Article original Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2012 ; 10 (4) : 463-70 Effet du vieillissement sur la mémorisation d’itinéraires réels : l’importance de la mémoire de travail et de la mémoire épisodique Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Effect of aging on real route memorization: the role of working memory and episodic memory 2 Université Paris-Sud, LIMSI, Orsay, France Résumé. Cette recherche analyse le rôle des différentes composantes de la mémoire dans le déclin, lié au vieillissement, des capacités de représentations spatiales d’itinéraires nouveaux. Alors que peu d’études ont considéré l’apprentissage d’itinéraires réels, dans cette expérience, la mémorisation des lieux, leur ordre de succession ainsi que la mémorisation des directions d’un itinéraire urbain complexe réel ont été évalués chez 30 jeunes adultes et chez 30 personnes âgées saines. Diverses habiletés cognitives des participants, dont leur mémoire de travail et leur mémoire épisodique, étaient évaluées à l’aide de tests neuropsychologiques. Les résultats mettent en évidence que les différentes performances de mémorisation de l’itinéraire par les participants âgés sont nettement inférieures à celles des participants jeunes dans les trois tâches utilisées. La détérioration de la mémoire épisodique avec l’âge expliquerait en partie que les personnes âgées reconnaissent moins bien les différents lieux de l’itinéraire que les jeunes adultes. Enfin, c’est le déclin de la mémoire de travail lors du vieillissement qui expliquerait que les personnes âgées restituent beaucoup moins bien les directions associées aux repères de l’itinéraire. 3 Université Paul-Valéry Montpellier III, Epsylon, Montpellier, France Mots clés : apprentissage d’itinéraire, mémoire de travail, mémoire épisodique, vieillissement normal Doriane Gras1 Marie-Paule Daniel2 Guy Labiale3 Pascale Piolino1,4 ValÉrie Gyselinck1 1 Université Paris Descartes, Laboratoire mémoire et cognition (LMC), Boulogne-Billancourt, France <[email protected]> 4 Centre de psychiatrie et neurosciences, Inserm UMR S894, Paris, France Tirés à part : D. Gras Abstract. This research investigates the role of different memory components in the agerelated decline of new route learning. Few studies have considered real route learning, for which the situation can be more complex, and the richness greater than with simple mazes. In this experiment, the memory of a route in a real city has been assessed considering visual scene recognition, directions recognition, and temporal order memorization. Thirty young adults (m = 25 years old) and 30 older adults (m = 70 years old) have watched the video of the route twice before performing the three recognition tasks. Various cognitive abilities (episodic memory, verbal and visuo-spatial working memory, short-term binding, inhibition, flexibility, and mental rotation ability) have then been assessed through different neuropsychological tests. The results demonstrate that older adults have poorer performance than younger in the three route learning tasks: visual scene recognition task, direction recognition task, and temporal order recognition task. Moreover, mediation analyses indicate that episodic memory performance partly explains the effect of aging on visual scene recognition, while working memory capacity performance (measured with Corsi’s block test, digit span test, and multimodal span test) partly explains the effect of aging on direction recognition. Spatial memory involved in real navigation and route learning is thus impaired in normal aging, which is partly due to the decline of episodic and working memory components. doi:10.1684/pnv.2012.0370 Key words: route learning, working memory, episodic memory, normal aging L orsque nous effectuons un trajet dans un nouvel environnement, nous construisons une représentation mentale de cet environnement qui sera mémorisée en mémoire à long terme. Cette représentation mentale de l’itinéraire pourra alors nous permettre de faire différentes tâches ultérieures (e.g., refaire le trajet, reconnaître un lieu précis, dessiner une carte de l’environnement, indiquer ce chemin à quelqu’un). La capacité à construire et à mémoriser une représentation visuo-spatiale correcte d’un itinéraire est essentielle dans la vie quotidienne afin de pouvoir se déplacer de manière autonome. Lors du vieillissement normal, il semblerait que la mémorisation de nouveaux itinéraires décline, amenant certaines personnes âgées à limiter leurs déplacements lorsque l’environnement Pour citer cet article : Gras D, Daniel MP, Labiale G, Piolino P, Gyselinck V. Effet du vieillissement sur la mémorisation d’itinéraires réels : l’importance de la mémoire de travail et de la mémoire épisodique. