Philosophie 2010 Filière ES tropole
Sujet 1 : Une vérité scientifique peut-elle être dangereuse ?
Sujet 2 : Le rôle de l'historien est-il de juger ?
Sujet 3 : Commentaire du texte d'Emile Durkheim
Sujet 1 : Une vérité scientifique peut-elle être dangereuse ?
Il n’est pas possible de se lancer dans le traitement d’un sujet de dissertation sans avoir préalablement
chercher à cerner ce sujet, c’est-à-dire sans avoir tenter de voir quels pouvaient être les différents sens
de la question.
Analyse du sujet :
Tout d’abord, l’article est important : « une » rité. Il ne s’agit donc pas de faire une critique de la
science en tant que telle, mais plutôt d’examiner la valeur des énoncés scientifiques. Une vérité, ce n’est
pas la vérité. Ceci est à mettre en relation avec l’idée de « vérité scientifique ». Pourquoi cette précision
dans l’énoncé : « Une vérité scientifique peut-elle être dangereuse ? »
encore, il faut certainement le comprendre au sens la science n’est pas la seule à proposer des
vérités. Il y a des vérités religieuses, des vérités philosophiques, des vérités politiques et même
artistiques. Or, c’est justement dans cette « compétition » des disciplines et des pratiques génératrices de
vérités qu’il faut entendre la question que ce sujet nous pose.
En effet, nous savons que toutes les vérités sont potentiellement dangereuses. La vérité, généralement,
dérange, elle bouleverse les habitudes de pensée, les croyances rassurantes, l’ordre établi. Pensons par
exemple à l’avènement du christianisme perçu comme une menace pour Rome. Pensons aux artistes :
poètes, peintres, musiciens qui par leurs œuvres dénoncent, affirment des vérités qui peuvent s’avérer
dangereuses pour certains régimes. On voit donc que la vérité en tant que telle est potentiellement
dangereuse parce qu’elle constitue une remise en cause des représentations sur lesquelles sont fondées
une partie de notre existence : croyances, illusions...et/ou qui servent au maintien de certains régimes
politiques. Toutefois, il semble qu’une vérité scientifique représente une menace plus importante encore
en raison du prestige accordée à la science. En effet, les vérités religieuses, philosophiques, artistiques,
politiques, n’ont plus le crédit qu’on a pu leur accorder à certaines époques. Aujourd’hui, la science
occupe une place privilégiée dans nos représentations. s lors, une vérité scientifique, c'est-à-dire une
affirmation soutenue par une méthode rigoureuse, appuyée sur des expériences qui la valide, peut avoir
plus de poids que les vérités auxquelles nous accordons habituellement crédits et sur lesquelles sont
fondées une part de nos institutions, de nos pratiques, de nos représentations.
On comprend d’après les remarques précédentes ce qui motive l’intérêt spécifique que l’énoncé semble
accorder aux vérités de types « scientifiques ». Reste alors à nous interroger sur le dernier mot de
l’énoncé : « dangereuse ».
Pourquoi et surtout pour qui une vérité scientifique pourrait-elle être dangereuse ? Quel danger ?
Il peut sembler paradoxal qu’une vérité énoncée par la science puisse représenter un risque. En effet, la
science vise la connaissance de la réalité qui nous entoure. Pourquoi connaitre serait-il une menace ?
L’ignorance ou l’illusion sont-elles quelquefois préférables ? A moins que ce ne soient plutôt les
conséquences par exemple politiques— de certaines vérités scientifiquement établies qui peuvent
s’avérer dangereuses. Combien de temps un régime fondé sur la séparation raciale (apartheid) peut-il
résister à l’idée scientifique selon laquelle il n’existe pas de races humaines ?
Certes, mais alors elle n’est dangereuse que pour ce qui n’existe que grâce au mensonge, à l’ignorance,
aux croyances. Peut-on véritablement considérer ce « danger » comme une menace pour l’homme ?
Trois grandes parties se dégagent donc de cette analyse du sujet :
I) La vérité contre le danger :
Dans cette partie, on soulignera le caractère paradoxal de la question qui nous interroge sur un
éventuel danger venant de la vérité. En effet, les hommes cherchent la vérité pour se prémunir des
dangers. Connaitre, c’est pouvoir prévoir, donc anticiper. C’est par exemple le projet cartésien de se
rendre « maitre et possesseur de la nature ». En connaissant le monde qui l’entoure, l’homme peut agir
sur lui, utiliser la Nature et se défendre des menaces qu’elle fait planer sur lui.
La connaissance est donc un enjeu majeur. Connaitre, c’est pouvoir. Celui qui détient la vérité ou qui est
considéré comme tel, obtient de ce fait un crédit important et bénéficie d’une forte influence sur les
autres hommes. De ce fait, il existe donc une compétition entre les pratiques, les disciplines qui
prétendent à la vérité. C’est dans ce contexte que se pose la question du danger de la vérité scientifique.
