisme, il ne se soit pas directement
attaque au docetisme du Coran et de la Tradition, alors qu'il parle longuement
137 Ehyeh asher ehyeh, El, Yah, Sabaot, avec trois autres termes illisibles dans le texte,
K. al-masti'il, fol. 81b/p. 168; Ia premiere expression est souvent rappelee par les auteurs, sans
impliquer necessairement Ia connaissance de l'hebreu de leur part; comme sabaot, elle est
utilisee telle queiie dans leurs rituels.
138 K. al-masa'il, fol. 80a-b/p. 165 et fol. 99a-102afpp. 206-213.
139 Ibidem, fol. 94b/p. 197.
140 Ainsi chez Ies Nestoriens, deja Titus de Bostra (m. en 375) ecrit un Traite contre les
Manicheens (6d. Lagarde, Berlin, 1859); Mar Aba (m. en 552) preche contre Ies Mages (Mazdeens) de Nisibe; Nathanael, evequc de Siarzour, fut crucifie par Chosroes en 611 pour ses traites
contre Ies memes; Gabriel, eveque de Hormizdardashir (v1• siecle) ecrit contre Manich6ens et
Mages.
141 Cf. G. Monnot, Les ecrits musulmans sur /es religions non-bibliques, dans MIDEO .11
(1972), p. 16 sq.
142 K. al-burhdn, fol. 8a/p. 31; 16afp. 45; 18a/p. 49; 23a/p. 56; 29ajp. 66; 37ajp. 79.
143 Cf. istankafu, a!-ZabCir, Rabb al-'alamfn, al-guyub, qalb salfm, fa'tCi bi-burhan 1" in
kuntum $t1diqina.
144 K. al-burhdn, fol. Sajp. 32.
145 L'expression turfa'u l-sal:ma'u min bayni-him, dans K. al-masa'il, fol. 56a/p. 115, est
peut-etre tiree du badft apocalyptique annon9ant Ia reconciliation messianique a Ia Parousie
de Jesus.
146 K. al-burhan, fol. 37afp. 80.
147 Ibidem, fol. 38a-b/p. 81-82 et 41b-42afpp. 87-88.
148 Ainsi les termes al-wa'd wa-l-wa'fd, takltf, tawalfud, ibtiyar, i(i(irar, 'adam, sub$•
/;lulu!, etc.
[27]
'Ammar
al-Ba~rf
95
de la Croix et de la crucifixion et insiste sur les faits historiques entourant la
mort de Jesus. Faut-il supposer que l'islam n'avait pas encore a cette epoque
articule exegetiquement sa doctrine docetiste? Cela paralt d'autant plus invraisemblable 149 que 'Ammar refute !'objection selon laquelle la crucifixion introduit
la faiblesse en bieu.
'Ammar connait enfin les problemes auxquels le chretien est affronte en ce
temps d'efiervescence intellectuelle et d'inquietude religieuse, dans cette Ba~ra
oit tous les courants de pensee et de vie se sont donne rendez-vous. bepuis le
transfert du califat abbaside a Bagdad, les divers systemes qui continuaient a se
combattre, eurent a coexister avec la nouvelle religion elle-meme deja tiraillee
par des tendances diverses au contact des vieilles doctrines preexistantes. Des
echos nous sont parvenus de ces discussions, controverses, polemiques, refutations, pamphlets, entre Zoroastriens, Manicheens, Juifs, Chretiens de differentes
confessions, Musulmans d'allegeances diverses, Pour aider a clarifier les notions,
mettre de l'ordre dans les idees et rassurer les chretiens de son temps sur la force
de credibilite de leur religion, au milieu de cette grande joute declenchee et presidee par un calife liberal, al-Ma'miln, 'Ammar a redige le Livre des Questions
et des Reponses dont !'analyse montrera l'etendue et la precision du savoir. Nous
decouvrirons que c'est un esprit d'une grande culture qui a herite de lmit siecles
de pensee chretienne 150 pour se faire attentif aux preoccupations de son epoque.
Son autre apologie, le Livre de fa Demonstration, est a la fois une defense
et une illustration de la verite chretienne entrevue a travers le vaste deploiement
de l'Histoire du salut. De la maniere dont il reh~ve les objections, les decortique
et y repond avec un irenisme et une rigueur remarquables, il apparalt comme
l'un des meilleurs temoins du dialogue islamo-chretien; il en est en outre l'un
des premiers, ce qui lui assure une place de choix dans l'histoire de ce dialogue
et une audience dans l'actualite.
Mais la oi1 son originalite eclate avec le plus d'evidence c'est au niveau du
langage. L'impression premiere qui se degage de cette oeuvre dense, serree et
logiquement organisee d'une maniere exemplaire, c'est l'austerite meme de l'ecriture; celle-ci est parsemee de temps a autre de formules etincelantes qui sont
assez nombreuses pour exprimer la personnalite vigoureuse de l'auteur. Certes
149 Car les traditions docetistes sont transmises par Wahb b. Munabbih et Ibn 'Abbas,
des Ie 1•' siecle de l'h6gire, cf. notre al-Masi/.1 fi !-Islam, Beyronth, 1961, pp. 222-227.
150 Le convervatisme de l'Eglise nestorienne recupere les elements th6ologiques des premieres elaborations chretiennes; citons-en des exemples: Ia mort consideree comme « sommeil
de l'ame », K. al-burhiin, fol. 38a/p. 81, vieille doctrine semitique presente chez Aphraate (ecrivant entre 335-345) et Baba! Ie Grand; de meme les analogies trinitaires: Ia « torche allumant
plusieurs feux », K. al-masa'il, fol. 84b-85a/p. 174, deja chez Justin, Tatien et le Concile de
Nicee; le solei! et son rayon, K. al-burhiin, fol. 18b/p. 49, chez Athenagore; on retrouve Ies
memes analogies chez Abi1 Ra'ita, Die Schr(ften ... , pp. 12-13, 16, et chez Ia plupart des apologetes.
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M. Hayek
[28]
la souplesse y fait parfois defaut, mais comparee a celle des theologiens musulmans venus longtemps apres lui, son expression est somme toute beaucoup moins
reche et plus transparente. On ne peut en outre oublier qu'a cette epoque l'arabe
commenc;ait a peine a balbutier les categories philosophiques.
Or, 'Ammar est l'un des premiers et des plus prestigieux temoins de cet essai
d'assouplissement. Dans son effort d'interpretation, il conduit la langue a la
limite a peine recevable des regles syntactiques; il abuse des pronoms, jongle
avec les conjonctions, multiplie en cascades les subordinations, accumule les incises, fait eclater la semantique verbale pour s'amenager des transitions grammaticalement inquietantes. On ne peut douter qu'il possede parfaitement son
instrument, et les nombreux solecismes que nous avons releves dans le texte,
notamment en ce qui touche aux desinences casuelles des accusatifs et des masculins pluriels, sont sans nul doute explicables par la seule inadvertance du copiste. C'est a ce dernier qu'il faut egalement imputer le caractere abscons de certains passages difficiles a interpreter, ou des particules, des mots, des tranches
de phrases, semblent etre tombes. Heureusement ces cas regrettables sont fort
rares.
'Ammar possede un vocabulaire extremement riche dont il ne se contente d'ailleurs point. Sous l'urgence de la pensee, il soumet la morphologie a un travail
de mai:eutique creatrice; le nombre de tennes qu'il adopte, so it par calque sur des
types syriaques, soit par derivation nouvelle d'un radical courant, soit par arabisation d'une forme arameenne, est considerable. Citons des exemples de substantifs et d'adjectifs en at, ut, an, ani, anfya: ainsi no us avons 'a:?amut « Majeste »,
par analogie avec malakut, « Royaume »; wa/:ldanf, « unitaire », dunyiinf, « inferieur~terrestre »; /:lakmiini, « sapientiel », 'aqlani, « rationnel »; gayriyya, « alterite »; ibniyya, « filialite », etc. II n'hesite pas a inventer des termes encore inconnus
pour formuler sa pensee; ainsi il parle de l'homme man(fq, «capable de logique »,
des etres alimin, « passibles », d'un ecrit muktarjab, «faux», « apocryphe », de
l'Evangile ma:fsur, « interprete », d'Isaac mubarham, « abrahamise ». II use souvent
d'un terme tres moderne, bunya, «structure». De Ia racine 'NS, il tire six derives
differents qui n'ont que des correspondants approximatifs en franc;ais, pour dire
« humanite », « hominite », « hominisation », « humanisation », « inhumanisation »,
le fait « d'etre humain »: insiyya, unusa, ansana, ta' annus, ta' ansun, niisutiyya.
Certains termes de ce lexique se retrouvent chez son contemporain Abu Ra'ita
avec lequel 'Ammar a le plus d'affinites de style et de pensee.
Ces hybridations linguistiques facilitees par les proximites des langues semitiques, par les necessites transculturelles, par les urgences apologetiques, par les
besoins des transpositions inter~religieuses, avaient commence avant 'Ammar
al-Ba~ri, avec le Coran et meme avant l'avenement de !'islam. Mais 'Ammar
semble etre l'un des premiers auteurs a avoir mis en application, dans une oeuvre
de synthese, et au service d'une pensee rationnelle et coherente, un tel ensemble
lexical. Pour determiner avec precision la part qui lui revient dans la forma-
[29]
'Ammar
at~ Ba~rt
97
tion des termes techniques que nous avons rassembles dans un lexique special,
il aurait fallu entreprendre un long travail de comparatisme qui aurait ete hors
propos dans cette presentation generale de l'homme et de !'oeuvre. Mais nous
croyons possible d'affinner, sans nous tromper, que 'Ammar a contribue plus
que quiconque a !'oeuvre de creation et d'assouplissement de la langue arabe, en
rendant celle-ci mieux apte, apres lui, a traduire la pensee philosophique et theologique du christianisme et de !'islam. Nous ne doutons pas que, lorsque l'histoire de la formation de cette pensee aura ete mieux ecrite plus tard, 'Ammar
al-Ba~ri ne soit range a Ia premiere place parmi les maitres et les initiateurs.
98
M. Hayek
[30]
II - ANALYSE DE L'OEUVRE
A - Le manuscrit
Les deux apologies que nous publions ici, les seuls textes qui nous soient
parvenus de 'Ammar al-Ba~ri, sont contenus dans un manuscrit arabe unique
conserve en assez bon etat par le British Museum sous le N. 801 (arabe). Je dois
a la bienveillance de Mile Benedicte Landron de m'en avoir fourni le microfilm.
L'ecriture orientale (Egypte) est du XIII 0 -XIV 0 siecle, ce que confirme le colophon
de la premiere apologie 151: « termine le 14 du mois de HatUr l'annee 1014 des
saints Martyrs, dans le convent (ou la maison) de... a IJawdariyya ( ?) » (nugiza
jf l-rabi'a 'asara min sahri Hatur sanata aljl" wa-arba'a 'asara li-1-suhada' alathar bi-dar al-lfawdariyya).
La date correspond a l'annee 1298 A.D. Nous n'avons pas su lire le nom du
Couvent ou de la Maison ou le copiste a tennine la transcription, ni celui de Ia
localite, I;Iawdariyya ou Gawdariyya, ou Ijawdariyya. Mais nous sommes en
Egypte, et le copiste est copte, qui utilise le calendrier des Martyrs, et le nom du
mois est copte; le manuscrit est foliote en chiffres coptes, que nous n'avons pas
suivis dans notre publication preferant la pagination europeenne, malgre ses
d.efauts, en vue de faciliter les recours eventuels au document de base.
Une main recente est intervenue a plusieurs endroits du texte: pour attribuer aux deux apologies un titre general commun: Livre de !a verification de
la foi (Kitab taf:zqfq at-amana) 152; pour confectionner d'une maniere incoherente
une demi-page en remplacement des pages manquant au debut du manuscrit
dont le titre a ete egalement rature; pour changer dans la deuxieme apologie Ia
numerotation de la quatrieme partie qui se trouve ainsi decoupee en plusieurs
traites: les 11 premieres Questions seront rattachees a la troisieme partie, les
Questions 12-15 fonneront un traite a part, et a partir de ce qui reste de la
Question 15, c'est un nouveau traite qui commencera 153; les Questions ont ete
re-numerotees selon cet ordre nouveau tout a fait aleatoire 154.
Grace a AbU !-Barakat ibn Kabar, et partiellement a AbU 1-Fa<;la'il ibn al'Assal, nous pouvons reconstituer les titres exacts et les divisions originelles des
deux apologies. La premiere s'intitule Livre de Ia Demonstration de l'ordre (ou:
selon l'ordre) de l'Economie divine (Kitab al-burhan 'ala siyaqat al-tadbir al-ilahi),
K. al-Burhfin, fol. 43a/p. 90.
Cf. le debut du manuscrit; au fol. 127a/p. 265, le colophon complete le faux-titre,
en y ajoutant le mot « orthodoxe »: Kitab tabqiq al-amana al-urtflduksiyya.
153 K. al-Masa'il, fol. 97b-98a/p. 203-204.
154 Autres interventions de Ia meme main sur le K. al-Masd'il, fol. 93b/p. 195; 94a/p. 196;
97b/p. 203, cf. n. 1; 98a/p. 204, cf. n. 1; 119a/p. 231, cf. n. 6; 127ajp. 265, cf. le double colophon.
[31]
'Ammar
al-Ba~rf
99
selon Abu 1-Baraldl.t 155. Elle occupe dans la pagination europeenne les folios
l-43ajp. 21-90 du manusc~it auquel manquent le ou les paragraphes de l'incipit
et sans doute pas plus d'une page du chapitre premier 156. Tous les chapitres
n'ont pas de titres; nous y avons supplee, pour les chapitres 1, 2, 3, 4 et 8, par
des titres mis entre crochets.
Voici alors le contenu:
1.
2.
3.
4.
-
5. -
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
-
[Preuves de !'Existence de Dieu].
[ Criteres de Ia vraie religion].
[Raisons de Ia crectibilite du christianisme].
[Authenticite des Ecritures].
De Ia Trinite.
De !'Union.
De !'Incarnation.
[De Ia Crucifixion].
Du Bapteme.
De l'Eucharistie.
De Ia Croix.
De Ia nourriture et de Ia boisson dans l'Au-dela.
Cette apologie est essentiellement une refutation des objections que l'islam
eleve contre le christianisme, et plus positivement une justification de la doctrine, de la morale et du culte chretiens.
La deuxieme apologie s'intitule le Livre des Questions et des Reponses (Kitab
al-masa'il wa-l-agwiba) et remplit les folios 44a-127a/p. 93-266. Elle se divise
en quatre parties dont la premiere compte 28 Questions et Reponses, la deuxieme
14, la troisieme 9 et la derniere 51. Cette partition est fournie par Abu !-Barakat 157, Le titre de la quatrieme partie qui manque dans notre manuscrit est
conserve par Ibn ai-'Assal dans le resume qu'il fait de cette apologie 158. Voici
les differents titres des parties appelees « traites » (maqala) ou « articles » (fann):
a)
b)
c)
d)
Preuves de l'eternite et de l'unicite du Createur, et de Ia creation du monde.
De l'authenticite des saints Evangiles.
Preuves de l'unicite de Dieu en trois Hypostases.
Des raisons de !'incarnation du Verbe et ce qui en suit.
Le titre de cette derniere partie, qui est done d'Ibn al 'Assai, ne repond
pas parfaitement au contenu de ce traite lequel, a partir de la Question 32, aborde
les objections relatives a la mort, la resurrection et !'ascension du Christ.
