Cours: Introduction à la philosophie de l’esprit, et lecture de textes Université de Fribourg, semestre d’été 2003 1 Vendredi : 13-17hrs INTRODUCTION À LA PHILOSOPHIE DE L’ESPRIT Cours IV (2 mai 2003) : Le fonctionnalisme dans la philosophie de l’esprit comme réponse à la question métaphysique concernant la nature des états mentaux : les états mentaux sont selon leur statut des états déterminables fonctionnellement (c’est-à-dire par leur rôle causal), et chaque état fonctionnel peut en principe être réalisé physiquement de multiples manières. L’idée de base du fonctionnalisme (F., par la suite) : les états mentaux sont des états internes en nous, ou internes à un système, mais nous les identifions et les désignons à partir de l’effet qu’a le monde sur eux, l’effet que les états ont les uns sur les autres, et l’effet que les états ont sur le monde en causant notre comportement. En d’autres termes : Au cœur du programme du F. il y a l’idée d’expliquer la signification des termes mentaux de manière relationnelle : en termes d’inputs, d’outputs, et de connexions avec d’autres états mentaux ; l’idée centrale étant que les états mentaux n’ont pas d’essence intrinsèque. Le F., dans un certain prolongement du behaviorisme, reprend donc l’idée qu’il y a une connexion conceptuelle entre comportement (behavior) et esprit ; il rejette toutefois la conception trop simpliste de cette connexion qu’avait proposée le behaviorisme. D’autre part, en prenant sa distance par rapport à la théorie de l’identité des types (voir le cours III), le F. maintient que les états mentaux ne peuvent pas simplement être identiques à des états physico-chimiques, car les états physiques les plus divers peuvent occuper le rôle causal caractéristique pour un état mental déterminé. La thèse fonctionnaliste de base (voir p.ex. A. Beckermann, p. 142) - Les états mentaux sont, selon leur nature, des états fonctionnels - Les états fonctionnels sont des états d’un système caractérisés uniquement par leur rôle causal – c’est-à-dire par les événements en-dehors du système par lesquels les états sont causés (les inputs ou entrées), par ce que les états eux-mêmes causent en-dehors du système (les outputs ou sorties), et par les relations causales à d’autres états du système de la même espèce : organisation fonctionnelle du système. Example : la douleur (voir plus loin) Formulation préliminaire de la thèse du F. pour cet example : La douleur est l’état d’un être (d’un organisme, etc.) caractérisé par le rôle causal propre à cet état – ou autrement dit : un être (un organisme) a de la douleur ssi il se trouve dans un état qui occupe ce rôle causal. (A noter : certains représentants du F. identifient par exemple la douleur avec un rôle causal ; d’autres identifient la douleur avec le porteur (physique) de ce rôle.) Les nombreuses espèces du F.; quelques points de concordance chez la plupart des représentants du F., et quelques différences. Concordance : (a) le type de théorie concernant l’esprit ; les trois parties : 1) des énoncés concernants les inputs(quelles espèces d’événements causent des états mentaux en nous) – des énoncés concernant les rapports internes des états mentaux les uns par rapport aux autres – des énoncés concernant les outputs (quelles espèces de comportement sont causées par les états mentaux) ; (b) les états mentaux sont des états internes d’un système (organisme, etc.) qui remplissent les rôles spécifiés par ces énoncés-là. (c) La réalisation multiple est possible ; que ce soit ainsi est considéré être un grand fort des théories fonctionnalistes. Eduard Marbach (Université de Berne): [email protected] Cours: Introduction à la philosophie de l’esprit, et lecture de textes Université de Fribourg, semestre d’été 2003 2 Vendredi : 13-17hrs Quelques différences : (a) concernant la nature (i.e., l’essence) des propriétés mentales ; (b) la spécification exacte des énoncés en vue de définir ce qui appartient essentiellement à un esprit ou au fait de se trouver dans l’un ou l’autre état