Spécificités de la personne âgée et leurs conséquences sur la prise

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Dossier
J Pharm Clin 2011 ; 30 (3) : 167-73
Spécificités de la personne âgée et leurs
conséquences sur la prise en charge
médicamenteuse
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
Specificities of the elderly and its impact on drug therapy
Karine Mangerel 1 , Sophie Armand-Branger 2 , Mounir Rhalimi 3
1 Service pharmacie, Centre hospitalier Auban Moët, Epernay
<[email protected]>
2 PUI CGS, EHPAD, Territoire de Belfort
<[email protected]>
3 Service pharmacie, Centre hospitalier Bertinot Juël, Chaumont-en-Vexin
<[email protected]>
Résumé. L’âge s’accompagne de modifications pharmacocinétiques, pharmacodynamiques et physiques qui
peuvent avoir des conséquences sur la prise en charge médicamenteuse. En pratique clinique, comment les prendre
en compte ? Il semble indispensable d’être plus vigilant avec les molécules à marge thérapeutique étroite, en cas
d’hypoalbuminémie, d’estimer systématiquement la fonction rénale par le calcul de la clairance à la créatinine quelle
que soit la formule utilisée et de l’interpréter en tenant compte des âges et poids extrêmes ou d’une éventuelle
déshydratation. Du point de vue pharmacodynamique, elles ont conduit des gériatres, pharmacologues et pharmaciens à établir des listes de médicaments inappropriés en gériatrie. Enfin, le vieillissement peut s’accompagner
de non ou mauvaise observance pouvant rendre inutile toute démarche d’optimisation de la thérapeutique. Une
approche holistique et multidisciplinaire du patient est indispensable pour limiter le risque iatrogénique dans lequel
le pharmacien officinal ou hospitalier doit avoir un rôle à jouer.
Mots clés : personne âgée, vieillissement, pharmacocinétique, pharmacodynamie, médicament
Abstract. Changings of pharmacokinetic, pharmacodynamics and physical in the elderly can have consequences
on the drug therapy. How to take into account them? It seems indispensable to be more watchful with molecules
with narrow therapeutic window, in case of hypoalbuminemia, to consider systematically the renal function by the
stone of the creatinin clearance about is the used formula and to interpret it by taking into account extreme age
and weight or possible dehydration. From the pharmacodynamics point of view, geriatricians, pharmacologists and
pharmacists have established lists of inappropriate drugs in geriatrics. Finally, the ageing can come along of not
or badly observance which can return any useless approach of optimization of the therapeutic. Thus, the holistic
and multidisciplinary approach the patient is essential to limit drug related adverse events in which the pharmacist
or hospital pharmacist must have a role.
Key words: elderly, ageing, pharmacokinetics, pharmacodynamics, drug therapy
Définitions
Personne âgée
À quel âge un individu est-il âgé, « un vieux » ou
un senior ? Cette question est complexe. En effet,
Tirés à part : K. Mangerel
l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) considérait en
1989 qu’il « n’était pas possible de donner (. . .) une définition unique qui pourrait être appliquée d’une manière
cohérente ou serait utile dans tous les contextes » [1]. Dans
ce même rapport, l’OMS a choisi l’âge de 60 ans comme
âge de transition et a introduit la notion de « grand âge »
pour les personnes âgées de 80 ans et plus. Probablement
Pour citer cet article : Mangerel K, Armand-Branger S, Rhalimi M. Spécificités de la personne âgée et leurs conséquences sur la prise en charge
médicamenteuse. J Pharm Clin 2011 ; 30(3) : 167-73 doi:10.1684/jpc.2011.0185
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K. Mangerel, et al.
que des notions telles que le type de vieillissement et le
syndrome de fragilité sont aussi à prendre en compte.
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Vieillissement
Le vieillissement peut être défini comme « l’ensemble des
mécanismes qui font baisser la capacité de l’organisme de
s’adapter aux conditions variables de l’environnement »
[2].
