De la dysfonction à l`insuffisance cardiaque diastolique

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Éditorial
mt cardio 2005 ; 1 : 97-103
De la dysfonction
à l’insuffisance cardiaque diastolique
Ariel Cohen1, Eric Abergel2, Christophe Chauvel3
1
2
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3
Hôpital Saint-Antoine, Service de cardiologie, 184 rue du Faubourg Saint-Antoine, 75012 Paris
Hôpital européen Georges-Pompidou, 20 rue Leblanc, 75015 Paris
Clinique Saint-Augustin, 133 avenue d’Arès, 33000 Bordeaux
L’
insuffisance cardiaque se définit
comme un état où le cœur ne
peut assurer une fonction normale
sans augmenter sa consommation métabolique ou ses pressions de remplissage. Il s’agit cependant d’un groupe
hétérogène de maladies ayant pour
dénominateur commun un syndrome
clinique caractérisé par des signes de
congestion pulmonaire et périphérique, en rapport avec une anomalie de
la fonction pompe (insuffisance cardiaque « systolique ») ou une anomalie de la fonction de remplissage (insuffisance cardiaque « diastolique »)
du ventricule gauche. Dans la dysfonction systolique, le ventricule ne
chasse plus une part suffisante de son
contenu quand il se contracte. Dans la
mtc
Tirés à part : A. Cohen
Liste des abréviations
BNP : peptide natriurétique de type B
IRM : imagerie par résonance magnétique
HVG : hypertrophie ventriculaire gauche
BBG : bloc de branche gauche
ECG : électrocardiogramme
FEVG : fraction d’éjection ventriculaire
gauche
OG : oreillette gauche
dysfonction diastolique, le ventricule
ne se remplit plus correctement, et, de
ce fait, n’éjecte plus suffisamment
(figure 1 et tableau 1).
Définitions
La dysfonction diastolique se définit comme une anomalie des propriétés mécaniques de la chambre ventriculaire, incapable d’accepter un
volume adéquat pendant la diastole,
pour des pressions diastoliques normales et pour un volume adapté pour
éjecter un volume systolique approprié. Elle associe à des degrés divers
une diminution de la relaxation ventriculaire et/ou une augmentation de
la rigidité de la cavité ventriculaire.
L’insuffisance cardiaque diastolique est un syndrome clinique qui associe des symptômes et des signes
d’insuffisance cardiaque en l’absence
de dysfonction systolique ventriculaire gauche.
Diagnostic
Trois critères sont requis pour porter le diagnostic d’insuffisance cardiaque diastolique : présence de signes
congestifs, fraction d’éjection ventriculaire gauche conservée et anomalie
de la relaxation ventriculaire gauche,
du remplissage, de la distensibilité
diastolique ou de la rigidité ventriculaire [1-4].
mt cardio, vol. 1, n° 2, mars-avril 2005
La preuve clinique est fondée sur
le recueil des symptômes et signes
attestant de la présence d’une défaillance cardiaque gauche : dyspnée
d’effort éventuellement objectivée par
une réduction du pic de consommation en oxygène à l’effort (inférieure
20 mL/kg/min), orthopnée, galop, crépitants pulmonaires. La présence d’un
syndrome interstitiel ou alvéolaire à la
radiographie pulmonaire en l’absence
fréquente de cardiomégalie participe
aussi à l’approche diagnostique initiale, mais n’est pas indispensable,
non plus que les dosages biologiques,
y compris le dosage du peptide natriurétique de type B (BNP) ou du NTproBNP [5-8].
