MISE AU POINT
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La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 1 - janvier 1999
classe S (LukE) (10). Ces souches produisent donc trois pro-
téines de classe S (HlgA, HlgC et LukE) et deux protéines de
classe F (HlgB et LukD) ; elles sont donc capables de former
également six couples [S + F] différents à la surface des cel-
lules-cibles. Quelques rares souches de S. aureus possèdent les
gènes codant
pour
les composés HlgA, HlgB, HlgC, HlgD,
HlgE, LukS-PV et LukF-PV, soit quatre composés de classe S
et trois composés de classe F ; ainsi, douze couples [S + F] dif-
férents sont potentiellement réalisables par ces souches (10).
Pour compliquer davantage la description de ces toxines, les
divers isolats d’une souche donnée de S. aureus disponibles
dans les collections microbiologiques peuvent posséder un
nombre variable de loci codant pour des toxines SHT. Par
exemple, l’isolat de la souche P83 d’origine bovine fourni par
N.L. Norcross (Cornell University, Ithaca, New York) produit
les trois protéines de la toxine gamma, tandis que l’isolat ATCC
31890 de cette même souche P83 produit un couple addition-
nel de protéines SHT appelées LukM et une protéine “LukF-
PV like” (11). Ces observations suggèrent que les loci codant
pour les protéines des toxines SHT pourraient être situés sur
des éléments génétiques mobilisables.
Enfin, une autre espèce de staphylocoque à coagulase positive,
S. intermedius, produit constamment une autre toxine synergo-
hyménotrope codée par une unité transcriptionnelle unique
formée de deux gènes : l’un codant pour une protéine de classe S
(LukS-I), l’autre codant pour une protéine de classe F (LukF-I)
(figure 2).
"Activité biologique des toxines SHT. Sur les granulocytes,
le composé S doit se fixer le premier pour permettre la fixation
du composé F. Cette fixation nécessite la présence du ganglio-
side GM1 dans les membranes cellulaires. La stœchiométrie
des composés S et F fixés dans la membrane de ces cellules est
inconnue. Sur les érythrocytes humains, c’est le composé F
(HlgB) qui doit se fixer le premier pour permettre la fixation
du composé S (HlgA) en présence de GM1 membranaire. Dans
ce cas, la fixation du couple [HlgA + HlgB] aboutit à la for-
mation d’un complexe protéique de 100 kDa qui serait formé
de deux molécules HlgB et d’une molécule HlgA (12).
L’activité biologique des toxines SHT a été étudiée plus parti-
culièrement avec la leucocidine de Panton et Valentine. In vitro,
les toxines SHT créent des pores transmembranaires dans les
granulocytes. Ces pores laissent passer des ions divalents (sur-
tout les ions Ca2+) lorsque le milieu extracellulaire contient ces
ions calcium ; lorsqu’il n’en contient pas, la structure du pore
change et de plus grosses molécules comme le bromure d’éthi-
dium peuvent entrer dans la cellule. Parallèlement, les granu-
locytes produisent des leucotriènes B4, des métabolites oxy-
génés, de l’histamine, de l’IL8 et libèrent des enzymes
granulaires (13). Enfin, on observe une lyse des granulocytes.
Les différents couples de toxines SHT purifiées déterminent
des réactions inflammatoires sévères dans un modèle d’infec-
tion de l’humeur vitrée de lapin (14).
Dans ce modèle (15), il apparaît que les souches productrices
de toxine gamma ont une action pro-inflammatoire plus impor-
tante que les souches isogéniques dépourvues de ces gènes.
"Rôle des toxines SHT en pathologie humaine. En patho-
logie humaine, il existe une association étroite entre la présence
de souches productrices de leucocidine de Panton et Valentine
et la survenue d’infections cutanées primaires nécrosantes,
comme des furoncles. Inversement, 86 % des furoncles, 40 %
des abcès primitifs cutanés et 20 % des panaris sont dus à ces
rares isolats toxinogéniques de S. aureus (16). Cette nécrose
est reproductible par l’injection de leucocidine purifiée à un
animal comme le lapin, dont les granulocytes sont sensibles à
l’action de la leucocidine. Les manifestations cutanées nécro-
santes observées chez l’homme lors d’infections par des
souches productrices de leucocidine de Panton et Valentine sont
probablement le fruit de la réponse inflammatoire des granu-
locytes à la leucocidine ; cette réponse est vraisemblablement
aussi due aux cinq autres couples [S + F] produits par les
souches productrices de leucocidine.
En ce qui concerne les souches de S. aureus les plus fréquentes,
c’est-à-dire celles productrices uniquement de toxine gamma
(c’est-à-dire des deux composés HlgA et HlgC de classe S et
du composé HlgB de classe F), il apparaît que l’action pro-
inflammatoire de cette toxine synergo-hyménotrope n’est pas
spécifiquement individualisable en clinique. Cette toxine repré-
sente donc l’une des molécules responsables de la virulence de
S. aureus.
Il est remarquable de noter que, parmi les souches productrices
d’exfoliatine, 85 % produisent, en plus de la toxine gamma, les
composés LukD et LukE des toxines SHT (10). En outre, les
souches productrices de LukD et LukE sont fréquemment aussi
productrices d’entérotoxine A.
Hémolysine delta
"Structure et fréquence. L’hémolysine delta est un petit pep-
tide thermostable de vingt-six acides aminés sécrété par 40 %
des souches de S. aureus d’origine clinique et par 93 % de celles
d’origine animale. Cette toxine peut adopter en milieu hydro-
phobe une structure en hélice alpha amphiphile qui agit comme
un détergent. Le gène codant pour l’hémolysine delta se situe
dans le locus agr, dont le rôle est de réguler la synthèse de nom-
breuses exoprotéines de S. aureus (17). Des séquences nucléo-
tidiques voisines de celles de l’hémolysine delta existent aussi
chez S. epidermidis, S. capitis, S. pasteuri, S. warneri et
S. caprae.
"Activité biologique. Au contact des membranes cellulaires,
des monomères transmembranaires d’hémolysine delta peu-
vent s’agréger et former des pores transmembranaires ou des
micelles composées de fragments membranaires et d’hémoly-
sine delta.
Lorsque cette toxine forme des pores dans la membrane des
granulocytes humains, elle provoque un influx d’ions calcium
et, par un phénomène de cascade, provoque la libération de
médiateurs de l’inflammation (18).
Le gène de l’hémolysine delta ne participe pas à la régulation
globale de la production d’exoprotéines orchestrée par le locus
agr dans lequel il se trouve.
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Y. Piémont 10/03/03 14:58 Page 8