Cependant, Rowe et Kahn [3, 4] en ont défini trois
types :
– le vieillissement usuel ou habituel avec des atteintes
dites physiologiques de certaines fonctions liées à l’âge.
Il correspond à une diminution des réserves adaptatives
définie comme un syndrome de fragilité. Comme le décrit
Bouchon [5] dans son modèle du 1+2+3 (figure 1), ce type
de vieillissement ne peut jamais entraîner une défaillance
clinique d’un organe à lui seul mais associé à une pathologie intercurrente peut provoquer une défaillance de
l’organe sans pathologie (exemple : anémie aiguë entraînant une défaillance cardiaque sur cœur sain « vieilli ») ;
– le vieillissement réussi ou optimal. Il toucherait 12 à
58 % des personnes âgées [3, 4]. Il est associé à la longévité, l’absence de pathologie et un sentiment de bien-être
physiologique, de bonheur et qualité de vie. Ainsi, le sujet
maintient des capacités proches de celles des sujets plus
jeunes de même niveau d’éducation ;
– le vieillissement pathologique comprend des morbidités : dépression, démence, troubles de la locomotion,
troubles sensoriels, affections cardio-vasculaires, dénutrition, qui ont des conséquences sur la prise en charge du
sujet âgé.
Fragilité [6-9]
Selon Karunananthan [6] se référant à un récent consensus
international, « la fragilité consiste en une diminution de
l’homéostasie et de la résistance face au stress qui aug-
mente la vulnérabilité d’une personne lors d’un stress
et l’expose au risque d’évolution défavorable et d’effets
néfastes pour la santé ». Cette définition est non spécifique
du sujet âgé mais « la fragilité est liée à l’âge avancé » [6].
En effet, plusieurs critères dont la fréquence augmente
avec l’âge sont signes de fragilité :
– physiques : perte de poids involontaire, faiblesse généralisée, activité réduite, diminution des performances
telles que les troubles de la marche, les déficiences
sensorielles. . .
– psychiques et cognitifs : délire, démence, dépression. . .
– biologiques : hypoalbuminémie, augmentation des marqueurs de l’inflammation, modification des facteurs de
coagulation, dysfonctionnement de la régulation endocrine, anémie ;
– autres : une hospitalisation, la polymédication notamment de médicaments sédatifs.
Néanmoins, suite à différentes études [9], certains de
ces facteurs sont majeurs dans le syndrome clinique de
fragilité : la démarche lente, la fatigue, l’anorexie, la
perte de poids involontaire et la diminution de la force
musculaire. Ainsi, il est souhaitable de les évaluer pour
déterminer l’éventuelle vulnérabilité d’une personne âgée
afin de prévenir ses conséquences : « chutes répétées, fractures, recours à l’hospitalisation, les infections, l’entrée en
institutionnalisation et le décès » [9].
Conséquences du vieillissement
sur la prise en charge
médicamenteuse
Les principales conséquences du vieillissement sur la prise
en charge médicamenteuse sont liées aux médicaments
par des modifications cinétiques et dynamiques et aux
patients notamment en raison du vieillissement pathologique.
Pharmacocinétique
Fonction
d'organe X
1 Vieillissement physiologique
2 Maladie chronique
100 %
3 Maladie aiguë
1
2
3
Seuil “d'insuffisance”
0
Âge
3
100 ans
J.P. Bouchon, 1+2+3 ou comment tenter d'être efficace en gériatrie, Rev Prat 1984, 34:888.
Figure 1. Modèle 1+2+3 selon Bouchon [5].
168
Les différentes étapes de la pharmacocinétique sont touchées par le vieillissement.
Absorption [10-24]
Avec l’âge, l’absorption orale est peu modifiée. Cependant, les paramètres suivants peuvent avoir une influence
clinique sur la biodisponibilité orale de certaines molécules ou formes galéniques :
– augmentation du pH gastrique : en particulier,
l’absorption du clorazépate est diminuée [17, 18] car
l’acidité gastrique permet sa transformation en son métabolite actif le desméthyldiazépam. À l’inverse, celle de
L-dopa est augmentée [17, 25] par diminution de sa
dégradation par décarboxylation catalysée par l’acidité.
