H T A Le patient hypertendu : prise en charge globale Les outils thérapeutiques : associations antihypertensives ● X. Girerd*, D. Pouchain** ÉTAT DES CONNAISSANCES Points forts ■ La plupart des patients hypertendus, et en particulier les diabétiques, nécessitent une polythérapie antihypertensive à plus ou moins long terme pour obtenir un contrôle tensionnel satisfaisant. ■ Il est possible de classer les antihypertenseurs, selon leur efficacité en monothérapie, en deux “paniers thérapeutiques” : les IEC, bêtabloquants et antagonistes de l’angiotensine II d’un côté, les inhibiteurs calciques et les diurétiques de l’autre. ■ En cas de résultat insuffisant d’une monothérapie par ailleurs bien tolérée, il est judicieux de prescrire une bithérapie comprenant un principe actif de chaque “panier”, de préférence à doses fixes dans un seul comprimé. ■ Une trithérapie doit comporter un diurétique thiazidique à une dose minimum de 12,5 mg d’hydrochlorothiazide par jour, mais 25 mg sont parfois nécessaires pour optimiser l’effet hypotenseur. ■ Une intervention plus marquée sur les habitudes de vie (diminution de la consommation de sel, perte de poids, augmentation de l’activité physique, diminution de la consommation d’alcool) est nécessaire quand la pression artérielle n’est pas suffisamment contrôlée par une trithérapie. ■ La survenue d’un effet indésirable conduit habituellement à changer de médicament, en choisissant le nouveau traitement selon la stratégie des paniers thérapeutiques. * Hôpital Broussais, Paris ; ** Vincennes. 24 Les recommandations de l’ANAES Prescrire un traitement en association signifie qu’au moins deux principes actifs hypotenseurs sont donnés pour obtenir une diminution de la pression artérielle. Cette stratégie a montré son efficacité pour induire une baisse de la pression artérielle plus importante que celle provoquée par la prescription de plusieurs monothérapies successives (1). Alors que, comme l’indique la recommandation de l’ANAES, “le traitement antihypertenseur doit être débuté par une monothérapie”, l’association des antihypertenseurs est préconisée “lorsque le premier médicament est bien toléré, mais que l’effet antihypertenseur est insuffisant” (2). Prescrire une combinaison d’antihypertenseurs est souvent une nécessité pour permettre d’atteindre l’objectif tensionnel chez une large majorité de patients hypertendus. L’efficacité des antihypertenseurs en monothérapie : les “paniers thérapeutiques” Il existe une variabilité individuelle dans la réponse d’un patient à chaque classe pharmacologique d’antihypertenseur. Un patient “non répondeur” à un médicament d’une famille peut être “répondeur” à un médicament d’une autre famille. En revanche, la réponse tensionnelle obtenue avec différents médicaments appartenant à la même famille pharmacologique est comparable pour un même sujet. Selon des études de comparaison individuelle de l’efficacité des traitements (3-6), les familles de médicaments antihypertenseurs peuvent être regroupées dans deux “paniers thérapeutiques” : ✔ le “panier 1”, comprenant les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), les bêtabloquants et les antagonistes de l’angiotensine II (ARA II) ; ✔ le “panier 2”, comprenant les inhibiteurs calciques et les diurétiques. Il est démontré que chez un hypertendu qui n’a jamais été traité, l’efficacité antihypertensive est comparable pour les médicaments de chaque panier et que la tolérance du traitement est dépendante de la famille pharmacologique, mais pas du “panier thérapeutique”. La Lettre du Cardiologue - n° 360 - décembre 2002 H Les règles du choix d’une association d’antihypertenseurs Pour choisir une association d’antihypertenseurs dans le but d’augmenter l’efficacité hypotensive, les règles suivantes peuvent être proposées : ✔ ne pas prescrire de médicaments appartenant à la même famille pharmacologique, ✔ choisir un médicament dans chacun des “paniers thérapeutiques” (tableau I), ✔ préférer une combinaison à dose fixe (tableau I), ✔ éviter les