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2012; 10(4) :463-70 doi:10.1684/pnv.2012.0370 463 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. D. Gras, et al. est nouveau pour elles. De nombreuses études ont montré un effet du vieillissement normal sur la construction des représentations spatiales [1-3] ; ainsi, les personnes âgées ont plus de difficultés que les jeunes adultes à construire et utiliser des cartes cognitives [4, 5]. Cependant, cet effet de l’âge serait plus important lors de l’utilisation d’une perspective allocentrique (indépendante du point de vue du sujet) que lors de l’utilisation d’une perspective égocentrique (centrée sur le point de vue du sujet) [6], même s’il est également souvent observé avec la perspective égocentrique. Pour ce dernier cas, et dans certaines conditions (petit nombre d’items à retenir et intervalles de rétention courts), la mémoire des informations de localisation semble être préservée avec le vieillissement [7]. De plus, même si les personnes âgées mettent plus de temps que les jeunes adultes à mémoriser un itinéraire, lorsque cet itinéraire est parfaitement appris, il n’y a plus de différences entre les participants jeunes et âgés, même lorsque les repères visuels ne sont plus présents [8]. Cela semble indiquer que les personnes âgées ne s’appuient pas plus sur les repères visuels que les jeunes adultes pour refaire un chemin bien connu. Nous nous sommes intéressés ici aux facteurs cognitifs susceptibles d’expliquer l’effet de l’âge sur la mémorisation avec une perspective égocentrique de nouveaux itinéraires. La représentation mentale construite lors de cette mémorisation est très complexe, elle intègre différents types d’information et implique différents processus qui n’ont pas nécessairement la même sensibilité au vieillissement. D’après Lipman et Caplan [9], la mémorisation d’un itinéraire impliquerait à la fois une représentation des lieux et une représentation de la configuration spatiale et chacune de ces représentations pourrait avoir des sensibilités différentes à plusieurs variables, telles que l’âge. Apprendre un itinéraire avec de multiples points de décision (comme continuer tout droit, tourner, traverser) implique la mémorisation à la fois des repères visuels présents le long de la route, des associations des informations directionnelles avec ces repères et de l’ordre de ces repères [10]. Autrement dit, dans une activité de familiarisation avec un nouvel itinéraire, nous devons mémoriser les lieux rencontrés, ainsi que les directions prises lors du trajet et l’ordre d’apparition des différents lieux. Dans la présente étude, ces trois composantes seront donc considérées : la mémoire des lieux avec une tâche de reconnaissance des scènes visuelles, la mémoire des directions avec une tâche de reconnaissance des directions et la mémoire de l’ordre avec une tâche de reconnaissance de l’ordre temporel. rarement prises en compte dans les études sur les effets du vieillissement sur l’apprentissage d’itinéraires. Driscoll et al. [13] ont montré une corrélation entre les performances à des tests de rotation mentale – tâches impliquant pour les résoudre de faire tourner mentalement l’image de figures géométriques plus ou moins complexes – et la performance à la version virtuelle de la piscine de Morris (épreuve dans laquelle les participants doivent retrouver une cible cachée dans une arène circulaire) chez des sujets jeunes et âgés. Moffat et al. [14] ont montré des corrélations positives entre la performance d’apprentissage d’un labyrinthe et respectivement les performances de rotation mentale, de mémoire verbale et de mémoire visuelle. De plus, Cherry et Park [15] ont montré que la capacité de mémoire de travail, c’est-àdire la capacité à stocker et manipuler une petite quantité d’information dans un temps limité, rendait compte d’une part importante de l’effet de l’âge sur la mémoire des localisations spatiales. Aussi, dans notre expérience, différents tests neuropsychologiques seront utilisés afin d’évaluer les habiletés cognitives et les capacités mnésiques des participants dans le but de déterminer quels facteurs peuvent expliquer les effets de l’âge sur la mémorisation des itinéraires. Dans la plupart des études précédentes, des labyrinthes (composés de couloirs avec peu de détails visuels) ont été utilisés pour tester la mémorisation d’itinéraires en laboratoire. Cependant, ces environnements très appauvris ne ressemblent guère aux environnements que nous rencontrons habituellement dans la vie quotidienne. C’est