Trouble dépressif majeur et réponse à la méthadone chez des

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Trouble dépressif majeur et réponse à
la méthadone chez des patients stabilisés
The influence of major depressive disorder on the response
to methadone in stabilized methadone maintenance treat-
ment patients
A. Elkader* et **, B. Brands*, ***, ****, X. Balducci*, ***, B. Sproule*, **, *****
Mots-clés : Traitement parthadone, Troublepressif majeur, Symptômes
de sevrage aux opioïdes.
Keywords: Methadone maintenance treatment, Major depressive disorder, Opioid
withdrawal.
Forts taux de prévalence
de la dépression
La dépendance aux opioïdes est un trouble
chronique avec rechute qui a des conséquen-
ces sociales et sanitaires importantes. La -
thadone a été utilisée comme traitement phar-
macologique de la dépendance aux opioïdes
depuis le milieu des années 1960, mais, en -
pit de son efficacité clinique, les patients ex-
priment un degré de satisfaction de leur trai-
tement très variable. Ainsi, Dyer et White ont
relaté que 34 % de patients en traitement par
méthadone présentaient des symptômes de
sevrage aux opioïdes, de façon fréquente ou
même permanente, entre deux prises, malg
une posologie adaptée. Dans une autre étude,
ces mêmes auteurs ont montré qu’il existait
une relation entre perturbation de l’humeur et
satisfaction du traitement (1). En effet, la per-
turbation de l’humeur mesurée par l’échelle
Profile of Mood States (POMS) [2] était asso-
ciée au niveau de la non-satisfaction du trai-
tement par méthadone (1). Ces données sont
cohérentes avec ce que l’on connaît des forts
taux de prévalence de dépression parmi les
patients pendants des substances opiacées.
Ainsi la prévalence de la dépression au cours
des six derniers mois chez les patients en trai-
tement par méthadone était de plus de 40 %
et la prévalence actuelle d’environ 20 % (3-5).
L’influence de l’humeur pourrait permettre
d’expliquer la variabilité mise en évidence
dans la réponse au traitement par thadone.
Notre hypothèse était que les patients en trai-
Beaucoup de patients en traitement ressentent des symptômes de sevrage
entre les prises de thadone. L’objectif de cette étude était précisément
d’étudier l’influence du trouble dépressif majeur sur la réponse à la métha-
done chez ces patients. Elle a effectivement démontré que ceux qui présen-
tent un tel trouble ont des symptômes de sevrage aux substances opiacées
et des effets dysphoriques plus importants que les autres patients ne souffrant
pas de ces troubles de l’humeur.
* Centre de toxicomanie et de santé mentale, 33 Russell
St, Toronto, Ontario, Canada, M5S 2S1.
** Département de sciences pharmaceutiques, université
de Toronto.
*** Département de pharmacologie et toxicologie,
université de Toronto.
**** Bureau de la recherche et de la surveillance,
programme de la stratégie antidrogue et des substances
contrôlées, Santé Canada, Ottawa, Ontario, Canada.
*****Département de psychiatrie, université de Toronto.
Many patients enrolled in methadone maintenance treatment experience significant inter-dose opioid
withdrawal. Mood states have been related to patient satisfaction with treatment and may influence
how methadone patients experience opioid withdrawal. The objective of this study was to investigate
the influence of major depressive disorder on response to methadone in patients on methadone main-
tenance treatment. Seventeen methadone patients (7 depressed, 10 not depressed) had subjective
assessments (SOWS, ARCI, POMS) over one 24-hour dosing interval. Depressed subjects experienced
more dysphoric opioid effects as measured by the Addiction Research Centre Inventory LSD subscale
(AUEC : 14 ± 32 vs -31 ± 47 ; p < 0,04) and had higher scores on the SOWS (AUEC : 33 ± 97 vs
-74 ± 67 ; p < 0,02) over the dosage interval. Hamilton depression scores significantly correlated with
trough subjective opioid withdrawal scale scores (r : 0,7 ; p < 0,004). Results suggest that depressed
methadone patients may be more sensitive to negative opioid effects and opioid withdrawal.
tement par méthadone présentant un trouble
dépressif majeur auraient des réponses phar-
macodynamiques à la méthadone altérées par
rapport aux autres.
