Journal Identification = PNV Article Identification = 0594 Date: March 14, 2016 Time: 6:27 pm
Prospection épisodique dans le vieillissement cognitif
un contexte spatio-temporel bien défini [6]. Le concept de
mémoire épisodique est donc lié à l’expérience subjective
du souvenir exprimé par un sentiment de reviviscence ou
ré-expérience («Je me souviens »,«Je revis »). En effet
la récupération des souvenirs implique un véritable voyage
mental sur l’axe du temps personnel vers la dimension
du passé pour nous permettre de rappeler les différents
détails phénoménologiques liés aux évènements person-
nels. Toutefois le voyage mental dans le temps nous permet
également de nous projeter dans le futur dans le but de pré-
voir et/ou d’imaginer des évènements personnels exprimé
par un sentiment de pré-viviscence ou pré-expérience («Je
vis d’avance »).
Ainsi, la mémoire épisodique et les formes de pen-
sées dirigées vers le futur sont intimement liées car elles
reflètent des manifestations de la conscience de soi, dite
conscience autonoétique. Dans ses œuvres successives,
Tulving intègre la notion de temporalité dans le système
de la mémoire épisodique et la conscience autonoétique,
sous le terme original Chronesthesia [7]. La chronesthésie
est définie comme une continuité de soi dans une tempo-
ralité subjective allant du passé au futur [7, 8]. Cependant,
l’étude des relations entre mémoire et temporalité dépasse
largement ce cadre conceptuel. En effet, un certain nombre
de réflexions théoriques ont été proposées par différents
philosophes dans le cadre de la phénoménologie classique.
Au cœur de ces réflexions se trouve la question de la rela-
tion entre les trois dimensions de la temporalité : passé,
présent et futur. Dans ce cadre, par exemple, Bergson
dans son ouvrage Matière et mémoire [9] s’intéresse aux
liens entre le passé et le présent. Il défend l’idée que le
passé ne cesse pas d’exister dans le présent, mais qu’il
arrête tout simplement d’agir. Jean-Paul Sartre [10] défi-
nit les principes généraux à la base de la phénoménologie
de la temporalité. D’après sa conception, «La tempora-
lité est évidemment une structure organisée et ces trois
prétendus éléments du temps : passé, présent, avenir, ne
doivent pas être envisagés comme une collection de data
dont il faut faire la somme mais comme des moments
structurés d’une synthèse originelle ». Plus récemment,
Dalla Barba [11] a proposé un modèle (Memory, conscious-
ness and temporality theory) décrivant les relations entre
mémoire, conscience et temporalité. D’après ce modèle, le
système de mémoire épisodique et la conscience autonoé-
tique sont englobés dans une forme de conscience appelée
conscience temporelle. La conscience temporelle permet
à l’individu d’être conscient de son propre passé, de sa
situation présente, ainsi que de se projeter dans un futur per-
sonnel. Le modèle postule l’existence d’un lien très étroit
entre conscience et objet de la conscience. En particulier
ce type de conscience est lié à l’unicité de l’objet de la
conscience (e.g., le stylo que j’ai acheté hier, que j’utilise
aujourd’hui et que j’utiliserai demain), en d’autres termes
l’objet de la conscience a une temporalité unique.
On retrouve une dimension temporelle également
dans le modèle de mémoire autobiographique de Conway
[12]. Cet auteur soutient que la dimension temporelle de
la mémoire autobiographique épisodique serait focalisée
autour du présent, c’est ce qu’il qualifie de fenêtre tem-
porelle. Cette fenêtre nous permettrait de rester fortement
liés à nos objectifs et projets actuels. De ce fait, se souve-
nir du passé et imaginer le futur personnel trouveraient leur
essence au sein d’un même système de conscience épiso-
dique qui s’étendrait sur quelques jours dans une dimension
temporelle particulièrement restreinte (la semaine dernière,
la semaine prochaine). Au-delà de cette fenêtre temporelle,
aussi bien dans le passé que dans le futur, les souvenirs et
les projections autobiographiques seraient construits sur la
base de connaissances sémantiques personnelles.
Depuis ces dernières années, un nombre croissant de
travaux en neuro-imagerie se sont intéressés à déterminer
les bases neurales sous-jacentes à la récupération des sou-
venirs en mémoire épisodique et à la capacité de projection
d’événements personnels dans le futur [13-15]. Chez les
sujets sains, il a été mis en évidence un réseau neuronal
commun aux deux temporalités incluant principalement les
régions préfrontales médianes, les régions postérieures au
niveau pariétal (s’étendant jusqu’au precuneus et au cor-
tex rétrosplénial) et le lobe temporal médian en particulier
l’hippocampe.
Toutefois la projection d’évènements dans le futur peut
concerner une dimension personnelle ou une dimension
impersonnelle relative à la prévision d’évènements séman-
tiques dans un futur impersonnel/sémantique. Dans ce
contexte, une étude en IRMf réalisée par D’Argembeau et
al. [16] a directement comparé les activations cérébrales
liées à ces deux types de projection dans le futur, person-
nel et impersonnel. Les résultats montrent que la projection
d’évènements dans un futur personnel serait liée à une acti-
vité plus importante au niveau du cortex préfrontal médian
et du cortex cingulaire postérieur, deux régions particulière-
ment impliquées dans la récupération d’informations liées
à la connaissance de soi.
Malgré le nombre croissant d’études montrant des
similitudes entre les bases neurales des souvenirs pas-
sés et des projections futures, les mécanismes cognitifs
spécifiques qui sous-tendent la pensée future épisodique
restent largement méconnus [17-19]. Pourtant différentes
hypothèses ont été proposées. D’après l’hypothèse de la
simulation constructive (constructive simulation hypothe-
sis), la capacité d’imaginer des évènements dans le futur
serait fortement liée à la mémoire épisodique. En effet, un
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