combinaisons qui exposent à des effets indésirables. Tableau I. Associations d’antihypertenseurs conseillées selon l’application de la règle des paniers thérapeutiques. Panier 1 IEC Bêtabloquant ARA II Panier 2 Antagoniste calcique Diurétique thiazidique Combinaisons à doses fixes disponibles en France IEC + antagoniste calcique (vérapamil) IEC + diurétique thiazidique Bêtabloquant + antagoniste calcique (dihydropyridine) Bêtabloquant + diurétique thiazidique ARA II + diurétique thiazidique Combinaisons libres IEC + antagoniste calcique (dihydropyridine) ARA II + antagoniste calcique (dihydropyridine) ARA II + antagoniste calcique (vérapamil) Les études pharmacologiques d’associations d’antihypertenseurs indiquent que l’association de deux antihypertenseurs permet de “contrôler” un plus grand nombre de sujets que chacune des monothérapies. L’augmentation de cette efficacité est la conséquence de deux situations : ✔ Des sujets qui étaient déjà contrôlés par une monothérapie sont aussi contrôlés par la combinaison. ✔ Des sujets qui n’étaient pas contrôlés par la monothérapie sont contrôlés par la combinaison. Chez ces patients, les effets antihypertenseurs de chacune des monothérapies s’additionnent et l’effet total permet d’obtenir la baisse tensionnelle suffisante au regard des objectifs à atteindre. Ainsi, les études indiquent que le bénéfice de l’association des médicaments sur la baisse de la pression artérielle est la conséquence de l’addition des effets chez les patients “répondeurs” respectivement à chacune des monothérapies. Prescrire une combinaison d’antihypertenseurs est une nécessité fréquente pour permettre d’atteindre l’objectif tensionnel chez une large majorité de patients hypertendus. Si la prescription de combinaisons libres est la plus fréquente, l’utilisation de “combinaisons à dose fixe” offre une simplification de la prescription La Lettre du Cardiologue - n° 360 - décembre 2002 T A avec un nombre limité de prises médicamenteuses. Cette option de prescription de “combinaisons à dose fixe” devrait être aujourd’hui largement privilégiée, lorsque le traitement initial par monothérapie ne permet pas d’atteindre l’objectif tensionnel et que le premier médicament prescrit est bien toléré (1). L’association de plus de deux médicaments antihypertenseurs Lorsqu’une combinaison de deux antihypertenseurs, qui répondent au choix des “paniers thérapeutiques”, ne permet pas d’atteindre l’objectif tensionnel, la stratégie du traitement doit appliquer deux principes : ✔ augmentation du nombre des principes actifs des antihypertenseurs comprenant obligatoirement un diurétique thiazidique ; ✔ une association de trois thérapeutiques antithypertensives doit comporter des médicaments de familles (paniers) différentes avec obligatoirement un diurétique, de préférence thiazidique. La dose minimale de diurétique doit être équivalente à 12,5 mg d’hydrochlorothiazide par jour. Pour certains patients, la dose de diurétique nécessaire est de 25 mg par jour en une prise quotidienne. De façon pratique, la combinaison des antihypertenseurs au-delà de deux médicaments doit comporter “un médicament du panier 1, et deux médicaments du panier 2”. Ainsi, la prescription standard d’une trithérapie comportera un médicament qui diminue l’activité du système rénine-angiotensine (IEC, ARA II, bêtabloquant) associé à un diurétique (de préférence thiazidique) et à un inhibiteur calcique. Les antihypertenseurs centraux et les alphabloquants sont réservés aux sujets qui nécessitent une combinaison d’antihypertenseurs comprenant plus de trois principes actifs. Lorsque les combinaisons comportent plus de trois familles d’antihypertenseurs, le choix devrait se porter préférentiellement sur des associations à dose fixe. La diminution du nombre de prises médicamenteuses quotidiennes est un garant de la bonne observance d’un traitement complexe. L’application de mesures diététiques Chez un sujet qui n’atteint pas l’objectif tensionnel malgré une association de deux