mental – par exemple, concernant une détermination exacte de ce qu’il faut entendre par ‘inputs’ et ‘outputs’ (voir Beckermann, p. 175ff.) ; (c) touchant à la question de savoir si le F. est après tout à même de saisir ce qui appartient essentiellement à l’esprit. Point de départ historique : Hilary Putnam (1967), « Psychological Predicates » (publié à nouveau plusieurs fois plus tard sous le titre « The Nature of Mental States », e.g. dans David M. Rosenthal (éd.) The Nature of Mind, Oxford University Press 1991, 197-203; or dans N. Block (éd.), Readings in Philosophy of Psychology, vol. 1, Harvard University Press 1980, 223-231). Voir J. Kim (1996): “This paper of modest length changed the debate in philosophy of mind in a fundamental way by doing three amazing things”: (1) il aboutissait au détrônement du physicalisme des types, et particulièrement de la théorie de l’identité des types mentaux et neuronaux (voir cours III) (2) il donnait naissance au F. qui depuis est devenu l’une des positions les plus influentes concernant la nature du mental (3) il aidait l’anti-réductionnisme à devenir une conception reconnue concernant la nature des propriétés mentales et d’autres propriétés d’un « ordre supérieur » dans les sciences particulières (par opposition à la science fondamentale ou de base qu’est la physique). Selon Kim, (1) à (3) résultaient d’une seule et unique idée, à savoir la réalisation multiple des propriétés mentales. Pro memoria : L’objection de la réalisation multiple contre la théorie de l’identité des types mentaux et neuronaux : Selon cette théorie, la douleur, par exemple, n’est rien d’autre qu’une excitation des fibres-C dans le cerveau. Par contre, voici quelques considérations en faveur d’une réalisation multiple de propriétés mentales : - il y a des organismes capables de douleur mais dotés d’un cerveau bien différent du nôtre - des êtres intelligents extra-terrestres (p.ex., des histoires de la science fiction qui sont compréhensibles de manière cohérente quant à leur déroulement au plan mental) - des robots - la diversité des substrats neuronaux, de personne à personne, ou même à l’intérieur d’une seule et même personne (maturation ; apprentissage ; lésions cérébrales) En conséquence : La douleur ne peut pas, en tant qu’état mental, être un seul et même type d’état neuronal. Quelques précisions concernant la réalisation multiple et la conception fonctionnelle du mental : L’idée d’anges comme des êtres purement immatériels : quelle est la portée de cette idée dans notre contexte ? – En vue d’exclure l’idée d’une réalisation immatérielle de la mentalité, ou autrement dit, en vue de mettre l’idée de la réalisation multiple en harmonie avec une conception physicaliste, on propose un « principe physique de réalisation » (voir Kim, p. 74) qui requiert une thèse métaphysique importante ; voice ce principe : Si quelque chose x a une propriété mentale M (ou se trouve dans un état mental M) au temps t, alors x est une chose matérielle et x a M au temps t en vertu du fait que x, au temps t, a une propriété physique P laquelle réalise M dans x au temps t. Eduard Marbach (Université de Berne): [email protected] Cours: Introduction à la philosophie de l’esprit, et lecture de textes Université de Fribourg, semestre d’été 2003 3 Vendredi : 13-17hrs Ce principe permet la possibilité de réalisation multiple de propriétés mentales : M – par exemple, d’avoir de la douleur – peut être réalisé par des fibres-C chez nous autres humains tandis que des mécanismes tout différents peuvent être en jeu chez d’autres espèces, etc. De tout cela ressort le point intéressant concernant les concepts mentaux : ceux-ci n’incluent pas de contraintes relatives aux mécanismes ou aux structures physico-biologiques actuelles lesquelles réalisent ou implémentent ces concepts dans un système donné. Comparez ces concepts mentaux avec les concepts pour des objets fabriqués : p.ex. le concept de « machine ». Le concept correspondant sera spécifié par une description de la