Les sujets inclus devaient avoir au moins
18 ans, être en traitement par méthadone,
stabilisés (depuis au moins 6 mois et avec la
même posologie depuis au moins un mois).
Les patients étaient évalués avec le Structu-
red Clinical Interview du DSM-IV (SCID).
Les sujets ont été répartis en deux groupes :
ceux présentant un épisode dépressif ma-
jeur (avec dépression) et ceux ne présentant
pas cette pathologie (sans dépression). Les
sujets ayant un autre trouble psychiatrique
(sauf troubles anxieux) ou autres liés à
l’usage de substances (sauf dépendance au
tabac) étaient exclus de l’étude.
Étude d’observation
sans intervention
Les sujets continuaient à prendre leur po-
sologie de méthadone journalière prescrite.
Ils devaient fournir un échantillon d’urine
pour le dépistage toxicologique et se sou-
mettre à une mesure d’éthylotest.
Ils étaient évalués avec des versions in-
formatisées du Addiction Research Center
Inventory (ARCI) [6], du POMS (2) ainsi
que du Subjective Opioid Withdrawal Scale
(échelle de mesure subjective de symptômes
de sevrage aux opioïdes) [SOWS] (7) avant
leur prise dethadone, puis 1, 2, 3, 4, 5, 6,
8, 10, 12, et 24 heures après la prise.
Tous les sujets étaient évalués avec l’échelle
de dépression d’Hamilton (HAMD) à 21
items (8) dans le but de mesurer la sévérité
de leur symptômes dépressifs.
L’aire sous la courbe de l’effet par rapport
au temps (AUC) était calculée pour toutes
les mesures pharmacodynamiques à l’aide
de la règle trapézoïdale linéaire. Le change-
ment maximal par rapport à la ligne de base
était aussi calculé pour toutes les mesures.
Les scores SOWS à la concentration plas-
matique minimale de méthadone étaient
corrélés avec les scores du HAMD.
Résultats : au total, 17 patients avaient
terminé l’étude. Les sujets avec dépression
avaient des scores de niveau de symptômes
dépressifs significativement plus élevés
que ceux sans dépression (mis en évidence
par les scores du HAMD et de la sous-di-
mension dépression/déjection de l’échelle
POMS). Le dépistage toxicologique avait
mis en évidence une consommation de ben-
zodiazépines chez 24 % des sujets, de can-
nabis chez 18 % et de cocaïne chez 6 %. Sans
différence entre les patients en traitement
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par méthadone avec ou sans dépression.
La prévalence des troubles anxieux (définis
par les critères du DSM-IV) se répartissait
entre phobie sociale (12 %), troubles pani-
que (6 %), obsessionnels compulsifs (6 %)
et post-traumatiques (6 %). On n’a pas pu
mettre en évidence de différence entre pa-
tients avec ou sans dépression. À noter :
deux des sujets souffrant de dépression
étaient sous antidépresseurs au moment de
l’étude (l’un sous paroxétine et l’autre sous
sertraline) mais, même en les retranchant,
les résultats restaient inchangés.
Résultats pharmacodynamiques
Les sujets avec dépression ressentaient des
effets dysphoriques significativement plus
élevés que ceux sans dépression d’après la
sous-dimension LSD du ARCI. De même,
les scores de l’aire sous la courbe de l’ef-
fet (ASCE) et le changement maximal par
rapport à la ligne de base (max.) étaient si-
gnificativement plus élevés chez les sujets
avec dépression par rapport à ceux sans
dépression (respectivement ASCE : 14,1 ±
32,3 versus -31,0 ± 46,7, p < 0,04 et max. :
0,7 ± 3,9 versus -2,7 ± 2,6, p < 0,04).
