Revue Chémoréflexes : de la physiologie à leur application pratique

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Revue
mt cardio 2006 ; 2 (3) : 321-7
Chémoréflexes :
de la physiologie à leur application pratique
Fabien Despas1, Olivier Xhaët2, Jean-Michel Senard1, Patrick Verwaerde1, Géraldine Jourdan1,
Daniel Curnier1, Michel Galinier1,3, Atul Pathak1,3
1
Résumé. Les chémorécepteurs détectent les modifications des gaz sanguins (essentiellement hypoxémie et hypercapnie) et répondent par
une activation du système nerveux autonome sympathique et de la ventilation pour maintenir l’homéostasie cardiovasculaire et respiratoire.
Cette boucle est un déterminant majeur de la physiopathologie de certaines affections cardiovasculaires (hypertension artérielle, insuffisance
cardiaque) et de leurs conséquences (morbi-mortalité, mort subite). Ce réflexe est sous l’influence inhibitrice du baroréflexe et des afférences
thoraciques ; il est potentialisé par la survenue d’apnées nocturnes, le dysfonctionnement de ces facteurs explique en partie les anomalies des
chémoréflexes au cours des maladies cardiovasculaires. Cette revue précise la physiologie des chémorécepteurs, leurs rôles dans la genèse de
certaines maladies cardiovasculaires et leur importance tant dans le pronostic que comme cible thérapeutique.
Mots clés : chémoréflexes, système nerveux sympathique, ventilation, physiopathologie des maladies cardiovasculaires
Abstract. Chemoreflexes from physiology to practice. Chemoreceptors are able to detect both hypoxemia and hypercapnia. They respond
by increasing ventilation and the activity of the sympathetic nervous system. This loop is a key mechanism able to maintain homeostasis. This
reflex is inhibited by pulmonary afferents stretch and by baroreflex activation. Dysfunction of the chemoreflex per se or of inhibitory influences
is largely involved in the pathophysiology of various cardiovascular diseases as well as in their prognosis. These structures could thus also be
considered as therapeutic targets for new pharmacological agents.
Key words: chemoreflex, sympathetic nervous system, pathophysiology of cardiovascular disease
L’
homéostasie cardiovasculaire et
respiratoire est en partie assurée
par des structures appelées chémorécepteurs. Ces structures assurent la
détection des modifications des gaz
du sang (principalement hypoxie et
hypercapnie) et en réponse activent
des centres ventilatoires et cardiovasculaires.
Ces derniers sont responsables
d’une augmentation de l’activité sympathique à destinée périphérique nécessaire pour restaurer des concentrations normales en gaz du sang.
mtc
Tirés à part : A. Pathak
Le propos de cette revue est de
faire le point sur la physiologie de ces
structures d’interface entre les systèmes cardiovasculaires, respiratoires et
autonomes et de préciser leurs rôles
dans la physiopathologie de certaines
affections cardiovasculaires.
mt cardio, vol. 2, n° 3, mai-juin 2006
Anatomie et histologie
On distingue deux structures, les
chémorécepteurs centraux (dans le
tronc cérébral sensible à l’hypercapnie et l’acidose) et les chémorécepteurs périphériques (davantage sensibles à l’hypoxie), ces derniers sont
localisés au niveau de l’arche aortique
et du glomus carotidien. Le glomus
carotidien (encore appelé corps carotidien) forme une glande à sécrétion
interne de couleur grise rougeâtre,
d’un diamètre de 4 à 5 mm. Il se situe
en arrière de la bifurcation carotidienne empiétant sur l’artère carotide
interne (figure 1). À ce niveau, le calibre artériel augmente, formant une dilatation fusiforme, le sinus carotidien,
et la paroi du vaisseau est plus élastique, moins musculaire et surtout riche
en terminaisons nerveuses provenant
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Service de Pharmacologie Clinique, Inserm U 586, CESNA (Club d’étude du système nerveux autonome), Faculté de Médecine,
37 allées Jules-Guesde, 31073 Toulouse
2
Service de Cardiologie, Université Libre de Bruxelles, Hôpital Universitaire Erasme, Bruxelles, Belgique
3
Fédération du Service de Cardiologie, Pôle Cardiovasculaire et Métabolique du CHU de Toulouse, avenue Jean-Poulhès, 31000 Toulouse
<[email protected]>
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Chémoréflexes : de la physiologie à leur application pratique
Figure 1. Augmentation de l’activité sympathique lors de l’administration de doses croissantes de dobutamine (rouge = placebo, bleu =
2,5 lg/kg/mn, vert = 7,5 lg/kg/mn) chez le volontaire sain au cours d’apnées volontaires. L’augmentation de l’activité sympathique
(neurogramme) a lieu pour une moindre diminution de la saturation en oxygène, suggérant une augmentation de la sensibilité des
chémorécepteurs périphériques. D’après Pathak et al. Br J Clin Pharmacology 2006 (in press).