Cependant, étant donné la combinaison avec les autres
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étapes de la cinétique, aucune différence n’a été constatée
cliniquement dans l’étude Nagayama [25] ;
– diminution de la surface de la muqueuse digestive, de
la vidange gastrique, de la motilité intestinale et du débit
sanguin hépatique entraînant une diminution de la biodisponibilité orale du propranolol, de la nifédipine [17, 23],
du calcium, du fer et des vitamines [19, 20].
Les conséquences pharmacocinétiques se situeraient
plus sur la vitesse d’absorption que la quantité absorbée.
En effet, le Tmax (temps pour atteindre la concentration
maximale) est allongé pour la digoxine [11, 26] le chlordiazépoxide, le nitrazépam [11] et la gabapentine [18, 20].
Enfin, l’absorption des formes orales liquides semble
moins altérée que celle des solides (car leur délitement
est plus lent et souvent incomplet avec le vieillissement)
[11].
Les résorptions des voies d’administration intramusculaire et sous-cutanée sont diminuées par la réduction
de la perfusion régionale [11, 15, 19, 20]. Upton [27] a
conclu que la variabilité de la concentration sanguine
en morphine ne peut être uniquement expliquée par
les variabilités de l’absorption sous-cutanée. En effet, la
résorption de cette voie est difficile à évaluer car elle est
influencée par de nombreux facteurs, notamment la température de la peau, un état de choc. . . L’absorption par
voie intraveineuse est inchangée avec l’âge.
Malgré l’atrophie de l’épiderme et du derme,
l’absorption transdermique est diminuée avec le vieillissement en raison de la réduction de la perfusion sanguine
des tissus [19, 20].
Distribution [10-17, 19-24, 28, 29]
Le vieillissement engendre des risques d’accumulation de
certaines molécules par :
– une augmentation de 20 à 50 % de la masse
grasse au profit de la maigre -plus marquée chez
les femmes (33 à 45 %) que les hommes (18-36 %)
[12, 14, 15, 17, 20, 23]. Ainsi, le volume de distribution
et la demi-vie des molécules liposolubles (antidépresseurs
tricycliques, amiodarone, benzodiazépines, prazosine, téicoplanine, thiopental, vérapamil [10-13, 15, 17, 20, 26]
sont augmentées ;
– une diminution de la quantité totale d’eau de 1015 % après 80 ans [20] entraînant un abaissement du
volume de distribution des molécules hydrosolubles :
aspirine, cimétidine, curare, digoxine, famotidine, gentamicine, lithium, morphine, paracétamol phénytoïne,
quinine, sotalol, théophylline [10-13, 17, 20, 25] ;
– une hypoalbuminémie, physiologique (moins 19 % par
rapport à l’adulte en raison de la diminution de la fonction
rénale et de la capacité de synthèse protidique hépatique)
ou pathologique (fréquemment rencontrée chez les sujets
âgés en raison de la dénutrition et l’insuffisance rénale)
augmente la fraction libre de 12,5 % [11].
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Les risques de surdosage sont plus fréquents :
– avec les molécules fortement liées à l’albumine
(plus de 90 %) : amiodarone, antiépileptiques, antiinflammatoires non stéroïdiens (AINS), antivitamines K,
diazépam, digoxine, hormone thyroïdienne, phénytoïne,
sulfamide [10-15, 17, 19-21, 23, 26, 29] ;
– par des mécanismes de compétition dans le cas
d’association de plusieurs médicaments liés à l’albumine.
Une augmentation de l’␣1 -glycoprotéine acide et des
␣, ␤ et ␥ lipoprotéines n’aurait pas ou peu d’effet clinique
pour les molécules liées à celles-ci : amitriptyline, carbamazépine, diltiazem, imipramine, lidocaïne, propranolol,
quinidine, vérapamil [10-12, 20, 23, 28].
