T H É R A P E U T I Q U E Recueil systématique des effets indésirables des médicaments du VIH : bilan de 18 mois de collaboration du CISIH et du CRPV Systematic survey of antiretroviral drugs’ adverse effects : first results of a cooperative study in the Centre of pharmacovigilance and the Centre for disease control and prevention of Nantes ! A. Chiffoleau*, G. Veyrac*, C. Brunet-François**, F. Raffi**, M. Bourin*, P. Jolliet* RÉSUMÉ. Le Centre régional de pharmacovigilance (CRPV) et le Centre d’information et de soins de l’immunodéficience humaine (CISIH) de Nantes ont mis en place un système de recueil systématique des effets indésirables susceptibles d’être dus à un médicament. Une procédure de notification, de recueil, d’évaluation et de validation des cas a été instituée. Elle implique chaque médecin consultant du CISIH et du CRPV, et les étudiants en pharmacie en stage dans les deux services. La validation des cas et les suivis sont effectués par les référents, qui interviennent aussi directement si un effet grave exceptionnel survient. Sur une période de 18 mois, 130 notifications d’effets indésirables ont été enregistrées, concernant 91 patients. Selon la classification de l’OMS, 84 de ces effets sont qualifiés de “non graves” et 46 de “graves”. Le type de l’effet indésirable, les médicaments imputés et l’évolution sont analysés et commentés. Le nombre de notifications, rapporté au nombre de consultations sur la même période, fait apparaître la relative bonne tolérance des antirétroviraux dans notre série. Mots-clés : Antirétroviraux - Antiprotéases - Inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) - Inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI) - Effets indésirables - Pharmacovigilance. ABSTRACT. The regional centre of pharmacovigilance (CRPV) and the centre for disease control and prevention of Nantes (CISIH) set up a systematic system to collect the likely adverse effects of HIV drugs. A procedure of notification, data gathering, evaluation and validation of the cases was institued. It implies each consulting practitioner of the CISIH, the CRPV members and the pharmacy students in training course in the two services. The validation of the cases and the follow-up were carried out by the referents who directly act if an exceptional serious effect occurs. Over the first 18 months period, 130 reports were recorded concerning 91 patients. According to the WHO’s classification, 84 of these effects are notified as “non serious” and 46 as “serious”. The adverse effect, the suspected drugs, the severity and the outcome were analysed and commented. The number of cases reported to the number of out patient survey over the same period, revealed the relative good tolerance of antiretroviral drugs in our population. Key words : Non nucleoside reverse transcriptase inhibitor (NNRTI) - Nucleoside reverse transcriptase inhibitor (NRTI) - Protease inhibitor (PI) - Pharmacovigilance - Adverse effects. e pronostic de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) s’est considérablement amélioré, grâce à l’utilisation des multithérapies antivirales associant des inhibiteurs de la transcriptase inverse et des inhibiteurs des protéases. Toutefois, la survenue d’effets indésirables invalidants ou d’interactions médicamenteuses limite l’obser- L * Centre régional de pharmacovigilance, CHU, Institut de biologie, 44093 Nantes Cedex. ** CISIH, CHU, 44093 Nantes Cedex. La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - nos 4-5 - juillet-octobre 2002 vance, et donc l’efficacité thérapeutique. Du fait de l’allongement de la durée des prescriptions, la fréquence des effets indésirables connus ou inattendus s’est accrue, et il est apparu nécessaire d’effectuer une surveillance rapprochée de ces médicaments. Le Centre régional de pharmacovigilance (CRPV) et le Centre d’information et de suivi de l’immunodéficience humaine (CISIH) ont mis en commun leurs moyens, et présentent ici le bilan des 18 premiers mois de recueil systématique. 