pourquoi nous avons choisi ici d’utiliser des environnements réels (rues d’une ville réelle) pour tester la mémorisation des itinéraires, afin d’être dans des conditions aussi écologiques que possible pour nos participants jeunes et âgés. Nous faisons l’hypothèse que, confrontés à un matériel visuospatial très proche d’une situation réelle, les participants seront susceptibles de mettre en œuvre différentes stratégies de mémorisation et s’appuieront sur une grande variété d’indices visuels pour mémoriser l’itinéraire présenté. Les patterns des performances de restitution des itinéraires observées, et leur mise en relation avec les habiletés visuospatiales et mnésiques mesurées, devraient contribuer à mettre à jour les processus impliqués dans l’apprentissage d’itinéraires chez les participants jeunes et âgés. Méthodes Par ailleurs, de nombreuses études mettent en évidence, chez l’adulte jeune, une contribution de différentes habiletés, en particulier visuo-spatiales, dans la construction d’une représentation spatiale [11, 12], mais celles-ci sont Trente jeunes adultes (14 hommes et 16 femmes), entre 19 et 30 ans (m = 25,27 ± 3,46 ans), et 30 personnes 464 Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 4, décembre 2012 Participants Effet du vieillissement sur la mémorisation d’itinéraires réels avec le point de vue d’un piéton parcourant chaque itinéraire. Le visionnage du film de l’itinéraire d’entraînement dure 45 secondes et comprend un seul carrefour, alors que le visionnage du film de l’itinéraire expérimental dure 12 minutes (la vitesse des vidéos a été légèrement accélérée, pour l’itinéraire expérimental la durée réelle était de 16 minutes et 30 secondes) et comprend 16 intersections (figure 1). En outre, différentes photos couleur des rues de Boulogne-Billancourt ont été prises, certaines faisant partie des itinéraires, d’autres non. Pour la tâche de reconnaissance des scènes visuelles, trois photos ont été utilisées pour l’itinéraire d’entraînement (deux cibles faisant partie de l’itinéraire et un distracteur ne faisant pas partie de l’itinéraire) et 32 photos pour l’itinéraire expérimental (16 cibles et 16 distracteurs). Un exemple est présenté sur la figure 2. Pour la tâche de reconnaissance des directions, deux photos ont été présentées pour l’itinéraire d’entraînement (une prise avec la même perspective que la vidéo et une avec une perspective différente, c’est-à-dire prise d’une autre des rues du croisement) et 20 photos Matériel Matériel expérimental Deux itinéraires ont été sélectionnés dans les rues de la ville de Boulogne-Billancourt afin de définir un itinéraire d’entraînement et un itinéraire expérimental. Des films en couleur de ces deux itinéraires ont été réalisés fed Eglise Av en ienne Mairie Rue de l'Anc Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. âgées (huit hommes et 22 femmes), entre 65 et 87 ans (m = 69,87 ± 5,75 ans), ont participé à cette expérience. Les personnes âgées étaient en bonne santé et ne présentaient pas de signe de déficit cognitif au mini-mental state examination (m = 27,77 ± 1,74) [16], ni de dépression (vérifié par la geriatric depression scale [GDS]). De plus, les deux groupes d’âge avaient un niveau d’étude équivalent (mesuré par années de diplôme), ainsi qu’un niveau de vocabulaire comparable comme l’attestent leurs scores à l’adaptation française du Mill Hill (mjeunes = 23,07 ± 5,24 ; mâgés = 22,70 ± 4,87 ; t(58) < 1) [17]. ue M or ize t Rue sier orbu du C Bar Tabac « Le Chiquito » Musée Landowski A D Rue Bureau de poste ncou Billa ri ve Bou Rue Subway rt Figure 1. Carte de l’itinéraire expérimental. Figure 1. Map of the experimental route. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 4, décembre 2012 465 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. D. Gras, et al. Figure 2. Photographie de l’itinéraire expérimental utilisée dans la tâche de reconnaissance des scènes visuelles. Figure 2. Picture of the experimental route used in the visual scene recognition task. chacune une scène (un pique-nique, un magasin, la campagne et le repas) sur laquelle quatre personnages parmi les sept de la famille (grand-mère, grand-père, mère, père, fille, fils et chien) font différentes activités. Pour le test des cubes de Corsi [19] évaluant la capacité de mémoire de travail visuo-spatiale, neuf cubes arrangés de façon irrégulière sur une planche en bois de 38 × 32 cm sont utilisés (ces cubes sont numérotés sur le côté vu par l’expérimentateur, afin de faciliter leur identification). Pour le test d’empan de chiffres évaluant la capacité de mémoire de travail verbale, des séries de deux à neuf chiffres sont