Enfin, une diminution du débit cardiaque de 1 %
par an après 30 ans [11] entraîne une diminution de la
perfusion des organes, pouvant ainsi prolonger le délai
d’action des médicaments notamment ceux employés
pour l’induction de l’anesthésie.
Métabolisme hépatique [10-17, 19-24, 28]
Avec l’âge, la masse (de 25 à 35 %), le flux sanguin (de 0,3
à 1,5 % par an à partir de 25 ans) et le pouvoir de métabolisation hépatique (de 30 %) sont diminués. Cependant,
les conséquences de ceux-ci sur le métabolisme des
médicaments sont complexes et controversées [10, 11, 1317, 19, 20, 23, 28]. L’effet n’est pas identique pour toutes
les molécules métabolisées. Par exemple, avec l’âge, la
clairance de l’amiodarone, de l’amitriptyline, du triazolam, du fentanyl, des inhibiteurs HMG CoA réductase, de
la nifédipine, de la warfarine et du vérapamil est diminuée
de 20 à 40 % alors que celle de l’alfentanil, du diazépam,
du paracétamol, du diclofénac, du citalopram et de la rispéridone est inchangée [19, 20, 23]. Cette différence a été
expliquée par la capacité d’extraction des médicaments
du foie qui est plus ou moins forte.
Ainsi, il a été montré qu’un phénomène de saturation des voies de métabolisation chez le vieillard a été
observé avec le propranolol, la lidocaïne et le métoprolol pouvant entraîner l’apparition des signes de surdosage
[10, 11, 13, 16, 21].
Les différentes voies de métabolisation sont touchées de façon variable. Les réactions de phase I
déclinent avec l’âge (carbamazépine, phenytoïne, tiagabine et acide valproïque). Pour les biotransformations de
phase II, on observe peu d’effets. Ainsi, aucun phénomène d’accumulation n’est observé avec le paracétamol
qui est glucurono- et sulfonoconjugué [10, 11, 14-17,
19-21, 28].
L’effet de l’induction enzymatique serait moins important avec l’âge pour le tabac sur le propranolol et la
rifampicine, alors que cet effet ne sera pas modifié pour
le tabac ou la phénytoïne sur la théophylline. Aucune
modification de l’inhibition enzymatique chez les sujets
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K. Mangerel, et al.
âgés n’a été retrouvée avec la cimétidine, la fluoxétine,
la ciprofloxacine ou l’association de deux inhibiteurs.
[10, 11, 13, 14].
Cependant, l’âge ne serait pas le seul facteur de variation du métabolisme interindividuel. En effet, une étude
[10] a porté sur la relation âge et génotype pour déterminer la dose nécessaire de warfarine. Les résultats ont
montré que les plus de 85 ans hétérozygotes pour le
CYP2CP*3 ont nécessité seulement 2 mg par jour versus
3,1 mg pour ceux sans l’allèle CYP2C9*3. Ainsi, l’âge a été
un facteur déterminant associé au génotype.
En conclusion, actuellement les effets de l’âge sur
le métabolisme hépatique de médicaments ainsi que
l’adaptation des posologies au niveau d’insuffisance
hépatique sont difficilement évaluables et applicables
en pratique clinique. Probablement, dans l’avenir, il
sera nécessaire de réaliser des génotypes des voies de
métabolisation afin de déterminer les doses idéales de
médicaments.
Élimination [10-17, 19-24, 28, 30-32, 34]
Avec l’âge, l’excrétion rénale des molécules est modifiée par diminution de quatre facteurs : le flux sanguin
(moins 1 % par an après 50 ans), la filtration glomérulaire
(moins 25 à 50 % entre 20 et 90 ans) et la fonction tubulaire et de la capacité de réabsorption. Ainsi, la demi-vie
des médicaments ou de leurs métabolites actifs éliminés majoritairement par voie urinaire est potentiellement
augmentée (AINS, aténolol, digoxine, aminoside, lithium,
morphine, inhibiteurs de l’enzyme de conversion, héparines de bas poids moléculaire). Il convient d’être vigilant
avec les médicaments notamment à marge thérapeutique
étroite, pour lesquels il est souhaitable de connaître la
fonction rénale du patient mais aussi de pratiquer des
dosages plasmatiques [10-17, 20, 21, 23-25, 28, 32].