C'est egalement grace a Ibn al-'Assal, lui-meme lacuneux, que nous avons
151
152
155 Abf1 !-Barakat, Mi~·biib al-~u!ma, p. 298, et J. Assemani, BO, III, i, pp. 608-609; noter,
dans le titre, le terme siydqa au sens de « deroulement » progressif.
156 Fol. 7b-8a/p. 31.
157 Abf1 !-Barakat, loc. cit., et J. Assemani, toe. cit.
158 Ms. Charfeh 5/4, fol. 135 (foliotation copte).
-----------------
----------------.----------------------------------------------------------------------------------------~
M. Hayek
100
[32]
reconstitue partiellement la Question 9 de la troish)me partie manquant dans
notre manuscrit 159. Notons encore que, dans la quatrieme partie, les debuts
des Questions 1, 12 et 15 160, comme la fin de la Question 11161, manquent ou
sont incomplets.
II va sans dire que nous avons restitue au texte l'ordre numeral originel,
quelquefois decelable sous la nouvelle numerotation surimposee par un scribe
recent. Dans les notes, nous avons signale les moindres details relatifs a l'etat
du manuscrit et aux di.fferentes possibilites de lecture, en cas de doute. Nous
n'avons qu'en de tres rares cas renonce a dechi.ffrer le texte. Rappelons que nous
avons corrige les fautes grammaticales que nous supposons etre dues a !'inattention du copiste; ces corrections ont ete chaque fois signalees en note.
Disons enfin un mot du manuscrit arabe de Charfeh (Couvent Syrien-Catholique, au Liban) 5/4, qui contient un resume qu'al-$afi ibn al-'Assal a fait du
Kitab al-burhan 162 et du Kitiib al-masa'il wa-l-agwiba 163. Le mauvais etat de ce
manuscrit, les frequents ecarts qui y sont laisses en blanc, les nombreux elagages
operes sur !'original, le rendaient inutilisable sauf dans les cas precis que nous
avons signales pour la reconstitution de la Question 9 de la troisieme partie
et du titre general de la quatrieme partie.
[33]
2. -
'Ammar
al-Ba~rf
101
De fa vraie religion (fol. 3b-8a/p. 24-32).
Il doit en exister une destinee a tous par Dieu, car l'Un ne peut vouloir plusiems verites,
sinon il se contredirait lui-meme (wa-qad ra'aynii /-nasa fi dahri-nii mubtali/fna fi adyiini-him ...
wa-nal;mu na'lamu anna dina Alliihi min gamf'i-hii wiibid'"', id kana l-l;zaqqu wiil;zid"" Iii yanqu{lu
ba'{lu-hu ba'{i"") (fol. 5a-b/p. 26). Apres la preuve par Ia tradition, la preuve rationnelle s'itnpose:
Ia vraie religion universelle est celle qui satisfait !'intelligence en remplissant trois conditions:
a) annoncer la resurrection et Ia vie dans l'au-dela, car La Sagesse divine ne peut detruire son oeuvre sans jamais Ia restamer;
b) reveler l'ethique de !'amour mutuel dans ce monde, car il n'est pas possible que Dieu
livre les hommes a eux-memes, sans leur transmettre un commandement d'amour;
c) manifester enfin que, pour atteindre le bonheur, l'homme doit s'efforcer de l'acquerir
par des merites, puisqu'il n'y a pas de joie reelle qui ne soit obtenue par !'effort personnel. Or
les religions pretendent toutes remplir ces exigences. Conunent alors reconnaitre le vrai du faux,
sans Ia garantie du miracle; mais les miracles originaires ont ete interrompus a dessein par Dieu,
pour permettre a !'intelligence de discerner, parmi les religions existantes, celle qui a ete fondee
sur le signe divin. Or !'intelligence recommit, a part le miracle, cinq raisons qui expliquent la
diffusion des religions parmi les hommes: la contrainte par !'epee (al-sayf), Ia corruption et Ia
flatterie (at-rasa wa-1-mu~iina'a), la solidarite ethnique (al-'a~abiyya), Ia convenance (al-istil;zsiin),
la complicite (a1-tawiitu'). L'acceptation du Juda!sme, de !'Islam, du Zoroastrisme, du Manicheisme, etc., s'explique par l'une ou !'autre de ces raisons.
3. - De la credibilite du christianisme (fol. 8b-13b/p. 32-41).
B - Kitiib al-burhtin:
De !'existence de Dieu (fol. 1b-3b/p. 21-24).
1. -
Le debut manque d'un ou de deux feuillets oit l'on croit deviner que les preuves sont
tirees d'abord du temoignage de Ia creation: d'une maniere originate, 'Ammar affirme que Ia
fragilite de Ia vie menacee par les dangers et Ia mort elle-meme sont posees comme des signes
pour rappeler a l'homme qu'il a a aspirer a une autre existence qui serait soustraite a toutes
les menaces. Deux autres preuves sont tirees du consensus de Ia tradition philosophique (Ia Sagesse grecque) et religieuse (christianisme, juda!sme, islam, manicMisme, zoroastrisme, idolatric)
qui proclame, de differentes manieres, que Dieu existe et qu'il ne peut etre qu'un et eternel,
puisque logiquement l'un precede tout ce qui suit, ct l'eternel est le prealable du tempore! (fa1-wiil;zidu qabla 1-itnaynl yumkinu, wa-1-zamanf qabla l-azalf Iii yumkinu an yakana, fa-qad
wa{lal;za anna 1-azaliyya yagibu an yakana wiil;zid"" wa-1-asyii'a kulla-hii min ba'di-hi) (fol. 3a-b/
p. 24).
Celui-ci ne peut avoir ete implante grace a la complicite (al-tawiitu') des Messagers qui
auraient, comme c'est le cas des autres religions, impose leur foi par Ia violence, la flatterie,
etc. 11 n'est justiciable d'aucune des six autres raisons qui entrainent un groupe humain determine a adherer a telle ou telle religion. 'Ammar mentionne ces six raisons qui reprennent partiellement les precedentes: Ia violence (a1-sayf), l'attirance des richesses et du pouvoir (al-ragii'ib
min al-amwii1 wa-1-ri'iisa wa-1-'izz), le fanatisme nationaliste (a1-'a~ablyya), Ia convenance doctrinale (al-istil;zsiin), les licences morales (al-tarbf~ /f 1-sarii'i'), les illusions et les seductions de
Ia magie (bayii1iit al-sil;zr wa-subuhiitu-hu). Aucune de ces raisons de credibilite ne peut expliquer
!'adhesion que le christianisme a obtenue aupres de peuples divers, opposes entre eux et peu
disposes d' instinct a accueillir un message aussi peu commode moralement et dont tant de
raisons dogmatiques manifestent l' « inconvenance »: croire en un Dieu a la fois un et trine, a
une maternite virginale, a Ia mort et a Ia sepultme du Fils de Dieu, adherer a une religion qui
impose !'abnegation, l'austerite, Ia pauvrete, ne peut s'expliquer que par une force superieure.
A Ia base il y a done le miracle seul: !'intelligence est obligee de reconnaitre que c'est la !'unique
et supreme raison de !'acceptation et de la diffusion du christianisme.
4. - De l'authenticite des Ecritures (fol. 13b-16b/p. 41-46).
Fol. 85b/p. 176-177.
160 Pour Ia Question 1, fol. 86a/p. 178; pour Ia Question 12, fol. 94a/p. 196; pour Ia Question 15, fol. 97b-98afp. 203-204.
161 Fol. 93b/p. 195.
162 Ms. Charfeh 5/4, fol. 97a-134b.
163 Ibidem, fol. 135a-181b; Ibn al-'Assal declare en note avoir termine son resume au
Caire le 13 juin 1241 (638 de l'hegire).
159
Leur transmission en differentes langues, leur diffusion parmi des peuples divers, a travers
de longues periodes, leur acceptation par les differentes confessions chretiennes qui pourtant se
disputent entre elles sur !'interpretation des textes, sans contester les textes eux-memes (fabtiliifu-hii /f 1-ta'wfl ya{lil;zu mubi/la mil (u)ddu'lya 'a1ay-hii min ittifaqi-hii jf tal;zrif al--tanz£1)
(fol. 14a/p. 42), rendent inimaginable toute possibilite de falsification. Et d'ailleurs quel interet
y avait-il a le faire? Et par que! consensus y aurait-on reussi? Oit et quand? « Et comment le
sais-tu, toi? » (wa-kayfa 'alimta anta galika?) (fol. 15a/p. 43). De tres belles pages qu'on ne
retrouvera plus par Ia suite dans la litteratme apologetique.
I
102
M. Hayek
[34]
5. - De !a Trinite (fol. 16b-23ajp. 46-56).
Loin de nous de professer un quelconque tritheisme; en proclamant le Pere, le Fils et I' Esprit Saint, nons n'entendons affirmer rien cl'autre que ceci: Dieu est vivant et parlant (fa nurtdu
bi-qawli-na al-ab wa-l-ibn wa-l-rCtb aktara min fa$bfb al-qawl hi-anna Allah bayy"" na{iq"")
(fol. 18a/p. 48). La Vie du Pere, c'est son Esprit, et son Verbe est Ie Fils. Or, en Dieu, Ia
Vie et Ia Parole ne sont pas des realites accidentelles, mais « essentielles et eternelles » (datiyya
azaliyya). L'argumentation et la tournure de style qu'elle prencl sont celles-la meme de Jean
Damascene, d' Abu Qurra et AbO. Ra'ita. De meme les analogies trinitaires proposees: l'ame, sa
vie et sa parole; le feu, sa chaleur et sa lumiere; le solei!, sa lumiere et sa chaleur. Parole et
Vie sont elites «Concepts» (ma'an 1") ou «Hypostases» (aqanfm), lesquels se clefinissent comme
substances particulieres subsistant par elles-memes; le Qunum est l'une des quatre categories
d'etres possibles definies par Aristote, a cote de Ia «substance» (!fawhar), «puissance» (quwwa),
«accident» ('arar.j). Seules Ia Vie et la Parole appartiennent au «Principe de !'essence et a Ia
structure de Ia substance» (wagadna l-bayata wa-1-nu{qa min susi l-diiti wa-min bunyati lgawhari) (fol. 20bjp. 52); to us les autres attributs divins, comme la science, la justice, Ia misericorde, Ia volonte, la puissance sont so it des «energies» (afa'fl) reductibles aux deux premieres,
soit des facultes clependantes des sens et des membres (gawari(t). La substance divine implique
done !'existence des deux concepts de Vie et de Parole. La reduire a l'unicite, ce serait l'appauvrir, en la ramenant au niveau de la «puissance» ou de I'« accident», lesquels ne peuvent subsister par eux-memes. L'unicite mm1erique est clone une imperfection, tandis que la Trinite
est Ia plenitude clu nombre.
6. -
De mode de !'union (fol. 23a-27ajp. 56-62).
Les contradicteurs denoncent le titre de «Fils» que Ia clu·istianisme attribue au Verbe,
car ils n'imaginent pas une filiation sans relation charnelle, laquelle sous-entencl un orclre chro·
nologique par rapport a Ia paternite et suppose Ia production cl'un corps physique. En realite,
paternite et filiation en Dieu ne sont pas des actes divins mais appartiennent a !'essence divine;
elles sont co---eternelles, done hors de la succession et du changement; elles ne produisent pas
des corps materiels, etant des perfections substantielles. Pourquoi consiclerer comme des imperfections en Dieu Ie double attribut de Paternite et de Filiation qui sont les fonclements de Ia
dignite specifiques et exclusifs de l'homme, alors que par ailleurs les contraclicteurs pretent
a Dieu des attributs anthropomorphiques imparfaits, tels Ia misericorde, la colere, la bienveillance, qui supposent des sentiments versatiles, des dispositions changeantes et capricieuses.
7. -
De !'etablissement de !'Incarnation (fol. 27a-37ajp. 56-79).
C'est Ie chapitre Ie plus pathetique et le plus impressionnant de toute l'oeuvre, taut clu
point de vue clu fond que de Ia forme. Il propose toute une theologie de l'Histoire. Ayant cree
par grace, Dieu se clevait d'achever progressivement par une grace plus eminente ce qu'il avait
inaugure. L'incarnation sera 1'« apocalypse» (tagall 1"), Ia manifestation ultime d'un dessein divin
initial. 'Ammar y propose egalement toute une antllt'opologie, de facture patristique, qui prescnte
l'homme comme un microcosme participant a Ia fois des elements clu cosmos cl'ou son corps
est tire et des realites spiritueiJes par son ame. A Ia lumiere de ce double eclairage, !'incarnation
est entrevue et justifiee de quatre manieres, ou par quatre «causes» (asbab):
1) parce que nos connaissances n'atteignent Ia certitude qu'a partir du sensible, Dieu
s'est fait connaltre a travers les clifferentes theophanies, comme le Buisson ardent, Ia Nuee,
[35]
'Ammar a!-Ba.yrf
103
l'Arche, le Temple: or comme l'homme est Ia plus noble des creatlU'es et Ia plus ressemblante
a son Createur, il etait plus apte a etre le lieu de Ia theophanie;
2) parce que les homn1es ne trouvent lem bonheur qu'en percevant !'objet de leur desir,
Dieu a voulu combler leurs aspirations en se manifestant a eux dans un corps sensible adapte
a leur condition; i1 ne pouvait decevoir leur attente, mais, dans sa generosite, i1 se devait d'y
correspondre de Ia meilleure maniere;
3) pour satisfaire aux exigences de Ia justice, il fallait que non seulement Ia sentence
filt audible, mais que le Juge Iui-meme flit visible; or comme !'Essence divine est par definition
inaccessible, il fallait qu'un «voile» ((ligab) Ia revelat et Ia cachat a Ia fois; Ie corps de l'homme
est le plus apte a devenir cette enveloppe cliaphane et isolante de Ia clivinite;
4) pour conferer a l'homme, deja souverain de ce monde, Ia souverainete dans !'autre
moncle, Dieu clevait honorer toute Ia substance humaine, en s'y incarnant et en l'emportant
clans Ia gloire; chaque homme clesormais se trouve promu a cette dignite et a ce destin de !'Homme ressuscite et glorieux; I'humanite tout entiere est presentee comme un corps anime par Ie
Verbe clivin dont elle partage les attributs et les noms.
L'incarnation revele Ia plenitude clu dessein de Dieu et !'eminence du destin de l'homme.
Desormais la quete de l'homme, ses inquietudes et ses incertitudes s'apaisent et se resolvent en
rejoignant leur signification. 'Ammar ai-Ba~rl corrobore son argumentation par trois citations
de l'Ecritme qu'il aurait multipliees, n'eO.t ete Ia suspicion elevee par le contraclicteur contre
l'authenticite des textes scripturaires.
8. -
De Ia Cruc(fixion (fol. 37a-38ajp. 79-81).
Comment pourriez-vous vous scandaliser du fait de Ia Crucifixion en nous accusant d'avoir
introduit Ia faiblesse en Dieu, alors que vous ne croyez pas a Ia divinite du Clu·ist? Et queUe
honte y a-t-il a Dieu cl'avoir permis Ia crucifixion de Jesus, alors que vous admettez la decapitation de Jean-Baptiste? En realite, Ia mort du Christ et sa resurrection sont des assurances,
donnees aux hommes, qu'ils echapperont desormais a Ia fatalite et qu'ils ressusciteront, a I'exemple de l'un cl'entre eux qui est mort et ressuscite; ainsi grace it lui, le « complexe issu de Ia
hantise de la mort est denoue » (wa--yu[wllu 'an-hum 'uqdatu 1-hammi bi-1-mawti) (fol. 37b/
p. 80), Ia mort n'etant plus qu'un « sommeil provisoire entre ce monde et !'autre». Done le
salut de l'un, le Christ, est esperance de salut pour tous.
