Eléments de correction Khôlle n°10 A partir du cas français, vous vous demanderez quels sont les enjeux d’une monnaie forte ? Une remarque en intro : j’ai volontairement rédigé une seconde partie qui s’éloigne de ce que j’attendais en khôlle, car ce sujet renvoie aussi à des éléments sur l’union économique et monétaire européenne ; j’en ai donc profité pour introduire quelques axes de problématiques sur lesquels nous travaillerons d’ici 2 semaines. Il fallait tout d’abord réfléchir sur la notion de monnaie forte. Certains ont relié monnaie « forte » et taux de change : une monnaie forte serait une monnaie pour laquelle 1 unité permet d’obtenir plus d’une unité de l’autre monnaie (par exemple 1DM vaut 3,33FF). Mais cela pose le problème suivant : est-ce qu’une monnaie qui se déprécie mais dont le taux de change est supérieur à 1 reste une monnaie forte ? L’argument est donc intéressant, mais il n’est pas complet. On peut aussi penser qu’une monnaie devient forte quand sa valeur augmente par rapport aux autres monnaies : une appréciation de la devise est synonyme de monnaie plus forte. On peut alors relier cette appréciation de la monnaie à un déterminant traditionnel de la stabilité monétaire : l’inflation. Les pays où l’inflation est plus faible voient leurs monnaies s’apprécier. Ces pays sont dits à monnaie forte. Enfin, une monnaie forte est une monnaie dans laquelle les agents ont confiance et à laquelle sont associés des taux d’intérêt bas. Le fait que les taux d’intérêt soient bas signifie que les primes de risque sont nulles. Pour qu’une monnaie soit considérée comme forte il faudrait donc à la fois s’appuyer sur le critère de parité, sur celui d’évolution du niveau général des prix et sur celui des taux d’intérêt. Le DM était considéré comme une monnaie forte car avec 1FF on obtenait moins que 1DM (0,33 DM) et parce que l’inflation était plus faible en Allemagne qu’en France (document 3) et que les taux d’intérêt y étaient aussi plus faibles (document 4). Durant le 20ième siècle, la monnaie française a souvent été considérée comme une monnaie « faible ». Il faut se souvenir que le retour à l’étalon or (1928) s’est accompagné d’une réduction de la valeur du FF en or, on parlait alors du « franc de quatre sous ». Pourtant, depuis les années 1980 et l’ancrage sur le DM, c’est du côté de la monnaie forte que se sont positionnées la politique monétaire et la politique de change française. Quelles raisons ont motivé ce choix ? Le passage à la monnaie unique a quant à lui conduit à la problématique de l’euro fort, soulevant des interrogations sur le lien entre taux de change de l’euro et (mauvaises) performances de l’économie française. Ces craintes d’un euro « trop fort » sontelles justifiées ? Pour traiter ce sujet, nous pouvons choisir un plan historique en présentant successivement la situation des années 1980 puis celle des années 2000. 1. Avantages et inconvénients de la politique du franc fort durant les années 1980/1990 1.1 L’enjeu du franc fort : stabilisation macroéconomique et lutte contre l’inflation Dans cette partie, vous êtes trop restés sur les documents et vous n’avez pas assez fait de recherche sur la mise en œuvre de la politique du Franc for et de la dévaluation compétitive. Contexte historique : après la période d’eurosclérose des années 1970, le projet européen est relancé, ce qui va conduire à l’Acte unique (1987). Le marché unique (1993) doit alors s’accompagner d’une concurrence intraeuropéenne plus importante. Or, la France est pénalisée par son inflation qui détériore ses performances commerciales. Par ailleurs, dans le cadre du SME (1979), la France doit défendre sa parité, or, là aussi, l’inflation est un facteur de dépréciation de la monnaie. Le Franc est ainsi dévalué en 1981/1982/1983 et 1986. Le FF passe ainsi d’une parité de 2,32FF pour 1 DM à 3,33FF pour un DM. L’intégration européenne conduit donc de plus en plus la France à chercher à éliminer les tensions inflationnistes. A partir de 1983, l’Allemagne apparaît de plus en plus comme un modèle à suivre. Une première mesure visant à lutter contre l’inflation porte sur le fonctionnement du marché du travail et consiste à pratiquer la désindexation salariale (1983), c’est-à-dire à ne plus fixer la hausse des salaires de manière automatique sur l’inflation. On doit à P.Bérégovoy (Ministre de l’Economie et des finances de 1988 à 1991) la mise en œuvre de la politique du « franc fort » à partir de 1988. Cette politique consiste tout d’abord à ancrer le FF sur le DM allemand. Tant que l’inflation en France est supérieure à l’inflation allemande, le prix des biens produits en France augmente plus vite qu’en Allemagne, la conséquence est une chute de la compétitivité prix de l’économie française. Prenons un exemple pour illustrer : le taux de change nominal reste stable, par exemple 1DM pour 3,33FF ; admettons qu’un producteur allemand fabrique un bien qui coûte 1DM, le producteur français va, lui, le fabriquer à un prix qui augmente peu à peu en raison de l’inflation, par exemple 3,33 FF, puis 3,80 FF, puis 4 FF … le taux de change nominal est stable mais le taux de change réel lui évolue : un