Cependant, contrairement à la fonction hépatique,
il existe un paramètre prédictif de la fonction rénale :
le débit de filtration glomérulaire (DFG). En pratique
courante, il est difficile de l’estimer par les techniques
utilisant des marqueurs exogènes injectés (inuline ou isotopes radioactifs) [32]. Par conséquent, une estimation du
DFG peut être réalisée par la clairance de la créatinine
(Cl créat). La créatinine est un produit de métabolisme
musculaire qui est filtrée par le rein sans être réabsorbée
mais subit aussi une sécrétion tubulaire partielle. De plus,
l’élimination des médicaments est étudiée par rapport à
ce critère dans les études cliniques. Dans le résumé des
caractéristiques des produits (RCP), on retrouve souvent
[34] les préconisations concernant les ajustements posologiques ou les modifications des rythmes d’administration
en fonction de la Cl créat [15]. Enfin, il est préférable
de prescrire des médicaments à demi-vie d’élimination
courte en gériatrie sans métabolite actif (antidiabétiques
oraux, benzodiazépines) [15].
170
Plusieurs formules existent pour estimer la Cl créat qui
nécessitent différents paramètres :
– Cl Créat endogène (mL/min)
Cl créat = (U x V)/P
U = créatininurie ; V = volume des urines de 24 heures ;
P = créatininémie
Elle est assez difficile à réaliser en gériatrie chaque jour
car elle nécessite le recueil des urines des 24 heures chez
des patients ayant des troubles cognitifs, une incontinence
urinaire [15, 32].
– Formule de Cockcroft-Gault (CG)
Cl créat = k x (140 – âge (année)) x poids
(kg)/créatininémie (␮mol/L)
k = 1,23 (homme) et k = 1,04 (femme)
Son estimation du DFG est meilleure si elle est rapportée
à la surface corporelle soit :
Cl créat (mL/min/1,73 m2 ) = Cl créat (mL/min) x 1,73/surface corporelle (m2 )
– Formule “Modification of the Diet in Renal Disease”
= MDRD simplifiée
DFG = k x 186 x [créatininémie (␮mol/L)] -1.154 x [Age]
-0.203
(mg/dL)
k = 1 (homme) et k = 0.742 (femme)
Le débat actuel repose sur la pertinence de ces formules pour un sujet âgé (tableau 1). En effet, la formule
de CG sous-estime le DFG [10, 16, 30-32] contrairement
à la formule MDRD simplifiée qui permettrait une estimation plus appropriée du DFG [30-32]. Cependant, les
adaptations posologiques des médicaments à la Cl créat
des RCP sont étudiées avec la formule de CG. De plus,
la créatinine est un marqueur dépendant de la masse
musculaire. Ainsi, quelle que soit la formule utilisée, la Cl
créat est à interpréter avec précaution chez le sujet âgé en
raison de la fréquence de la sarcopénie, de la dénutrition,
de l’obésité et de la déshydratation [10, 16, 19, 20]. Finalement, au-delà de ce débat, il est primordial d’effectuer
systématiquement une estimation de la fonction rénale en
ne se limitant pas à la valeur de la créatininémie mais en
calculant une Cl créat.
En pratique clinique, toutes ces modifications
pharmacocinétiques sont difficiles à prendre en compte. Il
faut probablement être plus vigilant avec les molécules à
marge thérapeutique étroite, en cas d’hypoalbuminémie,
estimer systématiquement la fonction rénale par le calcul
de la clairance à la créatinine. Une synthèse des conséquences et les molécules concernées sont présentées dans
le tableau 2.
Pharmacodynamique
[12, 13, 15, 16, 19-24, 33, 34]
Le vieillissement physiologique s’accompagne de modifications pharmacodynamiques, c’est-à-dire « la capacité
des organes cibles à répondre aux médicaments » [22].