9. -
Du Bapteme (fol. 38a-39bjp. 81-84).
'Ammar s'etonne que Ie contradicteur musulman se moque de l'effet purificateur de l'eau
baptismale, alors qu'il se croit Iui-meme purifie par les ablutions rituelles. En realite, Ie bapteme
est ]'image symbolique de Ia resurrection; car si Ie Christ choisit I'eau pour symboliser son ensevelissement dans la terre et sa resurgence, c'est parce que l'eau est !'element clu moncle Je plus
signifiant: plus proche de ]'air que Ia ·terre et Je feu, l'eau est en outre !'element originaire, puisque nons avons ete formes d'eau et de terre. Nons portons clone en nos corps !'image de Ia mort
et de Ia resurrection du Christ; et, Iorsque ce vase a ete corrompu par le peche, c'est par l'eau
nouvelle clu Bapteme que Ie Potier divin a restaure notre image. 'Ammar propose un symbolisme
original de Ia double naissance physique corresponclant a Ia double naissance spirituelle: ne
inchoativement de Ia semence paternelle, l'etre humain est engenclre en un corps parfait des
entrailles de sa mere; la premiere naissance symbolise le bapteme, Ia deuxieme naissance symbolise notre resurgence de Ia terre, notre resurrection selon Ia perfection de Ia forme spiritueiJe:
« Le bapteme nous met done en possession du symbole de Ia vie et de la cessation de Ia mort »
(fa-ka'anna idii ta'ammadna bi-1-ma'i fa-qad taqalladna matala l-bayati wa-nqirjd'i l-mawti)
(fol. 39a/p. 83) que « l'un de nous a veritablement abolie)) (wa-ab{ala-hu bi-1-baqfqati wabid""
min-lui) (fol. 39b/p. 84).
8
M. Hayek
104
10. -
[36]
De l'Eucharistie (fol. 39b-41 b/p. 84-87).
II arrive au Christ de se designer par d'autres noms que le sien; ainsi quand il s'identifie
aux pauvres lors du Jugement, ou quand il appelle pain et vin son corps et son sang. Comme
le bapteme, !'Eucharistic actualise le mystere de sa mort et de sa resurrection, en meme temps
qu'elle manifeste notre destin auquel le Christ s'est lie et dont il a adopte le statut afin de nons
faire acceder au sien. Avant de quitter Je monde, il a voulu materialiser pour Jes siens, par un
signe sensible, Je souvenir de sa mort et de sa resurrection, afin que, en le detenant dans Ia
main, ils detiennent le gage concret de Ia vie eternelle et que Je Memorial de Ia resurrection les
libere du souvenir desolant de Ia mort. Lui qui ne devait pas mourir, parce que, sans peche,
il a vaincu Ia mort, preuve qu'il a aboli le peche. Sa resurrection est deja Ia resurrection de tous
ceux a qui il est consubstantiel en humanite, des lors que « toute leur substance est assumee
en son corps». Ce corps se substitue aux sacrifices purificateurs de !'Ancien Testament qui Je
prefiguraient.
11. -
Du culte de Ia Croix (fol. 41 b-42a/p. 87-88).
Aux musulmans qui reprochent aux chretiens d'embrasser Ia croix, 'Ammar repond en leur
rappelant qu'ils embrassent etJx-memes une pierre, Ia Pierre Noire, que les palens veneraient
autrefois; il ajoute que le bois en taut que tel est plus noble parce qu'il est «en etat de plus
grande proximite du fruit que Ia pierre» (fa-inna l-basaba 'alii bali l-qurbi ild l-tamarati min
al-(1igdrati) (fol. 41b/p. 87). Et du reste c'est un signe, comme celui de baiser le vetement ou les
chaussures du souverain pour lui temoigner sa veneration. Comment d'ailleurs admettre Je geste
de veneration rendu a Ia Pierre du Temple mekkois, en souvenir d'Abraham, et refuser que les
chretiens venerent Ia Croix sur laquelle l'humanite du Christ, «voile du Createur », a ete suspendue? En fait, ce n'est pas au bois comme tel que le culte est rendu, mais a celui dont il est
le « symbole » ou le «fanion» (fa-nurtdu bi-1-tamassu/:li bi-1-si'dri llarft ~uliba l-basaru !lag£
huwa (!igdbu {ldliqi-nd 'alay-hi, ta'ffma biiliqi-nd) (fol. 4lb/p. 87). A !'inverse, vous avouez vousmemes que Dieu a interdit le culte des pierres et vous a commande de combattre Jes palens
qui le pratiquent.
12. -
Des joies du Paradis (fol. 42a-43a/p. 88-90).
Les musulmans reprochent aux chretiens d'avoir elimine de l'au-dela les plaisirs de Ia
boisson, de Ia nourriture et de Ia chair, estimant que cette privation sera un manque au bonheur des Elus. Mais alors dirions-nous que Ia beatitude des Anges et des Archanges est amoindrie parce que ces etres spirituels ne connaissent pas de telles joies. Celles-ci, qui nous sont communes avec les animaux, sont des necessites dont notre nature fragile et imparfaite a besoin
provisoirement pour subsister en ce monde perissable. Cette inconsistance meme de notre nature
est deja le signe qui oriente !'esprit vers un autre monde ou nous serons liberes de ces contingences et de ces imperfections.
C - Kitab al-masa'il wa-1-agwiba
a) Premiere Partie: Demonstration de l' eternite et de l'unicite du Createur, et de
Ia creation du monde: en 28 questions (ff tatbfti qidami l-baliqi wa-wabdaniyyati-
[37]
'Ammar
al-Ba~rf
105
hi wa-itbdti buduti 1-'alami wa-jf-hi tamaniyat"" wa-'isruna mas'alata") (fol.
44a-62a/pp. 93-127).
Introduction (fol. 44b-45a/p. 93-95).
Le livre est dedie au Prince des _croyants dont !'auteur vante Ia haute intelligence et le
souci des choses religieuses. Le dessein de l'ouvrage est d'engager une conference contradictoire
avec les incroyants en vue de refuter leurs objections et d'etablir rationnellement l'unicite de
Dieu, son eternite et Ia creation du monde. La methode que !'auteur va suivre est classique:
vingt-huit objections seront posees sous forme de questions auxquelles reponses seroi1t donnees.
1. -
Quelle preuve a-t-on de l'existence d'un createur et que le monde est cree
par lui? (fol. 45a-46a/p. 95-97).
L'.hannonie entre Jes elements opposes qui composent le monde prouve !'existence d'une
puissance superieure qui contraint a tout instant cet ensemble contradictoire a l'ordre et a l'equilibre. Les memes contradictions et Ia meme harmonic sont saisissables au niveau de Ia structure physique de l'etre humain. La preuve de !'existence d'un createur est notre existence.
2. -
Qui prouve que ces elements ant ere crees? (fot. 46b-4Sa/p. 97-100).
Leur aptitude a entrer en composition, a subir les accidents, a se plier aux changements,
prouve leur contingence. Seul l'Eternel demeure hors du cycle des variations. Par ailleurs il est
impossible et contradictoire d'imaginer que ces elements ont ete tires d'une matiere divine,.une
(( hyle )) (hiyfild) elle-meme eternelle, puisque si celle-ci etait eternelle, elle serait soustraite a
toute modification et rien n'en saurait etre tire.
3. -
Pourquoi ce Createur serait-il un plut6t que multiple, puisque !a dualite
partage le monde, ainsi !a vie et !a mort, le bien et le mal, !a lumiere et les
tenebres? (fol. 48a-:-59a/p. I 00-1 02).
La coordination, Ia collaboration, l'harmonie, l'equilibre des· elements et des conditions
divergentes de ]'existence, prouvent que Je Recteur de tout est unique, puissant et sage, puisqu'il
a tout organise selon un dessein de complementarite et d'ordre.
4. -
Pourquoi le monde ne serait-il pas fait plut6t par deux createurs s'etant
accordes a le regir selan une economie unique? (fol. 49a-49b/p. 102-103).
C'est impossible, car cette hypothese implique une impuissance et une ignorance de Ia
part de l'un et !'autre pretendus createurs.
5. ·-'-- Pourquoi les deux n'auraient-ils pas pu collaborer? (fol. 49b-50a/p. 103).
Une telle entraide devrait se situer soit au niveau de Ia decision, et c'est un signe cl'impuissance, soit au niveau de !'execution, et c'est Je propre des corps composes, done crees.
6. -
Et l'entraide au niveau de Ia volonte? (fol. 50a/p. 103-104).
Elle prouverait alors !'impuissance et !'ignorance des deux collaborateurs a Ia fois.
F
1
106
M. Hayek
7. -
[38]
Quelle raison l' Unique avait-il de creer? Si c'est par necessite, comment
pouvait-il creer de rien, alors qu'il etait incapable de se soustraire a Ia
necessite? Si c' est par caprice ('abar" wa-wulii'""), comment explique r
a/OI'S Ia sagesse et !' harmonie qui president a l'economie universelie? (fol.
49b-50ajp. 104).
Ni par necessite, ni par caprice, mais par bonte et grace.
'Ammar al- Ba~ri
[39]
13. -
107
Pourquoi n'admet-il pas d'emblee au bonheur promis les meritants d'entre
eux, sans les faire passer par la mort? Et pow·quoi cette longue attente
apres Ia mort? (fol. 53b-54ajp. 110-111).
Par equite envers eux tous, afin qu'aucun des elus et des reprouves ne soit traite separement des autres.
14. -
Pow·quoi ne les maintient-il pas taus en vie jusqu'au moment ou il aurait
les juger equitablement? (fol. 54ajp. 111).
a
8. -
Par bonte envers qui, puisque rien n'existait encore? (fol. 50b-51ajp. 104105).
Envers J'homme pour qui il a apprete l'univers, tout comme lc bien-aime prepare un foyer
pour celui qu'il aime, avant que celui-ci n'y arrive.
9. ·- Mais quelle bonte, puisque, n'etant pas encore, nous n'aurions pas pu regretter de ne point etre? (fol. 51ajp. 105-106).
Faut-il done, maintenant que tu es, revenir au non-etre? Si oui, tu contredirais ta conscience profonde et ton vouloir vivre; si non, tu dois done reconnaissance et louanges a celui qui
t'a fait et te maintient dans l'etre.
Pour soulager les premiers justes de leurs efforts, lcsquels auraient ete trop longs et trop
durs.
15. -
II aurait pu les dispenser de ces efforts, en les maintenant en vie jusqu' a
Ia fin sans les astreindre it la pratique religieuse (fol. 54ajp. 111-112).
Une telle dispense am·ait ete un mauvais exemple pour les autres et aurait fini par effacer
de leur propre coeur la connaissance du createur.
16. -
Pourquoi alors ne les a-t-il pas crees en meme temps, pour les juger tous
ensemble de meme, sans leur infliger la mort? (fol. 54b-56ajp. 112-115).
Si cela avait ete juge preferable, il n'aurait pas manque de le faire. Et d'ailleurs Ia question pouvant porter sur dix, vingt, cent mille ans et ainsi de suite, cela reviendrait a dire pourquoi
Ia creation n'est pas eternelle, ce qui est contradictoire.
Pour deux raisons: d'abord par pi tie pour les justes, car Ia faiblesse de Ia nature humaine,
Jes mauvais exemples des impies, !'absence de chiHiments exemplaires, les auraient entraines
dans l'impiete; ensuite, par bonte envers tous, Dieu a etabli la loi de Ia succession genealogique,
comme source naturelle de l'amour, du pardon, de Ia compassion, des uns envers Jes autres.
'Ammar ecrit un beau texte sur Je sens theologique de Ia procreation et de la parente (innama
igtabafu li-ma ista/:zaqqu, wa-sta/:zaqqu bi-ma iktasaba, wa-ktasaba bi-lladf ta'atafu, wa-ta'atafu
bfna ta/:zdbba, wa-ta/:zabba li-ma tawa$alu, wa-tawa11alz? id tanasaba, wa-taniisaba /:zfna tanfisata,
fa-kanat garirata hagihi 1-fa#'ili ifami'"" tanfisulu-hum ... ) (fol. 56a/p. 115).
11. -
17. -
10. -· Si Ia creation est un acte de bonte, pourquoi le Createur ne !'a-t-il pas
e.ffectuee dix mille ans plus tot? (fol. 51ajp. 106-107).
Puisqu'il est puissant, sage et genereux, pourquoi n'a-t-il pas cree les hommes parfaits, impassibles et immortels? (fol. 52ajp. 104-108).
Certes il aurait pu le faire; s'il ne I'a pas fait, c'est Ia preuve qu'il les destinait a une condition de vie superieure a laquelle ils n'auraient pu acceder s'ils s'etaient trouves d'emblee tels
qu'on le dit.
12. -- Pourquoi ne les a-t-il pas poses directement dans cette ultime condition
qu'il leur preparait? (fol. 52b-53bjp. 108-110).
Pour trois raisons: d'abord, pour qu'ils puissent mesurer Ia difference de degres entre les
deux situations; ensuite, pour qu'ils acquierent des ici--bas le merite personnel sans lequel ils
ne sauraient gouter au veritable bonheur; et enfin, par delicatesse envers eux, afin qu'ils s'efforcent eux-memes de transformer leur propre condition, en etant les artisans de leur propre
bonheur.
S'il fait mourir les justes pour les rapprocher de leur bonheur, pourquoi
inflige-t-il la mort aux impies? Il aurait pu l' ecarter d' eux pour les eloigner
du tourment it venir (fol. 56ab/p. 115-116).
Sa justice l'empeche de ne pas tenir la balance egale entre tous; en outre, Ia survie des
mechants serait une calamite pour eux-memes et pour les justes.
18. -
Pourquoi, etant misericordieux envers taus, ne fait-if pas mourir des l'enfance celui-la seul dont il sait qu'il sera mechant? A insi nul ne serait voue
au chrJtiment (fol. 56b-57ajp. 116-117).
Les croyants et Jes justes ne sont pas tous nes de parents croyants et justes, bien au contraire; ainsi comme le bon peut sortir du mauvais, interrompre Ia vie des mechants - qui pourraient du reste se convertir, etant doues de liberte et d'intelligence - ce serait priver les bons
de Ia possibilite d'etre.
108
19. -
M. Hayek
[40]
Pourquoi ne fait-if pas mourir dans l'enfance celui-la seul dont if sait qu'il
sera mechant et sterile? (fol. 57abjp. 117-118).
Par justice, car il aurait fallu alors etendre le meme decret a ceux qui sont mauvais sans
etre steriles, et done intetrdri1pre toute generation chez les mechants, ce qui revient it !a question
precectente.
20. "--- Pourquoi alorsfait-il mourir certains enfants? Farce qu'il sait qu'ils seront
mechants? Dans ce cas, il devrait irifliger le meme sort a toute cette categoried' enfants.. Ou parce qu'il sait qu'ils seront bons? Dans ce cas, pourquoi
leur en/eve-t-il leur chance de le devenir? (fol. 57b-59ajp. 118-120).