des nerfs IX, X et comportant des fibres sympathiques. Les
corps carotidiens sont constitués de deux types cellulaires : les cellules chémoréceptrices dites glomiques (cellules de type I) et les cellules sustentaculaires dites de soutien (cellules de type II). Les cellules chémoréceptrices
dérivent de la crête neurale et ont dans leur cytoplasme
une population hétérogène de vésicules synaptiques
contenant divers neurotransmetteurs [1]. Ces amas de
vésicules se localisent en regard des terminaisons nerveuses sensorielles (figure 2). Les cellules de soutien sont de
nature gliale et ne comportent pas d’organites spécialisés.
La proportion de cellules chémoréceptrices par rapport
aux cellules de soutien est de 4 pour 1. Ces groupes de
cellules forment des clusters qui se trouvent circonscrits
par un réseau dense de capillaires sanguins. La proximité
des capillaires permet la diffusion des gaz et métabolites
sanguins jusqu’à ces cellules. On note la présence d’une
innervation assurée par la branche carotidienne du nerf
glossopharyngien (1/3) qui contient un contingent à la fois
de fibres du système nerveux autonome (ortho- et parasympathique), de fibres sensitives (afférentes) et motrices
(efférentes). Les fibres efférentes et sympathiques sont à
destinée principalement vasculaire, en l’occurrence une
branche de la carotide externe, et participent à la régulation du tonus vasculaire et de l’apport sanguin des corps
carotidiens (1/2, 1/3). Ceux-ci sont perfusés à haut débit
(2 L/mn/100 g), ce qui leur permet d’utiliser l’oxygène
dissous dans le sang et de ne pas dépendre de l’oxygène lié
à l’hémoglobine. Les corps carotidiens constituent des récepteurs toniques avec une fréquence d’émission basse
(moins de deux impulsions par seconde et par fibre, dans
des conditions physiologiques normales). La fréquence des
potentiels d’action est augmentée en présence d’une diminution de la pression partielle en O2 ou bien après une
augmentation de la pression partielle en CO2 ou du pH.
Physiologie et fonctionnement
du chémoréflexe
Abréviations
Revue
AMP : adénosine monophosphate cyclique
H2CO3 : acide carbonique
CO2 : dioxyde de carbone
Na+ : natrémie
Ca+ : calcium
PaO2 : pression partielle en O2
HTA : hypertension artérielle
SAS : syndrome d’apnées du sommeil
NO : oxyde nitrique
322
Le stimulus principal des chémorécepteurs périphériques est l’hypoxie et, surtout, la diminution de la pression
partielle en oxygène (PaO2), ce qui les rend peu sensibles
aux situations dans lesquelles le contenu artériel en oxygène est diminué mais sans modification importante de la
PaO2 (anémie, intoxication au monoxyde de carbone). La
détection de cette hypoxie est responsable d’une réponse
cardiovasculaire (tachycardie, augmentation de la pression artérielle) et ventilatoire (augmentation de la
fréquence respiratoire) sous la dépendance du tonus
mt cardio, vol. 2, n° 3, mai-juin 2006
Zone
chémosensible
Zone
inspiratoire
H+ + HCO3
CO2 + H2O
Chémorécepteurs centraux
Chémorécepteurs périphériques
aortique et du glomus carotidien
Figure 2. Anatomie des chémorécepteurs. D’après Guyton & Hall, Précis de physiologie médicale, Éditions Piccin, 2003.