123 T H É R A P E U T I Q U E PROCÉDURE diants en pharmacie, ces dossiers sont suivis jusqu’à leur conclusion. Les effets indésirables survenant au cours de la grossesse et chez les enfants sont exclus de la procédure. Afin de finaliser le recueil systématique des effets indésirables éventuellement dus aux médicaments utilisés pour le traitement des patients séropositifs pour le VIH, une procédure spécifique a été mise en place impliquant chacun des médecins consultants du CISIH et les médecins du CRPV. La notification reste spontanée, le consultant n’ayant ni liste d’effets indésirables, ni fiche spécifique à sa disposition. ANALYSE DES CAS Dans la période de 18 mois, du 1er janvier 2000 au 30 juin 2001, 130 notifications d’effets indésirables ont été enregistrées chez 91 patients. Les médecins consultants ont été invités, lors d’une réunion préparatoire, à signaler les effets indésirables constatés ou signalés par le patient au moyen d’un registre qui comporte l’identification du notificateur, celle du patient, la date de consultation et l’effet indésirable suspecté. Il est conservé au sein du CISIH dans les mêmes conditions de sécurité que les dossiers médicaux. À partir de ce registre, deux étudiants en cinquième année de pharmacie assurent le recueil des données sources, la rédaction de l’observation et son codage pour l’informatisation dans le système national de pharmacovigilance. Ces étudiants sont aussi sollicités pour effectuer les recherches bibliographiques inhérentes aux cas qui leur sont confiés. Avant l’informatisation, les deux médecins référents désignés dans les deux services analysent, valident et imputent les cas selon les méthodes classiques (1) et les doublons sont éliminés. Un exemplaire de ce document est réadressé au médecin consultant pour contrôle et insertion dans le dossier médical du patient. Si un effet particulièrement grave ou nouveau est suspecté, le médecin consultant utilise les procédures habituelles de pharmacovigilance et contacte directement un médecin du CRPV. Les dossiers en cours d’évolution sont suivis par le médecin référent du CRPV. Une relance trimestrielle est faite auprès du médecin référent du CISIH. Avec l’aide technique des deux étu- Population Il s’agit de 70 hommes (77 %) et de 21 femmes (23 %), âgés de 26 à 69 ans, avec une moyenne de 42,7 ans (médiane 40 ans). La population masculine est âgée de 27 à 68 ans (moyenne : 47 ans, médiane : 40,7 ans) et les femmes ont entre 26 et 69 ans (moyenne : 43 ans, médiane : 40 ans) (figure 1). Cette répartition est conforme à la démographie des patients suivis au CISIH, avec 74 % d’hommes et 26 % de femmes d’âge moyen 39 ans (médiane : 37 ans) (2). Les 130 notifications représentent 192 effets indésirables codés dans le système national. En effet, 31 patients (21 hommes et 10 femmes) ont présenté conjointement de deux à cinq effets indésirables. La file active des 826 patients répertoriés du CISIH a généré 7 350 consultations durant la période de l’étude, soit en moyenne une consultation tous les deux mois par patient. Un effet indésirable est noté chez 11 % des patients, que cet effet ait motivé ou non la consultation. Analyse des effets indésirables Les effets indésirables ont été répartis en classes d’organes. Les effets indésirables dermatologiques et neuropsychiatriques représentent en fréquence la majorité des signalements ; ils sont 25 21 Nombre 20 18 15 10 7 5 1 2 3 7 7 7 3 3 4 3 0 1 1 55-59 60-64 3 1 0 < 30 30-34 35-39 40-44 45-49 50-54 65-69 Ans Femmes 124 Hommes Figure 1. Répartition démographique. La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - nos 4-5 - juillet-octobre 2002 T suivis par les effets digestifs et métaboliques (figure 2). Les observations ont été classées en deux groupes selon qu’elles présentent ou non un caractère de gravité défini selon les critères de l’OMS : hospitalisation, mise en jeu du pronostic vital, incapacité ou invalidité et décès. 