Un moment de l'histoire de la philosophie : les sophistes selon Hegel
Précisément, en rappelant pourquoi il y a, selon Hegel,
une progression irrépressible de la pensée, et en examinant
la place qu'il dévolue aux Sophistes dans ses leçons sur
l'histoire de la philosophie, il devient possible de
comprendre qu'ils étaient inéluctablement condamnés à
“disparaître”.
Position et négation de la pensée.
Selon Hegel, il y a une histoire de la philosophie,
pourrait-on dire, aussi longtemps que toutes les possibilités
de penser le « vrai » n'ont pas été effectuées et, en
quelque sorte, épuisées. Mais cette exhaustion n'est pas
livrée au hasard. Il
s'agit
d'un processus provoqué par la
contradiction inévitable qu'implique toute détermination
particulière de l'« absolu », l'objet véritable de la
philosophie1. Sitôt, en effet, que le Vrai, l'Essence, le
Concret, sont dits être ceci ou cela, il est évident qu'ils ne
sont que ceci ou cela. L'absolu ainsi affecté de
« négation », se révèle contradictoirement limité,
rapportable à ce qu'il « n'est pas », et, sauf à laisser la
pensée camper sur un limes à jamais infranchissable, seule
une suppression de cette négation, autrement dit une
« négation de la négation », pourra restituer à l'absolu son
absoluité. De fait, l'histoire de la philosophie fournirait une
abondante illustration du refus général des penseurs
originaux de s'en tenir aux déterminations du Vrai, de
l'Essence, du Concret établies avant eux, et de la critique
par laquelle ils essaient de les « annuler » au bénéfice de
déterminations estimées plus vraies, plus essentielles, plus
1. Afin de suivre Hegel, il faut comprendre que ce “terme” est en droit,
selon lui, l'objet véritable de toute philosophie, dans la mesure où
chacune énonce à sa manière ce qui est et n'est pas, ce qui fait sens et non
sens,
ce qui vaut et ne vaut pas, quoi que ce soit. Même s'il est affirmé que
rien n'est, ou qu'il n'existe aucun principe suprême, ou bien que seule la
particularité est réelle, ou encore que l'individu est l'ultime valeur, et
autres énonciations semblables, dans tous les cas, et fût-ce à l'encontre
des intentions ou des proclamations de leurs auteurs, les formulations
philosophiques visent et disent toujours le Vrai, l'Essence, l'Universel ;
en un mot, devenu courant, à l'époque de Hegel, dans la philosophie
allemande : l'absolu.
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Noesis n°2