sympathique. Pour expliquer les mécanismes mis en jeu
par l’hypoxie au niveau des corps carotidiens, deux théories ont été avancées [2]. La première suppose qu’une
protéine sensible à l’oxygène associée à un canal potassique (semblable à ceux retrouvés au niveau des cellules
endothéliales de l’artère pulmonaire) dépolarise dans des
conditions d’hypoxie les cellules chémoréceptrices. Cette
dépolarisation entraîne une entrée de calcium (à travers
l’ouverture de canaux calcique de type L) qui provoque la
libération de neuromédiateurs [3-5]. Il a été établi que,
parmi les neuromédiateurs impliqués, la libération de la
dopamine est proportionnelle à l’intensité de l’hypoxie,
cette réponse est corrélée avec l’activité électrique des
nerfs du sinus carotidien. L’importance de la voie du
calcium dans la genèse des réponses a été mise en évidence dans des travaux in vitro sur des corps carotidiens
intacts. Ainsi, il existe une relation entre la PaO2 et l’augmentation d’AMP cyclique dans des conditions hypoxiques. L’AMPc apparaît comme un modulateur puissant de
la sensibilité du canal K+ à l’O2. L’addition de Forskolin
(un activateur de l’adénylate cyclase), de disobutylméthylxantine (un inhibiteur des phosphodiesterase) ou du
dibutyryl-cAMP dans le milieu potentialise la libération de
dopamine à différents stimuli [6, 7].
La seconde théorie met en jeu une protéine à noyau
hémique (d’origine cytosolique ou mitochondriale), sensible à l’oxygène, entraînant des réactions redox aboutissant à la libération de neuromédiateurs. Les deux théories
ne semblent pas exclusives, les mécanismes mis en jeu
seraient mixtes, suivant le niveau de pression partielle
d’oxygène.
L’activation du chémorécepteur périphérique produit
une information modulée et véhiculée par voie nerveuse.
Ainsi, les fibres venant des nerfs glossopharyngiens (IX),
pneumogastriques (X) et du système sympathique cheminent jusqu’aux corps carotidiens, ces afférences vont moduler l’activité des corps carotidiens. Les fibres nerveuses
partant des corps carotidiens véhiculent les informations
jusqu’au niveau central, l’activation des corps carotidiens
engendre une stimulation des centres respiratoires responsables d’une réponse réflexe afin de maintenir l’homéostasie en oxygène.
Les chémorécepteurs périphériques sont également
sensibles à la concentration en ion hydrogène et en
dioxyde de carbone. Les mécanismes de stimulation des
chémorécepteurs périphériques par ces stimuli sont liés à
une augmentation de la concentration intracellulaire des
cellules glomiques en ion hydrogène, soit par diffusion
directe des ions hydrogènes, soit par la conversion du CO2
en acide carbonique (H2CO3) rapidement dissocié en ion
hydrogène et en HCO3-. Les ions hydrogènes sont échangés contre des ions sodium par une pompe Na+/H+ et les
ions sodiums échangés à leur tour par des ions calcium
grâce à une pompe Na+/Ca++, ce qui entraîne une augmentation de la concentration intracellulaire en calcium.
Cette augmentation de la concentration intracellulaire en
calcium provoque, encore une fois, l’exocytose des vésicules des cellules glomiques, riches en neuromédiateurs.
La dopamine ainsi libérée active de nouveau le réflexe
décrit précédemment.
L’intensité de la réponse des chémorécepteurs à ces
différents stimuli n’est ni identique ni linéaire. La réponse
la plus importante est obtenue en cas d’hypoxémie, et
particulièrement lorsque la PaO2 devient inférieure à
70 mmHg.