II est vrai qu'il a decrete Ia loi de !a mort pour to us; mais il n'est pas directement !a cause
de toutes les morts. II a donne aux hommes !a liberte de choisir ce qui favorise !a sante de l'iitne
et du corps, et ce sont ces choix paternels qui entrainent des .consequences sur les enfants des
leur conception: Ia mauvaise alimentation, les exces, les infirmites sont autant de causes de ;11ort
pour les enfants; que Dieu le pennette, c'est certain, mais dans un dessein de bonte inconnu de
nous; en effet, que nous ignorions le comment de !a creation n'empeche pas de savoir qu'elle
a ete faite et qu'elle est regie par bonte.
21. -
Mais qui a cree ces infirmites et ces accidents, et qui les inflige aux enfants,
sinon Lui? (fol. 59abjp. 120-121).
Non. Ce que Dieu a cree c'est cette «forme substantielle » (ifabla jfawhariyya) donee d'une
structure susceptible de transformations ct de changements, selon que ]'intelligence s'exerce dans
le sens \fes exces ou des defauts, ou correctement. Or Dieu a accorde cette intelligence it l'homme
pour.~u'il sache discerner ce qui est bon; c'est l'abus de Ia nourriture et de Ia boisson, donnees
par D1eu comme des bienfaits, qui est Ia principale cause du malheur que l'homme s'inflige it
Iui-meme.
22. -
Pourquoi n'a-t-il pas cree les bons settlement, puisqu'il savait que !a creation
. des autres .s~rait. pour leur malheur?. (fol. 59b--:60ajp .. 121-122).
La question serait recevablc, si chaque etre etait cree separement. En realite Dieu, en
etablissant « l'economie progressive» (minhdif nu.ffi') de Ia generation, avait tout prevu pour le
salut de to us: Ia Iiberte de choix, les moyens, les facilites, Ia Jonganimite divine. «II n'est point
de bienfait qu'il ne leur ait accorde » (fa-md lladf baqiya min al-ibsdni illd wa-qad fa'ala-hu bihim) (fol. 60a/p. 122). S'ils choisissent malgre tout leur ·malheur, Dieu n'en est point res 1)oii~
sable.
23. - S'il ne convient pas qu'il accorde aux mechants Ia recompense promise aux
seuls justes, quelle satisfaction a-t-il a les tourmenter? Ne sied-il pas davantage a sa ctemence de leur pardonner? (fol. 60abjp. 122-123).
Meme s'il concedait aux mechants son pardon, il n'empecherait point ces derniers de
s'affiiger pour avoir manque Ia recompense de leur Seigneur et it !a vue de leur honte decouverte
it leurs yeux. Dieu ne trouve aucune satisfaction a leur tourment.
'Ammar
[41]
24. -
al-Ba~rf
Que perd-il a leur consentir son pardon et une condition egale
justes? (fol. 60bjp. 123).
109
a celle
des
Sans doute rien, si sa justice pouvait s'en accommoder. Or, en supposant meme ce pardon
accorde, l'equite exigerait une te!le difference de bonheur entre Ies uns et les autres, que les
mechants ainsi pardonnes seraient si affiiges de ce qui leur manquerait qu'ils en seraient encore
malheureux.
.
.
25. -
Qu'importe si leur bonheur est moindre! Il St!ffirait qu'ils soient accueil/is
dans le meme monde superieur et pm:fait (fol. 60b-61ajp. 124).
Certes, mais !a perfection et !a perennite des situations seraient cause de joie pour les uns
et de tourment pour les autres, puisque !a diversite des demeures, des degres et des conditions
dans !'autre monde, superieur, etablit une separation radicale entre le bas et le haut.
26. -
Pourquoi ne !es avoir pas crees capables de bien settlement, puisqu'il a conditionne le bonheur au me rite personnel? (fol. 61 abjp. 124-126).
La question est absurde, car on n'est bon ou mauvais, meritant recompense ou chatiment,
que si !'on jouit du triple pouvoir: reflechir, choisir et agir (al-istita'a wa-l-'aql wa-l-ibtiydr);
le loup et l'agneau agissant selon !'instinct de Ia cruaute ou de Ia douceur ne sont pas justiciables. II en aurait ete de meme si les hommes avaient ete determines au bien seul.
27. -
Que serf aux homrnes ce triple pouvoir, quand leurs choix son! si d{[ferents?
(fol. 61 b-62ajp. 126).
Dieu a fait pour eux ce qui convient le mieux it sa sagesse et sa bonte, en imprimant dans
leur nature Ia connaissance du bien, Je pouvoir de le choisir et d'agir scion !a vertu. lis n'auront
pas d'excuse it contredire leur nature, it transgresser Ia verite et le bien.
28.
~
Mais puisqu'ils s'egarent ainsi, que! reproche leur Create~tr peut-il leur
adresser? (fol. 62ajp. 126-127) .
C'est bien lui qui peut Ie fa ire; puisqu'il leur avait prouve clairement, par to us les dons
dispenses d'avance it leur endroit, qu'ils avaient it faire de meme. Les ayant crees par pure
bonte, puis ayant assure leur subsistance par ses bienfaits, ii pouvait exiger d'eux qu'ils pratiquent envers les autres Ia justice, le pardon, Ia bonte dont ils etaient heureux de beneficier de Ia
part de leur Createur.
b) Deuxieme Partie: De 1' authenticite des textes evangeliques: en 14 questions
(ff tatbit al-Jngfli 1-muqaddasi, wa-huwa arba'ata 'asara mas'alat"") (fol. 62b71ajpp. 128-148).
1. -
Ayant con state l' egarement des hommes, pourquoi ce Createur, dit genereux, ne les a-t-il pas mis en garde? (fol. 72bjp. 128).
110
M. Hayek
[42]
Le Message-Testament ('Ahd) qu'il a transmis a leur posterite, dans differentes langues,
contient tous les avertissements et les « signes » (iiydt).
2. - Pourquoi n'a-t-il pas continue a leur adresser des messagers et des signesmiracles? (fol. 62b-63afp. 128-129).
Pour ne pas les contraindre; les premiers croyants ont vu les signes qui confirment Ia
veracite du message; s'il a, par Ia suite, suspendu les signes, apres avoir facilite les moyens de
conna!tre le message et d'en vivre, c'est pour permettre aux generations ulterieures d'acquerir
1e merite, de rechercher le vrai message et de le mettre en pratique.
3. -
[43]
a
Comment peut-il reprocher
ceux qui n'ont pas vu les signes prodigieux
des Ap6tres de n.e pas reconnaftre Ia verite de I'Evangile? (fol. 63abjp.
129-130).
Ils sont dans Ia meme obligation que ceux qui ont vu les signes apostoliques, pour plusieurs raisons dont la principale est Ia specificite unique de ce message qui enseigne Jes deux
lois dont tout le reste depend: pardonner a l'ennemi et ne pas faire aux autres ce qu'on n'aime
pas que les autres vous fassent.
7. -
Qui nous assure que les Ap6tres n'ont pas eux-memes manipule et embelli
ce Livre pour attirer les hommes a eux? (fol. 63b-65bjp. 125-130).
L'authenticite du texte ne fait pas de doute pour quatre raisons:
a) Ia specificite qui n'appartient qu'a l'Evangile;
b) sa diffusion dans differentes langues, ce qui permet a chacun de l'accueillir dans son
pro pre dialecte;
c) Ia realisation des oracles qu'il contient relativement a !'expansion du christianisme,
lequel y etait d'avance compare a un grain de seneve, un banquet, un filet, un ferment;
d) la vraie et parfaite signification qu'il revele des noms et attributs multiples et epars
donnes a Dieu par le passe, comme Ies attributs de force, de justice, de science etc.; or l'Evangile revele que to us ces titres sont reductibles aux deux attributs essentiels: Ia Vie et Ia Parole.
C'est ce que des peuples eloignes, differents, tenant des opinions divergentes, ont unanimement
reconnu.
II n'est point de religion faite par les hommes qui n'ait ete regue pour l'une ou !'autre des
six raisons suivantes:
Peut-etre a-t-il ete accueilli avec faveur pour les licences qu'il accorde?
(fol. 67b-68ajp. 139-140).
Certainement pas, puisque l'Evangile va a l'encontre des passions les plus communes: il
interdit Ia polygamic, Ie divorce, exhorte a Ia pauvrete, a l'humilite, au pardon des offenses, etc.;
ii va meme jusqu'a menacer celui qui insulte son frere ou qui jette un regard de convoitise sur
une femme, du tourment de l'enfer.
9. -
La contrainte a pu imposer aux peuples ce message (fol. 68ajp. 140).
Mais non, car les Apotres ont ete envoyes comme des agneaux au milieu des loups, avec
\'interdiction expresse de porter baton ou fouet a Ia main pour Ia route; eux-memes avouent
avoir re<;u cet ordre de leur Maitre; comment auraient-ils fait cet aveu, s'ils avaient agi contre
l'ordre re<;u?
10. Comment saura-t-on que ce consensus depend des signes et des preuves
pluto! que des manoeuvres e.ffectuees par des hommes, les Ap6tres, puisque
nombreux sont les peuples qui ant, chacun pour sa religion et son Livre,
les memes pretentions? (fol. 65b-66bjp. 135-138).
II est possible que ces peuples aient ete attires par ce qu'il y a de seduisant
dans ce message, comme taus ceux qu'ont attires Mahomet, Zoroastre,
Mani, etc. (fol. 66b-67bjp. 138-139).
Qu'y a-t-il d'attirant pour !'esprit et le coeur dans une religion qui proclame qu'une vierge
a enfante virginalement, que cet enfant est fils de Dieu, qu'il fut mis a mort, qu'il est ressuscite
en Seigneur des Anges et des hommes, qu'il reviendra ressusciter les morts et Ies juger? Une
religion qui exige Ia foi en un Dieu trinitaire et le rejet des joies du monde, et qui ne promet
dans I'au-dela qu'un bonheur tout angelique. Ces dix articles du credo du christianisme sont
non moins qu'attirants.
8. -
6. -
111
Que! est ce message et comment le reconnaftre? (fol. 63ajp. 129).
C'est celui-la meme qui correspond le mieux a Ia justice et a Ia bonte de Dieu; c'est !'Evan-
5.
al-Ba 1~rt
1) l'attirance formelle (al-isti/:tsiin): tel est le cas des religions des anciens Hellenes, de
Zoroastre, de Mani, de Baredessane, de Marcion, de Mahomet (?), des Dualistes, des Materialistes (Ailf al-dahr);
2) Ia «Licence» (al-tarbi~) en matiere morale et legislative, comme chez telle communaute (!'Islam, sans doute);
3) Ia violence contraignante de !'epee ou du souverain (al-sayf);
4) Ia compromission, grace aux largesses octroyees (mawiihib);
5) le racisme et le fanatisme ethnique (la/:tmiyya wa-ta'a~~ub) qui entrainent l'homme
a suivre son chef de. tribu, son groupe;
6) Jes phantasmes de !'illusion (mu'dyanat {zaydl) et de Ia magie. Or, seul le message
evangelique, a !'exception de tous les autres, n'a ete accueil\i pour aucune de ces raisons par
tant de peuples divers et diversifies.
gil e.
4. -
'Ammar
Les biens materiels dispenses par les Ap6tres peuvent bien expliquer !'adhesion des hommes a leur Message (fol. 68ajp. 140-141).
Mais les Ap6tres ont bien declare que leur Maitre leur avait recommande de ne porter
ni or ni argent.
11. -
On peut trouver une explication dans le sentiment tribal de Ia solidarite
avec le porteur du message (fol. 68abjp. 141).
r
112
M. Hayek
[44]
Ce serait possible si les adherents appartenaient au meme peuple que le Christ. Mais
que des nations aussi eloignees les unes des autres, si diverses et si opposees aux juifs, s'accordent a adorer un « assassine de juifs » (qatfl Yahfid), voila qui est inimaginable.
12. -
Ce serait a cause des supercheries magiques effecturies par les Ap6tres
(fol. 68b-69ajp. 141-142).
Rien n'est moins pensable, car leur Maitre avait promis de manifester par leur intermediaire de vrais prodiges, comme Ia guerison des lepreux, !'expulsion des demons, l'insensibilite
aux poisons. II faut croire que leurs auditeurs, rois, philosophes, medecins, mathematiciens, ne
se sont pas contentes de les croire sur parole, mais qu'ils ont du exiger des preuves pour con.
troler Ia veracite de leurs pretentions.
13. - Si ces auditeurs avaient Praiment ver(fie les dires des Ap6tres, ils auraient
sans doute decouvert leur supercherie (fol. 69abjp. 142-143).
On ne peut imaginer que, sur !rente royaumes differents ayant accueilli le Message, ou que
parmi taut d'infirmes presses sur les pas des Apotres, il n'y en ait pas eu qui aient exige une
confirmation experimentale sure et probante.
14. - Les Ap6tres ant bien pu, au debut de leur mission, user de violence et de
comprorn.ission; une fois le succes obtenu, ils ant pu egalement rediger le
texte actuel de l'Evangile pour prevenir toute suspicion eventuelle (fol.
69b-71ajp. 143-147).
Une telle supposition est gratuite et impensable pour deux raisons: d'abord, parce que les
Apotres auraient du, au moins pour eviter d'etre en contradiction avec eux-memes, rediger un
texte conforme a leur maniere d'agir, et cedes le debut de leur mission; ensuite, parce que cette
hypothese suppose des convertis si denues d'intelligence qu'ils admettent une telle contradiction
entre Jes dires et les actes des Apotres.
En realite on n'a jamais vu de messagers proceder de cette maniere inimaginable; mais
tous conforment leur action apostolique aux principes poses par les Livres dont ils sont porteurs; il en fut ainsi de Moise, de Mani, de Zoroastre, de Mahomet. Sans quoi, nulle communaute humaine n'amait accueilli le message d'aucun apotre. Ainsi, puisque nous sommes tous
d'accord pour dire que ni les Apotres du Christ, ni votre Apotre, n'ont pu transmettre par
ecrit le contraire de ce qu'ils ont pratique, et puisque vous reconnaissez le caractere revele de
notre Livre, comment pourriez-vous encore le considerer comme falsifie, sans que Ia meme
accusation retombe plus s(Irement sur votre propre Livre. Meme si vous admettez qu'aucune
des deux Ecritures n'a ete alteree, vous reconnaitrez par Ia meme le caractere revele de l'Evangile, ce qui condamne encore votre Livre doni le contenu est precisement different.
c) Troisieme Partie: De l'unicite du Createur en trois Personnes: en 9 questions
(ff tatbfti wabdaniyyati 1-baliqi bi-talatati aqanfma wa-huwa tis'u masa'ila)
(fol. 7lb-85b/pp. 148-177).
Dans une courte introduction (fol. 71b/p. 148), !'auteur declare qu'il suffis_ait d'apporter
Ia preuve de l'authenticite globale de l'Evangile, lequel affirme l'unicite de Dieu en trois Personnes, pour etre sC!r de ce dogme, sans qu'il soit necessaire de prouver chaque detail. Tout
[45]
'Ammar
al-Ba~rf
113
comme il suffit au proprietaire d'une maison de prouver que celle-ci lui appartient, sans etre
tenu a justifier son droit sur chaque pierre de Ia maison. Cependant il importe de tout expliciter
en reponse a quiconque interroge a ce sujet.
1. -
Puisque le Createur est un, comment l' Un peut-il etre trois et les trois un?
(fol. 71b-74bjp. 148-152).