bien identique devient plus cher en France qu’en Allemagne. L’inflation pénalise les producteurs français. L’ancrage sur le DM a donc pour objectif d’inciter les agents économiques français à contrôler l’évolution des prix et à limiter l’inflation. Tant que l’inflation en France est supérieure, les agents sont pénalisés. Cela doit engendrer un cercle vertueux : la baisse de l’inflation conduit les agents à anticiper une baisse de l’inflation, les salariés limitent alors leur demande d’augmentation salariale, les producteurs limitent leur hausse de prix ; ce qui renforce la baisse de l’inflation … Dans le document 3, on constate qu’à partir du début des années 1990, l’inflation française se rapproche de l’inflation allemande et passe au-dessous de celle-ci. Le pari de la désinflation est gagné ; il se poursuivra à partir du Traité de Maastricht lorsque les pays candidats à l’entrée dans l’euro adopteront les critères de convergence. 1.2 L’ancrage sur le DM réduit l’autonomie de la politique monétaire française Le fait d’adopter un régime de change fixe en ancrant sa monnaie sur une devise étrangère conduit à adopter de fait la politique monétaire de l’autre pays. C’est ce qui s’est passé en France. Cela ne serait pas un problème si les deux économies suivaient les mêmes cycles économiques mais il en est autrement quand les économies suivent deux cycles différents. C’est ce qui va se passer après la réunification allemande. Cet événement historique produit une poussée inflationniste en Allemagne au début des années 1990, la Bundesbank réagit en augmentant ses taux d’intérêt, la Banque de France est alors obligée de faire de même. En effet, un écart de taux d’intérêt conduirait les capitaux à sortir de France pour l’Allemagne, obligeant la Banque de France à intervenir sur le marché des changes pour défendre la parité du FF en DM. La hausse des taux en France est donc nécessaire pour respecter la fixité du change en situation de libre circulation des capitaux. On retrouve ici une des situations décrites dans le triangle des incompatibilités de Mundell. Bien sûr cette hausse des taux d’intérêt a un effet récessif sur l’activité économique ; la France n’étant pas en surchauffe économique comme l’Allemagne après 1989, le choix d’ancrer le FF sur le DM se paie d’une politique monétaire qui au lieu d’être contracyclique (baisse des taux quand activité faible) devient procyclique (hausse des taux quand activité faible). On peut alors comparer la situation française à la situation britannique. Les anglais décident en 1992 de sortir du SME (donc d’abandonner un régime de change fixe) pour avoir d’avantage d’autonomie dans leur politique monétaire et cela se traduit par une croissance plus importante. Cf document 2 et document 5. 2. Le passage à la monnaie unique : l’euro fort pénalise-t-il le commerce extérieur français ? 2.1 Les inconvénients d’une même monnaie pour plusieurs pays La question d’une monnaie forte se pose autrement durant la décennie 2000. A la fin des années 1990 en effet, l’union économique s’est transformée en union économique et monétaire. La France a adopté l’euro. L’intégration monétaire devient l’élément central de la construction européenne. L’entrée dans le marché unique conduit en effet les pays à davantage de mobilité des facteurs de production, ce qui réduit l’autonomie de la politique monétaire (triangle des incompatibilités). Les politiques monétaires auraient pu rester nationales mais cela aurait signifier maintenir l’ancrage sur le DM avec les conséquences négatives que cela peut entraîner. Le passage à la monnaie unique est donc aussi souhaité, pour des pays comme la France, comme un moyen de s’émanciper de la politique monétaire allemande et retrouver une forme d’autonomie en la transférant au niveau européen. Mais la monnaie unique est-elle adaptée à tous les pays en même temps ? (nous aborderons ultérieurement cette question à partir de la notion de zone monétaire optimale) Le passage à la monnaie unique va soulever un débat notamment entre les français et les allemands. Les premiers considèrent que la monnaie unique va favoriser l’intégration européenne et la convergence des économies : l’euro doit donc faire converger les économies réelles en stimulant les échanges entre pays. Les seconds pensent au contraire que l’unification monétaire ne peut se faire qu’une fois l’hétérogénéité des économies effacée : les allemands pensent qu’une monnaie unique pour des économies qui restent différentes ne peut pas fonctionner et va poser des problèmes (c’est une problématique importante). Comment ces difficultés peuvent-elles se matérialiser au niveau des performances commerciales ? Est-ce que le niveau de l’euro pose un problème à certains pays européens, dont la France ? Ce qui ressort du document 10, c’est que les économies de la zone euro se séparent en deux groupes : celles des pays du Nord et celles des pays du Sud. Au Nord, la compétitivité est essentiellement hors prix. Cela implique qu’une appréciation de l’euro ne pénalise pas les exportations. Au contraire, plus l’euro est fort, plus les recettes des exportations augmentent à volume constant. Au Sud, la