
MADAGASCAR
La situation économique
de
l'île reste fragile : si la pêche
se
développe
(surtout dans le secteur des crevettes
et
crustacés), le tourisme
ne
décolle
pas (l'infrastructure hôtelière est dépassée, les transports aériens
trop
coû-
teux).
Les
autorités financières internationales
n'encouragent
guère les in-
vestisseurs à s'intéresser à Madagascar. L'existence
d'une
économie paral-
lèle multiforme permet encore d'amortir les conséquences
d'une
croissance
déficiente (le chiffre officiel l'établit à 1,5
o/o
pour
1995).
Un
événement
douloureusement ressenti par les Malgaches est
venu
as-
sombrir les perspectives
du
pays :
un
incendie (probablement criminel) a
ravagé
début
novembre le Palais de la Reine,
monument
élevé par les sou-
verains merina
du
XIXe siècle sur la colline
dominant
Antananarivo. L'acte
a été vécu
comme
un
sacrilège
et
peut-être
comme
une
tentative
pour
dé-
chirer définitivement le pays.
La
maison malgache
Charlotte-Arrisoa
RAFENOMANJATO
En
1993,
le
premier Ministre
de
la
période
transitoire,
M.
Guy Willy Razanamasy
écri-
vait dans son
Livre
blanc
«La
maison malga·
che est sauve
...
sans être saine». Cette phrase
reste une mise en garde à l'endroit
des
diri·
geants
de
la Troisième République qui pen-
seraient que la démocratie est
la
seule valeur
requise pour mener
le
pays
vers
le
bien-être
sodal,
vers
une économie performante et une
culture solide.
Le
profil
de
démocrate ne s'ob-
tient qu'avec des preuves tangibles
de
matu-
rité politique, dans
la
bonne gestion et l'ex-
ploitation
des
richesses.
La
maison malgache est apparemment
sauve, mais l'assainissement
n'a
pas eu lieu;
un
mal la ronge, la sinistrose et une an-
goissante incrédulité. Pourtant des points
positifs devraient nous inciter à juger la
crise ponctuelle, disons une crise de crois-
sance ou
un
laborieux apprentissage.
Mais
si
l'âme malgache pousse malgré tout à
la
recherche
d'un
fol
espoir, c'est surtout
le
refus de la chute et de l'irréparable.
Le
mal
malgache
Quelques données: diminution
en
un
an
de près de
40%
du pouvoir d'achat;
un
taux de
75%
de la population au dessous
du seuil de la pauvreté; baisse de
70
%
de-
puis quelques années du taux de scolarisa-
tion des enfants; hémorragie des richesses
nationales; déviation du potentiel humain
vers des actes insensés de survie; dégrada-
tion du culturel
en
dépit du maintien des
références aux valeurs malgaches; sous-ad-
ministration et corruption; verbiage popu-
lacier et gesticulations de la classe politi-
que; insécurité au quotidien aussi bien en
milieu urbain que rural.
Cela pourrait paraître d'une banalité no-
toire pour
un
pays du tiers-monde? Mais
dire qu'avec ses spécificités culturelles et
historiques, avec
sa
potentialité humaine
et ses richesses naturelles, Madagascar
pourrait être le Géant de l'Océan indien.
Si
la
question m'est posée des racines
du
mal,
je
désignerai en premier lieu et sans
hésiter
le
monde rural. Nos ressources na-
turelles et humaines y sont
en
grande par-
tie concentrées, mais
on
le
considère trop
souvent comme
un
silo isolé peuplé de
ci-
toyens de seconde zone: villages enclavés
n'ayant aucun accès à la modernité; pays
profond où
le
mode de vie
n'a
pas changé
depuis le début
du
siècle. Le bien le plus
précieux est la vie,
non
une simple peau à
conserver: c'est
la
mère et l'enfant aux yeux
tournés vers les hommes de la cité, vers
la
justice sociale,
le
travail rémunéré à
sa
juste
valeur,
la
vie décente pour tous.
La
popula-
tion rurale, importante, ne demande qu'à
travailler
si
elle
en
a
la
force physique.
La
malnutrition, le sous-alimentation, les ma-
ladies, l'insécurité, l'absence de moyens et
d'infrastructures sont des handicaps.
Il
faut
bien sûr
<<travailler
pour vivre», mais
on
continue à demander
un
optimum de tra-
vail à
ces
Malgaches sans qu'ils aient, ni
nourriture correcte, ni couverture sociale ni
protection
de
leurs biens et de leurs person-
nes. L'autosuffisance alimentaire du pays
est urgente,
on
le
répète depuis des décen-
nies. Mais le monde rural ne pourra don-
ner que
si
on
l'aide à labourer
la
terre plu-
tôt qu'à
le
marteler de mots creux popu-
listes. Pourtant, chacun constate les effets
bénéfiques des réalisations effectuées avec
L'Année francophone internationale, édition 1996 205