Apollon et Phaéton Les serments prononcés au nom du Styx étaient

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Apoll on et Phaét on
Apol lon et Diane étaie nt les deux enfan ts jumea ux nés d'une brève liais on de Jupit er avec
une déess e de secon d ordre , Laton e. Au momen t d'acc ouche r, celle -ci, crai gnant la colèr e de
Junon , était allée se cache r dans la minus cule île de Délos, où Apol lon et Diane viren t le jour.
Ils grand irent ensem ble, unis par une tend re affec tion qui ne deva it jamai s se démen tir, et
par leur goût commu n pour le tir à l'arc , où ils excel laien t tous les deux. Ils étaie nt pourt ant fort
diffé rents l'un de l'aut re. [...]
Apol lon, comme son père Jupit er, était un grand séduc teur. Peu de femm es résis taien t à
sa légen daire beaut é. Autan t Apoll on étai t « coure ur », autan t sa soeur Diane était chas te1.
Amour euse, sans voulo ir se l'avo uer, de son prop re frère , el le ne s'int éress ait guère aux autr es
dieu x ni aux homm es. En compa gnie de quelq ues nymph es 2 qui parta geaie nt ses goûts , elle
consa crait toute s ses journ ées et toute son éner gie à la chass e, qu'el le aimai t plus que tout.
Alors qu'Ap ollon était le dieu arden t du solei l, elle était la déess e froid e de la lune. C'est elle
qui, penda nt la nuit, éclai rait les forêt s et les champ s de ses rayon s sans chale ur. [...]
Apol lon, aux trait s purs et à la cheve lure dorée , était le plus beau des dieu x grecs . Il étai t
le patron de la poési e, de la musi que et des arts, ainsi que de la méde cine.
Tous les matin s, ponct uelle ment, il attel ait le char du solei l à quatr e cheva ux divin s et
fougu eux et lui faisa it parco urir dans le ciel sa traje ctoir e quoti dienn e. Tous les matin s, dis-je,
sauf une fois où il commi t une coupa ble impru dence ...
Apol lon avait plusi eurs fils. L'un d'en tre eux, nommé Phaét on, était ce que l'on appel le «
un fils à papa ». Très fier de ses orig ines, il ne cessa it de s'en vante r auprè s de ses
camar ades et de faire étalage des trop nomb reux cadea ux que lui faisa it const ammen t son
père. Surto ut, il parla it du char du solei l avec autan t de fatu ité3 que le fils d'un milli onnai re
pour rait parle r de la Rolls Royce de son papa.
— Tu serai s bien incap able de le condu ire, lui diren t un jour ses amis.
Piqué au vif, Phaét on alla trouv er son père, le cajol a, lui servi t une coupe de necta r bien
frais et lui dit enfin :
- Papa, je voudr ais te dema nder une petit e faveu r.
- Par le fleu ve sacré du Styx 4, répon dit Apol lon, je te l'acc orde d'ava nce.
Les serme nts prono ncés au nom du Styx étaie nt, pour les dieux grecs , absol ument
sacré s. Celui qui les viola it s'exp osait à être banni de l'Olym pe et conda mné à une
1
chaste (adjectif) Qui s'abstient des amours charnelles, pur.
2
Nymphe (nom féminin) Divinité des fontaines , des fleuves, des bois et des montagnes.
3
fatuité (nom féminin) Sottise accompagnée d'une bonne opinion de soi-même
4
Styx, un des fleuves des Enfers.
peine de trois à six mois d'int erdic tion de séjou r assor tie de priva tion de necta r5 et
d'amb roisi e6, peine pouvan t être aggra vée en cas de récid ive .
Phaét on le savai t bien, et c'est donc en toute tranq uill ité qu'il formu la alors sa dema nde:
- Prête -moi le char du solei l et laiss e-moi le condu ire pendant une journ ée.
Apol lon tenta de dissu ader son fils , en lui faisa nt valoi r que les fougu eux cheva ux
n'obé issen t
qu'à
lui-même ,
qu'il
serai t
donc
très
diffi cile
à
Phaét on
de
respe cter
scrup uleu semen t la traje ctoir e et l'hor aire que deva it suivr e le solei l, et qu'il y avait même des
risqu es d'acc ident s grave s, pour lesqu els il n'éta it pas assu ré. Rien n'y fit, Apol lon dut
s'exé cute r.
Le lende main, à l'aub e, Phaét on prend les rênes et s'éla nce. Dès qu'il s sente nt que ce
n'est pas leur maîtr e habit uel qui les condu it, les cheva ux s'emb allen t et, en quelq ues minut es,
entra înent le char au zénit h, c'est -à-dire à l'end roit où il n'aur ait dû arriv er qu'à midi. Sur terre ,
c'est la stupe ur et le déso rdre… Alors que les ména gères s'app rêtai ent à prépa rer le petit déjeu ner, leurs maris récla ment déjà le repa s de midi. Les écoli ers, qui venai ent à peine
d'ent rer en class e, exige nt d'en sorti r. Quant aux agric ulteu rs, ils s'éto nnent de n'avo ir même
pas pu trace r un sillo n pendant toute la matin ée.
À ce momen t, repre nant un peu le contr ôle 65 des chevaux , Phaét on les force à rebro usse r
chemi n et l'on voit, pour la premi ère et dern ière fois de l'his toire , le solei l se dépl acer d'oue st
en est.
Les dieu x, affo lés, press ent Jupit er d'int erven ir pour faire cesse r ce scand ale. Mais le
maîtr e de l'Oly mpe, jugean t que les quest ions solai res n'ent rent pas dans ses
attri butio ns,
hésit e enco re à puni r son petit -fils .
Phaét on, cepen dant, décid e de frapp er un grand coup: pour que ses camar ades puiss ent
le voir de plus près aux comma ndes de son bolid e, il force le s cheva ux à se rappr oche r de la
terre et entre pren d un vol en rase-motte s. Sur son passa ge, le solei l brûle les récol tes et les
maiso ns, fait fond re les glace s des banqu ises, dess èche les riviè res et noirc it, pour toujo urs, la
peau des habit ants de l'Afr ique.
Cette fois, c'en est trop, Jupit er foud roie l'imp ruden t Phaéto n, penda nt qu'Ap ollon repre nd
préci pita mment les comma ndes du char en folie…
Denis Lindon, Les Dieux s'amusent, Castor Doc, © Flammarion.
5
nectar (nom masculin) Dans la mythologie grecque, boisson des Dieux. Leur nourriture était l'ambroisie.
6
ambroisie (nom féminin) (Du grec signifiant "immortel"). Selon la mythologie grecque, nourriture des dieux, censée
procurer l'immortalité à celui qui la consomme.
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