La fonction de la pompe cardiaque
est appréciée avec les limites d’usage,
par la détermination de la fraction
d’éjection ventriculaire gauche, essentiellement par échocardiographie
bidimensionnelle (malgré la nécessité
de modéliser la géométrie ventriculaire gauche), et à un degré moindre
par angiographie isotopique ou imagerie en coupe (scanner, IRM) si la
technique ultrasonore est défaillante
ou insuffisante, avec l’avantage cependant de ne pas nécessiter d’hypothèse sur la géométrie ventriculaire. La
fraction d’éjection ventriculaire gauche doit être supérieure ou égale à
45 % (critères européens) [1] et 50 %
(critères américains) [2], et le diamètre
ventriculaire gauche inférieur à
97
De la dysfonction à l’insuffisance cardiaque diastolique
Tableau 1. Pressions de remplissage ventriculaire gauche en fonction des indices recueillis
A
B
C
Em/Vp
Em/Ea
dAp-dAm
< 1,5
1,5-2,5
> 2,5
<8
8-15
> 15
<0
0-10
> 10-30
DOG (mm)/SOG
(cm2)
< 40 / < 15
40-50 / 15-20
≥ 50 / ≥ 20
Valsalva
D Em/Ea < 0,5
D Em/Ea ≥ 0,5
3,2 cm/m2 de surface corporelle (critères européens) [1].
La preuve d’une anomalie de la relaxation ventriculaire gauche, du remplissage, de la distensibilité ou de la
rigidité diastolique, exigée dans les critères diagnostiques
européens [1], peut être apportée par les techniques hémodynamiques invasives, peu utilisées de nos jours, sauf
aux États-Unis, si l’on se réfère à leurs recommandations
diagnostiques [4] et surtout par les techniques non invasives, fondées sur le recueil de paramètres échographiques
et Doppler [9] (figure 2). L’approche ultrasonique, confiée
à des mains expertes, a en effet permis de reconnaître et de
démembrer cette nouvelle entité [10]. En pratique, elle
doit être réalisée dans les 48 à 72 heures suivant l’admission du patient, avec recueil des paramètres suivants, qui
Normal
Systolic HF NYHA III-IV
Systolic HF After Treatment
160
LV Pressure (mm Hg)
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Situations : A : pression de remplissage ventriculaire gauche normale (l’utilisation d’un autre indice n’est pas indispensable). B : un autre indice est indispensable (l’ordre
préconisé par les auteurs est le suivant : Em/Ea, puis Em/Vp si Em/Ea en zone d’incertitude) puis FVP (si Em/Vp en zone d’incertitude) et enfin dimensions de l’oreillette gauche
(si FVP en zone d’incertitude). C : élévation de la pression de remplissage ventriculaire gauche (l’utilisation d’un autre indice n’est pas indispensable). Les valeurs seuils choisies
pour les différents indices sont quelque peu arbitraires, même si leur choix est fondé sur une analyse scrupuleuse de la littérature.
140
120
100
80
60
40
20
0
0
20
40
60
100
120
140
160
Normal
Diastolic HF NYHA III-IV
Diastolic HF After Treatment
160
LV Pressure (mm Hg)
80
140
120
100
80
60
40
20
0
0
20
40
60
80
100
120
140
160
Figure 1. Courbes pression-volume chez le sujet normal, chez un
patient ayant une insuffisance cardiaque systolique avec augmentation du volume ventriculaire gauche (en haut) et chez un patient
ayant une insuffisance cardiaque diastolique (en bas).
98
doivent figurer dans le compte rendu : épaisseur pariétale
(H) ; diamètre diastolique ventriculaire gauche (2 R) ;
épaisseur pariétale relative (H/R) ; masse ventriculaire
gauche indexée (g/m2) ; fraction d’éjection ventriculaire
gauche ; Em/Am dérivé du flux transmitral ; temps de
décélération de l’onde E mitrale (Em). Chez le sujet normal, le remplissage du ventricule gauche est essentiellement passif et survient rapidement en protodiastole (onde
Em et temps de décélération, TDEm), la systole auriculaire
(onde Am) n’intervenant que pour 20 % du remplissage ;
ainsi, le rapport Em/Am est normalement supérieur à 1, et
le délai entre la fermeture des sigmoïdes aortiques et
l’ouverture mitrale, ou temps de relaxation isovolumique,
est inférieur à 100 ms. Un flux mitral d’allure normale
peut correspondre à une anomalie de relaxation ventriculaire gauche, qui peut être masquée par une élévation de
la pression auriculaire gauche, quelle que soit sa cause.