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H2CO3
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Chémoréflexes : de la physiologie à leur application pratique
La stimulation des chémorécepteurs se traduit par une
augmentation de la ventilation minute puis de la fréquence respiratoire. Les chémorécepteurs carotidiens sont
responsables de 90 % de la réponse ventilatoire à l’hypoxie et de 20 à 50 % de la réponse à l’acidose ou à
l’hypercapnie, qui restent des stimuli principalement pour
les chémorécepteurs centraux. Enfin, il existe d’autres
chémorécepteurs périphériques, situés sur l’aorte qui sont
mis en jeu lors d’un déficit chronique des corps carotidiens (tumeurs glomiques ou post-radiothérapie). De manière expérimentale, chez l’animal l’exérèse des corps
carotidiens ou bien la section bilatérale des nerfs contenus
dans les sinus carotidiens engendre une diminution de la
réponse ventilatoire dans des conditions d’hypoxie. Des
expériences menées chez le chat ont montré une récupération de 85 % de la réponse ventilatoire après 215260 jours d’une section bilatérale probablement sous l’influence de l’activité compensatrice des chémorécepteurs
situés dans l’aorte.
Physiopathologie cardiovasculaire :
interface chémoréflexe activité du
système nerveux autonome
Revue
La stimulation des chémorécepteurs entraîne une réponse ventilatoire et sympathique. L’augmentation de la
ventilation et l’activation cardiovasculaire périphérique
sous la dépendance sympathique (augmentation du débit
cardiaque, de la fréquence cardiaque et de la pression
sanguine artérielle) maintiennent l’homéostasie cardiovasculaire et respiratoire. L’augmentation de la réponse
ventilatoire inhibe à son tour l’activité des chémorécepteurs par le biais d’afférences pulmonaires. Enfin, l’activation sympathique contribue à une augmentation de la
pression sanguine artérielle qui stimule les barorécepteurs
artériels qui inhibent la fonction chémoréflexe, surtout en
réponse à l’hypoxie [8].
Les premières études portant sur la physiologie des
chémorécepteurs ont porté sur la réponse ventilatoire. Le
développement de la technique de microneurographie,
qui permet l’enregistrement de l’activité du système nerveux sympathique directement par enregistrement intraneuronal, a permis de s’intéresser plus précisément à la
réponse sympathique liée à l’activation des chémorécepteurs. On a ainsi pu mettre en évidence que, lors de
l’activation des chémorécepteurs par l’hypoxie ou l’hypercapnie, on observe une augmentation de la réponse ventilatoire. Cette dernière, par l’étirement des afférences
thoraciques, inhibe la réponse sympathique induite par
l’activation des chémorécepteurs. Cette inhibition sympathique est plus prononcée lors de l’activation des chémorécepteurs périphériques que centraux. Cette inhibition
s’explique par une relation entre les afférences thoraciques et celles des chémorécepteurs périphériques dans la
324
région du tractus solitaire. Cette interrelation explique
que, lors des apnées, l’activation des chémorécepteurs
conduise à une potentialisation de la réponse sympathique à destinée des vaisseaux musculaires et donc à une
vasoconstriction plus prononcée [9].
Le chémorécepteur périphérique est la seule structure
capable de simultanément activer le trafic sympathique
des vaisseaux périphériques et d’augmenter le tonus vagal
cardiaque. Ainsi, l’apnée en hypoxie entraîne des réponses cardiovasculaires et autonomes caractéristiques du
réflexe de plongée, c’est-à-dire une activation sympathovagale. En conséquence, durant la réalisation d’une apnée, l’augmentation de l’activité orthosympathique à destiné vasculaire par l’hypoxie et/ou l’hypercapnie est
majorée [10]. La réponse à l’hypoxie et/ou à l’hypercapnie
varie en fonction des pathologies cardiovasculaires sousjacentes et explique leur physiopathologie, leur aggravation ou leur pronostic.