3,6 % 6,2 % Hématologiques Autres 4,2 % Néphrologiques 2% Tumeurs 16,7 % Neuropsychiatriques 15,6 % 6,8 % Dermatologiques Cardiovasculaires 8,4 % Endocriniens 13,5 % 8,9 % Métabolismes 14,1 % Digestifs Musculo-articulaires Figure 2. Répartition des effets indésirables par classe d’organes. Pour 46 notifications, un caractère de gravité est présent (figure 3). Si aucun décès directement lié à un effet indésirable n’a été notifié, un cas a été considéré d’emblée comme entraînant une invalidité : il s’agit d’un homme de 39 ans, ayant présenté une lipodystrophie, avec lipoatrophie du visage pour laquelle une intervention de chirurgie esthétique a laissé des cicatrices. Trois fois, le pronostic vital a été considéré comme étant mis en jeu : un patient de 64 ans, tabagique, a présenté un infarctus du myocarde massif avec retentissement séquellaire sur la fonction cardiaque ; une leucémie aiguë a été diagnostiquée chez un homme H É R A P E U T I Q U E de 53 ans et est en cours de traitement en milieu spécialisé ; enfin une pancréatite aiguë avec acidose lactique est survenue chez une patiente de 37 ans décédée secondairement dans un contexte d’aspergillose, alors que l’effet indésirable avait régressé. Les hospitalisations représentent plus de 91 % de ces cas “graves”. Les hospitalisations les plus nombreuses (12 fois) sont motivées par la réalisation de bilans étiologiques d’anomalies cliniques ou biologiques ; il s’agit de deux patients de 46 et 48 ans présentant des gynécomasties bilatérales, d’un homme de 38 ans ayant une fièvre isolée, d’un patient de 27 ans qui a présenté une décompensation psychiatrique avec agressivité majeure, agitation, insomnie, d’une femme de 39 ans nauséeuse, déshydratée du fait d’une diarrhée prolongée et sept fois de la découverte des perturbations glycémiques, hépatiques, pancréatiques, hématologiques et d’une acidose lactique. Cinq patients sont hospitalisés pour l’évaluation de l’état évolutif de neuropathies périphériques sensitives et de douleurs ostéotendineuses. Une pathologie cardiovasculaire est responsable de l’hospitalisation chez 8 patients : le traitement d’une artérite est à l’origine de l’entrée de 3 patients de 40, 42 et 47 ans, un patient de 50 ans a présenté un infarctus du myocarde, un autre de 64 ans, traité précédemment pour un infarctus massif, a présenté un angor instable et nécessité un triple pontage, une patiente de 58 ans est hospitalisée pour le traitement d’une phlébite du membre inférieur, une thrombose de la veine cave inférieure, puis l’impossibilité d’équilibrer un traitement par anticoagulant oral prescrit en relais de l’héparinothérapie en raison d’une interaction a justifié le séjour d’un patient de 35 ans, un homme de 39 ans est suivi pour hypertension artérielle pulmonaire apparue 10 ans après le début des traitements antirétroviraux sans autre cause décelée. Effets indésirables “graves” : 46 (35,4 %) Effets indésirables “non graves” : 84 (64,6 %) Hospitalisations 42 2 7 42 33 inconnus séquelles en cours favorables 15 19 7 1 en cours favorables séquelles inconnu (perdu de vue) Mise en jeu du pronostic vital 3 Séquelle 1 décès 0 1 en cours 1 séquelle 0 décès 1 séquelle 1 décès Figure 3. Gravité et évolution des effets indésirables “graves” et “non graves”. La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - nos 4-5 - juillet-octobre 2002 125 T H É R A P E U T I Q U E Dans cinq cas, un effet cutané est en cause avec deux érythèmes, une urticaire, un syndrome d’hypersensibilité et un cas de toxidermie. Les tumeurs sont responsables du séjour de trois patientes de 44, 46 et 63 ans traitées pour, respectivement, un cancer du sein, un mélanome et un cancer du rein. La prise en charge chirurgicale des ongles incarnés et celle des lipodystrophies, toujours associées à des hyperlipidémies majeures, est à l’origine de quatre hospitalisations. Trois fois, les patients sont entrés pour le traitement des coliques néphrétiques. Un patient de 35 ans a été admis pour le traitement d’une ostéonécrose de la tête fémorale gauche et un homme de 41 ans pour celui de fractures spontanées multiples, révélées par des arthralgies. Pour ces pathologies, la durée du séjour est précisée 37 fois. Elle varie de 48 heures à 12 jours, avec une moyenne de 5,6 jours pour 36 des 37 patients. L’impossibilité d’équilibrer