D’autres indices plus « sophistiqués » mais d’acquisition relativement simple à la condition d’une technique
rigoureuse doivent être recueillis pour déterminer le niveau de pression de remplissage ventriculaire gauche
lorsque l’approche initiale n’est pas conclusive, tout particulièrement en présence d’une fraction d’éjection ventriculaire gauche préservée : flux Doppler pulsé tissulaire
à l’anneau (mesure de Ea et calcul du rapport E/Ea), vitesse
de propagation de l’onde E (mesure de Vp et calcul du
rapport E/Vp), recueil du flux veineux pulmonaire avec
mesures comparées des durées des ondes A sur les flux
veineux pulmonaire (dAp) et transmitral (dAm). D’autres
paramètres sont moins utilisés, telles l’évaluation des la
mesure des dimensions de l’oreillette gauche (diamètre ou
surtout surface et à un degré moindre volume) ou encore
les variations du rapport Em/Am lors de la réduction de la
précharge (manœuvre de Valsalva) ou de l’augmentation
de la post-charge.
La preuve de l’élévation des pressions de remplissage
ventriculaire gauche est apportée en adoptant une démarche diagnostique pas à pas qui doit prendre en compte ces
différents paramètres, dans un ordre logique qui prend en
considération leur pertinence, la reproductibilité de leurs
mesures et les habitudes des cardiologues. Un algorithme
est proposé, basé sur une analyse critique des données
souvent contradictoires de la littérature (figure 3A,B).
mt cardio, vol. 1, n° 2, mars-avril 2005
mt cardio, vol. 1, n° 2, mars-avril 2005
99
Normale
Normal
Ea
Em
VG
Am
OG
Anomalie
relaxation
Dysfonction
modérée
Normales
0
0
Dysfonction
sévère
(réversible)
↑↑
↑
Dysfonction
moyenne
Restrictif
0
Pseudo normal
0
Dysfonction
sévère
(irréversible)
↑↑↑
Restrictif
Figure 2. Représentation schématique des différents profils de remplissage ventriculaire gauche avec les flux correspondants, après que la fraction d’éjection ventriculaire gauche a été
déterminée par échographie bidimensionnelle : flux transmitral spontané, flux mitral lors d’une manœuvre de Valsalva, Doppler tissulaire à l’anneau mitral (Ea), flux de propagation, vitesse
de propagation (Vp), flux veineux pulmonaire (FVP), dimensions de l’oreillette gauche (OG). Dans la nomenclature ancienne, description des anomalies du remplissage ventriculaire
gauche selon la classification : flux transmitral normal (FTM), anomalie de relaxation, flux pseudo-normal, flux restrictif, réversible ou irréversible, selon la réponse aux modifications de
charge. Le degré de dysfonction diastolique est indiqué à la partie basse de la figure : modéré, moyen ou sévère (réversible ou irréversible). PRVG = pression de remplissage ventriculaire
gauche.
Fonction
diastolique
PRVG
Nomenclature
FTM
OG
FVP
Vp
DTI anneau
FTM
0
40
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De la dysfonction à l’insuffisance cardiaque diastolique
FEVG
≥ 45 %
< 45 %
FTM (Em/Am)
FTM (Em/Am)
≥1
<1
≥1
<1
HVG +
Ne peut
conclure
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HVG −
PRVG nle
PRVG nle
FEVG
* Em/Ea
Et/ou Em/Vp
Et/ou FVP
Et/ou DOG/SOG
≥ 45 %
≥ 45%
Indice*
FTM (Em/Am)
Em/Am ≥ 1
A
B
Em/Am < 1
C
Em/Am < 2
Em/Am > 2
Autre
et DTEm > 150
et/ou DTEm < 150
indice
Figure 3. Algorithmes diagnostiques. 1) Algorithme diagnostique pour évaluer les pressions de remplissage ventriculaire gauche (PRVG) dans
les situations simples, quelle que soit la fraction d’éjection ventriculaire inférieure ou supérieure ou égale à 45-50 %, dans les situations simples.