II ne s'agit pas de donnees numeriques. On veut seulement dire par Ia que « Ia Substance
unique et eternelle subsiste en trois proprietes substantielles non divergentes ni separees » (rftilika
t-jjawharu l-wti~idu l-qadimu lam yazal mawjjud"" bi-taltiti bawti,Y,m ifawhariyyat 1" gayri mutabtiyintitt" wa-lti mufarraqtit 1") (fol. 71b-72a/p. 149). La reflexion sur Ia creation conduit Ia pensee
a reconnaltre !'existence d'une substance creatrice unique; or celle--ci, qui a forme les etres,
apres s'etre abstenue de le faire, n'a done pu agir que par un choix libre, ce qui implique necessairement que ce Createur est Vivant; et ce vivant qui regit Ia creation par grace, non par que! que
besoin ou necessite, doit etre le principe de Ia connaissance, ce qui implique que non seuleme1~t
il est vivant, mais qu'il est aussi Sage. A Ia Substance principielle sont done attribuees une vie
et une parole, Ia Parole etant Ia Sagesse et Ia Vie son Esprit (ifawharu 1-'ayni 1-mur/tifu ilay-hi
~wytitu-hu wa-kalimatu-hu llatt hiya 'aynu (likmati-hi wa-(1aytitu-hu 1/ati hiya 'aynu rfi~i-hi,
wti(tid'"' lam yazal) (dol. 72a/p. 149).
2. -
Pourquoi se leurrer soi-meme par des arguments specieux en attribuant au
Createur unique une vie et une sagesse substantielles, et introduire par fa
Ia notion trinitaire qui implique division et partition? (fol. 73b-77ajp. 152158).
Parce que vie et sagesse ne sont pas des notions univoques, autrement toute substance
serait vivante et raisonnable, ce que contredit Ia realite alentour. Par ailleurs ces deux notions
n'impliquent nullement division et composition, comme c'est le cas en tout ce qui est corpore!
et sensible, etant donne que I'analogie entre Dieu et Ia creature n'est vraie que nominalement,
non conceptuellement; il faut done distinguer en Dieu les Noms et les Qualites (al-asmd' wal-~iftit) designant Ies actes divins, des Noms et Qualites qui sont des « proprietes ». (bawti~~)
de !'Essence. Ainsi Ies attributs de puissance, de force, de misericorde, de volition, de science, etc,
sont des effets (ma'!Ciltit) prives de Ia substantialite de Ia cause qui les produit (li-'adami-hti
jjawhariyyata l-'illati l!ati min--hti tatawalladu htirfihi 1-ma'lfiltitu) (fol. 77a/p. 158), tandis que Ia
Vie et Ia Parole sont des « proprietes inherentes a Ia structure de Ia substance et a Ia quiddite
de !'essence et de Ia nature» (wa-dtilika anna 1-~aytita wa-1-nu{qa min bawti,Y~ bunyati 1-jjawhari
wa-mtihiyyati t-dtiti wa--1-{ibti'i) (fol. 76b/p. 157). La «difference>> (fa,Yl, baynfina) de niveau et
d'ordre entre Ies «noms» relatifs aux « actes » (afti'il) et les « qualites » (#fat) est structurelle.
Or on ne connait en Dieu que deux proprietes substantielles, Ia Vie et lit Parole, et c'est pourquai on peut dire qu'il y a trinite en Dieu et s'y limiter, sans aller au-deJa (duna tarbi' watabmis wa--tasdis) (fol. 75b/p. 156).
3. -
Dieu a-t-il besoin au non de sa parole et de sa vie? Si oui, il Y a done
m!cessite et manque en lui; si non, pourquoi lui attribuer ces notions? (fol.
77a-78bjp. 158-162).
La question est absurde. Demande-t-on si le feu a besoin de sa chaleur et de sa secheresse
et si l'eau a besoin de son humidite et de sa froideur. II en est de meme de Ia Vie et de Ia
-r
114
M. Hayek
[46]
Parole qui sont inherentes a Ia racine de la substance divine (sl'is al-ifawhar). Les preuves en
sont tin~es de l'Ecriture ou Dieu parle de lui-meme au pluriel comme dans le Livre de Ia Genese (1,26; 111,22) et ou de nombreux textes mentionnent Ia Parole et !'Esprit auxquels to us les
autres noms, attributs et titres divins sont reductibles.
4. - Pourquoi appelez-vous ces trois proprietes trois « individus » (asbd:;) et non
pas trois dieux? (foi. 78a-80ajp. 162-1 64).
'Ammar al-Ba~ri refuse en bon nestorien le terme (sab,~) que son contemporain Abu
Ra'ita emploie frequemment et que les musulmans fustigent chez les clu·etiens. II lui prefere le
terme (qunl'im) qu'il trouve dans Ia version syriaque des Ecritmes sur les levres du Christ luimeme (Jean V,25). II definit le mot (sab~) dont le sens arabe originel est « idole », comme etant
un «corps limite par des bornes et des membres le separant des autres corps» (li'anna l-J¥ay,~a
'inda-nd kullu ifism1" ma(Jdtld 1" bi-aq{dri-hi wa--ifawdrt(Ja tahilu bayna-hu wa-bayna md siwd-hu
min al-aifsdmi) (fol. 78b/p. 162), tandis que le qunl'im, qu'il considere comme d'origine syriaque,
correspond a l'une des quatre categories d'etres definies par Aristote: so it «substance» (ifawhar),
soit «puissance» (quwwa), soit «accident» ('ararj), soit qunl'im. Deux seulement de ces quatre
categories subsistent par elles-memes, c'est Ia «substance generale » (al-ifawhar al-'dmm) et
le qunl'im particulier » (al-qunl'im al-bdN); celui-ci se definit done comme « l'identite singu!iere
[47]
'Ammdr al-Ba:;rf
115
II suffit que l'Ecriture qui revele ces Noms soit authentique pour qu'ils soient par Ia meme
veridiques, meme si nous ne sommes pas capables de les prouver rationnellement, car il y a
des domaines qui depassent le.s limites de Ia connaissance.
7. -
Si chacune des trois Hypostases est parjaite en divinite, il y aurait trois
dieux; si non, elles seraient trois parties d'une seule divinite pmfaite (fol.
82b-84afp. 170-172).
Le raisonnement serait exact si !'on oubliait de distinguer entre substance particuliere, qui
definit l'hypostase, et substance generale qui designe la divinite unique. Abraham, Isaac et
Jacob qui forment trois substances particulieres sont un du point de vue de Ia substance generale, l'humanite, qui les rassemble.
8. -
Puisque vous definissez les trois Hypostases comme etant des substances
particulieres parfaites, vous etes tenus a les considerer comme trois divinites
egalement completes (foi. 84a-85b/p. 172-176).
et parfaite qui se suffit a elle-meme et qui n'a pas besoin d'autre qu'elle-meme pom· subsister »
(al-'aynu l-bdNU 1-kdmilu l-mustagnf bi-nafsi-hi al-manfiyyu 'an-hu 1-ir/tirdru ild gayri-hi fi
qawdmi gdti-hi) (fol. 79a/p. 163). Or les maitres en theo!ogie n'ont pas trouve mieux pour desi-
gner l'unicite de Dieu en ses trois proprietes essentielles (Cause originaire creatrice, Vie et Parole) que d'utiliser les termes de substance et d'hypostase (qunl'im), apres qu'ils eurent trouve
dans les paroles du Clu·ist une justification a ces emplois. Or si Ia notion de trinite ainsi appliquee a Dieu devait paraitre comme erronee, puisque certains etres crees sont formes trinitairement, lui app!iquer la notion d'unicite est encore plus errone, puisque l'unicite qualifie les
puissances et les accidents. Du reste l'une et !'autre qualifications sont loin de percer le mystere de !'Essence divine; mais unicite et trinite sont les expressions les moins mauvaises dont
nous puissions disposer pour parler de Dieu.
5. -
Pourquoi avez-vous appete ces trois Hypostases Pere, Fils et Esprit Saint?
(fol. 80a-82ajp. 164--169).
Ces denominations ont ete posees par les Apotres eux-memes, lesquels ont ete charges
d'annoncer les mysteres. Si l'evangeliste Matthieu dans le premier evangile n'en a parle que
d'une maniere allusive, a Ia fin de son ecrit, le dernier evangeliste Jean proclame clairement ces
Noms. Pourquoi s'en etonner, des lors que Paternite et Filiation n'impliquent ici aucune procreation chamelle et sont aussi eloignees de la paternite et de Ia filiation humaines que deux
choses absolument opposees; car les memes noms n'ont plus le meme sens quand ils sont appliques unanimement a Dieu et a l'homme; cependant il faut bien parler et dire quelque chose!
Somme toute, les noms de Pere, Fils et Esprit ne sont pas plus scandaleux que ceux de compatissant, de misericordieux, d'irascible, lesquels pretent a Dieu des caprices et des sentiments
changeants. On doit done admettre ces Noms dont Dieu lui-meme a autorise l'emploi dans ses
Livres et dont les hommes n'auraient point ose, sans la revelation, se servir.
6. -
Vous vous r~ferez ici aux Ecritures, et non plus au raisonnement, c'est la
preuve que vous n'avez pas de preuve qui garantisse /'usage de ces Noms
(fol. 82bjp. 169-170).
Ce serait exact si le concept de substance etait identifiable a celui d'hypostase; or ce n'est
pas le cas. C'est pourquoi Ia somme des trois hypostases - meme si chacune d'elles forme une
substance parfaite en ses proprietes singulieres -, est trois hypostases et non point trois substances.
Prenons un exemple: trois flammes d'un meme feu representent chacune Ia substance parfaite
du feu; mais elles forment trois flammes et non pas trois substances de feu; il en est de meme
de trois gouttes d'eau. Ainsi qu'il s'agisse du Pere, du Fils et de !'Esprit, chacun est, en ses
proprietes, une substance divine eternelle et parfaite, mais les trois ne forment pas trois substances divines. II faut en outre ihsister sur le fait que Ia substance divine est au-dela de toute
idee de partition et de separation, et que si le terme hypostase (qunl'im) a ete adopte, c'est precisement pour montrer que !'Essence divine n'est point soumise a de tels fractionnements. D'ailleurs, les temoignages des Ecritures sont nombreux qui montrent a Ia fois Ia divinite du Pere,
du Fils et de !'Esprit ainsi que l'unicite de Dietl.
9.
Cette question (pp. 176-177) manque dans le manuscrit de Londres; le manuscrit de Charfell auquel elle a ete empruntee est si lacuneux qu'on en devine a peine le sens; nous n'oublions
pas qu'il s'agit d'un resume fait par Ibn al-'Assal, lequel ne restitue pas necessairement le texte
original de 'Ammar dans son integralite. La question, pensons-nous, se formule a peu pres
ainsi:
Si chacune des Hypostases doit etre consideree comme vivante et par/ante,
chacune devrait alors posseder une vie et une parole propres qui s'ajouteraient a
celles des deux mttres.
La reponse est qu'il n'est pas necessaire au vivant et parlant d'avoir nne vie et nne parole
autres que celles de Ia substance, car celle-ci possecte avec Ia propriete de !'existence celles de Ia
vie et de Ia parole qui sont des « qualites essentielles » (~ifa gdtiyya) de Ia substance generale.
116
M. Hayek
[48]
d) Quatrieme Partie: De !'Incarnation du Verbe et de ce qui en suit: 51 questions
(fi sababi tagassudi 1-kalimati wa-ma yatba'u-hu) (fol. 86a-127ajpp. 178-265).
1.
Le manuscrit de. Londres contient ici une lacune; le titre general de cette quatrieme partie
a ete restitue d'apres le resume d'Ibn al-'Assi'tl dans le manuscrit de Charfeh. II ne subsiste
de cette premiere question qu'une partie de Ia reponse portant sur le mode d'union des deux
Hypostases dans le Clu·ist. Selon la doctrine nestorienne de 'Ammar, cette « union n'abolit ni
la dualite des Hypostases ni l'unicite de leur subsistance, sans toutefois que les deux substances
soient melangees ni que leurs hypostases soient separees)) (id huma tabitani 'ala itniyyati {abti'i
'i-hima wa-wal;zdaniyyati tubfiti-hima bi-la btilat 1" min ifawharay-hima wa-la ftiraq 1" min quntimay-hima) (fol. 86ajpp. 178-179).
2. -
Le Christ est-if eternel au cree (a qadfm huwa am mubdat ?) ? Si vous dites
eternel, vous avez. done aboli son humanite que vous considerez pourtant
comme l'une de ses deux natures, et puis vous aurez attribue a l'eternel
les accidents subis par son humanite. Si vous dites cree, vous avez aboli
l'unicite que vous lui reconnaissez (fol. 86a-86bjp. 179-180).
Le Clu·ist, dans Ia condition de sa « clu·istianite » (masfbiyyati-hi) est cree; car il n'est
devenu Clu·ist qu'apres !'union de sa nature eternelle avec l'homme cree. Exemple: un feu preexistant qui s'unit a un charbon recent pour devenir une seule braise; ou un feu qui allume une
meche pour former avec elle une seule lampe; or le feu ne pouvait etre dit braise ou lampe
avant son union avec le charbon ou avec Ia meche; il en est ainsi de Ia substance etemelle avant
son union avec l'homme.
3. -
Si vous dites que les substances preexistaient a !'union, on vous dira que
Marie a done con9u un homme comme taus les autres et non le Fils de
Dieu. Au contraire si vous affirmez qu'elles n'ont existe qu'en etat d'union,
on vous dira alors pourquoi maintenez-vous la dualite dans Celui qui a
toujours ete « un et unifie » (al-mugtama' al-wabid) (fol. 86b-87ajp. 180181 ).
Nons affumons que l'une des substances, Ia nature divine separee, n'est pas le Clu·ist avant
Ia conception virginale par laquelle les deux natures, celle du Fils de Dieu et celle de l'homme,
se sont trouvees unies. Et nous maintenons Ia dualite pour montrer que .!'union n'est pas substantielle et hypostatique, au sens oi1 les deux natures auraient ete modifiees substantiellement
pour en former une troisieme, differente des deux autres, et qui serait celle de !'existence humaine
clu Christ (in-na lam na'ni htidt/ 1-ittibtida llaf[f bayna l-jjawharayni wa-1-qunfimayni ittibtid""
jjawhariyy"" wa-qunumiyy"", ay jjamf'a 1-jjawharayni /:ltila 'an jjawharay-hima ila huwa bibasariyyat1" ubrcl siwa-huma) (fol. 87ajp. 181).
4. -
Ce Christ, qui est-if alors, puisque, forme des deux substances et des deux
hypostases, il n'est plus ni l'une ni !'autre. Serait-il une sorte d'accident
detache, sans reference? (fol. 87ab/p. 181-182).
[49]
'Ammar
al-Ba~rf
117
II est des noms qui se referent a des substances particulieres, a des hypostases singulieres,
ou a des ensembles composes. Le concept «Christ» ne s'applique pas a un accident, ou a une
hypostase unique, OU a une StlbStance separee, mais a deux substances OU hypostases unifiees
et harmonisees, Ia divine et l'htm1aine, de meme qu'on donne le nom de braise a !'ensemble
feu et charbon, le nom de collier a l'eJisemble forme de perles et de yacinthes. Le collier et la
braise sont des «concepts imaginaires » (ma'n"" mawhfim) reconna.issables a !'union des substances qui les fondent.
5. -
Si les deux hypostases ne nufritent !'appellation « Christ» qu'apres !'union,
c'est done qu'un accident s'est introduit en elles, qui est advenu egalement
a l' Eternel (fol. 87b-88bjp. 183-184).