compétitivité est essentiellement prix, cela implique, inversement, que l’euro « fort » pénalise les exportations. Nous comprendrons plus tard dans le chapitre sur l’Europe quel lien cette séparation Nord/Sud a avec l’adoption de la monnaie unique. En effet, l’euro a eu tendance à faire augmenter l’intégration européenne tout en faisant diverger les structures des économies des pays de la zone euro. L’euro « fort » serait donc un handicap pour l’économie française. Il faut néanmoins compléter cet argument en rappelant deux éléments : D’une part, les échanges commerciaux des pays européens sont majoritairement intraeuropéens : ce qui compte finalement ce n’est pas l’évolution de l’euro, mais l’évolution du taux de change réel = c’est-à-dire l’évolution des prix relatifs de biens identiques entre des pays différents. Les pays où l’inflation est plus forte et les gains de productivité plus faibles voient leurs prix augmenter et leurs parts de marché baisser, même s’ils échangent dans la même monnaie que les autres. D’autre part, l’euro fort permet d’acquérir des devises étrangères « à moindre coût » ce qui est un avantage pour les IDE sortants et les importations de biens intermédiaires. C’est donc un avantage pour les économies qui pratiquent la DIPP de manière intensive (ce qui est le cas de l’Allemagne - on parle d’économie de bazar). 2.2 L’euro « fort » : une explication partielle du manque de compétitivité de l’économie française Attention, la problématique de l’euro fort porte essentiellement sur la période 2007-2012 (lorsque 1 euro dépasse les 1,40 dollars). Elle est moins d’actualité aujourd’hui où 1 euro vaut 1,1 dollar. Certaines études ont cherché à mesurer les coûts de l’euro fort. La question posée par le rapport du CAE « l’euro dans la « guerre des monnaies » » publié en 2014 (document 8) est la suivante : quelles seraient les conséquences d’une dépréciation de l’euro de 10% ? - Cette dépréciation ferait augmenter la valeur des exportations d’environ 7-8% ; - mais cette dépréciation ferait aussi augmenter le coût des importations d’environ 3,5% ; - Au final, il existerait donc un impact positif de la dépréciation : une dépréciation de 10% de l’euro, ce serait 1% de pib en plus en deux ans. L’impact est positif mais il est modeste. Cependant ce que montre aussi ce rapport, c’est que les grandes entreprises françaises exportatrices ont plutôt tendance à peu réagir aux variations du taux de change : lorsque l’euro s’apprécie, elles réduisent leurs marges pour maintenir leurs prix et lorsque l’euro se déprécie, elles maintiennent leurs prix pour augmenter leurs marges. Compte tenu de ce type de comportement, il n’est donc pas certains qu’une baisse de l’euro s’accompagne d’une baisse des prix et que cela stimule les exportations. Cette relation « baisse de l’euro/hausse des exportations » risque d’ailleurs de se réduire avec l’augmentation de l’internationalisation des firmes. Pourtant, on sait aussi que si les entreprises françaises ont des difficultés pour monter en gamme c’est justement en raison de la faiblesse de leurs marges ; or, on vient de voir que plus l’euro est fort, plus les marges sont faibles. Ce qui amène à conclure que l’euro fort freine la constitution de marge nécessaires aux investissements indispensables pour passer à une compétitivité hors prix. Cet argument qui consiste à relativiser l’impact d’une variation du taux de change sur les exportations doit donc être lui-même relativisé : de manière indirecte, un euro fort pénalise le financement des investissements qui permettraient à l’économie française de rejoindre les économies du Nord de la zone euro. Néanmoins, cela ne doit pas nous conduire à penser que le taux de change est le seul déterminant des performances des entreprises. Le rapport du CAE, toujours lui, rappelle que l’on peut aussi obtenir une baisse des prix des biens exportés en réduisant les coûts de production en France (c’est-à-dire en modifiant le taux de change réel des produits français et non pas le taux de change nominal). Réduire les prix de 10% en France aurait le même impact qu’une dépréciation de l’euro de 10% : « les prix relatifs ont un impact aussi important que celui du taux de change sur les exportations ». Un des moyens pour y parvenir consiste à augmenter les gains de productivité. En conclusion, un euro moins fort peut améliorer le commerce extérieur français en baissant le prix relatif des exportations et en augmentant les marges des entreprises. La hausse des marges permettrait des investissements nécessaires à une montée en gamme dont la conséquence serait une moindre sensibilité des exportations au taux de change. L’euro « fort » ne serait alors plus un problème. Il est néanmoins possible de passer par d’autres politiques que celle du taux de change pour améliorer la balance commerciale ; une dépréciation de l’euro n’aurait ainsi aucun effet si dans le même temps les prix relatifs des productions françaises (leur taux de change réel) augmentent. La problématique de l’euro fort ne doit donc pas masquer le fait que la compétitivité d’une économie se joue aussi ailleurs que dans son taux de change. **********