La première
prise
en compte de l’aspect du flux transmitral. Un rapport Em/Am inférieur à Autres
1 en l’absence
PRVG nleétape du raisonnement est la ⇑
POG
d’hypertrophie ventriculaire gauche, quelle que soit la fraction d’éjection ventriculaire gauche, traduit des pressions de indices
remplissage du
ventricule gauche normales. En cas de FEVG ≥ 45-50 %, en présence d’une hypertrophie ventriculaire gauche, et dans tous lesinutiles
cas, quelle que
soit la fraction d’éjection ventriculaire gauche, un rapport Em/Am supérieur ou égal à 1 ne permet pas de conclure sur le niveau de pression de
remplissage du ventricule gauche. Une démarche diagnostique complémentaire est alors indispensable, illustrée dans la figure 3.2.
⇑ POG
PRVG
nle
2) Algorithme diagnostique pour évaluer les pressions de remplissage ventriculaire gauche, quelle
que soit la fraction d’éjection
ventriculaire
inférieure ou supérieure ou égale à 45-50 %, dans les situations plus compliquées. La stratégie pas à pas, proposée prend en considération, de
façon successive, les paramètres suivants : temps de décélération mitrale, rapports Em/Ea, Em/Vp, flux veineux pulmonaire, dimensions de
l’oreillette gauche et, à un degré moindre, s’il n’a pas été possible de déterminer le niveau de pression de remplissage du ventricule gauche avec
les paramètres précédents, prise en considération de la variation du profil de vélocité mitrale lors de l’épreuve de Valsalva. Il n’y a pas de
recommandations consensuelles concernant les modalités d’utilisation de ces différents paramètres ou indices, ce qui équivaudrait à établir une
hiérarchie entre eux et à prendre en considération les données disparates et souvent contradictoires de la littérature. Il est en particulier illusoire
de prendre en considération l’ensemble de ces paramètres pour un patient donné, du fait de la fréquence des discordances entre ceux-ci et de
la présence de pathologies qui pourraient rendre invalides certains de ces paramètres ou indices.
100
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Épidémiologie
La prévalence des dysfonctions systolique et diastolique a été évaluée dans une population (Comté d’Olmsted,
Minnesota) par Redfield [11]. Une dysfonction diastolique
modérée, définie selon la classification de la Mayo Clinic
(figure 2), est présente dans 1,8 % des cas dans la population globale, sans différence significative entre les sexes.
Une dysfonction diastolique moyenne est décrite dans
6,6 % des cas et sévère dans 0,7 % des cas. À titre de
comparaison, une dysfonction systolique ventriculaire
gauche, définie par une fraction d’éjection ventriculaire
gauche < 50 %, est observée dans 6 % des cas ; lorsque la
valeur seuil de la fraction d’éjection ventriculaire gauche
est fixée à une valeur inférieure ou égale à 40 %, la
prévalence est alors de 2 %. Si l’on prend en considération
une population à risque, définie par un âge ≥ 65 ans et la
présence d’une hypertension artérielle ou d’une maladie
coronaire, la prévalence de la dysfonction diastolique
modérée est alors de 47,6 % ; elle est de 16,5 % pour les
dysfonctions diastoliques moyennes à sévères [11].
La prévalence de l’insuffisance cardiaque diastolique
varie dans les différentes séries entre 23 et 43 % du total
des insuffisances cardiaques [1-4, 12]. L’étude Framingham [13] a isolé les facteurs suivants comme associés à
l’insuffisance cardiaque diastolique : âge, cardiopathie ischémique, diabète (risque multiplié par 2 à 4), hypertension artérielle (risque multiplié par 2 à 3), hypertrophie
ventriculaire gauche. Ces facteurs augmentent le risque
d’insuffisance cardiaque diastolique dans les deux sexes. Il
convient d’y adjoindre des facteurs favorisants des poussées d’insuffisance cardiaque congestive, tels la fibrillation
auriculaire et l’ischémie myocardique. Des études récentes de cohortes ont confirmé que l’insuffisance cardiaque
diastolique concerne essentiellement les sujets âgés [14].