le traitement anticoagulant a nécessité un séjour de près d’un mois. Aucun critère de gravité n’a été retenu pour 84 notifications regroupant 131 effets indésirables (tableau I). Les effets neurologiques sont au premier plan, avec des signes de neuropathie périphérique. Les manifestations, surtout sensitives, sont apparues dès les premiers traitements chez 3 patients et se sont récemment aggravées. Les troubles de l’humeur regroupent les agitations, les états anxieux, les signes dépressifs. Des insomnies, des cauchemars sont associés quatre fois et une somnolence deux fois. Des symptômes Ces motifs d’hospitalisation sont présentés en figure 4. Coliques néphrétiques : 3 Cancer du sein : 1 Cancer du rein : 1 Mélanome : 1 3 Ostéonécrose de hanche : 1 Fractures multiples : 1 2 3 Chirurgie plastique : 4 Ongles incarnés et lipodystrophies Signes cliniques Gynécomastie : 2 Fièvre : 1 Nausées, diarrhée : 1 Neuropathie périphérie : 3 Tendinite : 2 Agressivité : 1 17 4 5 8 Effets dermatologiques Syndrome d'hypersensibilité : 1 Toxidermie : 1 Urticaire : 1 Érythème : 2 Effets cardiovasculaires Artérite : 3 Infarctus : 1 Angor : 1 Thrombose veineuse : 2 HTAP : 1 Perturbations biologiques Anémie : 1 Leuconeutropénie, thrombopénie : 1 Élévations enzymes hépatiques : 2 Acidose lactique : 1 Hyperglycémie : 1 Amylase élevée : 1 Figure 4. Motifs d’hospitalisation. Tableau I. Tableau des effets indésirables “non graves”. Effets neuropsychiatriques Neuropathies périphéques Troubles de l’humeur Troubles du sommeil Autres Total 7 8 6 3 24 Endocrinologie gynécologie Gynécomastie Troubles de la libido, du cycle Troubles thyroïdiens Autre 2 1 Total 12 126 6 3 Effets dermatologiques Éruptions Ongles incarnés Sécheresse peau Ongles Prurit isolé 7 8 1 2 2 Effets digestifs Nausées Diarrhée Augmentation enzymes hépatiques Augmentation amylase 20 Cardioilogie vasculaire Angor 1 Dyspnée 2 troubles du rythme 3 Effets métaboliques 9 5 6 Hyperlipidémie Lipodystrophie Fièvre 8 7 2 Tendinopathies Arthralgies Myalgies Ostéonécrose Ostéoporose 4 3 4 1 1 1 21 Néphrologie urologie Coliques néphrétiques Troubles de la miction Effets musculo-articulaires 2 3 5 17 Hématologie Anémie Épistaxis/ gingivorragie 13 Autres 3 2 5 État aggravé Infections Interaction médicamenteuse 7 3 1 11 La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - nos 4-5 - juillet-octobre 2002 T isolés, vertiges, blépharospasme ont aussi été signalés. Les plaintes douloureuses musculaires et articulaires surviennent parfois dans un contexte dépressif ou sont associées à une ostéoporose et à une ostéonécrose de hanche. Dans ce dernier cas, la notion “d’état aggravé” a aussi été retenue, compte tenu de l’évolution radiologique. Sous le terme “effets digestifs” sont regroupés les cas de nausées, de diarrhées, des élévations modérées des transaminases (3/4 N) et une élévation de l’amylasémie. Les effets dermatologiques sont représentés par des rashes survenant lors de l’initiation du traitement et ayant nécessité chez cinq patients un traitement antihistaminique transitoire et l’arrêt du médicament deux fois. Des anomalies unguéales, ongles cassants ou incarnés, sont aussi citées. La sécheresse cutanée isolée n’a été signalée que chez un patient. Le prurit, sans lésion cutanée et sans hyperbilirubinémie, a été noté deux fois. Dans un cas résistant aux antihistaminiques, une étiologie psychologique a été suspectée, car l’état s’est nettement amélioré sous traitement antidépresseur. Les anomalies métaboliques sont essentiellement des hypertriglycéridémies, des hypercholestérolémies, des hyperlipidémies ou mixtes, associées à des lipodystrophies sept fois sur huit. Une hyper- et une hypothyroïdie ont été diagnostiquées. Dans l’un des cas, le patient avait reçu longtemps de l’amiodarone. Deux des trois cas d’anémies modérées (7 à 9 g d’hémoglobine) ont été attribués à des gingivorragies ou à des épistaxis à répétition, révélatrices de l’état muqueux. Six cas de gynécomasties, associées à deux reprises à un tableau de lipodystrophie, ont été notifiés. Une femme s’est plainte d’une tension