Hypertension artérielle
L’hypertension artérielle (HTA) s’associe à une augmentation de la sensibilité des chémorécepteurs périphériques. Ainsi, dans un modèle expérimental d’HTA chez le
rat, l’étude de la réponse ventilatoire à l’hypoxémie est
accrue par rapport au groupe témoin, alors que la réponse
à l’hypercapnie est sensiblement identique pour les deux
groupes. Lorsqu’on les expose à une hyperoxie (connue
pour inhiber l’activité des chémorécepteurs périphériques), ces mêmes animaux voient leur niveau tensionnel
se normaliser. Cette augmentation de la sensibilité des
chémorécepteurs pourrait en partie expliquer l’installation d’une HTA puisqu’une exposition à l’hypoxie pendant 30 jours entraîne le développement d’une HTA ainsi
qu’une augmentation de l’activité du système nerveux
sympathique, là encore par une augmentation de l’activité
des chémorécepteurs périphériques [8, 11].
Des études chez l’homme suggèrent que les chémorécepteurs périphériques ont une activité exagérée au cours
de l’HTA. Cela se traduit par une réponse ventilatoire à
l’hypoxie deux fois plus importante chez les sujets hypertendus et ce sous l’influence d’une hyperactivité sympathique. C’est au moment des apnées, quand l’influence
inhibitrice des afférences thoraciques est neutralisée, que
la réponse sympathique à l’hypoxie est particulièrement
prononcée. Cette hyperactivité sympathique est bien mise
en évidence chez des sujets hypertendus borderline où
elle peut être 6 à 12 fois plus importante que chez les
témoins. La présence d’un syndrome d’apnées du sommeil (SAS) majore encore plus ce type de réponse sympathique exagérée. Les liens entre HTA et SAS sont bien
établis, le SAS s’associe à une incidence accrue d’HTA et
l’inverse est vrai. L’activation des chémorécepteurs périphériques est un des liens entre ces deux pathologies.
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Insuffisance cardiaque
L’insuffisance cardiaque se caractérise par une augmentation du tonus sympathique. Plusieurs données soulignent que cette activation neurohormonale précède
l’installation de l’insuffisance cardiaque symptomatique
[15]. Il est maintenant établi que les anomalies du système
nerveux sympathique contribuent à la progression de la
maladie et à son mauvais pronostic [15]. Jusqu’à présent,
ce sont les dysfonctionnements des baroréflexes artériels
et cardiopulmonaires (système inhibiteur de l’activation
sympathique) qui ont été incriminés dans la genèse de
l’hyperactivité sympathique [16]. Mais un grand nombre
de données expérimentales et humaines soulignent le rôle
prépondérant joué par l’activation des chémorécepteurs
(surtout périphériques) dans l’installation et la progression
de l’activation sympathique au cours de l’insuffisance
cardiaque.
L’étude du chémorécepteur périphérique chez
l’homme suggère que l’activation est proportionnelle à la
sévérité de la maladie (stade NYHA) et au type de cardiopathie (ischémique plus que dilatée) [17, 18]. Enfin, l’augmentation de l’activité des chémorécepteurs périphériques est associée à une augmentation de la mortalité au
cours de l’insuffisance cardiaque [19]. L’administration
d’un mélange hyperoxique diminue l’activation sympathique et la réponse ventilatoire, suggérant un rôle spécifique
de l’activation des chémorécepteurs périphériques. L’activation des chémorécepteurs périphériques est logique
lorsque l’hypoxie chronique est installée mais son installation précoce soulève un certain nombre d’interrogations. Les données expérimentales suggèrent la modification d’anomalies structurales au sein même des corps
carotidiens à l’origine d’une augmentation du tonus de
décharge de ces structures. Ces anomalies sont observées
à la fois dans des préparations intactes (perfusées) de corps
carotidiens mais également dans des préparations isolées,
ce qui confirme leur caractère intrinsèque [20]. L’une des
anomalies pourrait être la diminution de la production de
NO (agent inhibiteur de l’activité des chémorécepteurs)
dans les tissus concourant à une levée d’inhibition du
tonus des chémorécepteurs périphériques. La modulation
pharmacologique de la voie du NO par des antagonistes
(LNAME) et des substrats (L-arginine) ou donneur de NO
confirme cette hypothèse [20].