Non, car !'accident ne peut etre attribue qu'a l'humain, lequel a ete assume en vue de
participer a Ia filiation divine du Verbe eternel. Mais Ia communication en sens inverse n'est
pas vraie, puisque le Divin n'a pas partage Ia filialite humaine. Ainsi le feu communique au
charbon sa chaleur, mais n'en prend pas Ia noirceur.
6. -
Cet Humain (al-basari) existait-il au sein de la Vierge avant de s'unir a
un corps? Si oui, comment a-t-il pu exister, puisque, selon vous, il n'a
ete cree que pour s'unir a un corps; si non, comment !'union a-t-elle pu
s'effectuer avec un non-existant? (fol. 88b-89ajp. 184-185).
II faut distinguer: « Celui qui est assume de Ia Vierge » (al-ma' btid min al-bat(tl) est une
«matiere hylique » (mtidda hiyulaniyya) preexistante dans Ia nature biologique de chaque mere;
« Celui qui est l'Uni cree en elle » (al-muttabad al-mabltiq min-hti) est un corps parfait doue
d'une ame raisonnable; « Celui qui est conc;u et ne d'elle » est ce Christ un avec sa double hyposlase divine et humaine (Mastb"" f[fi uqnfimayni ilahiyy'" wa-insiyy 1" kana bi-ttibadi-himcl Masf/J""
wabid""). Seule preexistait la matiere biologique inherente a Ia nature physique de Ia Vierge.
7. -
Cet « Uni », distingue de l'« Assume» (al-ma'buc}.), et de l'« Engendre »
(al-mawlud), est-il au non fils de Dieu? Si oui, Dieu aurait deux fils; si
non, Marie qui l'a enfante aw·ait engendre, avec celui qui est Fils de Dieu,
quelqu'un qui n'est pas Fils de Dieu (fol. 89a-90a/p. 185-187).
Seul Ie Christ est Fils de Dieu, et il n'y a pas de Christ sans !'union des deux hypostases.
Tout comme Ie corps ne peut etre dit, sans l'ame, fils de tel pere, ainsi, apres !'incarnation, les
deux hypostases du Christ ne peuvent porter separement le nom de fils; ce nom vise done les
deux natures unies desormais dans le Christ un dont Ia divinite a communique a l'humanit6
le privilege de Ia filialite.
8. -
Si le Christ seul est Fils de Dieu, et puisqu'il n'y a de Christ que par !'union
des deux hypostases, Marie a done engendre les deux hypostases (fol. 90a91bjp. 188-191).
Non point, malgre les apparences. Un exemple permet de le comprendre: ta mere t'a engendre comme homme avec ton corps et ton ame, mais a partir de ton corps et non de ton
ame, puisque ton ame n'est pas soumise a Ia conception, Ia naissance, Ia grandeur, Ia petitesse,
-------------------------------------
118
M. Hayek
[50]
etc.; autrement l'ame serait grande, petite, lourde, Iegere, en fonction des conditions corporelles.
II en est de meme de Ia Vierge: elle a enfante le Christ parfait du cote de son humanite prise
en elle; tandis que le Pere l'a engendre divinement et eternellement, clu cote de sa divinite, sa
mere !'a enfante humainement et temporellement, puisque chacun engenclre selon l'ordre propre
a sa nature (ay abii-hu walada-hu mflad"" ilahiyy"" qadfm"" min ifihati lahiiti-hi wa-waladat-hu
ummu-hu basariyy"" zamaniyy"") (fol. 9lb/p. 191).
9. -
Le Christ a done ete engendre deux .fois. Pourquoi alors afflrmer qu'il
n'est qu'apres !'union des deux natures, Iars de Ia conception mariale (fol.
91b-92ajp. 191-192).
II n'y a pas deux generations du Christ, mais deux modes de naissance: le premier est
spirituel et eternel, sans commencement et sans fin; le second qui conunence et finit coincide
avec le premier a Noel ou l'eternel Engendre du Pere se trouve uni a celui qu'engendre Marie.
Analogies: Ia Parole qui nait de l'ame ou elle subsiste, le rayon qui emane du solei! sans s'en
detacher.
Si I'Eternel est Fils de Dieu, comment le Cree, qui n'est pas engendre
par le Pere, serait-il egalement Fils de Dieu? (fol. 91a-92bjp. 193-194).
Il y a deux manieres d'etre fils: soit par generation, so it par union. C'est pour conferer
Ia dignite de Fils a Ia nature humaine que le Corps (sibb) a ete sculpte dont l'Eternel s'est fait
un revetement a sa divinite (lib/is"" li-tahiiti-hi). Analogie avec Ia filiation humaine: l'ame qui
n'est pas engendree participe a Ia filiation apres son union au corps.
11. -
Comment a-t-il revetu un corps (tadarra'a) qui ne pouvait le contenir et Ie
circonscrire (fol. 93a/p. 194-195).
Analogie avec Ia lumiere enfermee au quatrieme jour de la Genese dans un solei! grossier
et limite, alors qu'elle n'est pas contenue par le solei! qu'elle deborde. De meme, Ia substance
eternelle qui n'est circonscrite par aucune limite a choisi un «receptacle» (maball), un
«temple» (haykal) pour communiquer avec les hommes, sans pourtant subir les limitations du
lieu. Analogie avec l'ame qui, tout en etant simple et spirituelle, se trouve repanclue clans les
membres du corps, sans toutefois en subir augmentation ni diminution ... Ici une lacune dans
le Ms.
12. -
La question manque dans le Ms. De Ia reponse on conclut qu'elle porte sur
le fait de savoir si !'incarnation n'implique pas !'attribution d'un corps a
Dieu meme (fol. 94a-96ajp. 196-200).
Non, on ne peut attribuer Ia corporeite ni l'humanite a Dieu, mais seulement au Christ,
pas plus qu'on ne doit dire d'un homme arme, revetu d'une tunique ou d'un tlU'ban, qu'il est
clevenu lui-m8me arme, tunique ou turban. Au nom de !'union des deux natures dans le Christ,
certaines confessions chretiennes affirment l'unicite hypostatique et substantielle clu Christ et
declarent par voie de consequence Ia maternite divine de Marie, ce qui est « une impossibilite
radicale » (inna-hu min a'+ ami l-mubali an talida imra'at"" ilah"" la masfl;z"" muiftama''m) (fol.
95b/p. 199). Or Marie a enfante seulement le «Christ Uni » des deux hypostases et qui est Dieu;
al-Ba~rt
119
--------------------------------------------------------------------
mais si le Clu·ist est Dieu, Dieu n'est pas le Christ, puisque le nom de Dieu porte aussi sur le
Pere et !'Esprit (li-anna ism Allahi waqi""' 'ala l-Masfbi wa-'ala gayri l-Masf{1i, ay al-abi wa1-riibi) (fol. 95b/p. 199). De meme on ne peut dire que Sara a enfante !'Homme, mais seulement
Isaac qui est un homme. Ou trouve-t-on cl'ailleurs dans les Evangiles que Marie a enfante
Dieu et que le corps du Christ est le corps de Dieu? Matthieu au debut de son Evangile ne dit
pas «Livre de Ia naissance de Dieu, fils de David», mais «Livre de Ia naissance de Jesus, fils
de David». De meme, dans le recit de Luc, les Anges n'annoncent pas aux bergers Ia naissance
de Dieu dans la ville de David, mais bien la naissance du Messie clans cette ville.
13. -
Et si Dieu lui-meme a voulu prendre pour lui ce corps eternellement? (fol.
96abjp. 200-201).
Son dessein dans !'incarnation etait de faire participer ce corps
l'unicite du Christ, a qui seul le corps est attribue.
14. 10. -
'Ammar
[51]
a la
filiation et de fonder
Pourquoi l'appelez-vous temple de Dieu et non pas aussi corps de Dieu,
puisqu'il s'y est incarne? (fol. 96b-97ajp. 201-203).
II faut distinguer les termes: I'« incarnation» (taifassud), c'est !'union des deux substances
en vue de fonder l'unicite du Christ, a l'exemple de !'union de l'ame et du corps; I'« inhabitation » (l;lllliil), elle, n'implique pas une telle union; ainsi l'homme qui « habite » une demeure
ne forme pas, avec cette demeure, cette sorte de relation d'unicite; pas plus qu'on ne doit «attribuer » (i(lafa) l'homme a Ia demeure et l'ame au corps, on ne doit attribuer le corps et l'humanite a Dietl. Ce serait vrai si le Pere et !'Esprit s'etaient incarnes, or il s'agit a leur propos
d'inhabitation seulement. C'est pourquoi on pent parler de «temple de Dieu », tandis que !'incarnation est specifique du seul Fils de Dieu (ibti~a~ at-Ibn).
15. -
La question est lacuneuse dans le Ms. De ce qui reste de la reponse, on
afjzrme Ia possibilite pour l'hypostase divine de s'unir a un corps tout en
demeurant unie aux deux autres hypostases.
L'analogie avec le solei! montre que si les corps crees et limites ont Ia propriete de s'unir
(chaleur du feu, rayon du solei!) sans separation ni division, a plus forte raison
quand il s'agit des proprietes eternelles, lesquelles sont soustraites a toute limitation, partition,
separation (fol. 97a-98a/p. 203-204).
a d'autres corps
16. -
Pow·quoi le Pere et !'Esprit ne se sont-ils pas incarnes plutot que le Fils
(fol. 98abjp. 205-206).
Si le Pere s'etait incame, il aurait ete porteur a Ia fois du double nom contradictoire de
Pere et de Fils; de m8me si !'Esprit s'etait incarne, il y aurait eu inconvenance a ce que le Spirituel portat les attributs des corps composes. Beaucoup de saints de I'Ancien Testament sont
qualifies de fils de Dieu, mais a aucun il n'a ete permis de s'appeler pere ou esprit de Dieu. II
aurait ete inconvenant que l'homme cree et compose portat de tels noms, mais seulement celui de
-fils. C'est done par convenance que seulle Fils eternel s'est incarne, plutot que le Pere et !'Esprit.
Il pouvait ainsi conferer aux hommes le titre de fils et leur donner droit a !'heritage du Pere.
9
120
17. -
M. Hayek
.i!
[52]
Comment prouvez-vous que le Fils eternel a conjere a l' Humain (al-Basarf)
oLI il s'est incarne sa propre filialite? (fol. 98b-192a/p. 206-213).
Les preuves sont multiples tirees de la Bible et de l'Evangile, des actes du Christ et de ses
dires, otl l'on constate que Ia pi·esence et !'action specifiques de chaque nature sont attribuees
indisiinctement au me1ne Christ: ainsi c'est le Meme qui est annonce comme Dieu-avec--nous
et comme nouveau-ne d'lme femme, comme fils de David et comme Verbe eternel; fuyant en
Egypte et chassant les demons, rassasiant sept mille hommes et souffrant de Ia faim, ressuscitant
Ies morts .~t enduraM l_'(l.gQnie, .. C.'est. un beau texte ...
18. -- Comment comprenez-vous cette union et cet accord (al-ittil;liid wa-1-ittifiiq)
entre Dieu et Thorrime? Est-ce une composition qiti aurait produit un tiers
hom me unifie des deux? Est-ce confusion ou melange (ibtalatii wa-mtazaga)
produisant une nouvelle nature differente des deux autres? (fol. 102ab/
p. 213-214).
En assumant l'Humain pour en faire son corps, son temple et son receptable (gasad""
111
wa-hayka/' wa-ma(ta/1""), Ie Verbe divin a confere a cet Humain son propre droit et sa part
a la filiation, Ie rendant egal a lui-meme en tout, sauf en ce qui concerne l'eternite de son essence
et Ia spiritualite de sa substance, et sans qu'Il en ait subi une quelconque contigulte, composition, melange, confusion, cormption (min gayri an yana/a l-azaliyya if say' 1" min gdlika mumiissat"" am tarkfb"" am ibtilaf"" am imtizag'111 am iasiid"" am say'"" mim-ma yagrf if l-agsiimi
1-mabluqati) (fol. 102b/p. 214).
!
!
'Ammiir
[53]
121
al-Ba~rf
-~-------------------
Pourquoi n'avoir pas choisi (istabla:ja) pour s'incarner une in.div:~ualite
angelique (sab~· ruliiinf) plut6t qu'une individualite terrestre et znfeneure?
(fol. 104abjp. 218).
·
22. -
L'honnem et Ia dignite n'auraient pas rejailli sur toute Ia substance de Ia creatm:e: Seule
convenait !'incarnation en l'homme, lequel parti:ipe,. de, part sa natur~~e a~~x
hysique. de sorte qu'en adorant et louant celm qm, d entre eux, a e e u
p ..
'
'
etres se louent et se glorifient etlx-ml:)mes.
23. -
' IF''
seuf, a /'exclusion de
Pourquoi a voir speclj
1e cet J-lU""Ial'n
"
(fol. 104b/p. 218-219).
!:O~~;: ~f~~:~~ell::
'
·
(OUS
/es autres?
A cause de !'eminence de sa saintete.
24. - S'il est saint des sa conception, c'est done qu'il avait deja rnerite . cette
grace. Est-il juste que d'cmtres enfants en soient prives? (fol. 104b-:-105a/
p. 219-220).
Dieu eut combler d'avance ceux dont ii sait, dans sa prescience, qu'ils seront purs ~t
'nstes; ainsi il avait comble Samuel et Jeremie. 11 avait ·prevu· Ia precellence de cet Humam
~t !'a ainsi choisi en vue de !'incarnation du Verbe.
25. __ Qui nous prouve cette precellence? (fol. 105a/p. 220).
19. -
Comment, alors que vous.professez !'incarnation, l'Eternel n'a-t-il pas ete
qffecte par l'Humain (fol. 102b-103a/p. 214--215).
Nous professons que Dieu a cree sans mouvement, sans intermectiaire, sans effort, et sans
qu'aucune analogie nous permette d'en savoir le comment; de Ia meme manh~re llOUS croyons
fennement que le Verbe Eternel s'est incarne sans en subir les consequences. Nous le declarons
sans etre en mesure d'en savoir plus.
20. - Dites-nous au mains !es raisons de !'incarnation (fol. 103ab/p. 216).
Pour parachever la grace inauguree a Ia Genese, l'Etemel s'est uni a l'Humain auquel il
a concede sa propre condition filiale et, a partir de qette personne particuliere, il a etendu Ie
meme honneur a toutes les creatures (wa-li-ya'umma l-balfqata kul/a-hd saraiu mii anii/a a/sab~a 1-wdl,!ida 1-insiyya 1-mustabaNa min gamf'i-hii) (fol. 103b/p. 215).
21. -
Pourquoi n'a-t-il pas alors assume taus !es corps crees? (fol. 103b-104a/
p. 216-217).
Nous aurions eu
elire un et de l'elever
toute Ia famille.
a nous adorer Ies uns les autres. II etait plus digne de sa sagesse d'en
a cette clignite, puisqu'honorer le membre d'une famille c'est honorer
.
"
d on t 1·.1 a e'te l'oblet
L'electwn
mcme
" , car si Dien en avait trouve un plus juste ql!e
. lui,
ii l'am·ait specifie (ibti~a~).
26. -
Avait--il le pouvoir, apres !'incarnation, de s'ecarter de cette ju~iice? Si
oui, il n'etait done pas impeccable; si non, il n'etait done pas hbre (fol.
105abjp. 220-221).
• • t ' I. 't 1' le peche car il etait absolu" ~;;VI e
. .' ,
.
.