mammaire. Trois patientes ont présenté des dysménorrhées ou aménorrhées. Les troubles de la libido sont signalés dans les deux sexes. Tous les troubles mictionnels ont été mentionnés chez des hommes. Un suivi des effets indésirables est possible pour 127 des 130 notifications (97,7 %), dont 45 des 46 cas “graves”. Un patient hospitalisé pour chirurgie d’un ongle incarné a été perdu de vue. Deux patients ayant mentionné des effets subjectifs jugés non graves (vertiges, prurit) n’en font plus état ensuite. Pour 78 notifications (61,5 %) l’information est définitive et complète. L’évolution est favorable pour 78,2 % des effets ; il existe des séquelles pour 20,5 % d’entre eux, et un seul décès sans relation avec l’effet indésirable est survenu. Pour 49 notifications (38,5 %), le suivi trimestriel n’a pas encore permis de conclure (figure 5). 1,3 % Décès 20,5 % Séquelles 78,2 % Favorables Figure 5. Évolution des dossiers complets. La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - nos 4-5 - juillet-octobre 2002 H É R A P E U T I Q U E La survenue de séquelles lors de l’évolution de l’effet indésirable peut intéresser aussi bien les cas “graves” que les cas considérés comme “non graves”. Sept des patients hospitalisés sont concernés : la patiente traitée pour un cancer du rein dont la fonction rénale est définitivement altérée, les deux patients opérés pour une ostéonécrose de hanche ou des fractures, les trois hommes traités pour artérite et un patient dont l’ongle incarné a nécessité une chirurgie mutilante, tous handicapés sur le plan locomoteur. Pour les patients ayant présenté des effets jugés “non graves”, la notion de séquelles a aussi été retenue sept fois : pour cinq patients dont les modifications morphologiques (lipodystrophies) et les anomalies lipidiques restent stables et pour deux patients ayant des modifications unguéales irréversibles, le préjudice esthétique étant pris en compte. LES TRAITEMENTS REÇUS ET LEURS IMPUTABILITÉS La durée de l’évolution de l’infection est notée pour 83 patients (91 %) ; elle est en moyenne de 7,5 ans (médiane 9 ans), avec des extrêmes allant de 5 jours à 18 ans. Ainsi, les traitements en cours lors de l’apparition de l’effet indésirable sont des deuxième ou troisième lignes thérapeutiques chez 52 des 81 patients pour lesquels l’information est précisée (64 %). Les douze combinaisons thérapeutiques les plus fréquemment présentes dans les notifications reflètent les pratiques usuelles de prescription, à savoir l’association de deux inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) et d’un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse (INNTI) ou l’association d’une antiprotéase et de deux INTI. L’antiprotéase est utilisée seule ou avec du ritonavir en booster dans la moitié de ces cas. L’association de trois INTI ou une multithérapie utilisant les trois classes d’antirétroviraux ne sont identifiées que chez les quelques patients en multi-échec (tableau II). Le calcul des scores d’imputabilité a été réalisé selon la méthode française (1) : l’imputabilité intrinsèque calculée pour chaque médicament fait intervenir le croisement des critères chronologiques avec les critères sémiologiques impliquant le mécanisme de l’effet indésirable. Un score d’imputabilité “vraisemblable” a été attribué à deux médicaments : l’abacavir (Ziagen®) pour une toxidermie survenue au 10e jour de traitement, rapidement régressive à l’arrêt de ce seul traitement, et l’indinavir (Crixivan®) pour la récidive d’une colique néphrétique à la reprise du traitement. Un score “plausible” a été obtenu dans deux cas : pour l’abacavir, pour une hypersensibilité apparue 48 heures après le début du traitement, évoluant sur deux semaines ; la notion de la prise antérieure, deux ans auparavant, de deux comprimés dans le cadre d’un protocole d’essai clinique a été considérée comme facteur favorisant. Le second cas concerne l’indinavir, considéré comme responsable de la survenue d’une colique néphrétique du fait d’une concentration plasmatique trop élevée. L’évolution a été favorable avec une diminution de