utilisées. Pour le test d’empan multimodal [20] évaluant les capacités d’intégration – le binding à court terme, des images représentant un objet et sa localisation dans une maison sont utilisées. Le test d’inhibition-flexibilité [20] évaluant ces fonctions exécutives est composé de différentes planches de 28 dessins imprimées sur des feuilles A4. Pour les quatre planches « animaux », des dessins de papillons, chiens ou éléphants de même taille sont répartis de manière aléatoire. Pour les quatre planches « carrés », ce sont des carrés petits, moyens ou grands qui sont répartis sur la planche. Les quatre planches « inhibition » et les quatre planches « flexibilité » sont composées de dessins de papillons, chiens ou éléphants, petits, moyens ou grands. Enfin, le test de rotation mentale [21] évaluant les habiletés de manipulation visuo-spatiale, comporte 20 items, chaque item étant constitué d’une figure cible en 3D (formée de dix cubes) et de quatre figures tests (deux figures étant identiques à la figure cible mais ayant subi une rotation et les deux autres étant le reflet en miroir de la figure cible ayant également subi une rotation). Procédure Le test des scènes de famille [18] évaluant la mémoire épisodique est composé de quatre images représentant La procédure était identique pour les deux itinéraires, mais le nombre d’items était moins important pour l’itinéraire d’entraînement que pour l’itinéraire expérimental. L’expérience débutait par deux présentations successives du film de l’itinéraire projeté par un vidéoprojecteur sur le mur de la salle d’expérimentation (taille de l’image : 1,60 m × 2,10 m, participants assis à environ 1 m 60 du mur dans une pièce sombre). Ensuite, les participants étaient invités à effectuer successivement les trois tâches suivantes : une tâche de reconnaissance des scènes visuelles, une tâche de reconnaissance des directions et une tâche de reconnaissance de l’ordre temporel. Pour la tâche de reconnaissance des scènes visuelles, des photos des rues de Boulogne-Billancourt étaient présentées une par une dans un ordre aléatoire différent pour chacun des participants. Chaque participant devait alors indiquer le plus rapidement possible par l’appui sur une des touches 466 Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 4, décembre 2012 Figure 3. Photographie de l’itinéraire expérimental utilisée dans la tâche de reconnaissance des directions. Figure 3. Picture of experimental route used in the direction recognition task. ont été présentées pour l’itinéraire expérimental (11 photos avec la même perspective et les neuf autres avec une perspective différente). Un exemple est présenté sur la figure 3. Enfin, pour la tâche de reconnaissance de l’ordre temporel, les photos cibles de la tâche de reconnaissance des scènes visuelles ont été utilisées, formant ainsi 28 paires pour l’itinéraire expérimental. Tests neuropsychologiques utilisés Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Effet du vieillissement sur la mémorisation d’itinéraires réels d’un clavier d’ordinateur si la photo représentait un lieu faisant partie de l’itinéraire ou non. Puis, les participants effectuaient la tâche de reconnaissance des directions. Pour cela, des photos des intersections de l’itinéraire étaient projetées et les participants devaient indiquer par l’appui sur une des touches du clavier la direction à prendre à l’intersection (droite, gauche ou tout droit). Dans la condition « même perspective », les photos étaient prises en venant de la même rue que dans la vidéo, alors que dans la condition « perspective différente », les photos étaient prises à partir d’une autre rue que dans la vidéo ce qui obligeait les participants à effectuer une rotation mentale pour répondre à la question. Enfin, dans la tâche de reconnaissance de l’ordre temporel, des paires de photos étaient présentées aux participants qui devaient indiquer à l’aide d’une des touches du clavier quelle photo (photo de droite ou de gauche) représentait le lieu rencontré en premier lors de l’itinéraire. Un contrebalancement a été effectué de sorte que, sur l’ensemble des sujets, chaque paire de photos était présentée autant de fois dans chaque sens (photo A à droite et photo B à gauche ou inversement) et que, pour chaque sujet, il y ait eu autant de réponses correctes à droite qu’à gauche. Une fois ces tâches terminées, les participants passaient différents tests neuropsychologiques, afin d’évaluer leurs habiletés cognitives. La procédure de chacun de ces tests est présentée ci-dessous. Scènes de famille Chacune des quatre images est présentée pendant dix secondes. La tâche des sujets est, suivant les questions