L’autre mécanisme responsable de l’hyperactivité des
chémorécepteurs périphériques repose sur l’interaction
entre le système des chémorécepteurs et le système des
barorécepteurs au niveau central ou ces deux systèmes
convergent dans le noyau du tractus solitaire. Ainsi, l’activation des chémorécepteurs périphériques supprime l’inhibition de l’activité sympathique par les barorécepteurs
et l’activation des barorécepteurs inhibe l’activation des
chémorécepteurs. L’interaction centrale et les dysfonctionnements du baroréflexe pourraient expliquer l’augmentation de l’activité des chémorécepteurs périphériques [21]. L’activation du chémorécepteur central reste
mal élucidée, l’hypothèse du rôle de la leptine, dont les
taux augmentent au cours de l’obésité et de l’insuffisance
cardiaque, pourrait en partie expliquer l’augmentation de
l’activité des chémorécepteurs centraux mais cette piste
demande à être confirmée [22].
Enfin, l’activation des chémorécepteurs centraux pourrait en partie s’expliquer par la prévalence accrue des
apnées du sommeil au cours de l’insuffisance cardiaque.
Les patients qui ont une réponse exagérée lors de l’administration de CO2 sont ceux qui ont le plus souvent un SAS
central. L’activation sympathique induite par les apnées
répétées chez l’insuffisant cardiaque contribue en partie
au maintien de l’activité sympathique et joue un rôle
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Syndrome d’apnées du sommeil
Les patients avec un SAS ont une réponse à l’hypoxie
accrue à un niveau comparable de celui des patients
hypertendus. Mais cette activation des chémorécepteurs
périphériques est visible, même chez des sujets normotendus avec SAS. On retrouve ainsi des points communs entre
les sujets avec une HTA « limite » et ceux avec un SAS
sans HTA. Cette activation des chémorécepteurs périphériques est spécifique et isolée puisque l’activité des chémorécepteurs centraux et la réponse au « test d’immersion
de la main dans l’eau glacé » (ou cold pressor test, test non
spécifique d’étude du système sympathique) sont inchangées par rapport à des sujets témoins [12]. On sait que le
SAS s’associe fréquemment à l’obésité, mais la surcharge
pondérale n’explique pas l’activation des chémorécepteurs périphériques, puisque, chez des sujets obèses indemnes de comorbidités et de SAS, on observe une exagération de l’activité des chémorécepteurs centraux sans
modification de la réponse à l’hypoxie [13]. Enfin l’hyperactivité des chémorécepteurs périphériques au cours du
SAS porte à la fois sur la réponse sympathique périphérique mais également sur le tonus vagal à destinée cardiaque. Ainsi, au cours de l’apnée, l’activation sympathique
et la prolongation de l’intervalle RR sont majorées par
rapport aux témoins [14].
La majoration de l’activité des chémorécepteurs périphériques s’explique la nuit par l’exposition à des épisodes d’hypoxies intermittentes au cours des apnées. Mais
chez ces mêmes patients, on retrouve une majoration de
l’activité sympathique diurne alors même que les sujets
sont en normoxie. Cette observation suggère une augmentation du tonus de base de l’activité des chémorécepteurs
périphériques. Pour preuve, l’exposition à l’hyperoxie, qui
inhibe l’activité des chémorécepteurs périphériques, entraîne une diminution de l’activité sympathique et de la
pression sanguine artérielle sans modification dans le
groupe témoin. Il semble que l’activation des chémorécepteurs la nuit rende aussi compte du maintien de l’activité sympathique durant la journée et ce même en situation de normoxie.
