La thyroïde a-t-elle réellement quelque chose à craindre de l

Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIX - n° 8 - octobre 2015
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Éditorial
La thyroïde a-t-elle réellement
quelque chose à craindre
de l’environnement ?
Has the thyroid something to fear from the environment?
I
l est de bon ton de considérer l’environnement
comme dangereux. Les activités humaines contri-
buent au réchauffement climatique, libèrent divers
polluants qui contaminent l’eau, l’air, lalimentation. Ces
polluants constituent des menaces pour la peau, le pou-
mon, le rein, le cœur, le cerveau, etc. Ils perturbent nos
productions stéroïdiennes, font douter de nos capacités
de reproduction, de l’intégrité du développement du
fœtus, du nouveau-né et de l’enfant.
La thyroïde néchappe pas aux interrogations. Elle est
même considérée comme une cible privilégiée (voir
Thyroïde et perturbateurs endocriniens, pp. 214-7 et [1]).
Le mimétisme moléculaire de certains polluants (poly-
chlorobiphényles, dioxine) avec les iodothyronines
rend compte d’une compétition avec leurs sites de
liaison. D’autres (thiocyanates, perchlorates) interfèrent
avec le captage iodé et la synthèse des hormones.
Laccroissement de l’exposition aux radiations ionisantes
à l’occasion des examens et des traitements – et non
seulement des emblématiques essais nucléaires et acci-
dents des centrales –, expose à l’auto-immunité, aux
dysfonctions, aux tumeurs (voir “Thyroïde et radiations
ionisantes”, pp. 218-22). Les crèmes solaires censées
nous protéger des brûlures et des cancers cutanés en
expérimentation animale défreinent la thyréostimuline
(TSH), tout comme certaines activités industrielles, ce
qui a conduit à la fermeture d’usines et au licenciement
de leurs employés.
Les cancers thyroïdiens observés après Hiroshima,
Nagasaki, Tchernobyl ou après une irradiation cervi-
cale, ainsi que les dysfonctions thyroïdiennes définitives
après le conditionnement radiothérapique précédant
les greffes, illustrent bien les conséquences cliniques
réelles des rayonnements. Il faut les connaître, les dépis-
ter, les prendre en charge, les prévenir. L’apparition
d’anti corps antithyroïdiens circulants ou un accrois-
sement modéré et transitoire de la TSH (< 8 mU/l) ont-ils
pour les populations adultes des conséquences délé-
tères ? Quel en est le niveau de preuve ? Les consensus
peinent à établir dans ces circonstances l’opportunité
des traitements substitutifs (2), et l’accroissement
modéré de la TSH apparaît même plutôt protecteur au-
delà de 70 ans, et habituel (> 10 mU/l) chez qui parvient
à devenir centenaire. La présence de perchlorates dans
l’eau de boisson dans le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie
a conduit les autorités à interdire son utilisation chez les
femmes enceintes et allaitantes et pour la préparation
des biberons (3). Aurait-on observé des désagréments
cliniques au niveau des populations, des modifications
des dosages hormonaux ? Que nenni ! Seul le risque
potentiel d’une réduction de la pénétration de l’iode
au sein de la thyroïde a été pris en compte pour la mise
en œuvre de ce principe de précaution, alors que nulle
part n’a été établie la norme des taux de fixation de
l’iode radio-isotopique par la thyroïde.
ll y a lieu de considérer aussi l’extraordinaire capacité
adaptative du parenchyme thyroïdien aux variations
physiologiques et aux modifications liées à l’environ-
nement. Sont susceptibles de se modifier : la saturation
des protéines de transport (comme au cours de la
grossesse), la pénétration de l’iode dans le parenchyme
thyroïdien (d’abord rétrocontrôlée par la disponibilité
intrathyroïdienne de produits organifiés). Se modulent
le nombre de récepteurs, le niveau de stimulation
du parenchyme thyroïdien par la TSH, l’activité des
désiodases, etc. Ces modifications constituent d’abord
des marqueurs d’adaptation, et non nécessairement
des témoins de perturbations. Tout ceci justifie l’éta-
blissement de protocoles d’évaluation rigoureux et
scientifiques concernant les effets délétères réels des
perturbateurs, ainsi que de leurs associations, aussi
bien chez les tout-petits que chez les sujets plus âgés,
ce que souligne clairement l’article de F. Brucker-Davis
et S. Hiéronimus. Des remarques et précautions iden-
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tiques sont à formuler pour l’évaluation de l’impact
des médicaments (voir “Médicaments et fonction thy-
roïdienne : des interactions complexes, pp. 224-9).