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Tableau 1. Comparaison de la formule de Cockcroft-Gault et MDRD.
Formule de calcul
Cockcroft-Gault
MDRD
Calcul
Simple
Complexe
Variables
(autre que la créatininémie)
Age, sexe
Poids (et taille) à connaître
Age et sexe
Indépendante du poids et taille
Ethnie à connaître
Chez le sujet âgé
Sous-estimation du débit de filtration glomérulaire
Meilleure estimation du débit de filtration glomérulaire
Etude clinique
La référence
Non utilisée
Interprétation difficile
En cas de dénutrition, déshydratation, sarcopénie, obésité. . .
Elles sont associées ou non à une incidence clinique
qui peut être augmentée (amiodarone, antihypertenseurs,
métoclomipramine, opiacées, psychotropes) ou diminuée
(médicament agissant sur système ␤ adrénergique).
Elles touchent la sensibilité et le nombre de récepteurs à des médicaments entraînant une altération
de la liaison au récepteur, de l’action au niveau
post récepteur et/ou des systèmes de contre-régulation
[12, 13, 16, 19, 20, 22, 23, 33].
De plus, l’âge entraîne une réduction progressive
des mécanismes homéostatiques. Citons ici quelques
exemples [19, 20, 23, 34] :
– la réponse hypotensive aux antihypertenseurs est majorée avec une fréquence de 5-33 % [20], ce qui est
contributif de chute et malaise par la diminution du
nombre de barorécepteurs ;
– la sensibilité du système nerveux central aux psychotropes contribue à majorer le risque confusionnel ;
– le vieillissement du cœur, en particulier la perte du
contingent de cellules nodales peut entraîner une plus
grande sensibilité à certains médicaments (troubles voire
blocs conductifs) [23, 34] ;
– la réponse bronchodilatatrice à la théophylline est diminuée.
Ces données pharmacodynamiques ont conduit des
gériatres, des pharmaciens et des pharmacologues à établir des listes de médicaments inappropriés en gériatrie
[40].
logie avec « prise en charge de la maladie coronaire du
sujet âgé » en 2008 [41].
En pratique courante, certains effets du vieillissement
tels que la diminution des sens (vision, audition...), les
troubles de la dextérité liés à des rhumatismes déformants
ou à un tremblement, les dysphagies et les troubles mnésiques peuvent rendre difficile :
– la manipulation des médicaments (ouverture des flacons, comptage de gouttes, découpe d’un comprimé en
deux ou quatre..) ;
– l’administration d’une médication (taille des comprimés, administration d’un suppositoire ou d’un
collyre. . .) ;
– le respect d’un plan de prise complexe (prise irrégulière : une fois par semaine, un jour sur deux, prises
multiples par jour).
De plus, la fréquence de l’isolement social ou géographique, la perte d’autonomie, les conditions climatiques
extrêmes et les difficultés financières peuvent compliquer
l’approvisionnement en médicaments.
Il est donc indispensable d’apporter une solution personnalisée au patient en tenant compte de ses souhaits,
en adaptant la galénique, le plan de prise au patient et
à la présence ou non d’un aidant pour la préparation
et l’administration des médicaments et en proposant des
actions d’éducation au patient et/ou son entourage.
Points clés
Conséquences physiques
et corrélation psychosociale
[5, 13, 15, 16, 22, 24, 35-39,41, 42]
L’ensemble des organes vieillit avec l’âge. Cependant, les
conséquences sur la prise en charge médicamenteuse sont
difficiles à appréhender et à cerner. Quelques sociétés
savantes ont émis des recommandations spécifiques chez
les sujets âgés telles que la Société Française de CardioJ Pharm Clin, vol. 30 n◦ 3, septembre 2011
• La fonction rénale doit systématiquement être estimée chez le sujet âgé par le calcul de la fonction rénale.
• Le vieillissement peut s’accompagner de non ou
mal observance pouvant rendre inutile toute démarche
d’optimisation de la thérapeutique.