II) Danger de la science :
Dans cette partie on se demandera pourquoi la science pourrait être aujourd’hui perçue comme
potentiellement dangereuse. On s’attachera donc à montrer que la science occupe désormais une place
dominante par rapport à la religion, à la philosophie ou à la politique. Une vérité scientifique est donc une
vérité d’un genre particulier dans la mesure elle s’appuie sur un raisonnement, une méthode, des
expériences qui lui confèrent sa force.
Par conséquent, une vérité scientifique est un danger pour les autres disciplines prétendant à la vérité. La
science dérange parce qu’elle remet en cause des « vérités » établies sur lesquelles nous avions fondé des
habitudes de pensée, des institutions...et qui réglaient nos existences.
Toutefois ce danger pour les autres disciplines est-il un danger pour l’homme ? Ne faut-il pas au contraire
se réjouir du « triomphe de la science » sur l’obscurantisme, l’ignorance ou le mensonge dans lequel
s’abritaient les pires régimes ?
III) Le danger du scientisme :
Cette dernière partie remet en question la domination de la science dans le domaine de la vérité.
On s’interroge ici sur ce qu’est au fond une « vérité scientifique ». Pour Husserl par exemple, une vérité
scientifique est une vérité de fait. La science nous dit comment le monde est constitué, elle énonce des
lois, établis des faits. Mais la science ne dit rien ; elle ne peut rien dire en tant que science, concernant le
sens de l’existence. Par conséquent, s’il existe, venant de la science, un véritable danger pour l’homme
c’est celui du scientisme : d’une réduction de la vérité au genre de vérités que produisent les sciences.
Pour Kant, les questions de la philosophie se ramènent à trois principales : Que puis-je connaitre ? Que
dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? Ces trois grandes questions reviennent finalement à
s’interroger sur ce qu’est être un homme. Or, les vérités scientifiques nous font connaitre le monde, mais
elles ne nous disent pas ce que nous devons faire et peuvent même nous désespérer en proposant un
monde réduit à des faits et des lois. Peut-être alors faut-il se méfier effectivement des vérités
scientifiques.
Références et pistes de réflexion :
Descartes et son projet de se rendre maitre et possesseur de la nature.
Husserl dans La Crise des sciences européennes et la phénoménologie, analyse le projet des sciences de
rendre compte de la réalité.
Nietzsche et sa critique générale de la vérité. Le besoin de vérité comme besoin de sécurité.
Sujet 2 : Le rôle de l’historien est-il de juger ?
Analyse des difficultés du sujet :
La question porte sur le « rôle de l’historien ». Quel rôle ? Il est nécessaire de clarifier cette expression
avant de pouvoir se prononcer sur le sujet.
« Juger » ? Mais quoi ? Quel sens faut-il ici donner à ce terme. Spontanément, nous pensons au jugement
de valeur. Or, ce serait une erreur de réduire le sujet à l’alternative : histoire idéologique/histoire neutre.
Dans un premier temps, il faudrait donc préciser le sens de ce que l’on appelle le « rôle de l’historien ».
En partant du plus élémentaire, on peut dire que l’historien est celui qui ECRIT l’histoire. L’histoire est un
terme ambigu qui désigne à la fois la réalité historique et le récit ou la connaissance scientifique de cette
réalité. Or, pour écrire l’histoire, pour faire le récit, l’historien doit organiser les éléments de la réalité
dont il traite. Organiser, cela veut dire mettre de l’ordre. L’historien est donc amener à régler des
questions portant sur la place des individus, des institutions ; l’importance de tel événement par rapport à
tel autre. Il doit donc mettre un ordre, hiérarchiser, sélectionner etc.. Toutes ces opérations nécessitent
un jugement.
Donc dans un deuxième temps, on dira que même si juger n’est pas son affaire, si ce n’est pas là le rôle, la
tâche que l’on attend de l’historien, il n’en reste pas moins que pour accomplir son travail, pour remplir
son rôle : écrire l’histoire, l’historien doit juger (évaluer, hiérarchiser, sélectionner). Alors, la question qui
se pose est de savoir comment il peut procéder à ces jugements sans aller à l’encontre du rôle qui est le
sien. C’est donc le problème de l’objectivité ou de la neutralité vers laquelle l’historien doit tendre
(comme vers un idéal) pour être dans son rôle sans devenir un hagiographe, un idéologue, un faiseur de
légendes.
On pourrait dans un dernier moment chercher à s’interroger sur ce souci de neutralité. L’histoire n’a-t-elle
pas un sens ? N’y a-t-il pas des périodes plus riches que d’autres ? Des moments historiques où l’humanité
a progressé et d’autres où au contraire elle semble avoir stagné, régressé. Si juger n’est pas le rôle de
l’historien, c’est peut-être alors au philosophe de le faire.
Références et pistes :
Thucydide qui explique pourquoi il faut écrire l’histoire.
Aristote qui compare la valeur de vérité de l’histoire et celle de la poésie, au profit de la poésie.
Rousseau montre que les « faits » historiques ne sont pas neutres justement parce qu’ils sont faits, c’est-
à-dire fabriqués par l’historien.
Ricœur cherche à définir ce qui pourrait être une forme d’objectivité historique différente de celle de la
physique ou de la biologie.
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