de l’expérimentateur, de rappeler successivement les personnages présents sur chacune des scènes, leur position dans l’image, ainsi que ce qu’ils faisaient. Cubes de Corsi Les participants doivent rappeler des séries de taille croissante de cubes pointés par l’expérimentateur. Empan de chiffres Les participants doivent rappeler des séries de taille croissante de chiffres lues par l’expérimentateur. d’erreur, la taille des animaux dans la réalité (petits pour les papillons, moyens pour les chiens et grands pour les éléphants). Pour les planches « carrés », la tâche des participants est de dénommer le plus rapidement possible et sans faire d’erreur, la taille des carrés (petits, moyens ou grands). Pour les planches « inhibition », la tâche des participants est de dénommer le plus rapidement possible et sans faire d’erreur, la taille des animaux dans la réalité en ignorant la taille des dessins. Enfin, pour les planches « flexibilité », la tâche des participants est de dénommer une fois sur deux la taille de l’animal dans la réalité et une fois sur deux la taille du dessin de l’animal, le plus rapidement possible et sans faire d’erreur. Dans chaque condition, le temps est limité à 60 secondes et l’expérimentateur corrige les erreurs et note le nombre de dessins dénommés. Test de rotation mentale La tâche des participants est d’entourer les deux figures tests correspondant à la figure cible. Les participants ont huit minutes pour répondre à un maximum d’items, un point est donné pour chaque item réussi (deux figures tests correctement identifiées). Analyse des données Les analyses statistiques ont été réalisées grâce au logiciel Statistica. Dans un premier temps, des Anova ont été réalisées séparément sur les scores de chacune des tâches expérimentales testées afin d’évaluer les effets de l’âge. Dans un second temps, des analyses de régression ont été effectuées pour déterminer quels facteurs cognitifs pouvaient expliquer l’effet de l’âge sur les représentations spatiales d’un itinéraire. Pour cela, une première régression a été faite pour voir si l’âge prédisait ou non les scores aux trois tâches expérimentales. Ensuite, les scores aux tests neuropsychologiques prédits par l’âge ont été ajoutés à la régression, afin de voir si la part de variance expliquée par le facteur « âge » diminuait avec l’ajout de ces nouveaux facteurs. Résultats Tâche de reconnaissance des scènes visuelles Empan multimodal Pour les planches « animaux », la tâche des participants est de dénommer le plus rapidement possible et sans faire Une Anova à mesures répétées a été réalisée sur le nombre de réponses correctes avec le facteur inter-sujets « groupe d’âge » (à deux modalités : sujets jeunes et âgés) et le facteur intra-sujets « type d’item » (à deux modalités : cible et distracteur). L’effet du facteur « groupe d’âge » était significatif (F(1,58) = 29,22 ; p < 0,001), confirmant que les jeunes adultes (m = 24,53 ± 2,10) donnaient Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 4, décembre 2012 467 Les participants doivent rappeler des séries de taille croissante d’associations objet-localisation. Test d’inhibition-flexibilité Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. D. Gras, et al. plus de réponses correctes que les personnes âgées (m = 20,60 ± 3,39). De plus, l’effet du facteur « type d’items » était significatif (F(1,58) = 10,69 ; p < 0,01), indiquant que les participants, quel que soit leur âge, donnaient plus de réponses correctes en rejetant les distracteurs (m = 12,07 ± 2,03) qu’en reconnaissant les photographies de l’itinéraire (m = 10,5 ± 2,52). En revanche, l’interaction entre le facteur « groupe d’âge » et « type d’item » était non significative, l’effet du facteur « groupe d’âge » était donc similaire pour les cibles et pour les distracteurs (F < 1). Les analyses de régression montraient que l’âge prédit les scores à la tâche de reconnaissance des scènes visuelles (R2 = 0,40 ; p < 0,001 ; bêta « âge » = - 0,64), mais cet effet est en partie expliqué par le score au test des scènes de famille puisque l’« âge » prédisait ce score (R2 = 0,14 ; p < 0,01) et que le bêta du facteur « âge » diminuait uniquement lorsque le facteur « score » aux scènes de famille (bêta « âge » = - 0,54) était ajouté à la régression. personnes âgées arrivent moins bien que les jeunes adultes à mémoriser les directions de l’itinéraire associées aux repères. Tâche de reconnaissance des directions Discussion Tâche de reconnaissance de l’ordre temporel Une Ancova réalisée sur le nombre de réponses correctes avec le facteur inter-sujets « groupe d’âge » (à deux modalités : sujets jeunes et âgés), et en covariable