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essentiel dans la physiopathologie et le pronostic de l’insuffisant cardiaque. La valeur pronostique du SAS central
au cours de l’insuffisance cardiaque a été établie. Ce
mauvais pronostic s’explique par les caractéristiques de
ces patients qui ont une insuffisance cardiaque avec SAS
central et qui cumulent, outre l’augmentation de l’activité
sympathique, des taux élevés de noradrénaline plasmatique et urinaire, ainsi que des pressions capillaires audessus de la normale. Le bénéfice d’une prise en charge du
SAS pourrait contribuer à améliorer le pronostic des insuffisants cardiaque et explique l’intérêt de la ventilation
nocturne non invasive.
Modulation de l’activité
des chémorécepteurs :
une nouvelle cible thérapeutique ?
La littérature fait état d’un grand nombre de situations
qui modulent l’activité des chémorécepteurs. Ces observations peuvent en partie expliquer le bénéfice jusqu’alors
incompris de certains traitements et suggérer que ces
cibles peuvent constituer une cible thérapeutique d’intérêt
dans le domaine cardiovasculaire.
Exercice physique
Il est désormais bien établi que la réadaptation cardiovasculaire à l’effort constitue un traitement indispensable
dans la prise en charge de l’insuffisance cardiaque. Ce
traitement améliore non seulement le profil hémodynamique des patients mais aussi les réponses ventilatoires à
l’effort. Ce bénéfice passe en partie par une réduction du
tonus sympathique. Une explication pourrait reposer sur
l’augmentation de la production de NO par l’exercice,
observée dans différentes études expérimentales. Cette
augmentation est abolie par l’administration d’un inhibiteur de la synthèse de NO. Le réentraînement pourrait
normaliser le fonctionnement des chémorécepteurs périphériques au cours de l’insuffisance cardiaque par un effet
sur le NO et ainsi diminuer l’activation sympathique périphérique [23, 24].
Modulation pharmacologique
La dobutamine, agoniste b-adrénergique, est un agent
inotrope utilisé en unité de soins intensifs. Elle augmente
la sensibilité des chémorécepteurs périphériques et ce de
manière dose-dépendante chez le sujet sain (figure 3)
[24-26]. Cette observation suggère que le bénéfice du
bêtabloquant au cours de l’insuffisance cardiaque pourrait
en partie s’expliquer par une diminution de la sensibilisation des chémorécepteurs périphériques au cours de l’insuffisance cardiaque.
À l’inverse, l’administration intraveineuse de faibles
doses de dopamine tend à diminuer la sensibilité des
chémorécepteurs périphériques [27]. Ce phénomène
s’explique par l’activation préférentielle des récepteurs
présynaptiques qui vont diminuer la libération endogène
de dopamine.
Dans des conditions expérimentales, l’administration
de fortes doses de dopamine induit une stimulation des
chémorécepteurs périphériques, précédé par une période
d’inhibition.
A
nf
c
c
v
nf
Variation des gaz sanguin (O2, CO2)
Capillaire
Voie du calcium
Revue
Cellule
chémoréceptrice
Synapse
Figure 3. Histologie du système chémorécepteur. D’après [1].
326
mt cardio, vol. 2, n° 3, mai-juin 2006
Ces quelques exemples soulignent que les chémorécepteurs sont des structures sensibles à une modulation de
leurs effets (pharmacologiques ou non) et qu’ils pourraient
constituer des cibles thérapeutiques intéressantes.
Les chémoréflexes sont de puissants modulateurs du
contrôle neuronal de la circulation et de la ventilation. Ils
restent sous l’emprise de feedback négatif comme l’influence du barorécepteur ou des afférences thoraciques.
Les anomalies de fonctionnement de ces structures expliquent en partie la physiopathologie, la progression et le
pronostic de certaines affections cardiovasculaires. La
modulation de l’activité de ces structures suggère leurs
rôles potentiels comme cibles d’intérêt dans des pathologies comme l’HTA ou l’insuffisance cardiaque.
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mt cardio, vol. 2, n° 3, mai-juin 2006
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Revue
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Conclusion
12. Narkiewicz K, van de Borne PJ, Montano N, Dyken ME,
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