posologie. Dans tous les autres cas, l’imputabilité intrinsèque est “douteuse”. Pour 38 antirétroviraux, il faut nuancer le résultat obtenu malgré des scores sémiologiques ou chronologiques 127 T H É R A P E U T I Q U E Associations thérapeutiques Zidovudine-lamivudine (Combivir®) + abacavir (Ziagen®) Zidovudine-lamivudine (Combivir®) + efavirenz (Sustiva®) Zidovudine-lamivudine (Combivir®) + nelfinavir (Viracept®) Zidovudine-lamivudine (Combivir®) + indinavir (Crixivan®) Stavudine (Zerit®) + lamivudine (Epivir®) + efavirenz (Sustiva®) Stavudine (Zerit®) + didanosine (Videx®) + névirapine (Viramune®) Stavudine (Zerit®) + didanosine (Videx®) + efavirenz (SUSTIVA®) Zidovudine-lamivudine (Combivir®) + ritonavir (Norvir®) + indinavir (Crixivan®) Lamivudine (Epivir®) + stavudine (Zerit®) + ritonavir (Norvirv) + indinavir (Crixivan®) Abacavir (Ziagen®) + efavirenz (Sustiva®) + ritonavir (Norvir®) + indinavir (Crixivan®) Zidovudine-lamivudine (Combivir®) + didanosine (Videx®) + efavirenz (Sustiva®) Efavirenz (Sustiva®) + abacavir (Ziagen®) + zidovudine-lamivudine (Combivir®) + Indinavir (Crixivan®) + ritonavir (Norvir®) 5 fois 5 fois 4 fois 3 fois 5 fois 5 fois 3 fois 7 fois 7 fois 4 fois 3 fois Tableau II. Traitements prescrits ayant donné lieu à des notifications d’effets indésirables. 3 fois Les 31 autres combinaisons ne sont retrouvées qu’une fois ou deux chacune. plausibles, soit du fait d’un traitement correcteur, soit de la poursuite de l’antirétroviral, alors que l’effet régresse, soit parce que l’évolution est toujours en cours, ou encore parce qu’une autre cause n’a pas été recherchée et éliminée. Une imputabilité sémiologique “plausible” a été calculée pour huit antirétroviraux : il s’agit de la didanosine (Videx®) et de la stavudine (Zerit®) dans un cas de pathologie mitochondriale avec acidose lactique et hépatite mixte. Après l’arrêt des médicaments et un traitement par coenzyme Q et L-carnitine, il persiste une cholestase à environ trois fois les valeurs normales. À quatre reprises, ce score concerne l’indinavir : pour deux cas de coliques néphrétiques, un cas de capsulite de l’épaule et un cas de sécheresse cutanée associés à des concentrations plasmatiques élevées. Dans ce dernier cas, une amélioration a été obtenue lors de la réduction des posologies. Ce même score a été retenu dans deux cas d’interaction et concerne la névirapine (Viramune®), dans l’observation d’une résistance à la fluindione (Préviscan®), et l’efavirenz (Sustiva®), responsable d’un surdosage en stavudine, à l’origine d’une neuropathie périphérique. Une imputabilité chronologique “plausible” a été retenue pour 37 spécialités dont 30 antirétroviraux, l’arrêt du médicament ayant permis une guérison spontanée de l’effet indésirable bien que d’autres causes non médicamenteuses soient possibles ou n’aient pas été éliminées. Sept autres médicaments ont aussi une imputabilité chronologique “plausible” : le valproate de sodium (Dépakine®) à deux reprises, l’interféron (Roféron®), la ribavirine (Rebetol®), la flucytosine (Ancotil®), la sulfadiazine (Adiazine®) et le valgancyclovir (Valcyt®). Dans six de ces cas, le score d’imputabilité intrinsèque est supérieur à celui obtenu par l’antirétroviral (le valproate de sodium deux fois, l’interféron, la ribavirine, la flucytosine et la sulfadiazine). Dans 31 cas, toutes évolutions confondues, le score d’imputabilité des traitements associés est identique à celui des traitements antirétroviraux, notamment pour des anti-infectieux : le cotrimoxazole (Bactrim®) 12 fois, la pentamidine (Pentacarinat®) 2 fois, le fluconazole (Triflucan®) 2 fois, le valgancyclovir, 128 l’aciclovir (Zovirax®), la pyriméthamine (Malocide®), des psychotropes : phénobarbital (Gardénal®) 2 fois, zopiclone (Imovane®), flunitrazépam (Rohypnol®), amitriptyline (Laroxyl®) 2 fois, cyamémazine (Tercian®), valpromide (Depamide®) et, enfin, pour la morphine (Moscontin®), 3 fois et la prednisone (Cortancyl®). DISCUSSION La répartition démographique de la population étudiée, conforme à celle des patients du CISIH, reflète l’épidémiologie du VIH dans