S’il est une évidence de l’influence de l’environnement
sur la thyroïde, cest bien l’effet de la charge iodée.
Historiquement, la reconnaissance tardive des états de
carence iodée sévère a constitué un événement consi-
dérable pour les populations des Alpes, des Andes, de
l’Afrique équatoriale et subtropicale et de l’Amérique du
Sud, qui souffraient dramatiquement du crétinisme et
des goitres endémiques. Ailleurs a été prise en compte
l’influence délétère du déficit iodé modéré, contribuant
à la goitrogenèse, à la nodulogenèse thyroïdienne, à la
prévalence accrue de cancers thyroïdiens moins diffé-
renciés, au déficit intellectuel de lenfant. Sous l’influence
de fortes personnalités (John Dunn aux États-Unis,
François Delange en Europe) et de plusieurs organismes
(Organisation mondiale de la santé, Conseil international
de lutte contre les troubles dus à la carence en iode
[ICCIDD]) est née une prise de conscience au niveau
des États de la nécessité de corriger la déficience iodée.
Celle-ci est maintenant obtenue chez plus des 2/3 de la
population mondiale, le déficit continue à se réduire, et
l’on observe même dans certaines contrées une légère
surcharge iodée (4). En l’affaire, l’homme a amélioré
l’environnement et réduit les risques thyroïdiens. Pour
autant, les goitres nont pas été éradiqués, et la situation
du déficit iodé des femmes enceintes reste pour l’instant
très imparfaitement résolue.
On ne peut non plus passer sous silence l’extraordinaire
capacité que manifestent les espèces à s’adapter aux
modifications de l’environnement. La vie, dit-on, naquit
en milieu marin, là où la température et la disponibilité
de l’iode sont constantes. Lorsque la vie s’aventura sur
terre, il fallut bien s’adapter pour disposer en perma
-
nence d’iode et d’hormones thyroïdiennes, indispen-
sables à la thermorégulation et à l’homéothermie.
Ainsi s’explique sans doute l’originale structure vési-
culaire de la thyroïde où le produit de sécrétion est
stocké et en permanence disponible. Le goitre lui-même
est apparu comme une modalité adaptative, majorant
la capacité de concentration de l’iode et de stockage
hormonal. De même, le degré de pigmentation cutanée
s’est adapté au niveau d’ensoleillement.
En définitive, en la matière, la thyroïde apparaît
d’abord comme la victime de sa capacité à être éva-
luée, morphologiquement et fonctionnellement,
bien mieux que toute autre glande endocrine, ce qui
l’a placée comme la cible privilégiée des polluants.
Pourtant, les atypies observées nont pas nécessaire-
ment l’évidence d’effets indésirables, ni pour la thy-
roïde elle-même ni pour l’individu. Les évaluations
doivent être poursuivies.
La correction progressive de la carence iodée, au cours
des dernières décennies, démontre bien que les progrès
des connaissances et la meilleure maîtrise de l’envi-
ronnement par l’humanité représentent un gain pour
la thyroïde.
Jean-Louis Wémeau
(CHRU de Lille)
Rachel Desailloud
(CHU d’Amiens)
1.
Brucker-Davis F, Hiéroni mus S,
Fénichel P. Thyroïde et environ-
nement. Presse Med. Accepté
pour publication.
2. Pearce SH, Brabant G, Dun-
tas LH et al. 2013 ETA Guideline:
management of subclinical
hypothyroidism. Eur Thyroid
J 2013;2(4):215-28.
3. Desailloud R, Wémeau JL.
Faut-il craindre le perchlorate
dans l’environnement ? Presse
Med. À paraître.
4. Andersson M, Karumbuna-
than V, Zimmermann MB.
Global iodine status in 2011
and trends over the past decade.
J Nutr 2012;142(6):744-50.
Références
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