Son im eccabilite ne signifie pas qu'Il• a etcI. contram
· hbre,
·
P · que sa vo Iont"" l'inclinait a choisir le bien,
ce pour qu01 !I s est trouve le plus
mms
.
ment
digne de tous les etres crees a clevenir !'objet de l'electJOn.
27; -
A-t-il merite les dons de !'incarnation et de l'unionA? S'il y a n;e;ite de ~a
part, il n'y a pas de gratuite divine; si. non; la grace a done ete accordee
a un homme sans-merite (fol. 105b-106a/p. 221-222).
La grace de !'incarnation a devance les actes de justice par lesquels e1le s~ra ~l.eritee:l QuaJ1~
·
d
comme Ia communication de Ia seigneurie et de Ia royaute d1vmes, 1 s so~
aux autres ons,
.
p b 1 d ·oi qui par alliance matnune consequence prevue, et impliqlue~... dansfi~,i~~~r:s~t:;.- si ~~=ll~~ce ue:t un d~n gratuit; !'heritage
moniale, se rapproche d un peup e Ou un 1 s
'.
.
. ..
est un droit qui appartient au fils engendre par k r01 .clans ce peuple. ·· · ·
·
-----------------....-----------------------------m
I
I
122
28. -
M. Hayek
[54]
Son createur aurait-il pu le depouiller des dons faits a !'incarnation et
reprendre la seigneurie et Ia royaute concedees? Si non, le donneur est done
impuissant; si oui, qui peut assurer qu'il n' a pas tout repris? (fol. 106abj
p. 222-224).
'Amm{ir
[55]
al-Ba~rf
123
laisse son partenaire user de toutes ses forces, avant de l'ecraser; ainsi le medecin qui, pour
susciter Ia confiance, boit le poison et s'administre sa propre medication. De meme le Christ a
souffert et vaincu la mort pour· susciter !a confiance des hommes en Ia veracite des promesses
de resurrection et de recompense qu'il avait faites aux hommes.
La question est absolmnent irrecevable, parce qu'elle ne concerne ni le Donnell!' ni Je
Beneficiaire; en effet !'union entre les deux est telle qu'il n'y a plus de separation permettant de
supposer que l'un veuille reprendre ou que !'autre refuse de restituer.
33. -- Prophetes et Messagers de l'Ancienne Loi avaient appete les hommes au
culte de Dieu et avaient annonce Ia resurrection; pourtant aucun d' eux ne
s'est impose les epreuves que le Christ s'est imposees. Pourquoi? (fo!. 109b110bjp. 230-232).
29. -- Comment pouvez-vous pretendre qu'il n'y a p{us de separation ni de distance
(Ia fa# wa-/{i baynuna) entre les deux, alors que l'un est soumis aux accidents, comme l'infirmite et Ia mort, et !'autre non? (fol. 106b-107ajp. 224225).
Parce que les exigences du Christ sont autrement plus dmes que celles de Molse et des
Prophetes. Quitter son pere et sa mere, s'exposer aux persecutions, perdre son ame pour la retrouver, telles sont les conditions qu'il se devait de remplir lui-meme, d'abord, avant de les exiger
des siens .
. II n'y a pas egalite entre les deux au plan de la substance, mais dans les attributs qui
quah~ent la substance, comme Ia gloire, Ia force, !a majeste, ce qui n'abolit pas Ies conditions
humames auxquelles le Cree restait soumis; mais ces conditions fment enfin transcendees par le
Cree grace a son Union a l'Eternel.
34. -
30. -
.Mais vous disiez que tout lui a ete concede des la conception (fol. 107a108bjp. 225-227).
Certes! mais en droit, non en fait tout comme l'heritier n'entre en possession de son droit
qu'a Ia majorite. Parabole du fermier qui achete un village dont ii paie le prix a temperament·
11 en. ac.quiert le droit, mais ne le possede effectivement qu'en payant Ia derniere tranche. II e~
~st amsi de. l'HUIUain qui a ete elu de notre substance (basaru-nii l-muntababu min ifawhari-nii);
~~a un d.rOit sur toute Ia creation, mais illui fallait payer ce droit par etapes: par sa naissance,
II a mamfeste son humanite; par sa reference a Molse, ii a montre qu'il est de Ia race d'Abrah~m; par l'annonce de Ia resurrection et du paradis, ii a appele tous les hommes a tendre au
bien; ~ar sa crucifixion, il les a rachetes et a merite !'adoration; par ses apparitions apres Ia
mort, II a confirme aux yeux des siens Ia veracite de ses promesses a leur endroit. C'est alors
seulement qu'il pouvait declarer: « J'ai rec;u tout pouvoir au ciel et sm terre» (Matt., XXVIII, 18).
31. -
Cette declaration signifie pluto! que le pouvoir lui a ete donne
fa et non pas avant (fo!. 108bjp. 227-228).
a ce
moment-
En r~alite il l'avait b~en rec;u plus tOt, puisqu'il avait declare, deja avant sa passion, que
tout ce ~m est au Pere etmt a lui; il ne devait le possecter en fait qu'apres sa resmrection tout
comme 11 ne devait exiger !'adoration de Ia part des hommes qu'apres a voir endure Ia 'mort
pour les sauver.
32. -
S'i! avait deja le pouvoir que vous dites, pourquoi ne s'est-il pas soustrait
aux souffrances inf!igees par ses ennemis? (fol. 108b-109aj p.228-230).
. ?utre. les raisons qu'il avait de souffrir et de mourir comme tous les hommes, il s'est livre
lm-meme hbrement a Ia mort pour Ia dominer et manifester sa puissance: ainsi Ie lutteur qui
Les prodiges qu'il a operes n'etaient--i/s assez convaincants pour prouver Ia
resurrection? (fol. 110b-lll ajp. 233).
Certes ils l'etaient, mais les hommes ont refuse de croire en !a resurrection, tant qu'ils ne
l'avaient pas vue realisee. Pour les convaincre, il a choisi de mourir et de ressusciter publiquement, puisque, en outre, nul ne devait etre plus digne que lui pour accecter le premier a Ia condition de !a vie nouvelle promise a tous.
35. -
Pourquoi n'a-t-il pas choisi de mourir et de ressusciter publiquement, sans
passer par les humiliations? (fol. 111 a-b/p. 234).
Pour dissiper tout doute ou soupr;on quant a la realite de sa mort.
36. -
Ce/a n'explique pas son choix de mourir ignominieusement comme un malfaiteur (fol. 111 bjp. 235).
La crucifixion, qui est une honte et qui attire le grand public, surtout quand il s'agit
d'un innocent, manifestait plus clairement !a realite de sa mort.
37. -
Qu' avait-il a subir, en plus, Ia sepulture so us terre? II aurait pu descendre
de Ia croix, comme ses ennemis l'invitaient a le faire; il aurait ainsi prouve
sa mort, manifeste sa puissance en ressuscitanf, et entraine /es atttres a
croire en lui (fol. 111b-112b/p. 235-237).
S'il avait consenti, contrairement aux moeurs divines attestees dans Ia Bible, a relever le
deft moqueur de ses ennemis, en descendant de Ia croix, le doute concernant Ia realite de sa
mort aurait ete plus grand encore. 11 a choisi d'etre mis sous terre et d'en sortir pom donner Ia
preuve a tous qu'il est capable de ressusciter un jour leurs corps.
38. -
Pourquoi n'est-il pas apparu pub/iquement a taus, mais seulement a mains
d'une dizaine d'entre taus ceux qui l'avaient vu mort sur la croix? (f'ol.
112b-114ajp. 237-239).
I
II
II
!I
!I.
:I
I
124
M. Hayek
[56]
Pour quatre raisons:
a) parce qu'il n'a pas voulu montrer sa gloire a ses meurtriers de meme que, par Ie
passe, lui-meme ou ses Anges n'apparaissaient qu'aux Justes;
'
b) pour ~~ pas fournir aux ennemis une nouvelle occasion d'egarer les croyants en attribuant les appantwns au chef des demons;
.
.c) parce qu'il aurait du, dans ces conditions, et par equite, se manifester a tous Jes
peuples, et clone recommencer partout a subir les memes epreuves;
d) pour rendre. Ia creclibilite de Ia resurrection plus eclatante, des Jors que Jes Ap6tres se trouvent charges de Ia prouver par des prodiges.
39.
S'il en est ainsi, pourquoi n'a--t--il pas reserve Ia vue de sa mort, de sa resurrection et de son ascension aux seuls Apotres? (fol. 114a--115ajp. 239-242).
.
. Pour dissiper dans leurs esprits toute inquietude, car ils se seraient crus victimes d'une
ll~uswn; en effet,, nombreu~ sont les recits evangeliques et Ies reproches du Clu·ist qui mont.J ent as·sez combJCn les A.pot.J·es se sont montres suspicieux et stupicles.
40 .. ~ Puisqu'il a choisi librement de mourir et que le salut a ere acquis a taus
pqr sa mort, que! crime les ju(fs auraient--ils commis en le crucifiant? Leur
action serait plutot meritoire (fol. 115a--116a/p. 2V2--243).
II faut distinguer le crime involontaire qui ne merite pas de chatiment et le crime avec
prt!Inec!itation, comme celui des Juifs, lesquels avaient d'ailleurs !'habitude de tuer Jes Prophete~ et les Saints. C'est sur !'intention· que le jugement est porte, et c'est pourquoi bien des comphces de ce meurtre ont ete pardonnes.
41. --- Les meutriers ne sont--ils pas degages de toute responsabilite, des tors qu'ils
ne savaient pas ce qu'ils faisaient et que le Christ lui--meme leur a accorde
son pardon? (fol. 116a--117ajp. 243--246).
.. . Cette intercession du Chxist sur Ia croix a re~:u diverses interpretations dont Ia plus vraie
e~t a chercher dans l'~xeniple de pardon que le Christ entendait donner a ses disciples; les Juifs
non~ done pas profite de ~e pardon. Quant a leur ignorance, elle avait pour objet sa divinite;
ce nest pas ce que le Chnst leur reproche, mais leur ingratitude envers lui qui avait multiplie
.
les bienfaits a leur egard.
42. -
Comment expliquer cette inimitie de leur part? S'ils avaient vraiment vu
ses prodiges, ils ne l'auraient sans doute pas crucifir! (fol. l17abjp. 246--248).
. l~s avaient montre·Ia meme inimitie envers les Saints qui leur avaient donne tant de signes
p:odigte~x: Mo~se, Eli.e, Isaie, Jeremie, Zacharie. 11 est plus incomprehensible encore qu'ils
men~ tue ces Samts qm leur promettaient des biens materiels en recompense de leur obeissance
tand1s que le Christ, lui, les invitait a quitter tout et a !'adorer.
43. -
,
Que! interet avait,-il a recommander aux Apotres de baptiser au nom du
Pere, du Fils et de !'Esprit, .au lieu de les laisser a leur monotheisme, sans
imposer ce scandale a leurs esprits? (fol. 118b--119bjp. 248--251 ).
[57]
'Ammar
al--Ba~rf
125
Le dessein du ClU'ist n'etait pas de scanclaliser, mais de parachever sa grace envers les
i10mmes, en leur devoilant les mysteres jusque Ia caches a leur esprit. Apres avoir manifeste,
par ses dires et ses actes, Ia grace de !'incarnation et de !'union, il voulut, avant de les quitter,
leur reveler le sens de leur filiation divine a partir de celle clont jouissait sa propre humanite
assumee de leur propre substance: par !'union hypostatique, il etait devenu homme de ]a terre
afin que les hommes, consubstantiels a lui, meritent Ia filiation et soient consubstantiels a sa
gloire au ciel (tagassadtu basar"" min ahli l-arf/,i fa-a:;hartu min-Im amrf wa-sultanf wa-rubfibiyyati, wa-bi-ttibiidi bi-hi ,~irtu ff 'idadi ahli l-arf/,i ma'a ahli gawhari-hi, kama anna-hu bittib{idi-hi ma'f ,~ara fi 'idadi ahli 1-sama'i ma'a dawf gawhari) (fol. 119b/p. 251).
44. -
Qu'il ait mentionne le Pere et le Fils, c'est comprehensible, mais pourquoi
avoir mentionne !'Esprit? (fol. 120ajp. 251--252).
Conune il avait souvent nonune le Pere et 1e Fils separement, puis ensemble, afin de montrer leur unite substantielle, ainsi il se devait de citer !'Esprit, lorsqu'il s'est agi de reveler Ia
quiddite de Ia substance eternelle dans toutes ses proprietes: ce fut le cas a !'occasion de Ia supreme recommandation et de !'envoi des Ap6tres en mission ... Le texte est lacuneux.
45. -
Comment le Christ pouvait--il envoyer !'Esprit que vous elites etre un Dieu
createur? Comment un Dieu createur peut--il etre l'envoye d'un Dieu createur? Comment n'y aurait--il pas trois dieux createurs? (fol. 120a--121 a/
p. 252--254).
L'Esprit n'est pas « envoye » comme on « envoie » un serviteur; le terme « envoyer » est
anthropomorphique comme quand on dit « monter » ou « descendre » a propos de Dieu. lei,
!'envoi signifie que le Christ manifeste dans les Ap6trcs et par leur intennediaire les prodiges et
les signes attribues a !'Esprit, afin de leur reveler que !'Esprit est consubstantiel aux deux autres
hypostases et ega! a elles en puissance et en divinite. Apres avoir mentionne en premiere place
le nom et les merveilles du Pere, puis ses propres signes egaux a ceux du Pere, il a cite !'Esprit
en troisieme lieu, lui attribuant des prodiges speciaux pour montrer qu'il est l'egal du Pere et du
Fils. 11 y aurait eu trois dieux, si ces signes etaient accomplis par chaque hypostase separement;
or il n'en est rien, les oeuvres des Trois etant produites par une volonte a Ia fois commune
et une (exemple de Ia chaleur et de Ia lumiere procluites par le meme et unique solei!).
46. -
Vous professez que le Christ est assis a Ia droite de Dieu et qu'il intercede
pour nous; Dieu aw·ait--il une droite? Et le Christ aurait--il besoin d'interceder aupres d'un autre? (fol. 121 b--122ajp. 254-255).
La session a la droite du Pere signifie qu'il detient toute Ia souverainete divine et qu'il
jugera le monde. Quant a !'intercession, elle signifie Ia permanence de la redemption: pour parachever la grace inauguree a Ia creation, il a efface le peche, aboli la mort, salaire du pecM,
et acquis a Adam et a sa posterite Ia vie nouvelle, par sa justice, par !'effusion de son sang
sur Ia croix et par !'Eucharistic. Par ·cette oeuvre de salut, toujours actuelle, le Christ continue
d'interceder pour l'humanite.
47. -
Comment aurait--il efface le peche et aboli fa mort, alors que les hommes
continuent plus que jamais de pecher et de mourir? (fol. 122abjp. 255--257).
I,
:i
!
..------------------------------------------------
------------------------------~
1·
126
M. Hayek
[58]
Effacer le peche ne signifie pas qu'il a contraint les hommes a ne plus jamais le commettre,
mais supprimer les consequences du peche d'Adam qui a entraine Ia mort pom tons. Abolir
Ia mort ne signifie pas que les hommes ne mement plus, mais que Ia resurrection est desormais
acquise grace a Ia justice du Christ. A Ia solidarite dans le peche d'un seul, Adam, succede Ia
solidarite dans Ja justice d'un seul, le Christ, nouvel Adam.
48. -
Vous dites que Dieu avail cree Adam martel, avant son pec!uf, et l'avait
destine a la resurrection avant meme l'avenement du Christ; dans ce cas,
!e peche d'Adam et le sacrifice du Christ n'auraient rien change au dessein
divin initial (fol. 123a-124a/p. 257-258).