Les sujets avec dépression ressentaient plus
de symptômes de sevrage par rapport aux su-
jets sans dépression d’après SOWS (ASCE :
32,7 ± 95,9 versus -74,2 ± 66,7, p < 0,02)
[figure 1]. De plus, les scores HAMD étaient
significativement corrélés avec les scores
SOWS 24 heures après la dernière prise
(r : 0,70, p < 0,004) [figure 2].
Conclusion
Notre étude a effectivement démontré que
les patients en traitement par méthadone
avec dépression avaient des symptômes
de sevrage aux substances opiacées et des
effets dysphoriques plus importants que
les autres patients ne souffrant pas de ces
troubles de l’humeur. Cela était congruent
avec la relation établie entre la présence de
dépression et de moins bons résultats en
termes de réponse au traitement par mé-
thadone (9). Par conséquent, il est vraisem-
blable que la dépression modifie de façon
notable le vécu du traitement méthadone en
contribuant à diminuer la satisfaction des
patients, exprimée par une augmentation de
l’intensité des symptômes de sevrage. Ce
concept est soutenu par la corrélation signi-
ficative entre la sévérité des symptômes dé-
pressifs et les symptômes de sevrage. Ainsi,
nos résultats suggèrent que le traitement
de la symptomatologie dépressive pour-
rait améliorer la satisfaction du traitement
méthadone. Et cela d’autant plus
que les taux de prévalence de la
dépression sont notables dans cette
population (20 % et plus), surtout
après six mois de traitement (plus
de 40 %) [3-5].
Par ailleurs, une étude récente de
Schreiber et al. a démontré que la
sévérité de la dépression diminuait
avec le temps au décours d’un trai-
tement méthadone (10). Dans notre
étude, les patients ayant un trouble
dépressif majeur et sous méthadone, depuis
plus d’un an et demi en moyenne, présen-
taient une symptomatologie dépressive si-
gnificative. Il est probable qu’un prise en
charge de ces symptômes dépressifs peut
avoir un effet positif sur la satisfaction du
traitement méthadone pour ces patients.
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Références bibliographiques
1. Dyer KR, White J, Foster DJR et al. The rela-
tionship between mood state and plasma methado-
ne concentration in maintenance patients. J Clin
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zodiazepine (BDZ) abuse, and increased psycho-
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treatment (MMT) patients. Drug Alcohol Depend
2008;92(1-3):79-85.
En bref
Dix-sept patients (7 avec pression, 10
sans) avaient répondu à des question-
naires subjectifs (SOWS, ARCI, POMS)
pendant une période de 24 heures cor-
respondant à l’intervalle de temps entre
deux prises dethadone. Les sujets
avec dépression ressentaient des effets
dysphoriques significativement plus éle-
s que ceux sans pression d’après la
sous-dimension LSD de l’échelle ARCI
(ASCE : 14 ± 32 versus -31 ± 47 ; p <
0,04) et les sujets avec dépression res-
sentaient plus de symptômes de sevrage
par rapport aux sujets sans dépression
d’après le SOWS (ASCE : 32,7 ± 95,9
versus -74,2 ± 66,7 ; p < 0,02). Les scores
HAMD étaient significativement corré-
s aux scores SOWS au moment de la
concentration plasmatique la plus basse
dethadone (r = 0,70, p < 0,004).
Figure 1.
Scores du SOWS sur une période de 24 heures
chez des patients en traitement par méthadone avec
ou sans dépression. Les patients avec dépression
ressentaient plus de symptômes de sevrage aux opioïdes
à tous les temps. Les barres d’erreur sont des écart-types
de la moyenne.
Figure 2.
Corrélation des scores HAMD et SOWS
24 heures après la dernière prise. Les scores de
symptômes de sevrage aux opioïdes étaient plus élevés
chez les patients avec les scores HAMD les plus élevés.
1 / 2 100%

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