le score à la tâche de reconnaissance visuelle, mettait en évidence un effet du facteur « groupe d’âge » significatif (F(1,57) = 21,35 ; p < 0,001), confirmant que les participants jeunes donnaient plus de réponses correctes (m = 19,37 ± 3,13) que les participants âgés (m = 14,87 ± 2,80). L’analyse de régression montrait que l’âge prédisait la performance à la tâche de reconnaissance de l’ordre temporel (R2 = 0,41 ; p < 0,001), mais aucun médiateur entre l’âge et la performance n’a été mis en évidence. Une Anova à mesures répétées a été réalisée sur le pourcentage de réponses correctes avec le facteur inter-sujets « groupe d’âge » et le facteur intra-sujets « perspective » (à deux modalités : même perspective versus perspective différente). Les jeunes adultes (m = 58 % ± 14) indiquaient significativement (F(1,58) = 22,61 ; p < 0,001), plus de directions correctes que les personnes âgées (m = 43 % ± 10). L’effet du facteur « perspective » était significatif (F(1,58) = 44,85, p < 0,001), mettant en évidence que les participants donnaient plus de réponses correctes dans la condition « même perspective » (m = 58 % ± 18) que dans la condition « perspective différente » (m = 41 % ± 17). En revanche, l’interaction entre le facteur « groupe d’âge » et le facteur « perspective » était non significative (F(1,58) = 1,45 ; p = 0,23). Les analyses de régression montrent que l’âge prédisait la performance à la tâche de reconnaissance des directions (R2 = 0,25 ; p < 0,001). Cependant, cet effet de l’âge était en partie expliqué par la détérioration de la mémoire de travail verbale et multimodale pour la condition « même perspective » (le bêta du facteur « âge » passant de - 0,48 à respectivement - 0,37 et - 0,33 lorsque les scores d’empan de chiffres et d’empan multimodal étaient introduits dans la régression) et de la mémoire de travail visuo-spatiale pour la condition « perspective différente » (le bêta du facteur « âge » passant de - 0,37 à - 0,27 lorsque le score au test des cubes de Corsi était introduit dans la régression). Ainsi, la diminution de la capacité de mémoire de travail lors du vieillissement normal participerait au fait que les Dans cette recherche, nous avons voulu étudier l’effet du vieillissement normal sur l’apprentissage d’un nouvel itinéraire réel. Cet apprentissage était réalisé en présentant aux participants jeunes et âgés un film d’un itinéraire réel dans une ville non familière, afin de se rapprocher d’une situation à laquelle les individus peuvent être confrontés dans la vie de tous les jours. Les résultats de l’expérience ont montré que les personnes âgées avaient plus de difficultés que les jeunes adultes à mémoriser ce nouvel itinéraire. Leurs difficultés se sont manifestées dans les trois dimensions que nous avons considérées pour rendre compte des représentations spatiales d’itinéraires. Les personnes âgées ont, en effet, eu des performances plus faibles que les jeunes, aussi bien pour reconnaître les lieux rencontrés, pour indiquer les directions à prendre à chaque intersection, que pour indiquer l’ordre d’apparition des différents lieux. Une originalité de cette étude est d’avoir considéré différentes mesures de mémoire et d’habilités visuo-spatiales susceptibles de contribuer à la construction de représentations spatiales, afin d’évaluer leur contribution respective dans les effets du vieillissement observés. Pour la tâche de reconnaissance des scènes visuelles, il est intéressant de noter que l’effet du vieillissement se manifeste d’une manière similaire pour les items cibles et pour les distracteurs. Autrement dit, les personnes âgées, en comparaison avec les jeunes adultes, reconnaissent moins bien les lieux appartenant à l’itinéraire et font plus de fausses alarmes en acceptant à tort les lieux ne faisant 468 Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 4, décembre 2012 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Effet du vieillissement sur la mémorisation d’itinéraires réels pas partie de cet itinéraire. De façon nouvelle, les résultats de l’analyse de médiation indiquent que la détérioration de la mémoire épisodique liée au vieillissement explique en partie que les personnes âgées reconnaissent moins bien que les jeunes adultes les lieux de l’itinéraire qu’elles ont déjà parcouru. Pour la tâche de reconnaissance des directions, les participants ne pouvaient pas trouver la réponse correcte en se contentant de se rappeler l’ordre des différents changements de direction (première à gauche, deuxième à droite, etc.), car les photos des différents carrefours ont été présentées dans un ordre aléatoire. Il fallait donc retrouver la direction