Certes Dieu avait destine les hommes a Ia resurrection et a Ia beatitude eternelle; mais i1
voulait qu'ils les acquierent eux-memes par leurs merites, comme recompense de leurs oeuvres
personnelles. Sachant, clans sa prescience, qu'i\s n'y parvienclraient cl'aucune maniere, i1 leur
imposa cl'etre participants clu pech6 de leur pere Adam afin de fonder !em participation a Ia
justice de leur frere, le Christ: tout comme un pere aimant qui, prevoyant l'incapacite de ses
enfants, confie au meilleur cl'entre eux de sauver ses freres de leur etat de misere et de cletresse;
le frere paya done Ia clette integralement; «face a sa justice, to us les peches et les maux accumules avant et apres lui paraissent clerisoires » (inna-hu sa-yabgulu yawm"" ma ta~guru 'inda
birri-hi wa-{tayri-hi surfiru man ma(la qabla-hu wa-gunfibu man ya'ti ba'da-hu) (fol. 123a/p. 257).
49. - S'il en est ainsi, pow·quoi le Christ n'a-t-il pas supprime carrement la
mort? (fol. 124a/p. 259).
Pour etre equitable envers ceux qui sont morts avant son avenement. Ainsi Ia loi de Ia
mort clevait s'etenclre a tous, pour que le droit de Ia grace soit acquis a tous de Ia meme maniere.
50. -
Tout ce que le Christ a fait et les epreuves qu'il a endurees prouvent bien
qu'il est un « serviteur-esc!ave » entre autres serviteurs de Dieu ('abd min
al-'abfd). Pourquoi refusez-vous de lui donner ce titre que l'Ecriture meme
lui attribue? (fol. 124a-126a/p. 259-264).
Les oeuvres parfaites, comme celles clu Christ, ne peuvent etre celles d'un esclave mais
cl'un etre libre, car l'esclave est celui qui est « hypotheque » (murtahan) par le pech6; clans ce
sens le Christ ne peut etre clit « esclave ». Cepenclant il l'est clans un autre sens, et sous ce rapport il est meme le seul clans le moncle a meriter ce titre (wa-ma min abad 1" wuifida 'ala 1-ar(li
kana abaqqa bi-smi 1-'ubiidiyyati 'ala galika l-ma'na) (fol. 125a-bjpp. 260-261), comme il a
merite analogiquement cl'etre nomme «pierre angulaire », «solei!», « astre », « agneau », «lion»,
«pain», «porte», «chemin», etc. En effet, assumant le peche qui a fait des hommes des esclaves, il s'est fait esclave clu peche; mais ayant paye le salaire clu peche, i1 a aboli pour lui-meme
et pour tous Ia condition de l'esclavage. Une parabole l'explique: des hommes sont enchaines
et tortures pour n'avoir pas pu s'acquitter de leur clette envers !em seigneur; l'un des leurs se
substitue a eux et se fait otage; ayant tout acquitte, il redonne a to us Ia liberte. Ainsi le Christ,
« garant », « substitut » (al-kaffl al-¢dmin 'an-na), clevient « prisonnier de ce monde » (babasa-hu
fi siifni l-'alami), esclave « volontaire » (tabarru'an wa-ta{awwu'"") clu roi de ce moncle et libere
les siens en payant le prix de la liberte de tous, le sacrifice de son corps et de son sang (falamma naqada 'an-hum tamana tilka 1-batf'ati l!ati waifaba bi-hd 'alay-hi min qibali-hi isma
l-'abid bi-qurbdni la~1mi-hi wa-dami-hi /lagayni bagala-huma li--fikaki-him) (fol. 125ajp. 261).
Les textes de l'Ecriture, cl'Isa!e, de Zacharie, de Paul, clu Christ lui-meme sont a comprenclre
clans ce sens qu'ils confirment.
[59]
51. -
'Ammar
al-Ba~ri
127
Que! est l'avantage de ['autre vie sur celle-ci, puisqu'on. ~·y go~te, selon
vous aucun des plaisirs connus ici-bas? L' eternite des JOles, me me relative;, dans ce monde aurait ete preferable, puisqu'il n'y a pas de bonheur
sans plaisir (fol. 126b-127ajp. 264----265).
11 n'y a pas de plaisir sans desir, ni de desir sans necessite, ce qui est Ia consequence d'un
manque, comme le beso i11 de boire ' .de manger, de satisfaire ses . penchants. Or
h toutes
· les necesd
sites ont ete imprimees en notre nature pour assmer la per.petuatton du genre u~1am en .vue es
· ·'t · a que'r·r·r· Lorsque le cycle des generations sera mterrompu, les corps renouveles selo~
menesa c
·
.
.
·ere·
t·
nd!une forme celeste et spirituelle seront soustraits aux besoms et aux nec~ss1t s 1 s ~ no re c~
.·
· · Dr'rait-on a\ors que ces corps, en transcendant les pass tons et les ImperfectiOns,
tton provrsorre.
.
· · · "t. A e »
ne gofiteront pas au bonheur? «A moins de supposer qu'il n'y a1t aucun p1arsrr a ere ng
(aw la'al/a an [aysa la(/(jat'"' lH-mala'ikati) (fin du Ms.).
~
I
128
M.Hdyek
III -
A 'A
ab 'drj parties
'abat vanite
'.adam neant
'ad! justice
afd'fl operations
'aga'ib prodiges
agdar plus convenable
'agz impuissance
aQdfa circonscrire
'ahd testament
af:tdata produire, creer
ab/:tada unifier, s'unir a
ablaq plus digne
a'lam signes
alim passible
alzama imposer
'amma le commun
ansana hominisation
'aql intelligence
'aqlanf rationnel
'aracj accident
arkdn elements
'a$abiyya solidarite ethnique
askal plus conforme
a~! principe
a~liyya fondamentalite
attir vestiges
atbata demontrer, affirmer
awgaba necessiter
'awfn auxiliaire
aya signe, prodige
'ayn identite
azaliyya eternite
B
badan corps
ba't resurrection
ba(ala cesser
bdtil vain, faux
baynlina eloignement
LEXIQUE TECHNIQUE
bayyina preuve
bunuwwa filiation
bunya structure
burhdn preuve
buf/dn cessation, abolition
datil guide, preuve
rjarlira necessite
r}dt essence
r]dtf essentiel
r}dtiyya essentialite
da'wa message
da'wa these, cause
diqqa subtilite
dunydnt inferieur, terrestre
F
farjd'il privileges
farjl grace, faveur
faf:t~ scrutation
fa'i4 emanant
faraqa se differencier
farq difference
fasad faussete, corruption
fa~! separation
faycj effusion
aa
ifabr contrainte
galata contredire
garacj but, dessein
ifdri/:ta membre
gawdrib membres
gawhar substance
gawharf substantiel
gawhariyya substantialite
gayb mystere (au-delil)
gayriyya alterite
gayyaba enfouir
IIi
[60]
[61]
giha aspect
gismdnf corpore!
giydr changement
guQad negation
gumul"" ensemble
gusddnf charnel
guz'f partie!
badatdn contingence, creation
badatiyya contingence
b(ldit contingent, cree
bakmdnf sapientiel
bdlafa contredire
f:Jalfq digne de
{Jaraka mouvement, motion
l:Jd,~$a propriete, elite, privileges
{1d$~iyya propriete
f:Jatama achever
hay' a figure
bat? sort, destin
f:tigdb voile
/:tikma sagesse
bi~dl raisons, qualites
htyata hyle
hiyflltinf hylique
hiyflldniyya etat hylique
hiyflliyya etat hylique
bubara saintete
budat contingence, creation
bugga argument
f:tulal inhabitation
I 'I
ibdd' inauguration
ibniyya filialite
ib(dl abolition, negation
ibtidd' instauration
irjdfa attribution, relation
'iddt promesses
icftirdr necessite
fgdb rendre necessaire
iifmd' consensus
iiftimd' reunion
iQd(a circonscription
i(ldat production, creation
i/:tkdm perfection
ib.tagaba se voiler
'Ammar al-Bao1rf
ibtigab « envoilement »
i/:ttigag demonstration
if:Jtildf difference
if:Jtila( melange
if:Jti,~d~ specification
if:Jtiydr choix
ikrdh contrainte
iktisdb acquisition
ilahiyya deite, divinite
'ilia cause
imkdn possibilite
imtind' abstention
imtizdg commixion
'inaya providence
inbi'at resurrection
infirdd separation, esseulement
in/i$dl separation
inkdr negation
insf humain
insiyya humanite
intaf:Jaba elire
intifd' absence, negatiotl
intif:Jdb election
iqrdr confession, aveu
irdda volonte
i $/db restauration
'i$ma impeccabilite
israk partidpatioti
istaf:Jla~a elire
istankafa s'abstenir
istibdh similitude
istidldl induction
istfgab exaucement
istibdla transformation
istibqdq merite
istibsdn convenance
i$(ildb convention
istinqdr} delivrance
istiq$d' investigation
istitd'a capacite
itbdt demonstration, etablissement
i'tidal temperance
i' tila' transcendance
itmdm achevement
itnayniyya dualisme
itniyya dualite
ittifdq accord
ittiQdd union
ittif:Jdd assomption
129
I
-------------------------...----------------------------------130
M. Hayek
K
kasf devoilement
katafa opacite
kayfiyya mode
kaynfina advenir
kullf universe!
L
la(lmiyya camalite
lahat divinite
Ia min say' ex nihilo
lata/a subtilite
Iatif subtil
libds vetement
M
ma!;~a~
specifie, elu
ma'!Jfig assume
ma(lwf contenu
mii'iyya quiddite
maknan cache en soi
ma lam yazal qui n'a pas cesse d'etre
ma'lfil cause
ma'na concept, sens
mantiq logique
man(iq capable de rationalite
man(iqiyya rationalite
ma'qfil intelligible
maskan demeure
masi'a volonte
masi(la christianite
masi/;liyya christianite
ma~ir
mufrad singulier, isole
mugayir different
muifta(iab attire
muiftama' reuni
mu(lal impossible, absurde
mu!;alif contradictem, adversaire
mul;ldat cree
mula'im conforme
mum assa con tigu!te
mumazaifa commixion
munasaba parente
munbatiq procectant
munfarid esseule
mun'im genereux
murakkab compose
musakil conforme
mu~ana'a
madda matiere
majham con.;u, intellige
ma(lall suppot, receptacle
mahiyya quiddite
destin
mawat mortel
mawhtlm imaginaire
minhdif propos, dessein
mizaif humeur
mu' alta/ compose
mu'attila agnostiques
mubdrja'a copulation
mubdi' inaugurateur absolu
mubtadi' createur ·
murjdf relatif a, attribue
mufarraq separe
[62]
flatterie
musawat egalite·
musta!JaN specifie
musta!;la~
elu
mustarak commun
musta(i' capable de
muta'a/ 1" transcendant
mutawallid produit
mutta(lad uni
mutta!Jag assume
muzawaifa conjonction
N
nafsani psychique
nafy absence
nafyan negation
nahy interdiction
naqrj refutation, negation
naq~
imperfection
nasaba attribuer
nasfit humanite
nasfitiyya humanite
na(iq detenteur de parole
nawba rang, ordre
na:far speculation
nisba relation
nisbf relatif
nusfi' evolution
Q
qabal receptivite
qarjd' decision
'Ammar
[63]
qadar decret
qadim eternel
qarjiyya these
qahr contrainte
qa'im subsistant
qawl elocution
qidam eternite
qiylis analogie, critere, exemple
qudra puissance
qudam eternite
qunfim substance particuliere
(personne divine)
quwwa potentialite
R
rasw corruption, cojpromission
ra'y opinion
rirja complaisance
rfib esprit
rfibanf spirituel
rukn element
s
$
sabab cause
sahm part
sa!;$ individu
sama'f celeste
samil universe!
sawa rendre semblable
sartk associe
devenir
(iayyara faire devenir
sibb phantasme, corps
#fa qualite
siyasa gouvernement
suhad temoins
~·ara
forme
sas racine, principe
TTT
ta'abl;lada s'unir
ta'aluf harmonie
ta'annus humanisation
ta'ansun hominisation
ta'awun cooperation
tab' nature
(abli'i' elements
tabat subsistance, maintenance
131
tabdyun distinction
{abi'a nature
tab'Uj partition
tabyfn elucidation
tarjiidd opposition
tadarra'a se revetir
tadbir economie
tadriif progression
ta/a#ul grace, generosite
tafawut inegalite
ta/jal/ 11' manifestation, « apocalypse »
taifassada s'incarner
taifassama s'incorporer
tagayyub enfouissement
tagayyur changement
taifazzu' division
taifdid renouvellement
tabarriy"" en vue de
tal;ldid limitation
tabrji¢ exhortation
ta'bid union
tabqiq verification
ta!;~f~
s
~ayrfira
al-Ba~rf
-
specification
takalluf collation de responsabilite
tak!if collation de responsabilite
tala(l mal
ta'lif harmonisation
tamam achevement
tamasuk cohesion, solidarite
tanaqurj, contradiction
tana~ub
opposition
tanasul generation
taqallub evolution
taqawum opposition
taqsfm division
tar!;i$ licence
tar/db composition
ta~bfb
verification, confirmation
tasrif honorification
tat.bft confirmation
tawallud production
tawalud procreation
tawatu' complicite
tiM' traits de nature
tuna'iyya dualite
U'U
ubuwwa paternite
ummahcltf maternel
i
I
!
I
132
unniyya essence
'un~ur principe
untlsll hominite
w
wa'd promesse
wagaba iltre necessaire
wa/:ldilnf unique
wa/:ldaniyya unicite
wa/:ldawiyya unicite
wa/:ldiyya unicite
M. Hayek
[64]
[65]
'Ammttr al-Ba~rf
133
wil/:lid un
wa'l'd menace
wugtlb necessite
wugtld iltre, existence
y
TABLES DES MATIE RES
yaqfn certitude
z
zamani tempore!
I- INTRODUCTION GENERALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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1 - Le lieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2 - Le temps ............. , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3 - Le milieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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4 - La place . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
5 - La theologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
6 - L' ecriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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II - ANALYSE DE L'OEUVRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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A - Le manuscrit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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B - Kitab al-burhan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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De !'existence de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
De Ia vraie religion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
De Ia credibilite du christianisme .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .
De l'authenticite des Ecritures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
De Ia Trinite......................................................
Du mode de !'union . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
De I'etablissement de !'Incarnation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
De la Crucifixion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Du Bapteme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
De l'Eucharistie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Du culte de la Croix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Des joies du Paradis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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C - Kitab al-masil'il wa-l-agwiba . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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9 -
10 11 12 -
a - Premiere Partie: Demonstration de l'eternite et de l'unicite du Createur,
et de Ia creation du monde: en 28 questions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
b - Deuxieme Partie: De l'authenticite des textes evangeliques: en14 questions
c - Troisieme Partie: De l'unicite du Createur en trois Personnes: en 9 questions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
d -· Quatrieme Partie: De !'Incarnation du Verbe et de ce qui en suit: en 51
questions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
III- LEXIQUE TECHNIQUE
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ISLAM OCHRISTIAN A
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2
1976
PONTIFICIO ISTITUTO DI STUDI ARABI
CENTRE D'ETUDES POUR LE DIALOGUE ISLAMO-CHRETIEN
CENTRE OF STUDIES FOR MUSLIM-CHRISTIAN DIALOGUE
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