• L’approche holistique et multidisciplinaire du patient
est indispensable pour limiter le risque iatrogénique
dans lequel le pharmacien officinal ou hospitalier doit
avoir un rôle à jouer.
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K. Mangerel, et al.
Tableau 2. Modifications pharmacocinétiques avec l’âge et leurs conséquences.
Étapes
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Absorption orale
Absorption IM, SC,
transdermique
Distribution
Métabolisme hépatique
Modifications avec l’âge
Conséquences
Exemples de molécules concernées
↑ pH gastrique
Modification de dissolution, solubilité
et ionisation des formes galéniques
Molécules basiques, cimétidine, clorazépate, L- dopa
↓ surface de la muqueuse digestive,
vidange gastrique, motilité sanguine
et débit sanguin
↓ biodisponibilité orale
Nifédipine, propranolol, calcium, fer, vitamines
↑ vitesse d’absorption et T max
Digoxine, chlordiazépoxide, nitrazépam,
gabapentine
↓ perfusion régionale des tissus
↓ résorption
↑ masse grasse
↓ masse musculaire
↑ Vd et t 1/2 vie des molécules
liposolubles
Antidépresseurs tricycliques, amiodarone,
benzodiazépine, prazosine, teicoplanine, thiopental,
verapamil
↓ eau totale
↓ Vd et t 1/2 vie des molécules
hydrosolubles
Aspirine, cimétidine, curare, digoxine, famotidine,
gentamicine, lithium, morphine, paracétamol,
phenytoïne, quinine, sotalol, théophylline
↓ albuminémie
↑ fraction libre
Amiodarone, antiépileptiques, AINS, antivitamines K,
diazépam, digoxine, hormones thyroïdiennes,
phenytoïne, sulfamides
↓ débit cardiaque
↑ délai d’action
Induction d’anesthésie
↓ pouvoir de métabolisation
Saturation des voies de métabolisation
Propranolol, lidocaïne, métoprolol
↓ activité enzymatique
↓ réaction de phase I
Carbamazépine, phenytoïne, tiagabine, acide
valproïque
↑ t 1/2 vie des médicaments
ou métabolites actifs éliminés
à plus de 60 % par voie urinaire
AINS, aténolol, digoxine, aminoside, lithium,
morphine, inhibiteurs d’enzyme de conversion,
Héparines de bas poids moléculaires. . .
↓ flux sanguin
Élimination
↓ filtration glomérulaire
↓ fonction tubulaire
↓ capacité de résorption
AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens ; Vd : volume de distribution ; T max : temps nécessaire pour atteindre la concentration maximal ; t
demi-vie d’élimination.
Conclusion : intérêt de la
pharmacie clinique en gériatrie
[13, 15, 16, 22, 24, 43]
Les conséquences du vieillissement sont complexes et
peuvent être variables d’un sujet à l’autre. Comme le décrit
le modèle de Bouchon [5], le sujet âgé est en équilibre fragile. Ainsi, une pathologie d’organe ne peut être traitée
172
1/2 vie :
indépendamment des autres comorbidités au risque de
perturber l’équilibre. Ainsi, une approche holistique du
patient est d’autant plus indispensable en gériatrie pour
l’ensemble des acteurs de santé. Devant la complexité des
conséquences du vieillissement dans sa prise en charge
médicamenteuse, une approche multidisciplinaire s’est
développée en gériatrie impliquant : médecin, infirmier,
aide-soignant, ergothérapeute, psychologue, assistante
J Pharm Clin, vol. 30 n◦ 3, septembre 2011
Dossier
sociale ; kinésithérapeute, animateur. . . De par sa formation, sa vision globale des prescriptions (émanant parfois
de plusieurs prescripteurs) et ses activités de pharmacie
clinique, le pharmacien qu’il soit hospitalier ou officinal a
toute légitimité à s’intégrer dans ces équipes prenant en
charge les personnes âgées afin de prévenir les risques
iatrogéniques.
Conflits d’intérêts : aucun.
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