les pays industrialisés (2). La notification d’un effet indésirable a concerné 11 % des patients, et seulement 1,76 % des consultations ont donné lieu à une notification. Ce chiffre est le fait du mode de recueil plus intensif que la notification spontanée, mais toujours sans caractère contraignant. Toutefois, le nombre de notifications d’effets indésirables non graves (presque deux tiers des cas) souligne la prise en compte des remarques des patients. Le nombre d’évolutions favorables est rassurant, ce d’autant que la poursuite du traitement antiviral a été possible dans la moitié des cas notifiés. Une adaptation posologique a cependant été effectuée chez 20 % de ces patients. Chez 8 patients, l’arrêt définitif du traitement a été décidé lors de la prise en charge de l’effet indésirable. Seuls 14 des 91 patients dont le traitement a été arrêté l’ont fait eux-mêmes avant la consultation, dont 5 après conseils téléphoniques auprès d’un médecin consultant du CISIH. La non-observance en raison d’un effet indésirable reste donc très marginale dans notre population. Un seul cas évident a été identifié. Le nombre de cas étiquetés “séquelles” souligne la nécessité de prendre également en compte des effets non médicalement dangereux, mais qui retentissent sur la qualité de vie et parfois sur l’observance thérapeutique des patients. La prise en charge directe rapide ou par téléphone a ici limité considérablement les conduites à risque. La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - nos 4-5 - juillet-octobre 2002 T Les pratiques thérapeutiques identifiées dans les notifications sont en concordance avec les recommandations actuelles (3-5). Elles ne diffèrent pas des traitements des patients de la file active du CISIH. Sauf dans les pathologies cardiaques, pour les cinq patients hospitalisés pour artérite, angor et infarctus du myocarde, tous fumeurs, et pour les patients présentant des pathologies osseuses, tous traités antérieurement par corticothérapie, il n’a pas été identifié de profil à risque chez les patients ayant un effet secondaire par rapport aux autres. Les effets indésirables des antirétroviraux sont à la fois des effets de classe et des effets spécifiques à chaque molécule. Les manifestations digestives, nausées, anorexie, surviennent avec tous les antirétroviraux, surtout les antiprotéases ; elles sont en général transitoires. La responsabilité du traitement dans la survenue d’une diarrhée est plus difficile à établir dans la mesure où ce symptôme est fréquent chez les patients infectés par le VIH. De nouvelles formulations galéniques améliorent l’efficacité, mais ne semblent pas diminuer la fréquence et l’intensité des troubles digestifs (6). Les analogues nucléosidiques sont tous impliqués dans des pathologies provoquées par une toxicité mitochondriale dont acidose lactique (7). Les anomalies métaboliques, notamment lipidiques, et les intolérances au glucose avec ou sans lipodystrophie associée, primitivement attribuées aux antiprotéases, surviennent aussi avec les INTI (4). Si la toxicité hématologique est surtout l’apanage de la zidovudine, les atteintes cutanées sévères, toxémies et syndromes d’hypersensibilité sont plus souvent rapportés avec l’abacavir ou la névirapine, alors que les autres inhibiteurs de la transcriptase inverse entraînent des manifestations plus modérées. Les paresthésies des extrémités et neuropathies périphériques sont classiquement rapportées avec la zalcitabine, la stavudine et la didanosine. L’efavirenz est impliqué dans la survenue de manifestations psychiatriques et de troubles du sommeil. Des coliques néphrétiques sont le fait de l’indinavir, le plus souvent lors de l’emploi de posologies conduisant à des concentrations plasmatiques trop élevées (4, 7). Seules deux interactions à l’origine d’effets indésirables ont été suspectées : dans le premier cas, le patient recevait une association de didanosine, stavudine et névirapine (Viramune®). Le rôle inducteur enzymatique sur les CYP 450 de cette dernière a été suspecté dans l’impossibilité d’équilibrer le traitement anticoagulant