Certaines cardiopathies sont à l’origine d’une anomalie
prépondérante du remplissage et/ou de la distensibilité
ventriculaire gauche et concernent des patients plus jeunes : cardiomyopathie hypertrophique avec ou sans obstruction intraventriculaire gauche, cardiomyopathie infiltrative, cardiomyopathie diabétique...
Problèmes diagnostiques
Le diagnostic d’insuffisance cardiaque diastolique serait porté par excès [15, 16]. En effet, les pathologies
associées à ce syndrome sont fréquemment à l’origine de
dyspnée, voire de poussée d’insuffisance cardiaque à prédominance droite : broncho-pneumopathie chronique
obstructive, cœur pulmonaire chronique, syndrome d’apnées du sommeil... Par ailleurs, la dyspnée décrite chez les
patients ayant des antécédents de cardiopathie ischémique ou d’arythmie auriculaire, à fraction d’éjection ventriculaire gauche conservée, est souvent difficile à ratta-
cher à une cause précise ou unique. Les informations
apportées par l’échocardiographie Doppler (taille des cavités droites comparées aux cavités gauches, pressions
pulmonaires, hypertrophie ventriculaire droite, dimensions de la veine cave inférieure et des veines sushépatiques...) sont précieuses pour reconnaître le retentissement cardiaque de ces différentes pathologies. Les
dosages du BNP [5, 6], du NT-proBNP [7, 8] sont également utiles pour différencier les dyspnées de cause
cardiaque (BNP > 300 pg/mL ou NT-proBNP > 3501 500 pg/mL) et de causes autres, même si l’existence de
zone de chevauchement pour les valeurs intermédiaires
rend leur différenciation difficile, en particulier dans le
contexte d’une insuffisance cardiaque diastolique. Il est
également impossible de déterminer le niveau de pression
de remplissage ventriculaire gauche à partir du dosage du
BNP, même si la corrélation entre ces paramètres est
satisfaisante [17, 18].
Pronostic et traitement
Le traitement des facteurs favorisants associés à l’insuffisance cardiaque diastolique apparaît déterminant, en
particulier la correction d’une hypertension artérielle et
d’une fibrillation auriculaire [19]. Le traitement déplétif
n’est indiqué qu’en phase congestive, et doit être arrêté de
façon précoce, afin d’éviter la réduction délétère de la
précharge ventriculaire gauche, qui pourrait aboutir à un
désamorçage de la pompe ventriculaire gauche. Ainsi, les
classes de médicaments les mieux adaptées à l’insuffisance cardiaque diastolique sont les bêtabloquants et les
antagonistes calciques, qui sont indiquées du fait de leur
action conjuguée sur la masse ventriculaire gauche et la
fréquence cardiaque. Le ralentissement de la fréquence
ventriculaire allonge la diastole et donc le remplissage du
ventricule gauche et améliore sa relaxation, indépendamment de l’effet anti-ischémique. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (études prospectives en cours PEPCHF, Hong Kong...) seraient également efficaces pour
corriger une hypertension artérielle et un éventuel remodelage ventriculaire gauche secondaire à une hypertension artérielle et/ou à un antécédent d’infarctus du myocarde. Ils réduiraient la mortalité des patients en
insuffisance cardiaque diastolique, ce qui a été établi pour
les insuffisances cardiaques systoliques [20]. Plus récemment, les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II
ont été proposés, avec un effet neutre sur la mortalité
(étude CHARM-Preserved avec le candésartan), mais une
réduction significative des réhospitalisations pour insuffisance cardiaque [21]. L’étude I-PRESERVE teste l’irbésartan versus placebo chez des patients ayant une insuffisance cardiaque diastolique, traités de façon optimale par
ailleurs avec évaluation de la morbimortalité. Le critère de
jugement principal est la mortalité totale ou hospitalisa-
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De la dysfonction à l’insuffisance cardiaque diastolique
102
tion pour cause cardiaque. Les 3 600 patients randomisés
(âge ≥ 60 ans, signes congestifs, FEVG ≥ 45 % et au moins
un critère paraclinique [radiographie de thorax, HVG ou
BBG l’ECG, HVG ou dilatation de l’oreillette gauche
[échographie]) seront suivis pendant une durée moyenne
de deux ans. Les résultats ne seront disponibles
qu’en 2006.