tâche ou du travail assignés à la machine (job description), et non pas par une description des mécanismes pouvant exécuter la tâche. Par analogie, dans le cas de la douleur, par exemple : La tâche ou l’affaire de la douleur consiste en l’indication d’une blessure de tissu, pour laquelle l’évolution aura sans doute développé divers mécanismes pour diverses espèces d’organismes. L’idée de départ d’une conception fonctionnaliste de l’esprit, en général : concevoir les modes d’effectuer quelque chose propres à l’esprit en analogie avec les opérations d’une machine à calculer ⇒ Analogie esprit – ordinateur. Un mot concernant le caractère abstrait ou formel des propriétés psychologiques ou mentales par rapport aux propriétés physiques ou biologiques . Les propriétés fonctionnelles comme propriétés de second ordre ou d’ordre supérieur : la dichotomie fonction versus mécanisme : les espèces psychologiques – par exemple, les états mentaux de la croyance (belief) ou des désirs (desire), etc. – apparaissent plus être l’affaire de types ou structures formels d’événements ou de processus que ne le sont leurs compositions matérielles ou leurs mécanismes. Une question importante : Qu’est-ce qui constitue l’unité d’une espèce psychologique ? Qu’est-ce qui unifie toutes les instances physiquement distinctes d’une espèce ? En d’autres termes, quel est le principe d’individuation pour les espèces mentales selon la conception fonctionnaliste ? Réponse du point de vue fonctionnaliste : Une espèce mentale est une espèce fonctionnelle, ou plus précisément, une espèce fonctionnelle-causale, parce que la « fonction » qui y est impliquée consiste justement en ceci qu’elle doit remplir un certain rôle causal. Illustration à l’aide de l’exemple de la douleur : le concept est défini en forme de sa fonction causale ; ou bien : l’état mental ‘douleur’ est caractérisé par l’indication de sa place dans un réseau causal complexe d’entrées au système (inputs), de relations internes à d’autres états mentaux, et de sorties du système (outputs) (voir J. Heil (2002), p. 100) : Croyance que la queue est chaude Main saisit queue chaude → état de douleur → Comportement : retirer la main désir pour un onguent croyance que l’onguent se trouve dans le coffre médical croyance que la main est brûlée comportement (se diriger vers coffre médical) Eduard Marbach (Université de Berne): [email protected] Cours: Introduction à la philosophie de l’esprit, et lecture de textes Université de Fribourg, semestre d’été 2003 4 Vendredi : 13-17hrs Généralisation fonctionnaliste : Toutes les espèces mentales sont des espèces fonctionnellescausales, et ce que toutes les instances d’une espèce donnée ont en commun – ce qui constitue leur unité – est le fait qu’elles jouent un certain rôle causal lequel est déterminant pour cette espèce, lui est propre. Voir David Armstrong : Le concept d’un état mental est celui d’un état interne qualifié d’être causé par certaines entrées (inputs) sensorielles et qualifié de causer certaines sorties de comportements (outputs) (cité chez Kim, p. 77). Bref regard sur quelques objections contre le fonctionnalisme : En général, il y a la question comment le F. rend compte de l’aspect d’expérience subjective ou qualitative, ou autrement dit, de l’aspect de la conscience de nos états mentaux ? Exemples : La douleur en tant qu’état fonctionnel-causal, versus douleur comme expérience (quelque chose qui « fait mal ») Ou bien : Comportement fonctionnellement équivalent tout en ayant une qualité d’expérience différente dans le cas d’expériences sensorielles telle l’expérience de couleurs ; le cas normal ; le cas des qualia inversés et le cas des qualia absents. Littérature : Braddon-Mitchell, David et Frank Jackson. Philosophy of Mind and Cognition. Blackwell, Oxford 1996. Heil, John. Philosophy of Mind. A contemporary introduction. Routledge, London 2002 (première édition 1998) Jaegwon Kim (1996). Philosophy of Mind. Westview Press. Eduard Marbach (Université de Berne): [email protected]