antihypertenseurs, les conseils diététiques doivent être renouvelés dans le cadre d’une démarche d’éducation thérapeutique. La première orientation diététique est la réduction de la consommation de sodium, avec l’objectif de ne pas dépasser 100 mmol/j, soit 6 g/j de NaCl. Pour se tenir à cet apport quotidien, il est important de préciser que la cuisine préparée au domicile peut comporter des apports de sel pour la cuisson, mais que les aliments ne devront pas être resalés lorsqu’ils sont servis. De plus, une information détaillée sur le “sel caché” dans les aliments est nécessaire, car la limitation de ces aliments est utile pour obtenir la restriction sodée. Les aliments qui contiennent du “sel caché” sont le fromage, la charcuterie, les plats cuisinés industriels, les conserves, les produits fumés, les sauces industrielles. 25 H T A La deuxième orientation concerne les boissons alcoolisées. Chez l’hypertendu non équilibré par une bithérapie, il est indispensable que la consommation d’alcool “fort” (apéritifs, digestifs) soit supprimée et que la consommation de vin ou de bière soit limitée à trois ou quatre verres par jour. La mise en œuvre effective de ces mesures diététiques est très souvent un moyen efficace d’obtenir le contrôle tensionnel sans augmentation du nombre des médicaments antihypertenseurs. Son application sur le long terme est souvent difficile. Elle nécessite un accompagnement du patient lors de chaque consultation. ■ Bibliographie 1. Girerd X, Hanon O, Babici D et al. Choix raisonné du deuxième antihypertenseur après l’échec d’une première monothérapie : la stratégie des paniers thérapeutiques. Arch Mal Cœur 2002 ; 95 : 723-6. 2. Recommandations pour la pratique clinique. Prise en charge des patients adultes atteints d’hypertension artérielle essentielle. ANAES avril 2000. http://www.anaes.fr/ 3. Dickerson JE, Hingorani AD, Ashby MJ, Palmer CR, Brown MJ. Optimisation of antihypertensive treatment by crossover rotation of four major classes. Lancet 1999 ; 35 : 2008-12. 4. Attwood S, Bird R, Burch K et al. Within-patient correlation between the antihypertensive effects of atenolol, lisinopril and nifedipine. J Hypertens 1994 ; 12 : 1053-60. 5. Morgan TO et al. ACE inhibitors, beta-blockers, calcium blockers, and diuretics for the control of systolic hypertension. Am J Hypertens 2001 ; 14 : 241-7. 6. Deary AJ, Schumann AL, Murfet H, Haydock SF, Foo ASY, Brown MJ. Double- EN PRATIQUE Selon les recommandations de l’ANAES, il est préférable de commencer un traitement antihypertenseur avec une monothérapie, et le choix de la famille pharmacologique doit s’adapter aux éventuelles pathologies associées à l’hypertension (diabète, insuffisance coronarienne, etc.). En cas d’insuffisance d’efficacité de la monothérapie, il est possible soit de changer de monothérapie, soit d’associer une deuxième classe pharmacologique. Si la combinaison est habituellement plus efficace, l’utilisation d’une association à doses fixes favorise l’observance. Dans le choix de la bithérapie, la stratégie des paniers est efficace et validée (3). En France, les possibilités de bithérapie à doses fixes dans un seul comprimé sont les suivantes : bêtabloquant + diurétique, bêtabloquant + inhibiteur calcique (dihydropyridine), IEC + diurétique, IEC + inhibiteur calcique (vérapamil), ARA II + diurétique. Lorsqu’une trithérapie est nécessaire, elle doit obligatoirement comporter un diurétique, et préférentiellement un inhibiteur calcique et une classe pharmacologique du panier 1 (IEC, bêtabloquant, ARA II). Si une trithérapie n’est pas efficace, il est justifié de renforcer les mesures diététiques avant d’augmenter le nombre des antihypertenseurs. La survenue d’un effet indésirable conduit habituellement à changer de médicament, en choisissant le nouveau traitement selon la stratégie des paniers thérapeutiques. blind, placebo-controlled crossover comparison of five classes of antihypertensive drugs. J Hypertens 2002 ; 20 : 771-7. 26 La Lettre du Cardiologue - n° 360 - décembre 2002