Le pronostic de l’insuffisance ventriculaire gauche
diastolique a été moins étudié que celui de la dysfonction
systolique. La mortalité annuelle varie de 9 à 28 %, ces
variations étant au moins en partie liées aux difficultés
diagnostiques [1-3] et à l’absence de critères consensuels
[13, 14]. La mortalité serait 4 fois supérieure à celle d’une
population normale et 2 fois moindre que l’insuffisance
cardiaque par dysfonctionnement systolique [19, 22].
L’étude réalisée dans le Comté d’Olmsted [11, 12] a
montré que la présence de signes de dysfonction diastolique au sein d’une population prédisait la survenue des
événements cardiovasculaires. La mortalité atteint 20 % à
5 ans, pour les sujets ayant une dysfonction diastolique
moyenne à sévère ; elle est de 10 % en cas de dysfonction
diastolique modérée et de 2 % en l’absence de signe
Doppler de dysfonction diastolique. L’analyse multivariée
des prédicteurs de la mortalité globale indique que la
présence d’une dysfonction diastolique modérée augmente le risque de mortalité d’un facteur 8,3 (intervalle de
confiance à 95 % : 3,00-23,10, p < 0,001). En prenant en
considération une dysfonction diastolique moyenne à sévère, comparée à dysfonction diastolique normale, le
risque atteint 10,17 (intervalle de confiance à 95 % :
3,28-31,00, p < 0,001) [11].
les anomalies de la relaxation et/ou de la distensibilité de
la cavité ventriculaire gauche [10]. La présence concomitante d’une hypertrophie ventriculaire gauche, cause classique de troubles de la distensibilité ventriculaire gauche,
oriente fortement le diagnostic. En revanche, la dilatation
de l’oreillette gauche, bien que suggestive en l’absence de
fibrillation auriculaire, est inconstante et aspécifique. La
prise en compte des facteurs de méprise (obésité ou diabète) est aussi indispensable à la caractérisation de cette
affection fréquente, dont le pronostic reste grave, même
s’il semble moins lourd que celui de l’insuffisance cardiaque systolique [19]. En l’absence de traitement de la
cause, un bêtabloquant (étude SENIORS) [24] et/ou un
antagoniste calcique induisant une bradycardie paraissent
adaptés aux circonstances associées à cette entité clinique. En dehors des phases congestives, les diurétiques ne
sont pas justifiés en traitement de fond. L’efficacité des
inhibiteurs de l’enzyme de conversion et des antagonistes
des récepteurs de l’angiotensine II sur la morbidité et
surtout la mortalité reste à prouver par des études longitudinales de morbidité et surtout de mortalité.
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Conclusion
Le diagnostic d’insuffisance cardiaque diastolique doit
être évoqué devant tout signe congestif pulmonaire ou
périphérique chez un patient ayant une silhouette cardiaque de taille normale (rapport cardiothoracique inférieur à
0,5) et/ou des signes d’œdème sur la radiographie thoracique. Le diagnostic différentiel avec les autres causes de
dyspnée peut être difficile ; le dosage du BNP ou du
NT-proBNP oriente cependant le diagnostic surtout dans
le contexte d’urgence [5-8], et pourrait également participer à une meilleure détection épidémiologique [23]. En
attendant, une approche pragmatique est recommandée :
recherche de facteurs favorisants de dysfonctionnement
diastolique, en particulier hypertension artérielle, ischémie myocardique et fibrillation auriculaire [19] ; élimination des autres causes de dyspnée ; étude échographique
soigneuse afin de confirmer l’absence d’altération de la
fonction systolique ventriculaire gauche, attestée par la
normalité de la fraction d’éjection ventriculaire gauche
(≥ 45-50 %) ; recueil des données Doppler évaluant le
niveau de pression de remplissage ventriculaire gauche,
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