précise associée à chaque intersection, quel que soit son ordre de présentation. Il semblerait que lorsque les photos sont présentées avec la même perspective que dans le film, la tâche soit assez bien réussie ; en revanche, lorsque la perspective est différente de celle présentée dans le film, les performances sont beaucoup plus faibles aussi bien chez les participants jeunes que chez les participants âgés. Ce résultat est en accord avec les données de la littérature, souvent recueillies avec des environnements simplifiés ou appauvris du point de vue visuel, comme des labyrinthes [2]. Cependant, nos résultats permettent en outre de montrer que la diminution de la mémoire de travail lors du vieillissement explique en partie que les personnes âgées arrivent moins bien que les jeunes adultes à mémoriser les directions associées à chaque intersection de l’itinéraire. Une explication pourrait être que de bonnes capacités de mémoire de travail sont nécessaires lors de l’encodage de l’itinéraire pour mémoriser correctement les associations entre les différents lieux et les directions à prendre. La tâche de reconnaissance de l’ordre temporel semble particulièrement difficile pour les personnes âgées qui répondent au niveau du hasard. Pour effectuer cette tâche, Points clés • La mémorisation d’un itinéraire est composite, elle implique la mémorisation des repères, des directions associées à ces repères et de l’ordre d’apparition de ces repères. • L’impact du vieillissement sur la mémoire épisodique explique en partie que les personnes âgées reconnaissent moins bien des lieux déjà rencontrés. • La diminution de la capacité de mémoire de travail lors du vieillissement est en partie à l’origine des difficultés de mémorisation des directions d’un itinéraire. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 4, décembre 2012 il faut dans un premier temps reconnaître les lieux avant de les ordonner. C’est pourquoi nous avons inclus dans l’analyse le score à la tâche de reconnaissance des scènes visuelles pour s’assurer que l’effet de l’âge observé n’était pas uniquement dû à un problème de reconnaissance des scènes. Un effet du vieillissement a été confirmé, même avec le score de reconnaissance des scènes visuelles en covariable, ce qui indique que les personnes âgées ont non seulement des difficultés à reconnaître les lieux, mais également à les organiser temporellement. Aucun médiateur n’a été trouvé entre l’âge et la performance à la tâche de reconnaissance de l’ordre temporel. Il serait intéressant de chercher d’autres habiletés qui pourraient expliquer que les personnes âgées ont plus de difficultés que les jeunes adultes à mémoriser l’ordre d’apparition des différents lieux. Conclusion Il apparaît que les différents aspects de la mémorisation de nouveaux itinéraires (connaissance des repères, association des informations directionnelles et ordre temporel) sont touchés dans le vieillissement normal et que c’est en partie à cause de l’affaiblissement de la mémoire épisodique et de la mémoire de travail avec l’âge. Outre leur impact pour la vie quotidienne des personnes âgées, la désorientation spatiale et les problèmes d’apprentissage font partie des premiers symptômes apparents de la maladie d’Alzheimer. Or, dans leur étude de 2005, Kalová et al. [22] ont montré une difficulté particulière des patients Alzheimer, comparés à un groupe témoin de personnes âgées sans atteinte cognitive, dans le rappel de l’ordre temporel de localisations présentées. Ces patients semblaient également faire plus de fausses alarmes dans des tâches de reconnaissance des lieux et objets d’un itinéraire [23]. Cependant, d’après Mapstone et al. [24], la détérioration de l’orientation visuo-spatiale pourrait se développer comme signe indépendant de la maladie neurodégénérative, probablement avant la déclaration de la maladie. Aussi, de telles études ayant pour objectif de spécifier quelles composantes spécifiques de la mémoire et quels processus sont mis en jeu dans les difficultés d’apprentissage d’un itinéraire devraient être développées dans le futur. Ces données pourraient contribuer à mettre à jour des indicateurs précoces ou même prédictifs de la détérioration mnésique précurseur de la maladie. Conflits d’intérêts : cette recherche a été soutenue par un financement ANR 09 BLAN 0344 01 SPALIFE. 469 D. Gras, et al. Références Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. 1. Harris MA, Wolbers T. Ageing effects on path integration and landmark navigation. Hippocampus 2012 ; 22 : 1170-80. 13. Driscoll I, Hamilton DA, Yeo RA, Brooks WM, Sutherland RJ. 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