par fluindione (8). Dans le deuxième cas, le remplacement du ritovavir (Norvir®) par l’efavirenz dans un protocole associant la stavudine et la lamivudine (Epivir®) a entraîné une élévation des concentrations plasmatiques résiduelles et maximales de stavudine. Ce surdosage a été à l’origine des signes de neuropathie périphérique, qui ont régressé lors d’une réduction de posologie de la stavudine. La responsabilité de l’efavirenz a été retenue car, bien que ce médicament soit classiquement considéré comme inducteur enzymatique (8), il possède aussi des propriétés inhibitrices de certaines isoenzymes (9). De nombreuses interactions médicamenteuses sont rapportées sur les antirétroviraux entre eux ou avec d’autres La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - nos 4-5 - juillet-octobre 2002 H É R A P E U T I Q U E médicaments (9, 10). Les protocoles bien codifiés et l’adaptation posologique par le dosage plasmatique permettent de gérer la plupart des interactions et d’éviter la survenue d’accidents doses-dépendants (3). Mais beaucoup d’inconnues persistent quant au métabolisme de nombreuses molécules, rendant difficile l’interprétation des effets constatés, en l’absence de possibilité d’investigation complète. CONCLUSION Cette modalité de recueil intensif des effets de tous les médicaments antirétroviraux, sur le long terme, constitue une méthodologie inhabituelle en pharmacovigilance et montre la mobilisation de tous les acteurs pour évaluer le retentissement des thérapeutiques antivirales et des traitements associés. Nous avons répertorié à la fois des effets “graves” et des effets “non graves” ; le suivi régulier des évolutions montre qu’il ne faut pas sous-estimer un événement jugé initialement “non grave”. Les pratiques médicales au sein du CHU suivent les recommandations des réunions de consensus, et notre étude n’a pas permis de détecter un effet indésirable nouveau ni de prouver une interaction inconnue à ce jour. Les firmes pharmaceutiques ont attaché beaucoup d’intérêt à l’observance des nouveaux traitements, très liée à leur tolérance, et nous avons noté que seulement 2 % des consultations donnent lieu à une notification d’effet indésirable. La reconnaissance des plaintes exprimées par les patients et la prise en charge des effets indésirables s’inscrivent dans la durée afin de maintenir le bénéfice thérapeutique obtenu avec une observance améliorée sur des périodes de traitement de plus en plus longues. La poursuite active de notre protocole et le projet d’élargissement au secteur libéral vont dans ce sens. " R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Begaud B, Evreux JC, Jouglard J, Lagier G. Imputabilité des effets inattendus ou toxiques des médicaments. Actualisation de la méthode utilisée en France. Thérapie 1985 ; 40 : 111-8. 2. Laporte A, Lot F. Épidémiologie : situation actuelle et tendances. In : VIH Edition 2001. P.M. Girard, C. Katlama, G. Pialoux. Doin ed., Paris : 49-58. 3. Delfraissy JF. Rapport 2000 sante.gouv.fr/htm/dossier/sida.hop. sinon :stratégie d’utilisation des antirétroviraux. In : VIH Edition 2001. P.M. Girard, C. Katlama, G. Pialoux. Doin ed., Paris : 373-8. 4. Katlama C, Pialoux G, Girard PM. Traitements antirétroviraux. In : VIH Édition 2001. P.M. Girard, C. Katlama, G. Pialoux. Doin ed., Paris : 301-25. 5. Raffi F. Médicaments anti-VIH. Rev Prat (monographie) 1999 ; 49, 16 : 1763-71. 6. Figgitt DP, Plosker GL. Saquinavir soft-gel capsule : an updated review of its use in the management of HIV infection. Drugs 2000 ; 60, 2 : 481-516. 7. Carr A, Cooper DM. Adverses effects of antiretroviral therapy. Lancet 2000 ; 356, 1 : 1423-30. 8. Furlan V, Taburet AM. Interactions médicamenteuses avec les antirétroviraux. Thérapie 2001 ; 56 : 267-71. 9. Von Moltke LL, Greenblatt DJ, Granda BW et al. Inhibition of human cytochrome P450 isoforms by non nucleoside reverse transcriptase inhibitors. J Clin Pharmacol 2001 ; 41, 1 : 85-91. 10. Dariosecq JM,Girard PM. Interactions médicamenteuses. In : VIH Édition 2001. P.M. Girard, C. Katlama, G. Pialoux. Doin ed., Paris : 403-10. 129